Introduction de l'ouvrage de Ludovic Frobert et George Sheridan, Le solitaire du ravin. Pierre Charnier, canut lyonnais et prud'homme tisseur , Lyon, ENS Editions, 2014, 380 p.
Premières traces de Pierre Charnier
L’histoire n’a longtemps conservé que bien peu de traces de l’existence du chef d’atelier en soierie et prud’homme tisseur lyonnais Pierre Charnier. On découvre une mention fugitive de l’existence de ce canut dans l’Histoire de dix ans de Louis Blanc. Dans le chapitre de l’ouvrage où sont évoqués les massacres de Vaise lors de la seconde insurrection d’avril 1834, Blanc signale le courage et la détermination de quelques rares témoins ayant déposé sur les exactions commises sur les tisseurs et tisseuses de ce faubourg par les soldats du Roi Louis-Philippe et il souligne l’importance des « certificats dus au zèle d’un simple particulier », monsieur Chanier (1). Un peu plus tôt, au lendemain de la première insurrection des canuts, c’était la jeune capacité montante et ambitieuse de l’Église saint-simonienne, Michel Chevalier, qui dans un article du Globe livrait quelques indices. Chevalier évoquait une conférence à laquelle il avait assisté à Paris avec un autre prédicateur, Charles-Henry Baud, et qui opposait un chef d’atelier en soierie à quatre négociants lyonnais, chaque camp tentant d’expliquer les causes des récents « troubles de Lyon » en novembre 1831. Deux des négociants, expliquait Chevalier, apparaissaient « peu éclairés et devenus à la longue presque insensibles, au moins en apparence aux maux des masses », évolution logique car, comme il le soulignait encore, à Lyon, « entre les maîtres et les ouvriers il y a débat, lutte ouverte ou cachée : c’est le fruit de la concurrence ». Un troisième négociant, « fort chaud libéral » avant les Trois Glorieuses de 1830, sensible aux maux qui affectaient les tisseurs, était impuissant car sans « aucune teinture d’économie politique ». Le quatrième négociant était, lui, un « homme parfaitement égoïste, un cœur dur ». Par contraste, le chef d’atelier, se distinguait par sa connaissance fine des problèmes économiques et industriels. Lucide, il soulignait lors de la conférence que l’étincelle qui avait mis le feu aux poudres à Lyon était, bien sûr, la misère des tisseurs, mais qu’il ne fallait pas dissimuler le comportement irresponsable des négociants, « la fierté, l’arrogance (…) d’un grand nombre de fabricants ». Il se prononçait enfin en faveur de deux mesures précises, une modification du conseil des prud’hommes et une évolution de la fiscalité, attentes qui témoignaient, selon Chevalier, de sa grande maturité économique, de son statut de véritable industriel. Ce chef d’atelier était Pierre Charnier, représentant des tisseurs lyonnais, envoyé en mission à Paris pour tenter d’expliquer au gouvernement de Casimir Périer et à l’opinion publique les vraies raisons du soulèvement des canuts.
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