Révolution Française2024-03-15T16:30:42+01:00daily12024-03-15T16:30:42+01:00To Begin The World Again : The life of Thomas Paine2024-03-15T16:30:42+01:002024-03-15T16:30:42+01:00http://revolution-francaise.net/2024/03/15/830-to-begin-the-world-again-the-life-of-thomas-paineYannick BoscAnnoncesPièce de Ian Ruskin. Représentation en anglais, Mercredi 27 mars 2024 à 18h30. Bibliothèque Sainte-Geneviève, Salle de lecture de la Réserve (10, place du Panthéon). Gratuit sur réservation
Présentation sur le site de la Bibliothèque Sainte-Geneviève : "Après plus d’une centaine de... <img width="150" style="margin: 0 10px 10px 0; float: left;" src="/images/Ruskin_Paine.jpg" alt=" To Begin the World Over Again: the Life of Thomas Pain" />
<p>Pièce de Ian Ruskin. Représentation en anglais, Mercredi 27 mars 2024 à 18h30. Bibliothèque Sainte-Geneviève, Salle de lecture de la Réserve (10, place du Panthéon). Gratuit sur <a href="https://affluences.com/bsg/reservation?type=4959&date=2024-03-27">réservation</a></p>
<p>Présentation sur le site de la Bibliothèque Sainte-Geneviève : "Après plus d’une centaine de représentations et un franc succès aux États-Unis et au Royaume-Uni, <em>To Begin the World Over Again: the Life of Thomas Paine</em> arrive en France au printemps 2024. Dans un seul en scène rythmé, Ian Ruskin met en lumière un personnage clef de l’histoire, Thomas Paine. Père fondateur des États-Unis, ambassadeur des idées des Lumières, ce grand visionnaire défendait à l’époque des idées subversives comme l’abolition de l’esclavage. Raillé, humilié, il échappa de peu à la pendaison en Angleterre, à la guillotine en France, et se vit refuser le droit de vote à son retour en Amérique. La pièce sera suivi d’un temps de questions et réponses avec l’auteur et interprète, ainsi qu’avec le chercheur Marc Belissa (Université Paris Nanterre) et la doctorante Lyne Hervey-Passee (université de la Réunion) spécialistes de la Révolution française qui ont supervisé et vérifié la véracité historique des faits lors de la rédaction de la pièce. Ce temps permettra à l’audience de mieux comprendre les liens entre la France et l’Amérique après la Révolution et le rôle de Paine dans l’imprégnation des idées des Lumières de part et d’autre de l’Atlantique."</p>Le républicanisme de Richard Price2024-03-11T11:01:40+01:002024-03-11T11:01:40+01:00http://revolution-francaise.net/2024/03/11/816-le-republicanisme-de-richard-priceYannick BoscSéminaireSéminaire L'Esprit des Lumières et de la Révolution du 25 mai 2023.
intervention de Christopher Hamel (Université de Rouen) sur :
Le républicanisme de Richard Price.... <p>Séminaire L'Esprit des Lumières et de la Révolution du 25 mai 2023.<br />
intervention de Christopher Hamel (Université de Rouen) sur :<br />
<em>Le républicanisme de Richard Price</em>.<br /></p>
<iframe width="500" height="350" src="https://www.youtube.com/embed/j9xkitVeoGc" frameborder="0" allowfullscreen></iframe>L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, les traites négrières et l’esclavage colonial2024-02-23T12:07:01+01:002024-02-23T12:07:01+01:00http://revolution-francaise.net/2024/02/23/828-lencyclopedie-de-diderot-et-dalembert-les-traites-negrieres-et-lesclavage-colonialYannick BoscAnnoncesIntroduction de l'ouvrage d'Eric Mesnard, L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, les traites négrières et l’esclavage colonial, Genève, Slatkine, 2023.
Les vingt-huit volumes in-folio de l’Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers,... <img width="150" style="margin: 0 10px 10px 0; float: left;" src="/images/mesnard.jpg" alt=" Eric Mesnard Encyclopédie " />
<p>Introduction de l'ouvrage d'Eric Mesnard, <em>L’</em>Encyclopédie<em> de Diderot et d’Alembert, les traites négrières et l’esclavage colonial</em>, Genève, Slatkine, 2023.</p>
<p>Les vingt-huit volumes in-folio de l’<em>Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, par une société de gens de lettres</em>, furent publiés entre 1751 et 1772. Pendant ces deux décennies, environ un million six-cent-mille Africains furent embarqués dans des navires négriers dont deux-cent-cinquante-mille environ à bord de négriers français. Il y avait, alors, plus de six-cent-cinquante-mille esclaves dans les colonies françaises de l’Atlantique et de l’océan Indien. Au cœur de cette période, la guerre de Sept Ans (1756-1763) s’étendit sur les océans où les deux principaux belligérants avaient des colonies. Les négociations qui débouchèrent sur le Traité de Paris eurent comme enjeu majeur, pour la France et la Grande-Bretagne le contrôle des « isles à sucre ».<br />
Comment alors comprendre que parmi les 74 000 articles de l’<em>Encyclopédie</em>, moins d’une centaine concernent explicitement la question des traites négrières et de l’esclavage colonial (Voir tableau en annexe 2) ? L’analyse et la mise en relation de ces articles, de longueur et de portée très inégales, permettront de s’interroger sur les contradictions et les ambiguïtés des encyclopédistes, mais aussi de prendre en compte l’expression parfois fulgurante de principes anti-esclavagistes. Comme en témoigne, notamment, le cheminement de Diderot, les débats ouverts par la première édition de l’<em>Encyclopédie</em> ont contribué, lors de la décennie suivante à une radicalisation de la pensée anti-esclavagiste et à un enrichissement de son expression dans le débat public alors que la traite et l’exploitation du travail servile atteignaient des sommets jusqu’alors inégalés.</p>
<p><a href="/editions/MesnardEncyclopedie.pdf">Lire la suite</a> en .pdf - <a href="/editions/Mesnardtable.pdf">Table des matières</a> - <a href="/editions/MesnardExtraits.pdf">Voir</a> les premiers articles</p>Les serments politiques et religieux pendant la Révolution française2024-02-03T10:45:40+01:002024-02-03T10:45:40+01:00http://revolution-francaise.net/2024/02/03/817-les-serments-politiques-et-religieux-pendant-la-revolution-francaiseMarc BelissaNotionsMarc Deleplace, Centre d’histoire du XIXe siècle (Paris-Sorbonne)
Le serment prêté par les membres d’une autorité constituée était bien connu de la monarchie française. Mais parce que manifestation d’allégeance à la personne du roi, il s’est trouvé fortement mis en cause, à la fin de l’Ancien régime, dans une perspective inspirée par les théories du droit naturel.
C’est pourtant par un serment (jeu de Paume, 20 juin 1789) que s’ouvre la Révolution. Cependant, cet acte inaugural en renouvelle profondément la nature. De manifestation d’allégeance à l’autorité publique, le serment devient acte collectif d’engagement réciproque entre jureurs égaux en droits. Le serment entre alors rapidement dans la geste révolutionnaire, sous deux formes complémentaires. D’une part, alors que le serment du 20 juin devait garantir la réalisation d’un mandat collectif précis, donner une constitution au royaume, le serment devient manifestation permanente, plus ou moins spontanée, d’adhésion aux principes de la Révolution, déclarés dès août 1789, et d’unité nationale, dans une dynamique où prestations nationales et locales se répondent constamment, à l’instar des serments des fédérations culminant dans la cérémonie parisienne du 14 juillet 1790. De l’autre, la Révolution invente une nouvelle forme de serment, éludant partiellement le caractère religieux originel de ce type d’engagement, bien qu’il s’applique en premier lieu aux membres du clergé, avec l’imposition du serment lié à la constitution civile du clergé (12 juillet 1790) puis avec le premier serment civique, prêté solennellement par le roi le 23 janvier 1791.<p>Marc Deleplace, Centre d’histoire du XIXe siècle (Paris-Sorbonne)</p>
<p>Le serment prêté par les membres d’une autorité constituée était bien connu de la monarchie française. Mais parce que manifestation d’allégeance à la personne du roi, il s’est trouvé fortement mis en cause, à la fin de l’Ancien régime, dans une perspective inspirée par les théories du droit naturel.<br />
C’est pourtant par un serment (jeu de Paume, 20 juin 1789) que s’ouvre la Révolution. Cependant, cet acte inaugural en renouvelle profondément la nature. De manifestation d’allégeance à l’autorité publique, le serment devient acte collectif d’engagement réciproque entre jureurs égaux en droits. Le serment entre alors rapidement dans la geste révolutionnaire, sous deux formes complémentaires. D’une part, alors que le serment du 20 juin devait garantir la réalisation d’un mandat collectif précis, donner une constitution au royaume, le serment devient manifestation permanente, plus ou moins spontanée, d’adhésion aux principes de la Révolution, déclarés dès août 1789, et d’unité nationale, dans une dynamique où prestations nationales et locales se répondent constamment, à l’instar des serments des fédérations culminant dans la cérémonie parisienne du 14 juillet 1790. De l’autre, la Révolution invente une nouvelle forme de serment, éludant partiellement le caractère religieux originel de ce type d’engagement, bien qu’il s’applique en premier lieu aux membres du clergé, avec l’imposition du serment lié à la constitution civile du clergé (12 juillet 1790) puis avec le premier serment civique, prêté solennellement par le roi le 23 janvier 1791.</p> <p>Ce serment politique, qui ne peut se comprendre que dans un espace public de réciprocité, prêté par des individus libres et égaux en droits, combine désormais adhésion aux valeurs communes de la nation et soumission à ses lois. D’où la violence des débats engendrés par le refus de prestation après les condamnations prononcées par le Saint-Siège à l’encontre de la constitution civile du clergé, et le schisme qui s’ensuit au sein de l’Église de France. Les opposants au serment allèguent ainsi qu’il procède d’une intrusion de la puissance publique dans le domaine de la foi, argument repris contre le serment exigé en l’an V et qui s’appuie alors sur la contradiction que présente une telle intrusion supposée au moment même où l’on sépare constitutionnellement sphère politique et sphère religieuse. L’argument se redoublant de l’affirmation de l’inanité d’un serment qui ne peut précisément plus être garanti religieusement. D’où également l’émergence précoce d’une autre forme de serment, serment d’exécration à l’encontre de ceux qui refusent de manifester leur adhésion, bientôt assimilés aux suppôts contre-révolutionnaires de la tyrannie : l’émigré, le prêtre réfractaire, l’anglais sont ainsi successivement ou conjointement, de 1792 à 1795, vouées à la haine des peuples libres.
Quant au serment civique, il tend à s’institutionnaliser davantage avec le Directoire, malgré le débat que suscite alors son détachement de tout support religieux qui en fondait la valeur séculaire, par suite de l’adoption de la loi de laïcité de ventôse an III (février 1795). La formule de « haine à la royauté, haine à l’anarchie ; attachement et fidélité à la constitution de l’an III », adoptée pour le 2 pluviôse an V (21 janvier 1797), anniversaire de l’exécution du roi, combine ainsi serment d’exécration (contre toute forme de tyrannie, qu’elle soit à « bonnet rouge » ou couronnée), d’adhésion aux valeurs de la République (celles de la déclaration qui figure en tête de la constitution, dernière du genre produite par la Révolution et première à rompre avec la référence au droit naturel déclaré) et de soumission à ses lois (et aux autorités constituées). Il est étendu à l’ensemble des autorités constituées de la République, ainsi qu’aux électeurs et enfin aux prêtres le 19 fructidor an V (5 septembre1797), devenant de la sorte, plus qu’aucun autre avant lui, le garant de l’ordre social dans son ensemble.</p>
<p>Les serments institués par le régime consulaire puis impérial semblent au contraire renouer avec une tradition plus ancienne, mais les serments révolutionnaires survivent d’une part dans la « République du secret », dans les sociétés secrètes de la Restauration et de la Monarchie de juillet où l’exécration de la tyrannie, incarnée un temps par les Bourbons, demeure vive, et de l’autre dans l’habitude conservée d’exiger un serment d’obéissance et de soumission aux lois, quel que soit le régime en place, lors de l’entrée dans une fonction publique. Héritier le plus direct de l’invention révolutionnaire du serment civique, quoique dévoyé le plus souvent par ce qu’il implique à nouveau d’allégeance au monarque que ce soit sous la Restauration, la Monarchie de juillet ou le Second empire, ce type de serment ne sera définitivement abandonné, par la République, que le 5 septembre 1870.</p>
<p><strong>Bibliographie</strong> :</p>
<p>Bernard Plongeron, <em>Conscience religieuse en Révolution</em>, Paris, Picard, 1969.</p>
<p>Jean-Yves Piboubes, <em>Le Serment politique en France, 1789-1870</em>, thèse de doctorat d’histoire sous la direction d’Alain Corbin, Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, 2005.</p>
<p>Marc Deleplace, « La haine peut-elle être un sentiment républicain ? À propos du serment civique de l’an V », <em>Annales historiques de la Révolution française</em>, n° 4, octobre-décembre 2009.</p>
<p>Timothy Tackett, <em>La Révolution, l'Église, la France : le serment de 1791</em>, préface de Michel Vovelle, postface de Claude Langlois, traduit de l'américain par Alain Spiess, Paris, les Éditions du Cerf, 1986.</p>Les Œuvres de Jean-Paul Marat en version epub sur Kindle2024-01-18T13:21:35+01:002024-01-18T13:21:35+01:00http://revolution-francaise.net/2024/01/18/824-les-uvres-de-jean-paul-marat-en-version-epub-sur-kindleMarc BelissaOutilsJacques de Cock a réalisé la conversion de tous ses travaux sur Marat — y compris les 10 tomes des Œuvres — au format électronique epub. Cette édition électronique comprend :
- Les Cordeliers, ce sont les deux volumes disponibles sur TheBookEdition en format papier. Ils... <p>Jacques de Cock a réalisé la conversion de tous ses travaux sur Marat — y compris les 10 tomes des Œuvres — au format électronique epub. Cette édition électronique comprend :</p>
<p>- <em>Les Cordeliers</em>, ce sont les deux volumes disponibles sur TheBookEdition en format papier. Ils correspondent à l'Introduction du premier volume de l'édition originale et à l'ensemble du gros volume 2.<br />
- Les 10 volumes des <em>Ecrits</em> de Marat sont regroupés en un fichier epub (les numéros de pages de l'édition papier son indiqués en gras et entre parenthèses). Cette édition comprend également le "Plan de législation criminelle" de 1790.<br />
L'édition Kindle comprend également les "Guides de lecture" qui reprennent
- l'histoire du journal de Marat, des imprimeurs, de la distribution, des saisies, des faux numéros...<br />
- un volume sur la présentation (en rapport aux textes) des articulations de l'action politique de Marat de 1789 à 1793.<br />
- un troisième avec ce que le guide désigne comme des "Arguments", les textes sur la pensée politique de Marat.<br /></p>
<p>Par ailleurs, trois autres epub comprennent les écrits de Marat avant 1789 (disponible sur TheBookEdition en format papier et qui correspond à l'édition originale en un fort volume).</p>
<p>Tous les chercheurs s'intéressant à la Révolution française en général, et à Marat en particulier, se réjouiront de la possibilité d'accéder à tous ces travaux au format Kindle.</p>
<p><a href="https://www.amazon.fr/s?k=Jacques+de+cock+marat&__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&crid=1D0EWJE4C6VA1&sprefix=jacques+de+cock+marat%2Caps%2C78&ref=nb_sb_noss">On peut les trouver ici</a>.</p>L’État républicain, les services publics et les communs2024-01-13T12:13:44+01:002024-01-13T12:13:44+01:00http://revolution-francaise.net/2024/01/13/811-letat-republicain-les-services-publics-et-les-communsYannick BoscSéminaireSéminaire l'Esprit des Lumières et de la Révolution du 9 mars 2023.
Intervention de Thomas Perroud (Paris II) sur :
L’État républicain, les services publics et les communs.... <p>Séminaire l'Esprit des Lumières et de la Révolution du 9 mars 2023.<br />
Intervention de Thomas Perroud (Paris II) sur :<br />
L’État républicain, les services publics et les communs.<br /></p>
<iframe width="500" height="350" src="https://www.youtube.com/embed/z9NqNKFSdUM" frameborder="0" allowfullscreen></iframe>À l’ombre des Lumières. Des manuels scolaires aux programmes de l’enseignement secondaire (1930-2010)2023-12-16T12:47:39+01:002023-12-16T12:47:39+01:00http://revolution-francaise.net/2023/12/16/818-a-lombre-des-lumieres-des-manuels-scolaires-aux-programmes-de-lenseignement-secondaire-1930-2010-par-marc-deleplace-centre-dhistoire-du-xixe-siecle-sorbonne-universiteMarc BelissaEnseignementpar Marc Deleplace, Centre d’histoire du XIXe siècle, Sorbonne Université
La position du problème
Poser la question de l’enseignement des Lumières en France au XXe et XXIe siècle, c’est définir des moyens pédagogiques, des finalités sociales. C’est aussi placer au cœur de notre réflexion la relation des Lumières aux «Â Révolutions atlantiques » (Godechot (1)), et plus particulièrement à la Révolution française, au monde contemporain enfin.
Pour l’objet, comme souvent en histoire, il requiert deux modes de définition : comme période et comme signification, les deux étant étroitement liés puisque le premier travail de l’historien est à la fois de délimiter et d’unifier (2). Signification et périodisation sont ainsi le geste premier à accomplir, le temps étant le «Â lieu d’intelligibilité de l’histoire (3)». Or, dans l’univers scolaire en tout cas, la seconde entraîne la première. De cette périodisation, toujours en discussion de fait, nous nous contenterons ici d’en retenir deux approches. La première est celle d’une périodisation «Â courte », qui assimile le temps des Lumières à celui du règne de Louis XV, ou peu s’en faut (4). La seconde interroge à la fois les décalages européens et «Â l’entremêlement des temporalités », pour reprendre une expression empruntée à Louis Althusser par Michel Vovelle (5). Dans le cadre scolaire, force est de constater que c’est le premier qui l’emporte. Encore qu’il ne faudrait sans doute pas se laisser abuser par la forme des programmes et des manuels jusqu’aux années 1970 (6).<p>par Marc Deleplace, Centre d’histoire du XIXe siècle, Sorbonne Université</p>
<p><strong>La position du problème</strong></p>
<p>Poser la question de l’enseignement des Lumières en France au XXe et XXIe siècle, c’est définir des moyens pédagogiques, des finalités sociales. C’est aussi placer au cœur de notre réflexion la relation des Lumières aux « Révolutions atlantiques » (Godechot (1)), et plus particulièrement à la Révolution française, au monde contemporain enfin.<br />
Pour l’objet, comme souvent en histoire, il requiert deux modes de définition : comme période et comme signification, les deux étant étroitement liés puisque le premier travail de l’historien est à la fois de délimiter et d’unifier (2). Signification et périodisation sont ainsi le geste premier à accomplir, le temps étant le « lieu d’intelligibilité de l’histoire (3)». Or, dans l’univers scolaire en tout cas, la seconde entraîne la première. De cette périodisation, toujours en discussion de fait, nous nous contenterons ici d’en retenir deux approches. La première est celle d’une périodisation « courte », qui assimile le temps des Lumières à celui du règne de Louis XV, ou peu s’en faut (4). La seconde interroge à la fois les décalages européens et « l’entremêlement des temporalités », pour reprendre une expression empruntée à Louis Althusser par Michel Vovelle (5). Dans le cadre scolaire, force est de constater que c’est le premier qui l’emporte. Encore qu’il ne faudrait sans doute pas se laisser abuser par la forme des programmes et des manuels jusqu’aux années 1970 (6).</p> <p>Pour les moyens pédagogiques, l’étude des manuels scolaires issus de la grande réforme de l’enseignement secondaire de mai 1902, qui couronnait la mise en place du système éducatif voulu par les gouvernements de la IIIe République, et largement inspirés de Jules Ferry et de son équipe – Ernest Lavisse, Paul Bert, Ferdinand Buisson, Louis Liard –, nous semble un préalable utile, voire nécessaire, pour saisir le projet pédagogique et social initial.</p>
<p>Nous verrons ainsi comment les manuels de référence que constituent de fait, par leur longévité et parce qu’issus d’une commande d’Ernest Lavisse, le <em>Nouveau Cours d’histoire Malet-Isaac</em>, dans sa version des années 1930 (7), répond à ce double objectif. Il sera intéressant d’étudier en contrepoint ce que la grande collection catholique équivalente, celle menée par Jean Guiraud (8) dit de l’enseignement des Lumières. C’est que les auteurs et directeurs de ces publications ont tous été formés à l’école des historiens méthodiques, ont tous approuvé le projet historiographique contenu dans l’<em>Introduction aux études historiques</em> de Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos, en 1898. Nous suivrons les premiers jusqu’à l’ultime édition du cours Isaac, au début des années 1970.</p>
<p>Pour les années 1980-2010, nous privilégierons les programmes scolaires et leurs fiches d’accompagnement. C’est qu’ils sont riches d’enseignement sur les intentions des auteurs des programmes, de la lecture ou de la relecture qu’ils proposent de la question des Lumières dans la compréhension pour l’élève des « fondements du monde contemporain », selon l’expression des prolégomènes du programme de seconde de 1988 (9). Bref, nous privilégierons la réflexion sur les finalités sociales de cet enseignement, par comparaison avec ce qu’il en était sous la IIIe République.</p>
<p>Chemin faisant, nous pourrons donc mesurer le double poids de l’historiographie et de la politique dans l’enseignement des Lumières au collège et au lycée.</p>
<p>Nous verrons ainsi comment l’on passe d’une lecture « culturelle », dominante dans les années 1930, aussi bien pour la collection Malet-Isaac que pour la collection Guiraud, nonobstant quelques jugements de valeurs échappés de leurs plumes quant à la relation entre Lumières et Révolution, à une lecture « sociale » dans le grand moment de l’école des Annales dans les programmes scolaires, non pas ceux de 1977 comme on le dit et le pense trop souvent, mais bien ceux de 1985-1988, programmes « Chevènement », enfin à un « retour du politique (10) » dès les programmes « Bayrou (11) » de 1995-1997. Une lecture essentiellement (c’est-à-dire par essence) politique qui place les Lumières dans la seule perspective de la critique de l’Ancien régime, ou mieux de la monarchie absolue, ce qui est pour le moins réducteur. Ce qui nous amènera, in fine, tout naturellement à exposer la situation présente telle que nous la saisissons, et les questions qu’elle soulève à son tour tant au point de vue pédagogique que social.</p>
<p>Nous constaterons au cours de ce trajet historiographique, épistémologique, didactique, que les figures incarnant les Lumières peuvent varier, certaines venir à la lumière lorsque d’autres entrent dans l’ombre.</p>
<p>Cela nous permettra enfin d’interroger l’évolution de la place de la Révolution française, à partir de son rapport aux Lumières, dans ces « fondements du monde contemporain » que l’on a renoncé à nommer comme tels, lors même que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 demeure en tête de notre Constitution et que ces mêmes droits de l’homme sont régulièrement invoqués de par le monde.</p>
<p><strong>Quand les Lumières étaient un objet d’enseignement autonome (1930-1970)</strong></p>
<p>Une double évidence s’impose à la lecture des deux collections de manuels que nous avons retenus (12) : l’ampleur du traitement réservé en classe de seconde aux Lumières, qui font l’objet d’un chapitre copieux intitulé soit « L’évolution des idées de 1750 à 1789 (13) », soit « Le mouvement intellectuel et artistique au XVIIIe siècle (14) » ; le lien avec le mouvement des réformes en France et en Europe (15), mais sans déterminisme vers la Révolution, celle-ci relevant du manuel de première (16).</p>
<p>Ainsi ce qui domine est une lecture à la fois courte chronologiquement, les lumières venant « buter » sur la Révolution, et large dans le contenu. Que le découpage des chapitres, si proches des « tiroirs de l’armoire normande », où les faits sont rangés soigneusement par catégorie, comme le linge dans cette dernière, ne nous trompe pas.
Les auteurs de ces manuels semblent bien, au rebours de ce qu’en dira Jacques Le Goff, instituant Voltaire comme l’une des figures de références de l’historiographie des Annales, telle qu’il l’expose en 1988 (17), ne pas en avoir oublié les attentes et espérances. Le propos de ce dernier, dans ses <em>Nouvelles considérations sur l’histoire de 1744</em> : « Peut-être arrivera-t-il bientôt dans la manière d'écrire l'histoire ce qui est arrivé dans la physique (18). Les nouvelles découvertes ont fait proscrire les anciens Systèmes. On voudra connaître le genre humain dans ce détail intéressant qui fait aujourd'hui la base de la philosophie naturelle », semble bien résonner encore dans les pages de ces manuels, corrigeant leur découpage, voire leur fragmentation thématique. Quelques exemples permettront de s’en convaincre.</p>
<p>Ce découpage, que Lucien Febvre trouvera un malin plaisir à montrer l’obstacle objectif qu’il constitue à une approche d’histoire totale (19) dont il trouve le programme chez Michelet, un Michelet dont Jacques Le Goff, dans le texte déjà cité, fera, après Voltaire, à son côté, la seconde figure tutélaire des Annales (20), provient entre autres de la collection dirigée par Ernest Lavisse quelques années avant qu’Albert Malet ne se mette à l’œuvre pour son manuel. Plus qu’une collection, une véritable somme : <em>L’Histoire générale du IVe siècle à nos jours</em>, publiée de 1892 à 1901, sous la direction et l’autorité conjointes d’Ernest Lavisse et d’Alfred Rambaud, histoire dont les douze gros volumes nous conduisent « Des origines » au « Monde contemporain ». Somme et source à laquelle s’abreuve Albert Malet (la rédaction de son manuel en porte la trace). Or cette somme alterne les chapitres qui privilégient une approche « nationale », quels que soient les peuples et les époques considérées, et ceux qui proposent au lecteur une approche « thématique ». De ces seconds relèvent précisément tous ceux qui abordent, au fil des siècles, les questions liées au savoir, scientifique ou social. Les Lumières entrent dans cette seconde catégorie, redonnant ainsi au savoir scientifique, aussi bien qu’aux idées philosophiques et aux arts, leur unité « transnationale ». Là encore, finalement, Voltaire a été entendu.</p>
<p>Comment cela se traduit-il dans nos manuels ? En voici quelques exemples. Mais une mise en garde préalable s’impose, le découpage thématique (sciences de la nature, sciences de la société, pratiques littéraires et artistiques, pour en reprendre les principaux d’entre eux) ne doit pas conduire à inférer l’inexactitude de notre assertion quant à l’unité qui se dégage de ces chapitres, à l’ampleur de la matière qu’ils abordent, et à l’indépendance de leur traitement vis-à-vis de la Révolution française. Et ceci alors que l’évolutionnisme premier de ces manuels, y compris les manuels catholiques, mais nous avons indiqué la conformité de formation de leurs auteurs avec ceux des manuels « républicains », évolutionnisme teinté de déterminisme et de finalisme historique, est leur cadre dominant de pensée.</p>
<p>Ces exemples, nous les puisons dans les manuels faute de pouvoir exploiter les programmes qui leur sont contemporains. En effet, et malgré Braudel en 1962, jusqu’au seuil des années 1980, les programmes d’histoire sont une nomenclature de nom, parfois de faits, qu’il convient de traiter en classe. Ainsi en 1947 trouve-t-on les énoncés suivant (nous les prenons volontairement hors de notre sujet) : <em>Louis XIII ; la régence d’Anne d’Autriche ; Richelieu ; Mazarin ; la Fronde</em> (21). Programme pour le moins laconique ! C’est donc en suivant les énoncés des manuels (faute d’avoir ceux des enseignants…) qu’il est possible, pour cette période, de retisser le sens de l’enseignement délivré.</p>
<p>Ces énoncés sont de deux sortes : ceux du récit qui forme la trame du manuel ; ceux qui annoncent, et souvent résument, le contenu qui va suivre. Le croisement de ces deux types d’énoncés, dont la fonction ne doit certes pas être confondue, permet de restituer le sens du propos souhaité comme devant être retenu par l’élève. Or les uns comme les autres, rendent compte de ce que nous soulevions il y a peu : que derrière le découpage lui-même nomenclatural des chapitres, se dissimule une unité de la pensée sociale que l’école des Annales reprochera à ses devanciers d’avoir trop négligée, et qu’elle cherchera au contraire à mettre en avant. Pour ne pas multiplier ici inutilement les énoncés des deux sortes, nous nous en tiendrons essentiellement à quelques-uns de ceux de la seconde sorte. Résumant la pensée des auteurs avant qu’elle ne soit développée, ils témoignent au premier chef de cette unité dans la manière de concevoir les Lumières, unité perdue dans les approches plus récentes, depuis les années 1990, pour les raisons que nous avons indiquées en introduction et dont nous donnerons le moment venu des exemples.</p>
<p>Voici comment le chapitre XV du volume consacré aux XVIIe et XVIIIe siècles du Malet-Isaac 1923 se trouve découpé : « 1– Les progrès scientifiques ; Les découvertes astronomiques ; La physique. L’électricité ; La chaleur. Les applications pratiques ; La première conquête de l’air ; Les sciences naturelles ; Influence du progrès scientifique ; 2– Philosophes et économistes ; Le triomphe de la philosophie ; Les nouvelles tendances ; Le « Roi Voltaire » ; Jean-Jacques Rousseau ; Diderot et l’<em>Encyclopédie</em> ; les économistes ; Quesnay et Gournay ; Les applications pratiques ; Adam Smith et Turgot (22) ; 3– Les lettres et les arts — Les tendances nouvelles ; Évolution de la littérature ; Évolution de l’art ; L’architecture ; La décoration des jardins ; La sculpture ; La peinture ; L’art en Europe ; La musique. » (Malet-Isaac, 2de, p. 430-463.)</p>
<p>Que cette énumération a dû te paraître fastidieuse, lecteur, comme il me fut de la recopier fidèlement ! Mais c’est qu’elle répond pleinement à notre affirmation première, et ce des deux manières que nous avons indiquées. En effet, d’une part le titre du chapitre est « L’évolution des idées de 1750 à 1789 ». Et cette approche finalement totalisante du mouvement ainsi décrit est précisée d’emblée, dans le chapô qui suit ce titre :</p>
<blockquote><p>« Il y a dans cette période comme au temps de la Renaissance une fièvre de savoir, la passion de s’affranchir de tous les préjugés. Les travaux de Herschel, de Franklin, de Lavoisier, de Buffon, les inventions multiples donnent l’impression que la science va régénérer l’humanité. Avec les savants, les philosophes veulent le bonheur du genre humain, Voltaire en le délivrant du fatalisme de l’intolérance, Rousseau en le ramenant à la nature et en lui enseignant les droits naturels. Les artistes transforment et embellissent les villes. Ils suivent le goût du jour, qui est à la simplicité, au culte des vertus familiales, de la nature et de la beauté antique ».</p></blockquote>
<p>Plus qu’un résumé de ce qui suivra, malgré l’ordonnancement de la présentation, ce texte introduction nous renvoie bien au projet de Voltaire, appelant les sciences au secours de la philosophie dans ses Nouvelles Considérations sur l’histoire de 1744. Le manuel catholique s’aligne ici en tout point avec le Malet-Isaac. Le chapitre XVII du livre de seconde s’intitule : « Le mouvement intellectuel et artistique au XVIIIe siècle », et il porte en sous-titre : « Évolution des idées. Philosophes et économistes. Savants et artistes » (Guiraud, 2de, p. 342). Même conception unitaire d’un mouvement d’ensemble.</p>
<p>Or cette approche répond aussi aux principes de l’<em>épistémè</em> classique, telle que l’analyse Michel Foucault (23). Nous en retenons deux principes qui sont ici doublement à l’œuvre. La construction d’un savoir nouveau, fondé tout à la fois sur l’observation et l’expérimentation, la distinction et l’analogie, le fait et le concept, le singulier et la généralisation, le cas et la loi, se retrouve tout entière ici : la science, que Comte parmi d’autres qualifiera bientôt de « positive », qu’elle soit science de la nature ou science de l’homme pour reprendre Dilthey, comporte deux aspects qui baignent encore nos auteurs, car, selon nous, cette épistémè classique se prolonge, sans véritable solution de continuité, du XVIIe au début du XXe siècle (24). Ces deux principes sont : établir un inventaire raisonné du monde ; établir la connaissance sur des faits que l’on peut regrouper par catégories. Le principe ultime est donc celui de la classification (des espèces, des formes géologiques, des races humaines, des civilisations, etc.). Il est désormais indispensable d’appartenir à un genre (littéraire, artistique, musical, etc.) mais aussi social (la casquette et le canotier).</p>
<p>Pour conclure ce premier moment de notre trajet, nous voudrions retenir cette citation de 1912, donnée précisément dès le premier chapitre de leur volume sur le monde contemporain par Malet et Isaac, inscrite sous le portrait d’Henri Poincaré, et qui nous semble faire écho au propos de Voltaire sur le rapport intime entre les sciences et la philosophie : « On a pu dire de lui <a href="H. Poincaré">H. Poincaré</a> qu’il était vraiment le cerveau vivant des sciences rationnelles, le seul homme dont la pensée fut capable de faire tenir en elle toutes les autres pensées, de comprendre jusqu’au fond, et par une sorte de découverte renouvelée, tout ce que la pensée humaine peut aujourd’hui comprendre » (Malet-Isaac, Tle, p. 5). Mais ce propos nous apparaît également la dernière expression de cette soif de la recherche d’une pensée holistique, capable de comprendre le monde d’un jet, alors que l’épistémè classique présentée dans sa naissance et ses premiers balbutiements par Michel Foucault tend au contraire au découpage disciplinaire, non pas du monde mais de sa connaissance, sans que soient exclues ni la volonté ni la possibilité de faire en sorte que ces disciplines, par insémination croisée oserait-on dire, ne tendent à reconstituer la connaissance originelle une et indivisible. Mais c’est vers l’éclatement de l’enseignement des Lumières que nous allons nous diriger maintenant, car l’évolution de l’enseignement de l’histoire sur ce point nous y pousse irrésistiblement. Dans le même mouvement, nous suivrons comment se renouvelle la question de la relation des Lumières à la Révolution, dans le domaine scolaire, marqué donc par une finalité civique qui est comme la « raison sociale (25)» de l’histoire déjà pour Malet et Isaac.</p>
<p><strong>Du social au politique : Les Lumières réduites à une propédeutique de la Révolution (années 1970-2010)</strong></p>
<p>Le manuel de la collection Isaac de 1971, dernière mouture de cette collection née des suites de la réforme de 1902 et d’une longévité exceptionnelle de soixante-dix ans, dont la rédaction est due à Jean Michaud, amorce le mouvement qui conduira au second temps de notre étude, en ce qu’il répartit l’étude des Lumières en trois chapitres dont la direction vers la Révolution française comme achèvement est plus fortement suggérée : « Les lettres et les arts en Europe » étant suivi d’un chapitre intitulé « Les philosophes et les idées nouvelles (26)», césure donc entre la production intellectuelle et scientifique (27) et la philosophie politique que ne connaissaient pas les manuels des années 1930.</p>
<p>C’est que la marche vers la lecture politique dominante, qui introduit plus fermement la continuité entre les Lumières et la Révolution, point d’aboutissement de la remise en cause de la monarchie absolue, n’a plus que peu à voir avec le mouvement général des idées, en particulier scientifiques, du XVIIIe siècle, au mépris de la continuité entre science et philosophie politique que Condorcet revendiquait alors qu’il cherchait la voie d’une « mathématique sociale », entre 1788 et 1793, d’où sortira bien après la sociologie (28).</p>
<p>Ce mouvement vers le « retour du politique » est cependant un instant suspendu par la double force de l’histoire des Annales et de l’approche du bicentenaire de la Révolution (29).</p>
<p>C’est ainsi que les accompagnements des programmes de 1985, très riches, sans doute les plus riches depuis les Instructions d’Ernest Lavisse en 1890, Portent sur les Lumières un regard qui est empreint de cette idée formulée en 1943 que « l’histoire est sociale par définition (30)». Ce à quoi nous nous sommes permis malignement de répondre naguère par une interrogation, née de l’observation sur le temps long des programmes, de leurs accompagnements et commentaires, et des manuels de différentes générations : « L’histoire scolaire n’est-elle pas politique par définition (31) ? » C’est qu’il nous est apparu qu’entre les programmes essentiellement nomenclaturaux, tels qu’ils se présentent des années 1890 aux années 1960, puis pénétrés de plus en plus par des tentatives de conceptualisation thématique, des années 1970 aux jours présents, l’histoire économique et sociale, dont on aurait pu attendre qu’elle accompagnât cette évolution, puisque c’était au fond la lente pénétration de l’esprit des Annales que semblait refléter cette évolution, le temps véritable de cette histoire « sociale par définition » et conceptuelle dans son expression thématisée, s’inscrivait en fait dans un temps court, et traversé de polémiques et de résistances, celui qui sépare les programmes « Haby » de 1977 des programmes « Bayrou » de 1995. Et dans ce moment, vite refermé en ce qui concerne les Lumières, les programmes « Chevènement » de 1985 renfermaient presque seuls l’ambition d’une histoire sociale, totale, répondant au programme de la revue Annales encore sous-titré « <em>Économies, sociétés, civilisations</em> (32)».</p>
<p>Ce sont ici les accompagnements du programme de quatrième ainsi que son simple énoncé qui portent tous deux témoignage de la force alors acquise par cette volonté de voir dans l’enseignement de l’histoire la délivrance d’un savoir sur les sociétés, dans leur totalité systémique.</p>
<p>Commençons par l’énoncé du programme lui-même. Il propose dans une première partie sur l’Europe absolutiste, deux études successives : celle de « l’Ancien régime en France : aspects économique, social, religieux, culturel et politique » ; puis celle de « la remise en cause de l’absolutisme : les révolutions anglaises au XVIIe siècle, la Philosophie des Lumières en France, la Révolution américaine ». On reconnaît aisément dans le premier sujet d’étude l’intitulé même de la revue <em>Annales ESC</em>. Ce qui corrige à la fois l’intitulé restrictif du second sujet qui amorce la double contraction des Lumières à la Philosophie des Lumières, et de cette dernière à la remise en cause de l’absolutisme.</p>
<p>On pressent dès lors combien commence à se creuser le fossé entre une étude d’histoire totale des Lumières et une approche presque plus politiste qu’historique de ces dernières. Les programmes de 1996 ne font qu’accentuer ce phénomène, pour des raisons notamment politiques (la volonté de retisser le lien social dont on commence à mesurer à quel point il se délite). Nous n’insisterons pas davantage ici sur ce basculement du social au politique, que nous avons analysé ailleurs (33). Nous relèverons seulement le paradoxe partiel qui dans le même programme de 1985, et surtout dans leurs accompagnements, souligne l’approche d’histoire totale concernant la société française avant 1789, en suivant de manière si ostentatoire le programme des <em>Annales ESC</em>, tout en éclatant l’étude des Lumières en trois thèmes, ce qui permet d’en extraire la philosophie des Lumières et de l’instituer sans ambages, au côté des révolutions anglaises et de l’indépendance américaine, comme un des prolégomènes à la Révolution française. Ce faisant, la philosophie des Lumières se trouve ainsi enfermée territorialement (il s’agit des Lumières en France) et thématiquement (ces Lumières ainsi réduites ne font que participer de la remise en cause de l’absolutisme).</p>
<p>Il est en revanche temps pour nous de revenir sur un point que nous avions annoncé et dont n’avons encore rien évoqué : celui du lien structurel entre enseignement des Lumières et enseignement de la Révolution française. Ce lien était institué dès les manuels des années 1930 (en fait depuis toute l’historiographie du XIXe siècle, qu’elle fut favorable ou non à la Révolution : mais ce n’est le lieu de développer dans toute son ampleur ce fait), malgré ce que nous avons cherché à montrer de l’autonomie de l’étude des Lumières, en même temps que de toutes leurs dimensions comme courant de pensée et non pas seulement comme philosophie politique. Un court retour en arrière s’impose donc à nous, pour mieux saisir comment ce lien finit pensons-nous par étouffer les Lumières dans l’enseignement secondaire.</p>
<p>Revenons un instant à nos manuels. Deux citations, extraites des volumes consacrés l’un à l’étude des XVIIe et XVIIIe siècles, l’autre à celle de la période révolutionnaire et impériale (Malet-Isaac, 2de et Malet-Isaac, 1re (34)) suffiront à montrer la prudence des auteurs quant à ce lien que nous qualifions de structurel.</p>
<p>Concluant sur l’influence de la philosophie des Lumières, Malet et Isaac écrivaient certes que « Là ne devait pas s’arrêter leur action. Tôt ou tard, ces idées, principalement celle des philosophes, devaient entraîner un changement total de l’ordre établi, c’est-à-dire une <em>révolution</em>. » Mais c’est pour tempérer aussitôt : « Sans doute, ni la révolution d’Amérique, ni la Révolution française de 1789, n’ont eu pour cause déterminante la propagande philosophique. » (Malet-Isaac, 2de, p. 449.)</p>
<p>Ce qui ne leur interdit pas de citer, dans le volume suivant, certain philosophe comme le véritable penseur de la Révolution. Mais ô surprise !, il ne s’agit ni de Voltaire ni de Rousseau, ni même de Diderot. C’est l’abbé Mably qui est cité à la barre (Malet-Isaac, 1re, p. 29 )…</p>
<p>Or, dans un mouvement croisé, à partir de 1995 en particulier, la philosophie des Lumières est de plus en plus nettement impliquée dans la Révolution française, alors que Mably rentre dans l’ombre, et que cette philosophie, étudiée dans ses œuvres et ses hommes, certes, est de plus en plus désincarnée dès lors qu’elle touche au mouvement révolutionnaire (36).</p>
<p><strong>Comment conclure ?</strong></p>
<p>N’est-il pas audacieux, peut-être vain, de vouloir conclure ce trajet alors que l’enseignement de l’histoire connaît de nouveaux remous dont il est difficile de discerner où ils nous conduiront ? Osons tout de même remarquer, avec Braudel (37), que sous les agitations de surface, la politique des programmes, si l’on peut ainsi s’exprimer, n’a guère dévié depuis ceux de 1995 et du retour à une lecture politique dominante (38) de l’époque moderne. L’incidence sur la lecture des Lumières, sur l’appauvrissement de leur complexité, sur l’oubli ou presque de leur dimension européenne, que l’on songe au moins aux proximités et porosités avec l’<em>Aufklärung</em> germanique ou l’<em>Enlightenment</em> anglais, pour ne plus voir quasiment que la France dans la volonté d’en faire seulement la remise en cause de l’absolutisme, n’en demeure pas moins fatal. Autant qu’est fatal la lecture purement politique du lien entre Lumières et Révolution française. Non, Rousseau n’est pas le seul maître à penser en la matière, et Robespierre, pour ne retenir que lui, son disciple étriqué ; non, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 n’est pas la seule manifestation de l’individualisme triomphant du carcan de l’Ancien régime, mais proclamation du droit naturel, de celui qui cherche les fondements d’une société autrement que dans la défense des intérêts particuliers, fussent-ils ceux de la « nation » hypostasiée.</p>
<p>Le retour à un découpage ancien, qui conduit à isoler l’étude des Lumières en classe de seconde, celle de la Révolution étant renvoyée à la classe suivante, pourrait laisser espérer dégager les premières de la « gangue » de cette dernière, car pas davantage que les Lumières ne conduisent inéluctablement à la Révolution, celle-ci ne peut se comprendre qu’à la seule aune d’un « héritage », aussi riche et prégnant soit-il. Sur ce point au moins François Furet nous aura apporté un élément de réflexion essentiel : quelles que soient les causes de l’événement, celles-ci ne permettent pas d’en expliquer le surgissement ni le déroulement. L’événement a une dynamique propre (39). Là réside l’inventivité révolutionnaire, aussi étendu que soit le répertoire issu des Lumières dans lequel elle aura pu puiser. Redonner aux Lumières, et donc à leur enseignement, leur sens propre, voici ce que l’on peut souhaiter, pour l’intelligibilité de l’articulation décisive entre XVIIIe et XIXe siècle, pour l’intelligibilité tout autant de la Modernité historique, et de son actualité.</p>
<p><strong>Notes</strong></p>
<p>(1) GODECHOT Jacques, <em>Les Révolution</em>s, Paris, PUF, coll. « Nouvelle Clio », 1986.</p>
<p>(2) CERTEAU Michel (de), <em>L’Écriture de l’histoire</em>, Paris, Seuil, 1975.</p>
<p>(3) BLOCH Marc, <em>Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien</em>, Paris, Armand Colin, Cahier des Annales no 3, éd. posthume par Lucien Febvre, 1949.</p>
<p>(4) ROCHE Daniel, <em>La France des Lumières</em>, Paris, Fayard, 1993.</p>
<p>(5) DELON Michel (dir.), <em>Dictionnaire européen des Lumières</em>, PUF, 1997 ; VOVELLE Michel, « L’histoire et la longue durée », dans LE GOFF Jacques (dir.), <em>La Nouvelle Histoire</em>, Éditions complexes, 1988.</p>
<p>(6) Incontestablement, les programmes de 1977, décriés par la profession, ouvrent le chemin à ceux de 1985 qui allient, plus que par le passé, présentation chronologique et thématique.</p>
<p>(7) Il s’agit donc de la version reprise par Jules Isaac, Albert Malet étant mort au front en 1915. Isaac, qui de professeur agrégé qu’il était lors de sa collaboration au premier manuel, avant 1914, attribué par l’éditeur au seul Malet, devient bientôt inspecteur général de l’Instruction publique (puis de l’Éducation nationale lorsque le ministère change de nom en 1930). La collection est, sous sa dernière version en 1970-1971, sous son seul nom, alors qu’il a à son tour passé la main pour la rédaction à une nouvelle équipe depuis l’édition de 1960 dont il rédige la préface, son ultime texte, et décède en 1963.</p>
<p>(8) Contemporaine et concurrente de la précédente, mais de moindre longévité, puisque l’enseignement catholique adopte après 1959 les manuels de l’enseignement public, l’essentiel de sa rédaction revient à Mgr Charles Aimond, qui terminera sa carrière comme directeur de l’enseignement catholique. Tout comme Jean Guiraud, qui poursuit pour sa part une carrière universitaire à Besançon tout en devenant en 1917 le premier rédacteur en chef laïc du journal <em>La Croix</em>, il est, comme nous le disions, élève de l’école méthodique, et suit un cursus universitaire qui lui permet d’obtenir le titre de docteur ès lettres, délivré par la seule université publique, comme tous les grades universitaires depuis les réformes napoléoniennes.</p>
<p>(9) Nos sources sont ici la publication des programmes et de leurs accompagnements par le Centre national de la documentation pédagogique (programmes qui seront cités dans la suite : CNDP 1989 et CNDP 1996 (il s’agit des programmes de collège dont la lecture est la plus riche pour nous). Quant aux programmes les plus récents, ils sont consultables sur le site gouvernemental Éduscol, accompagnés de fiches de mise en œuvre pour certains sujets Si nous devions les citer nous adopterions le même principe, soit : Éduscol 2008 et Éduscol 2017, ou Fiche Éduscol 2008 ou 2017 s’il ne s’agit pas du programme. Mais notre propos s’est volontairement arrêté au seuil de ces derniers programmes. C’est que nous estimons qu’il nous faudrait au préalable procéder à des analyses similaire à celles que nous avons produites sur les programmes précédents, ainsi que sur les manuels, depuis 1870 jusqu’à 2010 environ, et dont on trouvera quelques références dans nos notes (que l’on pourrait compléter en consultant notre bibliographie sur le site du Centre d’histoire du XIXe siècle, notre centre de recherche à la faculté des lettres de Sorbonne Université), et que ce n’est pas ce que nous souhaitions proposer à la réflexion ici. Notre conclusion éclairera ce choix.</p>
<p>(10) Expression de Pierre Nora.</p>
<p>(11) L’habitude s’est prise depuis les années 1970 de désigner les programmes non par leurs auteurs (contrairement aux programmes « Braudel » de 1962), mais par celui du ministre alors en charge de l’Éducation nationale.</p>
<p>(12) Pour la collection Malet-Isaac, il s’agit des volumes de seconde « XVIIe et XVIIIe siècles » et de première « Révolution, Empire, première moitié du XIXe siècle », que nous citerons par commodité : Malet-Isaac, 2de et Malet-Isaac, 1re ; rédigés par Jules Isaac avec l’aide de M. Bourilly (classe de 2de) et de Charles-Henri Pouthas (classe de 1re). Pour la collection Guiraud, ce sont les volumes équivalents, rédigés tous deux par Charles Aimond, intitulés « Le XVIIe et XVIIIe siècle » et « Histoire contemporaine jusqu’au milieu du XIXe siècle », que nous citerons Guiraud, 2de et Guiraud, 1re dans la suite de notre propos.</p>
<p>(13) Malet-Isaac, 2de, p. 430-463 ; les chapitres sur le mouvement des réformes en France et en Europe couvrent les deux chapitres suivants, p. 464 à 525.</p>
<p>(14) Guiraud, 2de, p. 341-374. Ici, le lien avec le mouvement des réformes en Europe est réservé au seul despotisme éclairé, sous les figures tutélaires de Frédéric II, Joseph II et Catherine II, p. 391-419, et à la fin du règne de Louis XV, début du règne de Louis XVI pour la France de 1758 à 1781, mettant en avant les figures de Turgot et Necker, p. 375-397.</p>
<p>(15) Celui-ci ayant été établi, en bonne ou mauvaise part, par les historiens de la Révolution française dès le début du XIXe siècle, il eût été pour le moins étonnant de le voir ignoré de nos auteurs.</p>
<p>(16) Rappelons que ces manuels correspondent aux programmes de 1925 (modifiés 1931) qui ont rétabli la continuité de l’enseignement de l’histoire sur les sept années du lycée, qui avaient été découpées une première fois en deux cycles par la réforme du 31 mai 1902, qui se traduisit dès l’instant par un affaiblissement de l’histoire antique et médiévale au profit de l’histoire moderne et contemporaine, position revendiquée par Seignobos et qui fit l’objet de vifs débats (déjà…), et le seront définitivement en 1938 (préfiguration lointaine du découplage entre les quatre années du collège et les trois du lycée, devenu la règle entre 1959-1963 et 1975, lors des grandes réformes Fouchet et Haby dont nous portons l’héritage).</p>
<p>(17) Jacques Le Goff, « Une science en marche, une science dans l’enfance », LE GOFF Jacques (dir.), <em>La Nouvelle Histoire</em>, Bruxelles, éditions Complexe, 1988.</p>
<p>(18) C’est bien entendu de Newton qu’il s’agit ici en priorité, même si Voltaire ne pouvait ignorer ni Descartes, ni Leibniz.</p>
<p>(19) FEBVRE Lucien, Combats pour l’histoire, Paris, Armand Colin, 1952. C’est à ce propos qu’il use de l’image de l’armoire normande…</p>
<p>(20) Jacques Le Goff, « Une science en marche, une science dans l’enfance », LE GOFF Jacques (dir.), <em>La Nouvelle Histoire</em>, Bruxelles, éditions Complexe, 1988.</p>
<p>(21) Publication Vuibert 1947.</p>
<p>(22) Dans cette division des deux premières parties, on retrouverait presque la distinction introduite par Dilthey en 1911 entre les sciences de la nature et les sciences de l’homme, les deux étant données dans cet ordre par l’auteur. La césure que nous retrouvons dans les manuels dès l’ultime version du Malet-Isaac et dans les manuels qui lui sont contemporains, au seuil des années 1970, qui distinguent progrès scienti&#64257;que et progrès des idées ne font que prolonger, accentuer, cette impression, dans un contexte dont nous avons déjà dévoilé ce qu’il comportait de réduction de la notion de Lumières. La référence à Dilthey est tirée de PROST Antoine, <em>Douze Leçons sur l’histoire</em>, Paris, Seuil, 1996.</p>
<p>(23) FOUCAULT Michel, <em>Les Mots et les Choses : Une archéologie des sciences humaines</em>, Paris, Gallimard, 1966.</p>
<p>(24) Ce qui te permet, lecteur, de mieux comprendre nos réticences devant l’évolution de l’enseignement des Lumières dont l’extinction n’est pas encore à déplorer, malgré ceux par qui le scandale est arrivé, d’un monde moins stable, y compris dans sa dimension physique : Einstein, Planck, Kandinsky, Schönberg, Breton, pour n’en citer que quelques-uns. Bref tous ceux qui, sensible aux phénomènes ondulatoires, et après la photographie, les impressionnistes et la radiographie, nous ont appris à voir le monde, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, d’un œil étranger à la Modernité historique, à saisir à nouveau l’éclatement en place de l’unité.</p>
<p>(25) C’est une expression par laquelle nous aimons à rendre compte à la fois de la relation originelle entre l’histoire et l’éducation civique, et justifier que l’histoire ait pu s’imposer, parmi les sciences sociales, comme matière d’enseignement aux dépends parfois de leurs domaines concurrents.</p>
<p>(26) Manuel de 4e, collection Isaac, Paris, Hachette, rééd. 1976, p. 326-349. Notons qu’un troisième chapitre, p. 350-355, inclut sous le seul titre « Les despotes éclairés » le mouvement des réformes en Europe, suivant en cela le manuel Guiraud, 2de. Remarquons enfin la forte réduction du volume des pages consacrées à ces chapitre, accentuée encore par la place nouvelle de l’iconographie et de la citation de textes d’époque. Le manuel moderne est né. Son appauvrissement de contenu explique que nous ayons préféré nous tourner pour cette seconde partie vers les programmes et leurs accompagnements.</p>
<p>(27) « Techniques et découvertes nouvelles au XVIIIe siècle », titre du premier des trois chapitres en question, les sciences étant ainsi isolées et rejetées vers les techniques CNDP, 1989. Amorce également, dans cette tripartition, d’une « disciplinarisation » des savoirs propre au siècle des Lumières précisément. C’est la naissance de l’<em>épistémè</em> classique pour reprendre le propos de FOUCAULT Michel, <em>Les Mots et les Choses : Une archéologie des sciences humaines</em>, Paris, Gallimard, 1966.</p>
<p>(28) Le mot se rencontre d’abord dans les manuscrits de Sieyès. Sa publicité revient à Auguste Comte dans son cours de philosophie politique où il retrouve quelque peu les accents scientifiques de Condorcet en distinguant une « statique sociale » (ce sera bientôt après la sociologie d’Émile Durkheim) et une « dynamique sociale » (l’histoire des sociétés humaines).</p>
<p>(29) Le temps fort de ce moment social des Lumières s’inscrit entre la commission Le Goff de 1983 sur la réforme de l’enseignement de l’histoire et les programmes « Chevènement » de 1985.</p>
<p>(30) FEBVRE Lucien, <em>Combats pour l’histoire</em>, Paris, Armand Colin, 1952.</p>
<p>(31) DELEPLACE Marc, « L’histoire scolaire n’est-elle pas politique par définition ? », <em>Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique</em>, no 122, janvier-mars 2014, p. 71-89.</p>
<p>(32) <em>Annales ESC</em>. Sur le caractère profondément programmatique de ce sous-titre, adopté d’un commun accord par Lucien Febvre passant la main à Fernand Braudel, sans négliger ce qu’il devait aussi à Camille Ernest Labrousse, voir Burguière André, « Annales (école des) », BURGUIÈRE André, <em>Dictionnaire des sciences historiques,</em> Paris, Presses universitaires de France, 1986.</p>
<p>(33) Voir notamment DELEPLACE Marc, « Nouveau programme, nouvelle lecture de “l’ère des révolutions” ? », <em>Histoire et Société. Revue européenne d’histoire sociale</em>, hors-série no 1, juin 2004. On peut aussi consulter GARCIA Patrick et LEDUC Jean, <em>L’Enseignement de l’histoire en France, de l’Ancien régime à nos jours</em>, Paris, Armand Colin, coll. « U », 2004 : en particulier le moment qu’ils qualifient de « moment mémoriel » de cet enseignement, entre 1995 et 2008.</p>
<p>(34) Remarquons que nous aurions pu tout aussi bien nous référer aux manuels de la collection Guiraud correspondant. Le résultat eût été le même.</p>
<p>(35) Sur le rôle de Mably comme « penseur » de la révolution, on pourra se référer à DELEPLACE Marc, <em>L’Anarchie de Mably à Proudhon</em>, Lyon, ENS Éditions, 2001.</p>
<p>(36) Voir CNDP, 1996 pour le programme de 4e, particulièrement « parlant » par ses silences qui vont jusqu’à considérer que l’étude préalable de la société française est superflue, et que l’état de cette société se lit « dans l’année 1789 elle-même ». (CNDP, 1996, p. 89.)</p>
<p>(37) Nous faisons bien entendu allusion aux positions qu’il a énoncés, sous l’amicale suggestion de Lucien Febvre d’abord, dès sa thèse sur <em>La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l’époque de Philippe II,</em> soutenue en 1946 et publiée une première fois en 1949 – la seconde édition de 1963 ne mettant pas en cause ce qui nous intéresse ici, concernant l’inversion des rapports du temps long et du temps court de l’histoire, positions réitérées et précisés en 1950, dans sa conférence introductive au Collège de France, puis dans l’article sur « La longue durée », parue dans la (« sa ») revue des <em>Annales ESC</em> en 1958.</p>
<p>(38) Nous nous sommes très tôt exprimé sur ce « tournant politique » et sa signification : « Nouveau programme, nouvelle lecture de “l’ère des révolutions” ? », <em>Histoire et sociétés. Revue européenne d’histoire sociale</em>, hors-série no 1, juin 2004, p. 52-60 ; « On n’enseigne plus la Révolution française à vos enfants », <em>Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique</em>, no 93, octobre-décembre 2004, p. 13-27. Force nous est de considérer que notre propos présent, plus de vingt ans après, ne remet pas fondamentalement en cause le constat établi dès lors, tant sur le plan épistémologique que didactique, et qui touche profondément l’enseignement des Lumières et la lecture qui est faite de ces dernières.</p>
<p>(39) FURET François, <em>Penser la Révolution française</em>, Paris, Gallimard, coll. « Folio histoire », 1985 (1re éd. 1978).</p>La Révolution française et les colonies2023-12-02T14:48:25+01:002023-12-02T14:48:25+01:00http://revolution-francaise.net/2023/12/02/822-la-revolution-francaise-et-les-coloniesMarc BelissaAnnonces
Quatrième de couverture et introduction de l'ouvrage de Marc Belisa, La Révolution française et les colonies, Paris, La Fabrique, 2023.
Quatrième de couverture :
En 1789, l’économie esclavagiste et la ségrégation raciale dominaient les colonies françaises en Amérique et dans l'Océan indien. En proclamant que les «Â hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », la Révolution française contribue à faire exploser les tensions qui traversaient les sociétés coloniales.
«Â Terreur » des colons blancs esclavagistes, la Déclaration des droits de l’homme est une arme aux mains des «Â libres de couleurs » et des esclaves noirs qui se révoltent. À Saint-Domingue et en Guadeloupe, malgré les intrigues des défenseurs du «Â préjugé de couleur », de véritables révolutions s’accomplissent en interaction avec la dynamique révolutionnaire en Europe. C'est la rencontre entre les révolutions coloniales et les mouvements radicaux en métropole qui permet la proclamation de l'abolition de l'esclavage à Saint-Domingue en août 1793, puis le vote de l'abolition générale par la Convention en février 1794, accueilli avec ferveur dans le pays.
Ce livre déroule le fil qui court de la convocation des États généraux à la réaction coloniale menée par Bonaparte en 1800-1804 – empêchée à Saint-Domingue par la résistance acharnée des armées noires de Toussaint Louverture et Dessalines. Durant ces quinze années, les rapports sociaux, les identités «Â raciales » et politiques ont été bouleversés et les deux piliers de la société coloniale que sont la domination de la métropole et l’esclavage ont été remis en cause.
Alors que les débats sur la mémoire de l’esclavage et de la colonisation sont vifs, Marc Belissa fournit une indispensable synthèse historique d’une période où s’est levé le «Â vent commun » de l’émancipation qui a soufflé sur le monde.<img width="150" style="margin: 0 10px 10px 0; float: left;" src="/images/Belissacolonies.jpg" alt=" nom de l'image" />
<p>Quatrième de couverture et introduction de l'ouvrage de Marc Belisa, <em>La Révolution française et les colonies</em>, Paris, La Fabrique, 2023.</p>
<p><strong>Quatrième de couverture :</strong></p>
<p>En 1789, l’économie esclavagiste et la ségrégation raciale dominaient les colonies françaises en Amérique et dans l'Océan indien. En proclamant que les « hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », la Révolution française contribue à faire exploser les tensions qui traversaient les sociétés coloniales.</p>
<p>« Terreur » des colons blancs esclavagistes, la Déclaration des droits de l’homme est une arme aux mains des « libres de couleurs » et des esclaves noirs qui se révoltent. À Saint-Domingue et en Guadeloupe, malgré les intrigues des défenseurs du « préjugé de couleur », de véritables révolutions s’accomplissent en interaction avec la dynamique révolutionnaire en Europe. C'est la rencontre entre les révolutions coloniales et les mouvements radicaux en métropole qui permet la proclamation de l'abolition de l'esclavage à Saint-Domingue en août 1793, puis le vote de l'abolition générale par la Convention en février 1794, accueilli avec ferveur dans le pays.</p>
<p>Ce livre déroule le fil qui court de la convocation des États généraux à la réaction coloniale menée par Bonaparte en 1800-1804 – empêchée à Saint-Domingue par la résistance acharnée des armées noires de Toussaint Louverture et Dessalines. Durant ces quinze années, les rapports sociaux, les identités « raciales » et politiques ont été bouleversés et les deux piliers de la société coloniale que sont la domination de la métropole et l’esclavage ont été remis en cause.</p>
<p>Alors que les débats sur la mémoire de l’esclavage et de la colonisation sont vifs, Marc Belissa fournit une indispensable synthèse historique d’une période où s’est levé le « vent commun » de l’émancipation qui a soufflé sur le monde.</p> <p><strong>Introduction</strong></p>
<blockquote><p>Le savez-vous, Républicains,<br />
Quel sort était le sort du nègre<br />
Qu’à son rang, parmi les humains,<br />
Un sage décret réintègre ;<br />
Il était esclave en naissant !<br />
Puni de mort pour un seul geste…<br />
On vendait jusqu’à son enfant…<br />
Le sucre était teint de son sang…<br />
Daignez m’épargner tout le reste.<br />
De vrais bourreaux, altérés d’or,<br />
Promettant d’alléger ses chaînes,<br />
Faisaient, pour les serrer encor<br />
Des tentatives inhumaines.<br />
Mais contre leurs complots pervers,<br />
C’est la Nature qui proteste ;<br />
Et deux Peuples brisant leurs fers<br />
Ont, malgré la distance des mers,<br />
Fini par s‘entendre de reste. (…)<br />
Américains, l’Égalité<br />
Vous proclame aujourd’hui nos frères,<br />
Vous aviez à la Liberté<br />
Les mêmes droits héréditaires.<br />
Vous êtes noirs, mais le bon sens<br />
Repousse un préjugé funeste…<br />
Seriez-vous moins intéressans,<br />
Aux yeux des Républicains blancs ?<br />
La couleur tombe, et l’homme reste.</p>
<p>
Citoyen (Antoine-Pierre-Augustin de) Piis « La Liberté des Nègres » an II (1794) (1)</p></blockquote>
<p>Ces vers tirés d’une chanson patriotique ont été interprétés à Paris le 8 février 1794 (18 pluviôse an II), deux jours après le décret d’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises — sans indemnisation des anciens propriétaires contrairement à celle de 1848 — par la Convention nationale. Son auteur, le citoyen Piis, était lui-même descendant d’un propriétaire d’esclaves à Saint-Domingue (actuel Haïti).</p>
<p>La chanson fait l’apologie du « sage décret » d’abolition qui réintègre les esclaves dans l’humanité dont ils avaient été exclus pour produire du sucre teinté de leur sang par des « bourreaux altérés d’or », mais il affirme également l’union fondamentale des « deux peuples brisant leurs fers » malgré la distance des mers. Ces deux peuples — le français et celui des colonies — sont à la fois distincts et unis par leurs révolutions respectives. Ce ne sont pas les Français qui donnent la liberté aux « Américains », elle était déjà leur droit naturel. L’Égalité fait des deux peuples des « frères », rejetant ainsi le funeste préjugé de couleur comme on dit alors. En proclamant la « liberté générale », la Convention n’octroie aucun droit aux anciens esclaves, elle reconnaît que les leurs avaient été bafoués et oubliés. Ce sont bien deux peuples qui ont reconquis leurs droits en brisant leurs fers, mais, s’ils sont différents, ils participent tous deux des droits de l’humanité. La Liberté, l’Égalité — et la Fraternité qui est leur conséquence — fondent la République, la chose commune aux deux peuples. La « couleur » tombe, car c’est la réciprocité des droits naturels des hommes qui crée le sentiment fraternel, l’universalité n’est pas synonyme de négation des identités (ici celle des « Américains »). Certes, cette chanson exprime un discours spécifique sur le décret d’abolition en valorisant le rôle de la Convention et en minorant le poids des événements aux Antilles, de même qu’elle simplifie la complexité des identités en affirmant l’idée qu’il n’y aurait qu’un seul peuple dans les colonies alors que c’est la diversité des populations et des statuts qui y prédomine, néanmoins la chanson du citoyen Piis exprime bien la radicalité de l’abolition de l’esclavage en l’an II.
Ces lignes nous rappellent non seulement que la Révolution française a décrété la première abolition générale de l’esclavage le 6 février 1794 (16 pluviôse an II) — bien après que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 a déclaré que les hommes « naissent et demeurent libres et égaux en droits » — mais aussi que la question de la nature du lien — colonial et/ou égalitaire — entre les peuples a été posée par les contemporains. Ces deux dimensions — celle de l’esclavage et celle du lien colonial — sont au centre de cet ouvrage qui se propose à la fois d’offrir un récit des événements mais aussi une synthèse des travaux publiés depuis trente ans sur la Révolution française et les colonies.</p>
<p>Quand débute la Révolution en 1789, le domaine colonial du roi de France s’étend encore sur quatre continents, malgré les pertes consécutives à la défaite contre l’Angleterre dans la guerre de Sept Ans entre 1756 et 1763 (2). En Amérique du Nord ne subsiste que l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. Dans les Antilles, le domaine français comprend Saint-Domingue (la partie occidentale de l’île d’Hispaniola), la Guadeloupe, la Martinique, Marie-Galante, la Désirade, Saint-Martin, Sainte-Lucie, Tobago et la Guyane. Dans l’océan Indien, les Mascareignes comprennent l’Ile Bourbon (rebaptisée Ile de la Réunion en 1793), l’Ile de France (actuelle Ile Maurice) et les Seychelles, auxquelles il faut ajouter cinq comptoirs indiens (Chandernagor et Pondichéry notamment). En Afrique, Saint-Louis du Sénégal, Gorée et d’autres places (notamment sur la côte orientale de Madagascar) servent pour la traite des esclaves. Enfin, en Europe, la Corse est encore en 1789 une terre de conquête militaire, en partie assimilable à une colonie royale. Malgré l’exiguïté territoriale de ce domaine colonial, il confère toujours à la monarchie française une puissance économique quasiment sans égale parmi les puissances européennes du fait de l’extrême rentabilité du commerce international qu’il génère.</p>
<p>Ces territoires coloniaux — fort différents les uns des autres — ne constituent donc pas un ensemble homogène du point de vue économique, social et juridique, ni même un espace pensé de manière globale par la monarchie. Le terme « d’empire colonial français », bien qu’il soit utilisé par facilité de langage, n’est pas totalement adéquat pour décrire ce domaine, du moins avant les années 1760 où l’idée d’empire commence à s’imposer. Pourtant, toutes les colonies françaises ont été, à des degrés très divers, affectées directement par les événements de la Révolution française, soit parce qu’elles ont été touchées par les conséquences militaires des guerres contre les autres puissances coloniales, soit parce qu’elles ont été le cadre de révolutions (à Saint-Domingue et en Guadeloupe) ou de troubles révolutionnaires autochtones (en Martinique et dans les autres îles antillaises, à un moindre degré dans l’océan Indien) en interaction permanente avec la Révolution en métropole. Dans tous les cas, les rapports sociaux et culturels entre les populations, les identités personnelles, locales, régionales, « raciales » ou nationales, les relations économiques, les statuts juridiques des individus, des groupes et des territoires ont été bouleversés. En retour — et c’est peut-être moins connu par le grand public — les enjeux coloniaux ont pesé sur les dynamiques politiques en France métropolitaine même.</p>
<p>La proclamation de la « liberté générale », célébrée par le citoyen Piis, n’est ni le début, ni la fin de l’histoire des rapports de la Révolution française avec « ses » colonies, d’autant que la France révolutionnaire hérite d’une situation coloniale bouleversée depuis la Révolution américaine de 1776 et que la question du lien colonial et celle de l’esclavage ne se recoupent pas toujours puisqu’on peut fort bien concevoir (et certains l’ont envisagé dans la période) une colonisation sans esclaves. Sans entrer dans les débats historiographiques sur le début et la fin de la période révolutionnaire, sera considérée dans cet ouvrage la période de 1789 à 1804 qui correspond à la phase de transformation (puis de destruction entre 1804 et 1815) de ce qu’il est convenu d’appeler le « premier empire colonial français » jusqu’à la proclamation de la République de Haïti. Nous déborderons donc quelque peu sur la définition académique classique de la Révolution française (qui s’achève avec la fin du Directoire en 1799) pour traiter également de la période du Consulat. Le choix de cette date terminale ne signifie nullement que l’indépendance de Haïti était inscrite dans le processus commencé en 1789, car c’est la dynamique des interactions entre la métropole et ses colonies antillaises mais aussi le contexte militaire qui ont provoqué cette indépendance et non un projet initial des esclaves révoltés. Par ailleurs, Napoléon Ier n’ayant pas renoncé à ses projets d’empire colonial de 1804 à 1810, nous évoquerons donc également, mais très rapidement, la période du Premier Empire. Il aurait été également tentant de présenter les échos des révolutions coloniales, et notamment celle de Saint-Domingue, au début du XIXe siècle lorsque celle-ci devient l’objet de la peur panique des colons à l’échelle régionale mais il a fallu y renoncer faute de place (3).</p>
<p>À l’intérieur de notre période, des articulations chronologiques fortes se dessinent mais — et c’est là une des difficultés de l’histoire connectée — les décalages chronologiques, mais aussi politiques et géographiques entre la Révolution en métropole et l’évolution dans les colonies sont particulièrement marqués.</p>
<p>Décalages chronologiques tout d’abord. Il faut en moyenne deux à trois mois selon les saisons pour faire le voyage aller et retour entre les ports français de l’Atlantique et les Antilles, délai qui s’allonge considérablement à partir de la déclaration de guerre de la France à l’Angleterre en février 1793. Les liaisons avec l’océan Indien sont encore plus longues. Ainsi, les esclaves du Nord de Saint-Domingue sont déjà révoltés depuis août 1791 et les armées noires, celles des libres de couleur et celles des colons blancs s’affrontent un peu partout dans la colonie alors que l’Assemblée législative à Paris discute encore des droits de citoyen à accorder ou non aux libres de couleur en mars-avril 1792. Autre exemple : la Convention n’apprend l’abolition de l’esclavage dans le Nord de Saint-Domingue en août 1793 par le commissaire civil Sonthonax (qui a été d’ailleurs officiellement rappelé un mois plus tôt) qu’en février 1794. Les interactions entre la métropole et les colonies sont donc en partie déterminées par les distances et le temps.</p>
<p>Décalages politiques ensuite. De mai 1789 à l’insurrection d’août 1791, ce sont les colons blancs autonomistes et esclavagistes qui se présentent comme des victimes du « despotisme » et certains de leurs représentants à Paris participent activement à la Société des Amis de la Constitution (les Jacobins). On peut donc être « révolutionnaire » en métropole et « esclavagiste » dans les colonies. À l’inverse, les esclaves révoltés se tournent vers le roi d’Espagne (qui possède la partie orientale de l’île d’Hispaniola) et se proclament royalistes contre les républicains blancs après la chute de la monarchie en France le 10 août 1792. Enfin les libres de couleur, ou du moins une grande partie d’entre eux, combattent la législation raciale qui les exclut de l’élite coloniale mais pas forcément le système de production esclavagiste sur lequel sont fondées leurs fortunes. Les clivages politiques métropolitains entre « aristocrates » et « patriotes », entre Jacobins et Feuillants, puis entre Girondins et Montagnards, ne recouvrent pas ceux des colonies où d’autres clivages sociaux et « raciaux » se superposent et/ou se substituent aux catégories métropolitaines.
Décalages géographiques enfin. À l’échelle de l’empire tout d’abord : certaines colonies ne connaissent que des troubles limités comme dans les îles de l’océan Indien, à l’inverse, les îles antillaises sont l’épicentre des révolutions coloniales. Au niveau régional même, si Saint-Domingue est le lieu d’une révolution qui ne cède en rien à la Révolution française dans sa radicalité, la Martinique ne connaît qu’une seule série d’insurrections au début de notre période et, celles-ci une fois réprimées, passe sous le contrôle de l’Angleterre en 1793 et ne connaît pas la même évolution qu’en Guadeloupe où l’esclavage est aboli puis réinstallé par la force en 1803. Ces décalages se retrouvent amplifiés dans l’historiographie qui a davantage étudié les révolutions de Saint-Domingue et de Guadeloupe, que les troubles et les révoltes dans les autres parties du domaine colonial français.</p>
<p>On peut néanmoins délimiter classiquement trois périodes.</p>
<p>La première, de 1789 à l’abolition de l’esclavage par la Convention en pluviôse an II (février 1794), est d’abord marquée par les « révolutions blanches » des colons qui entendent s’affranchir de la tutelle économique et politique de la métropole et par le combat des libres de couleur pour l’abolition de la législation ségrégationniste adoptée au XVIIIe siècle et pour la reconnaissance de leur citoyenneté contre le préjugé de couleur. Puis à partir d’août 1791, les esclaves noirs révoltés entrent dans la lutte pour la « liberté générale » à Saint-Domingue tandis que la guerre entre la France et l’Angleterre en 1793 bouleverse les relations entre la métropole et les colonies.</p>
<p>La deuxième correspond à celle du Directoire (1795-1799), période pendant laquelle la « liberté générale » est maintenue malgré les tentatives du parti colonial reconstitué. C’est aussi celle où se cristallise l’idée d’une « nouvelle colonisation » sans esclavage.</p>
<p>La troisième est celle de la réaction coloniale sous le Consulat (1800-1804) quand les anciens colons et Bonaparte élaborent le projet d’un nouvel empire colonial et d’un retour à l’esclavage. C’est ce projet qui est brisé par la guerre d’indépendance de Haïti qui débute en 1802 et qui aboutit en 1804 à la création du premier État noir en Amérique, malgré le rétablissement de l’esclavage opéré dans le sang à la Guadeloupe et moins violemment en Guyane.</p>
<p>Bien évidemment, compte tenu des décalages indiqués plus haut, ces articulations ne correspondent pas tout à fait à la situation de chaque colonie (celles de l’océan Indien évoluent selon une autre chronologie, par exemple) mais elles fournissent tout de même un cadre pratique pour la présentation des événements.</p>
<p>Bien que cet ouvrage s’intitule La Révolution française et les colonies, il s’agira ici non de présenter la (ou plutôt les) politique(s) de la France révolutionnaire en direction de ses colonies selon une vision franco-centrée et diffusionniste (celle d’une France « patrie-des-droits-de-l’homme » apportant la liberté et la civilisation aux peuples) mais comme le fruit d’interactions entre la Révolution de France et celles des colonies. La Révolution française (ou plutôt ses acteurs individuels et collectifs) n’a pas provoqué les révolutions et les troubles coloniaux qui ont leurs propres dynamiques selon les territoires, mais elle a créé — volontairement ou involontairement — les conditions dans lesquelles ils se sont déployés. Il serait aussi absurde de nier les spécificités des révolutions coloniales et de les traiter comme des prolongements de la Révolution française que de croire que le contexte politique en métropole n’aurait eu aucune influence sur l’évolution des troubles dans les colonies. Ce livre n’entend donc pas être une histoire de la Révolution française aux colonies, ni une succession d’histoires locales des révolutions coloniales mais une histoire croisée, une histoire connectée des interactions entre la Révolution française et les colonies, sans oublier les conséquences de ces interactions à l’échelle régionale.</p>
<p>En effet, les révolutions coloniales dans le domaine français ne peuvent être isolées des espaces régionaux dans lesquels elles se produisent. Les îles antillaises du domaine anglais (la Jamaïque), espagnol (Cuba, Colombie et Venezuela actuels), hollandais (Curaçao), et les États-Unis ont été directement affectés par les révolutions de France et des colonies. On peut en dire de même pour l’Afrique occidentale et pour l’Asie puisque l’océan Indien et l’Inde péninsulaire (par exemple le sultanat de Mysore) ont été également touchés par les conséquences de ces révolutions mais aussi pour les colonies hollandaises en Afrique (Le Cap) et en Extrême-Orient (Batavia) à partir de la création de la République batave alliée de la France en 1795. La question des rapports entre Révolution française et révolutions coloniales est donc un objet d’histoire globale, et non seulement atlantique, nationale ou impériale. On gardera cette dimension à l’esprit, même si, pour rester dans les limites d’un ouvrage de synthèse, nous serons amenés ici à privilégier les événements du domaine français.</p>
<p>Cet essai est, par ailleurs, rendu nécessaire par l’extraordinaire augmentation du nombre de travaux universitaires et des recherches depuis trois décennies. En effet, l’historiographie de la période révolutionnaire (comme celle de l’ensemble de la période du XVIe siècle à nos jours) a connu un « tournant colonial » depuis le bicentenaire de 1989 après des décennies de « fracture coloniale » dans l’histoire et dans la mémoire nationale (4). L’origine de cette fracture est en partie à rechercher dans l’indépendance de Haïti en 1804 suite à la défaite infligée à Bonaparte par les armées de Toussaint-Louverture et de Dessalines. Cette amnésie a perduré pendant le XIXe siècle et la plus grande partie du XXe siècle dans les dictionnaires et les ouvrages généraux sur la période révolutionnaire et impériale (5).</p>
<p>Aujourd’hui, le temps paraît loin où — comme l’écrivait Yves Benot dans son ouvrage La Révolution française et la fin des colonies, paru en 1988 — la question coloniale et celle de l’abolition de l’esclavage étaient, à quelques exceptions près, invisibles dans les grandes synthèses d’histoire de la Révolution française (ainsi que dans les manuels scolaires) (6). Pourtant, entre la seconde moitié du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle, de nombreux travaux d’histoire coloniale, concernant surtout les Antilles, avaient été produits mais, constituées en champs séparés, l’histoire coloniale communiquait peu avec celle de la Révolution et encore moins avec celle du Consulat et de l’Empire. D’où une large ignorance des historiens de la Révolution (à l’exception notable de l’Histoire socialiste de Jaurès dans les années 1900) des problématiques coloniales locales et de leurs implications sur la dynamique révolutionnaire en France métropolitaine. Ainsi, les travaux d’Hubert Deschamps (vers 1900) ou de Jean Saintoyant (dans les années 1930) ou même ceux de Gabriel Debien (dans les années 1950-1960) n’étaient guère intégrés à l’historiographie classique de la Révolution.</p>
<p>Deux ouvrages écrits non par des universitaires mais par des hommes de lettres et militants anticolonialistes, Cyril Lionel Robert James et Aimé Césaire, ont contribué à relancer l’histoire du champ colonial dans les études révolutionnaires. Les Jacobins noirs (1938, traduit en français en 1949) du premier et le Toussaint-Louverture, La Révolution française et le problème colonial (1962) du second ont été fondamentaux pour la « découverte » de l’histoire de la Révolution et des colonies. Mais c’est à partir du bicentenaire de 1989 que les études se sont multipliées grâce à l’apport des historiens d’Outre-mer comme Lucien Abenon, Jacques Adélaïde-Merlande ou Claude Wanquet, de ceux de la période moderne comme Jean Tarrade ou Pierre Pluchon, de ceux de la Révolution comme Marcel Dorigny, Bernard Gainot, Florence Gauthier ou Eric Saunier, et enfin des historiens américains comme David Brion Davis, Laurent Dubois, Carolyn Fick et David Geggus pour n’en citer que quelques-uns (on trouvera dans la bibliographie sommaire de fin de volume les plus importants de leurs ouvrages). Il faut également citer le rôle d’Yves Benot dont l’ouvrage déjà évoqué a constitué un jalon important. Ces productions ont désenclavé l’ancienne histoire coloniale et ont participé à la constitution d’un champ de recherche unifié.</p>
<p>Les colloques et réunions scientifiques autour du bicentenaire ont donc constitué un tournant qui s’est accentué — la dynamique commémorative aidant — dans les années 1990. En effet, des colloques universitaires autour de la commémoration de la première (1993-1994) et de la deuxième abolition (1998) se sont succédé. Depuis 2000, cette dynamique n’a cessé de se renforcer, en particulier aux États-Unis où les études étiquetées Atlantic History sur l’esclavage et sur la Révolution de Saint-Domingue dans ses rapports avec l’arc antillais et l’Amérique hispanique sont désormais bien implantées dans les universités.</p>
<p>Sans entrer ici dans les débats entre spécialistes concernant les étiquettes — Histoire coloniale, Histoire globale, Histoire connectée, Atlantic History, World History, Postcolonial Studies, New Imperial History (7), etc. — sous lesquelles les travaux de ces trente dernières années ont été menés, on peut tenter d’en sérier les principaux thèmes.</p>
<p>C’est d’abord la question des mutations du commerce colonial (qui ne se résume pas à celles de la traite négrière) en période révolutionnaire. C’est ensuite celui du lien colonial lui-même, de sa redéfinition dans les projets de l’époque révolutionnaire, de la montée d’une nouvelle élite coloniale de couleur après l’abolition de l’esclavage. Le troisième thème est celui des circulations humaines (des commerçants, des esclaves, des marins, des corsaires, des soldats, des émigrés, des réfugiés et des prisonniers) mais aussi celle des idées et de leurs supports (circulation des paroles et des rumeurs, des imprimés, des modèles politiques). Le quatrième grand thème concerne le mouvement antiesclavagiste et ses ennemis, les colons défenseurs de l’esclavage et de la ségrégation, leurs combats, leurs contradictions et leurs apories. Le mouvement antiesclavagiste naît avant la Révolution mais les principes du droit naturel dans les Déclarations des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de 1793 condamnent les fondements mêmes de l’esclavage. C’est ainsi que les principes sont compris dans les colonies, aussi bien par les colons qui considèrent la Déclaration des droits comme la « terreur des colonies » (8) que par les libres de couleur et les esclaves révoltés qui, au contraire, les voient comme un point d’appui de leur combat. Enfin, c’est le thème de l’impact de la guerre, des armées et de la violence sur les évolutions des sociétés coloniales qui a intéressé les chercheurs. Ces grandes questions seront abordées dans la suite de ce livre.</p>
<p>Dans tous ces travaux, la résistance des esclaves puis des nouveaux citoyens libres (à Saint-Domingue, en Guadeloupe et en Guyane) a été mise en valeur et la thèse ancienne d’une exportation unilatérale de la Révolution française aux Antilles a été entièrement remise en question. Les travaux des chercheurs comme Carolyn Fick ou David Geggus par exemple ont particulièrement mis en exergue l’autonomie des révolutions de couleur aux Antilles et ont cherché à les étudier « par en bas » au plus près des acteurs eux-mêmes. Surtout, on néglige moins qu’auparavant l’impact en retour des révolutions coloniales sur la Révolution en métropole et sur l’Europe en général. Loin d’être périphériques, les révolutions coloniales sont désormais intégrées dans le récit historique du moment de transition entre Ancien régime et monde contemporain. Aimé Césaire écrivait déjà en son temps qu’étudier l’histoire de Saint-Domingue, c’était étudier « l’une des origines, l’une des sources de la civilisation occidentale moderne (9) », on en est davantage convaincu aujourd’hui. Les questions coloniales et de l’esclavage interrogent la nature de la Révolution française elle-même, de sa radicalité et/ou de ses contradictions (10).</p>
<p>Pendant longtemps, deux thèses se sont opposées. La première établissait une continuité sans rupture entre le courant antiesclavagiste des Lumières et l’abolition de l’an II. La Révolution aurait ainsi appliqué (avec un peu de retard) les idées des philosophes. L’autre thèse affirmait que la question de l’esclavage n’avait été réellement posée qu’une fois les anciens esclaves révoltés et que l’abolition de l’an II était davantage une décision tactique dans la lutte contre l’Angleterre qu’une application des principes de la Déclaration des droits. Ces deux thèses sont aussi simplificatrices l’une que l’autre. L’opposition entre principes et tactique n’a guère de sens. La politique n’est pas plus une pure application des principes qu’un simple jeu de pouvoirs. On ne peut rien comprendre à la question qui nous occupe si l’on sépare artificiellement principes, stratégie, tactique et adaptation à des contextes politiques et militaires en constante évolution. Certes, les contemporains de la Révolution ne se sont pas réveillés un beau matin de 1789 en décidant qu’il était temps d’abolir l’esclavage conformément à l’esprit de l’article premier de la Déclaration des droits. Cette abolition a dû suivre un chemin tortueux, fait d’avancées et de reculs, de pas de côté. Elle s’est réalisée dans l’interaction avec les révolutions coloniales et leurs dynamiques propres mais elle a constitué une avancée déterminante sur la longue route vers la disparition de l’esclavage « moderne ».</p>
<p>De même, la Révolution française n’a pas détruit les colonies. Le système colonial est déjà en crise depuis la défaite contre l’Angleterre de 1763 et encore davantage depuis l’Indépendance des États-Unis qui a encouragé les colons à revendiquer une forme d’autonomie remettant en cause le lien colonial. Dans les années 1780, les libres de couleur demandent déjà la réforme de la législation ségrégationniste fondée sur le préjugé de couleur. Ainsi, en 1789, l’empire colonial français est en réalité déjà en voie de décomposition/recomposition même si du point de vue économique et de celui des négociants engagés dans le commerce colonial, l’empire est une réussite et un succès considérables.</p>
<p>La Révolution en métropole n’a pas engendré les révoltes serviles, car les résistances à l’esclavage étaient aussi anciennes que celui-ci. Bien avant 1789, le marronage, les suicides, les infanticides, les révoltes localisées étaient endémiques dans toutes les sociétés coloniales. Ce sont toutes ces formes de résistance des esclaves eux-mêmes qui ont informé la réflexion des antiesclavagistes des Lumières sur la nécessaire transformation du système colonial. Mais, par ses conséquences politiques et géopolitiques nationales, impériales et mondiales, la Révolution française a permis que ces résistances — qui jusque-là ne mettaient que rarement le système esclavagiste lui-même en cause — se déploient sur une tout autre échelle et qu’elles aboutissent, à Saint-Domingue et en Guadeloupe au moins, à de véritables révolutions. Cette rencontre entre Révolution française et révolutions coloniales a été décisive mais elle ne s’est pas produite partout selon les mêmes modalités. Ces révolutions ont réussi là (provisoirement en Guadeloupe) mais ont échoué ailleurs (en Martinique par exemple). Les révoltes et révolutions coloniales doivent donc être envisagées à différentes échelles. À l’échelle locale, comme le fruit des tensions au sein des sociétés esclavagistes et ségrégationnistes, à l’échelle régionale (monde Atlantique, Antilles, océan Indien), à l’échelle impériale dans le lien avec la Révolution française en métropole et avec ses conséquences géopolitiques, et à l’échelle globale comme faisant partie de la vague révolutionnaire de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle jusqu’aux indépendances de l’Amérique latine dans les années 1820.</p>
<p>Le tournant colonial de l’histoire des révolutions est à mettre en relation avec la montée actuelle des débats suscités par les études dites postcoloniales, depuis les années 2000. Sans prétendre décrire ici ce mouvement intellectuel (11) , il faut tout de même en dire quelques mots pour dresser un tableau du contexte contemporain et pour comprendre comment la question de la Révolution française et des colonies s’y insère (ou non).</p>
<p>Depuis les années 2000, un certain nombre d’intellectuels, américains, français et originaires de pays anciennement colonisés, ont cherché à replacer l’histoire de la colonisation, des colonisés et des colonisateurs dans un nouveau paradigme interprétatif. L’objectif des études postcoloniales était de partir des réalités vécues par les colonisés et de les confronter aux représentations construites par les colonisateurs, de décentrer le regard de l’historien en étudiant la construction des identités de « races », de sexe, des identités ethniques, nationales ou impériales et surtout de rejeter le récit lié à l’idée de civilisation occidentale et l’eurocentrisme. Il s’agissait également de réaffirmer la centralité du phénomène impérial dans les pays colonisateurs et de montrer qu’ils avaient été façonnés en retour par l’expérience des colonisés.</p>
<p>Dans ce travail de déconstruction, un certain nombre d’auteurs ont remis en cause les discours des Lumières au XVIIIe siècle pour en faire une idéologie colonisatrice, raciste et patriarcale (12). L’universalisme des Lumières et de la Révolution française a été accusé d’être une idéologie mystificatrice destinée à masquer sous des dehors avenants une volonté de puissance de l’Europe sur le reste du monde. En croyant proclamer les droits naturels, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’aurait en réalité que posé les bases d’un pouvoir impérialiste, niant l’existence des cultures non-européennes. Pêle-mêle, les Droits de l’homme, la laïcité, la sécularisation, les libertés individuelles ont été assimilés à de purs instruments de domination de l’Europe (ou des Blancs) sur le reste du monde.</p>
<p>Si l’idée de décentrer le regard historique en partant des colonisés et d’étudier la construction des identités nous semble un projet stimulant, vouer aux gémonies les Lumières et les révolutions de la fin du XVIIIe siècle nous paraît être un projet qui relève davatage de l’idéologie que de l’histoire. En réalité, il n’existe pas un, mais plusieurs universalismes au XVIIIe siècle et toutes les études récentes insistent sur le caractère pluriel des Lumières. Les Droits de l’homme sont, eux aussi, susceptibles d’interprétations très différentes au XVIIIe siècle comme aujourd’hui. Pour l’historien du XVIIIe siècle, les critiques adressées à « l’universalisme blanc » semblent s’attaquer à un fantôme qu’il ne trouve jamais dans l’archive. La plupart des auteurs postcoloniaux sont d’ailleurs plutôt des spécialistes de l’époque contemporaine ou des chercheurs en sciences sociales et en littérature dont l’histoire n’est pas la préoccupation principale.</p>
<p>De ce point de vue, dans une grande partie des études postcoloniales, les Lumières et la Révolution française apparaissent moins comme des objets historiques que comme des mots fourre-tout désignant le libéralisme, le progrès, la science, la rationalité, la modernité, bref ce qui est censé fonder plutôt la pensée des XIXe et XXe siècle (ce qui est d’ailleurs matière à discussion (13)). Les continuités et les ruptures entre le « premier empire colonial » français de l’époque moderne et le « second empire colonial » des XIXe et XXe siècles sont bien plus complexes qu’il n’y paraît (par exemple, l’Exclusif de l’Ancien régime est encore invoqué au XIXe siècle). Que les colonisateurs aux XIXe et au XXe siècles aient utilisé une idéologie colonialiste et raciste prétendument appuyée sur certains auteurs des Lumières est une chose, prétendre que les hommes du XVIIIe siècle ont posé intentionnellement les bases de la domination coloniale au siècle suivant en est une autre. Que l’idéologie de la « France-patrie-des-droits-de-l’homme » ait été utilisée par les républiques du XIXe au XXe siècle ne signifie pas que les théories du droit naturel à l’époque moderne aient été colonialistes, impérialistes et racistes…</p>
<p>La réalité des sources est bien plus complexe que ces formules passe-partout. Il a existé des Lumières réformatrices coloniales, des Lumières anticoloniales, des révolutionnaires favorables à l’abolition de l’esclavage, d’autres qui considéraient qu’il ne fallait pas y toucher, certains étaient imbus de la prétendue supériorité de la civilisation européenne, d’autres la critiquaient et faisaient l’apologie des sociétés indigènes, des scientifiques élaboraient des classifications raciales, d’autres créaient une forme d’anthropologie relativiste et fondée sur la diversité au sein du genre humain, etc. Entasser dans un même sac les Lumières, le (ou les) racisme(s), les impérialismes ne nous paraît pas très pertinent du point de vue de la connaissance historique, ce qui ne signifie évidemment pas que les travaux se plaçant dans ce paradigme soient dépourvus d’intérêt et n’aient pas contribué à décentrer utilement les regards et les problématiques.</p>
<p>Dans les débats publics, la place accordée aux questions coloniales, à l’esclavage et à leurs mémoires s’est, elle aussi, singulièrement élargie. Assiste-t-on depuis vingt ans à la fin de « l’amnésie coloniale » française ? Certes, la République française a commémoré la seconde abolition de l’esclavage en 1998 mais elle a « oublié » la première en 1994. Elle a surtout occulté la Révolution de Saint-Domingue et l’indépendance de Haïti, pourtant un des pays les plus importants de la francophonie dans le monde. En prenant la toponymie comme indice, on ne peut que remarquer qu’aucun lieu ne rappelle directement Saint-Domingue ou Haïti à Paris (il existe une rue Saint-Domingue à Nantes et une rue Haïti à Port-Barcarès). Mais depuis quelques années, un effort a été réalisé puisque des rues du XIe arrondissement de Paris, de Bobigny, de Saint-Denis et de Clichy (liste non exhaustive) ont reçu le nom de Toussaint-Louverture (il en existe également à Fort-de-France en Martinique et à Basse-Terre en Guadeloupe). Il existe aussi désormais une rue Léger-Félicité Sonthonax à Aubervilliers. À Pontarlier, un lycée porte le nom de Toussaint-Louverture et la cellule dans laquelle il est mort est désormais un musée dans le fort de Joux.</p>
<p>Ce frémissement est évidemment à mettre en rapport avec les débats mémoriels depuis que la traite négrière et l’esclavage ont été reconnus comme un crime contre l’humanité dans la loi Taubira votée le 10 mai 2001. Pourtant, le bicentenaire de l’indépendance de Haïti en 2004 a quelque peu été obscurci par le coup d’État du 29 février contre Jean-Bertrand Aristide et la participation de la France à la force armée envoyée en Haïti après la démission forcée de son président… La loi du 23 février 2005 (sur le « rôle positif de la colonisation »), les polémiques qui ont accompagné la même année la parution de l’ouvrage d’Oliver Grenouilleau sur les traites négrières ou le pamphlet de Claude Ribbe sur « les crimes de Napoléon » ont contribué à replacer la question de l’esclavage, du colonialisme au premier plan des polémiques dites mémorielles. En 2006, le 10 mai a été célébré pour la première fois « la journée des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions », désormais intégrée aux commémorations nationales annuelles. En 2016, une fondation portant ce même nom a été annoncée par François Hollande. Elle est officiellement créée en 2018 par son successeur Emmanuel Macron et elle est aujourd’hui présidée par l’ancien ministre et ex-maire de Nantes, Jean-Marc Ayraud (14).</p>
<p>Cette actualité historiographique et mémorielle a même influencé les programmes d’histoire de Seconde générale et technologique, puisque le concept de révolution atlantique et l’étude de la Révolution de Saint-Domingue sont tous deux apparus dans les propositions pédagogiques du ministère de l’Éducation nationale, à la suite de la mise au programme au CAPES d’Histoire-Géographie et d’Agrégation d’une question d’histoire moderne incluant les révolutions coloniales en 2005-2006. L’étude de la Révolution haïtienne a toutefois été limitée au programme des classes de Seconde technologiques et a disparu de celui des Seconde générales, ce que l’on doit regretter.</p>
<p>Il n’est pas besoin aujourd’hui de longs développements pour affirmer que le colonialisme, le néocolonialisme, le postcolonialisme et les questions mémorielles occupent une place importante dans les débats publics, bien au-delà du cercle des spécialistes universitaires. Ces débats — polarisés et biaisés — font, hélas, souvent l’économie de la réflexion historique sur les contextes qui évoluent du XVIe au XXIe siècle. D’où des prises de position médiatiques sans nuances, parfois appuyées sur des visions dépassées par les travaux de ces trente dernières années, voire franchement mensongères ou purement idéologiques. Dans ce contexte, le rôle de l’historien n’est ni de condamner ni d’approuver mais de permettre de resituer ces questions dans leurs contextes respectifs et d’apporter au public les éléments des recherches récentes. C’est l’une des ambitions de cet ouvrage.</p>
<p>Nous avons considéré qu’il était nécessaire de présenter d’abord un récit chronologique des événements complexes et connectés des années 1789-1804 dans les quatre premiers chapitres puis d’aborder les thématiques principales des recherches récentes dans les chapitres suivants. Ainsi, certains points rapidement évoqués dans la partie chronologique seront développés dans les suivants. Nous serons sans doute amené ainsi à quelques répétitions mais une telle structure nous a semblé indispensable pour le public qui n’est pas familiarisé avec les événements de la période révolutionnaire en France et dans les colonies. Nous avons fait par ailleurs le choix de limiter au maximum les notes savantes de bas de page et les renvois aux ouvrages de référence. On trouvera les principaux d’entre eux dans la bibliographie sommaire qui figure en fin de volume. De même, et afin de faciliter la lecture, nous avons fait le choix de n’indiquer les dates dans le calendrier républicain que lorsqu’elles étaient particulièrement importantes. Les autres dates seront données dans le calendrier grégorien.</p>
<p>Il va de soi que l’utilisation dans cet ouvrage du vocabulaire du préjugé de couleur du XVIIIe siècle (Blancs, Noirs, libres de couleur, « nègre », « mulâtre », « quarteron », etc.) ne reflète pas une conception raciale du genre humain de notre part mais répond à la volonté d’utiliser et de déconstruire les catégories et les identifiants raciaux utilisés par les contemporains. Ces catégories sont, par ailleurs, changeantes au cours de la période au gré des événements et des réalignements politiques et sociaux. Nous insistons donc sur la nécessité de ne pas comprendre ces catégories comme des essences mais comme des artefacts sociohistoriques. Néanmoins, pour ne pas multiplier à l’excès les guillemets et rendre ainsi la lecture plus difficile, nous utiliserons les termes Blanc(s), Noir(s), libre(s) de couleur ou Métis, ou encore race, racial, sans guillemets, malgré le fait que les Blancs ou les Noirs ou les gens de couleur ne sont que ceux qui sont « réputés » ou « présumés » tels par les contemporains et que les prétendues races n’ont aucun sens du point de vue biologique. En réalité, tel « présumé Blanc » peut avoir eu des ancêtres métissés, voire noirs et inversement… En revanche, nous garderons les guillemets pour parler des « nègres », des « mulâtres », des « petits Blancs » ou des « grands Blancs » qui sont déjà au XVIIIe siècle des termes qui peuvent être considérés comme péjoratifs.</p>
<p><strong>Notes</strong></p>
<p>(1) Pour le texte intégral de cette chanson voir https://revolution-francaise.net/2010/09/01/395-la-liberte-des-negres-par-le-citoyen-piis. On peut en trouver quelques versions chantées sur Youtube.</p>
<p>(2) Pour la période antérieure à la Révolution, on pourra consulter l’ouvrage d’Erick Schnakenbourg, <em>Le Monde Atlantique. Un espace en mouvement, XVe-XVIIIe siècle</em>, Armand Colin, 2021.</p>
<p>(3) Voir notamment Ada Ferrer, « La société esclavagiste cubaine et la révolution haïtienne », A<em>nnales, Histoire, Sciences Sociales</em>, 2003/2, p. 333-356.</p>
<p>(4) Marcel Dorigny, « Aux origines : l’indépendance d’Haïti et son occultation » dans Nicolas Bancel et al., <em>La Fracture coloniale</em>, La Découverte, 2005, p. 45-55.</p>
<p>(5) Voir notamment Michel-Rolph Trouillot, <em>Silencing the Past. Power and the Production of History</em>, Boston Beacon Press, 1995.</p>
<p>(6) Yves Benot, <em>La Révolution française et la fin des colonies</em>, La Découverte, 1988, chapitre « Dans le miroir truqué des historiens ».</p>
<p>(7) Sur ces champs historiographiques, voir Manuel Covo, « La Révolution haïtienne entre études révolutionnaires et Atlantic History » dans Clément Thibaud et alii (dir.), <em>L’Atlantique révolutionnaire. Une perspective ibéro-américaine</em>, 2013, p. 259-288.</p>
<p>(8) Florence Gauthier, <em>L’aristocratie de l’épiderme. Le combat de la Société des Citoyens de Couleur 1789-1791</em>, CNRS Editions, 2007, p. 129.</p>
<p>(9) Cité par Laurent Dubois dans <em>Les Vengeurs du Nouveau Monde. Histoire de la Révolution Haïtienne</em>, Rennes, Les Perséides, 2006, p. 34.</p>
<p>(10) Yves Bénot, « La question coloniale en 1789 ou l’année des déceptions et des contradictions », dans <em>Les Lumières, l'esclavage, la colonisation</em>, textes réunis et présentés par Roland Desné et Marcel Dorigny, La Découverte, 2005, p. 197-209.</p>
<p>(11) Voir Jean-François Bayart, <em>Les études postcoloniales. Un carnaval académique</em>, Karthala, 2010. Henry Laurens, <em>Le Passé imposé</em>, Fayard, 2022.</p>
<p>(12) Voir Antoine Lilti, <em>L’Héritage des Lumières. Ambivalences de la modernité</em>, EHESS Gallimard Seuil, 2019, première partie.</p>
<p>(13) Emmanuel Fureix, François Jarrige, <em>La modernité désenchantée. Relire l’histoire du XIXe siècle français</em>, La Découverte, 2015, voir notamment le chapitre 7.</p>
<p>(14) A noter que les municipalités d’anciennes villes négrières comme Nantes ou Bordeaux ont mené un important travail mémoriel en créant des musées et des lieux dans lesquels la mémoire de la traite et de l’esclavage est mise à jour et contextualisée.</p>L'Esprit des Lumières et de la Révolution 2023-20242023-11-28T15:23:38+01:002023-11-28T15:23:38+01:00http://revolution-francaise.net/2023/11/28/826-l-esprit-des-lumieres-et-de-la-revolution-2023-2024Yannick BoscSéminaireProgramme 2023-2024 du séminaire de recherche animé par Marc Belissa, Yannick Bosc, Marc Deleplace, Florence Gauthier et Suzanne Levin. Le séminaire se tiendra à distance, par visioconférences. Si vous souhaitez y participer, contactez-nous : redaction@revolution-francaise.net. Les séances se... <p>Programme 2023-2024 du séminaire de recherche animé par Marc Belissa, Yannick Bosc, Marc Deleplace, Florence Gauthier et Suzanne Levin. Le séminaire se tiendra à distance, par visioconférences. Si vous souhaitez y participer, contactez-nous : redaction@revolution-francaise.net. Les séances se tiendront le jeudi de 18h à 20h.</p>
<p>- 2 et 3 Novembre, Colloque <em>Natural Rights and Politics in the Early Modern Period</em>, Scuola Superiore Meridionale (Naples).</p>
<p>- 7 décembre, Florence Gauthier (Paris Diderot), <em>Les formes d'esclavage successives dans le Nouveau Monde. L'exemple des colonies françaises du XVIIe au XIXe siècles. Pour quelles raisons et quels objectifs, cette succession dans les formes de l'esclavage ?</em></p>
<p>- 18 Janvier, Emmanuel Faye (Rouen-Normandie), <em>Koselleck, les Lumières et la Révolution française</em>.</p>
<p>- 1er février, Marc Belissa (Paris-Ouest Nanterre), <em>La Révolution française et les colonies</em>.</p>
<p>- 14 mars, Marion Pouffary (Sorbonne Université), <em>Robespierre : la légende noire anarchiste</em>.</p>
<p>- 25 avril, Rémy Duthille (Bordeaux Montaigne), <em>A ses risques et périls ? Célébrer la Révolution française de 1789 dans la Grande-Bretagne de Pitt</em>.</p>
<p>- 16 mai, Eric Mesnard (Paris-Est Créteil), <em>L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, les traites négrières et l’esclavage colonial</em>.</p>Robespierre monstre ou héros ? Proudhon contre Robespierre2023-11-21T10:25:01+01:002023-11-21T10:25:01+01:00http://revolution-francaise.net/2023/11/21/814-marion-pouffary-robespierre-monstre-ou-heros-lille-septentrion-2023Marc BelissaEtudes
Marion Pouffary, Robespierre monstre ou héros ?, Lille, Septentrion, 2023.
L'ouvrage de Marion Pouffary, tiré de sa thèse de doctorat, étudie les légendes noires et dorées de Robespierre au XIXe siècle. Nous reproduisons ici les pages 174 à 182. L'extrait s'insère dans le chapitre VI traitant des légendes noires de Robespierre élaborées par les anarchistes, et en particulier ici par Proudhon. Marion Pouffary est chercheuse associée au Centre d'histoire du XIXe siècle de Panthéon-Sorbonne/Sorbonne Université
Le combat de Proudhon contre les disciples démocrates-socialistes de Robespierre
Si, comme le suppose Albert Mathiez, l'hostilité manifestée par le mouvement socialiste à l'encontre de Robespierre est en grande partie due à l'influence de Blanqui, cette analyse mérite d'être complétée et nuancée. En effet, dans aucun des écrits qu'il a publiés au cours de sa vie, Blanqui ne fait mention de Robespierre de manière négative et c'est uniquement dans ses notes sur l'Histoire des Girondins, qui n'ont pas été publiées, qu'il critique Robespierre. De plus, le mouvement ouvrier français, qui connaît un essor considérable à partir de 1860, est non seulement influencé par les idées de Blanqui mais aussi par celles de Proudhon. Il s'agit des rares socialistes pré-quarante-huitards dont l'influence se consolide dans un contexte de déclin de la production théorique socialiste en France, alors que les écrits de Marx sont encore peu connus (1). Or, contrairement à Blanqui, Proudhon a légué une importante œuvre écrite, dans laquelle il ne manque pas de proclamer dès les années 1840 (2) son hostilité à Robespierre. Celle-ci éclate au grand jour lors des polémiques qui l'opposent aux démocrates-socialistes (3) sous la Deuxième République, à une période où, selon Edward Castleton, il est sans doute le journaliste socialiste français le plus lu (4). La légende noire anarchiste qui naît dans les écrits de Proudhon reprend l'image du Robespierre bourgeois et clérical de la légende noire communiste mais se distingue de cette dernière en dénonçant l'autoritarisme de Robespierre, et fait alors écho à la critique de la tyrannie de Robespierre véhiculée par la légende noire libérale. En effet, la question de la liberté est au cœur des préoccupations des anarchistes, même si, contrairement aux libéraux qui voient dans le principe d'égalité le principal danger pour la liberté, c'est le principe d'autorité qui, pour les anarchistes, constitue la menace essentielle pour la liberté.<img width="150" style="margin: 0 10px 10px 0; float: left;" src="/images/pouffaryrobespierre.jpg" alt=" nom de l'image" />
<p>Marion Pouffary, <em>Robespierre monstre ou héros ?</em>, Lille, Septentrion, 2023.</p>
<p>L'ouvrage de Marion Pouffary, tiré de sa thèse de doctorat, étudie les légendes noires et dorées de Robespierre au XIXe siècle. Nous reproduisons ici les pages 174 à 182. L'extrait s'insère dans le chapitre VI traitant des légendes noires de Robespierre élaborées par les anarchistes, et en particulier ici par Proudhon. Marion Pouffary est chercheuse associée au Centre d'histoire du XIXe siècle de Panthéon-Sorbonne/Sorbonne Université</p>
<p><strong>Le combat de Proudhon contre les disciples démocrates-socialistes de Robespierre</strong></p>
<p>Si, comme le suppose Albert Mathiez, l'hostilité manifestée par le mouvement socialiste à l'encontre de Robespierre est en grande partie due à l'influence de Blanqui, cette analyse mérite d'être complétée et nuancée. En effet, dans aucun des écrits qu'il a publiés au cours de sa vie, Blanqui ne fait mention de Robespierre de manière négative et c'est uniquement dans ses notes sur l'Histoire des Girondins, qui n'ont pas été publiées, qu'il critique Robespierre. De plus, le mouvement ouvrier français, qui connaît un essor considérable à partir de 1860, est non seulement influencé par les idées de Blanqui mais aussi par celles de Proudhon. Il s'agit des rares socialistes pré-quarante-huitards dont l'influence se consolide dans un contexte de déclin de la production théorique socialiste en France, alors que les écrits de Marx sont encore peu connus (1). Or, contrairement à Blanqui, Proudhon a légué une importante œuvre écrite, dans laquelle il ne manque pas de proclamer dès les années 1840 (2) son hostilité à Robespierre. Celle-ci éclate au grand jour lors des polémiques qui l'opposent aux démocrates-socialistes (3) sous la Deuxième République, à une période où, selon Edward Castleton, il est sans doute le journaliste socialiste français le plus lu (4). La légende noire anarchiste qui naît dans les écrits de Proudhon reprend l'image du Robespierre bourgeois et clérical de la légende noire communiste mais se distingue de cette dernière en dénonçant l'autoritarisme de Robespierre, et fait alors écho à la critique de la tyrannie de Robespierre véhiculée par la légende noire libérale. En effet, la question de la liberté est au cœur des préoccupations des anarchistes, même si, contrairement aux libéraux qui voient dans le principe d'égalité le principal danger pour la liberté, c'est le principe d'autorité qui, pour les anarchistes, constitue la menace essentielle pour la liberté.</p> <p>Proudhon conçoit l'anarchisme comme le prolongement et le développement de la Révolution française. Il considère que l'histoire de l'humanité a été dominée par le principe religieux jusqu'à la Révolution française qui, en faisant prédominer le principe juridique des Droits de l'Homme et du Citoyen, a ouvert la voie à la réalisation d'un ordre de choses contraire fondé sur la justice, dont il faut désormais tirer les conséquences politiques, économiques et sociales (5). Pour autant, en 1848, Proudhon ne veut pas se borner à être un simple imitateur de la Révolution française, comme il l'écrit dans les Confessions d'un révolutionnaire qu'il publie en 1849 : « de ce que, sous le nom de démocrates-socialistes, nous étions les continuateurs de 93, s'ensuivait-il que nous en dussions faire, en 1849, la RÉPÉTITION ? (…) Non (…) Et la raison, c'est que la Révolution en 1793 était surtout politique, et qu'en 1849 elle est surtout SOCIALE (6). » D'ailleurs, c'est dès les débuts de la révolution de 1848 que Proudhon s'élève contre l'imitation par les républicains des traditions révolutionnaires de 1789 ou de 1793. Ainsi, dans la brochure Solution au problème social qu'il fait paraître à la fin du mois de mars 1848 et dont il publie des extraits en avril dans son journal Le représentant du peuple, il affirme déjà que la révolution de 1848 est avant tout une révolution sociale et non une révolution politique et que « ce n'est point avec des lambeaux de la constitution de l'an VIII, de celle de l'an III ou de l'an Il, flanquées du Contrat social et de toutes les déclarations de Droits de Lafayette, de Condorcet et de Robespierre, que l'on traduira la pensée du Peuple (7) ».</p>
<p>Robespierre n'est pas seulement pour Proudhon une référence inutile ou dépassée, il est également un exemple dangereux. Dans les ouvrages qu'il publie après la révolution de 1848, il dénonce les dangers que font courir à la révolution les démocrates-socialistes, qui font de Robespierre leur « patron » car « c'est à l'exemple et sur l'autorité de Robespierre que le socialisme, en 1797 et 1848, a été proscrit ; c'est Robespierre qui, aujourd'hui, nous ramènerait à un nouveau brumaire (8) ». En effet, à la différence des néobabouvistes hébertistes, Proudhon dénonce non seulement le caractère bourgeois et clérical de la politique de Robespierre mais aussi son aspect autoritaire et voit dans « la république indivisible de Robespierre, la pierre angulaire du despotisme et de l'exploitation bourqeoise (9) » et dans le jacobinisme « la corde d'amarre qui doit retenir le vaisseau de la civilisation dans le port de la Religion, du Gouvernement et de la Propriété (10) ».</p>
<p>La vive répulsion que Proudhon nourrit à l'égard des Jacobins est une des formes de l'antipathie qu'il éprouve à l'égard de tout système autoritaire, de toute autorité politique centralisée, voire de tout gouvernement (11). Dans les Confessions d'un révolutionnaire, il présente Robespierre comme « l'incarnation du jacobinisme » qui est favorable au « maintien de l'autorité qu'il convoite » et dont « les anarchistes et les libres-penseurs sont (l)es plus grands ennemis (12) ». Il dénonce la « fureur de gouvernement » des « dictateurs » du Comité de salut public qui « agirent comme des rois » et « ne surent que proscrire et guillotiner », voit le 9 thermidor comme « un avertissement donné par le pays à la dictature jacobine » et affirme que « c'est le pouvoir qui a perdu les Jacobins (13) ». Indigné tant par les idées anarchistes de Proudhon que par ses attaques contre les démocrates-socialistes et contre Robespierre, Louis Blanc lui réplique le 15 novembre 1849 dans son journal Le nouveau monde, où il s'exclame : « Quelles ténèbres dans un esprit où peuvent s'opérer, tantôt ces effroyables confusions, tantôt ces déchirements mortels ! ». Il affirme qu'« après avoir défendu avec un indomptable courage la Révolution contre les prêtres et les rois, Robespierre et Saint-Just voulurent, non pas que la Terreur devînt mais cessât d'être un système » et fait l'éloge de « ces héros du salut public » qui « succomb(èrent) à la coalition des fourbes et des égoïstes, des lâches et des corrompus (14) ». Très attaché au principe d'autorité, Louis Blanc est également indigné par les critiques que Proudhon fait de l'usage du pouvoir révolutionnaire et lui rétorque qu'« entre les mains de Robespierre et de Saint-Just, le POUVOIR des Jacobins c'était la Révolution même » et que Robespierre « s'en servit pour venger le Peuple et l'élever ». Il va même jusqu'à comparer ses critiques aux manœuvres des Thermidoriens (« ce fut avec le mot dictature, aiguisé en couperet, qu'ils assassinèrent Robespierre ») et demande : « ceux qui insultent à la mémoire des vaincus de Thermidor, prétendent-ils (…) continuer ceux qui leur coupèrent la tête (15) ? » La polémique se poursuit dans les mois qui suivent. Louis Blanc publie le 15 décembre 1849 et le 15 janvier 1850 deux nouveaux articles dans lesquels il s'insurge contre les attaques envers les « génies puissants par qui fut allumée cette flamme de la Révolution (16) », attaques qui ont « bafou(é) la tradition révolutionnaire, amnisti(é) le 9 thermidor (17) ». Proudhon prend lui aussi la plume à plusieurs reprises pour défendre ses théories politiques contre les attaques de 1'« ombre rabougrie de Robespierre (18) » qui a « le même amour de la parole, les mêmes inclinations dictatoriales, le même talent d'agitation, les mêmes pensées rétrospectives, les mêmes allures réactionnaires, (…) la même nullité d'idées, la même incapacité politique » que son modèle (19). Il va même jusqu'à se moquer de Pierre Leroux (qui a lui aussi brièvement pris part à la polémique). Ses tendances mystiques permettent à Proudhon de le présenter comme le Dom Gerle de Louis Blanc : « citoyen Louis Blanc, vous êtes Robespierre. Et, admirez l'étonnante analogie des temps : vous avez encore, dans Pierre Leroux, votre dom Gerle, et je m'assure que les Catherine Théo (sic) ne vous manqueront pas (20) ».</p>
<p>Si cette polémique finit par s'éteindre, Proudhon est ensuite attaqué par les rédacteurs du Proscrit. En effet, dans le premier numéro du journal qui paraît en juillet 1850, Martin Bernard, grand admirateur de Robespierre proche de Barbès, qui s'est exilé après le 13 juin 1849 (21), prend la défense de la « tradition révolutionnaire », seule source du « vrai socialisme », et déclare que : « si nous évoquons de la tombe des martyrs de thermidor, la sainte tradition qu'ils nous ont léguée, (…) c'est pour y puiser les plus grands exemples qui nous aient été laissés par l'histoire (22) ». Il conclut en affirmant que l'anarchisme est une nouvelle manifestation de l'Hébertisme (idée déjà avancée par Louis Blanc dans son article du 15 décembre 1849 (23)) :</p>
<blockquote><p>Comme il y a soixante ans, sans compter les royalistes de toutes nuances, il n'y a que trois grands partis dans la révolution : les girondins, ou ceux qui veulent immobiliser la révolution au profit d'une classe ; les hébertistes, ou ceux qui ne veulent pas de gouvernement, qui nient l'État, qui, par l'exagération du principe de la liberté, veulent rompre, en présence de l'ennemi, le faisceau de la force populaire ; et les montagnards-jacobins, qui, également appuyés sur la tradition et l'idéal, ne séparent jamais les conséquences de la révolution, de la révolution elle-même (24).</p></blockquote>
<p>Proudhon répond alors aux rédacteurs du Proscrit dès le 20 juillet 1850, en faisant paraître dans Le Peuple un article où il compare implicitement ses adversaires à Robespierre : « Vous me dénoncez (…) comme le chef et le prototype (…) de ces hommes de malheur, nouveaux hébertistes. (…) Sans doute, vous n'avez pas cru que votre factum passerait sans réplique. (…) C'est bien le moins que nous prenions avec vous cette licence, en attendant que vous nous envoyiez rejoindre Hébert et le Père Duchêne (25). »</p>
<p>L'année suivante, Robespierre se retrouve au cœur d'un conflit théorique qui oppose les démocrates-socialistes sur le fonctionnement du gouvernement, ce qui donne à Proudhon l'occasion de développer davantage ses critiques contre Robespierre, en l'accusant non seulement d'autoritarisme, mais aussi de « gouvernementalisme ». La restriction du droit de vote par la loi du 31 mai 1850 entraîne des réactions chez les démocrates-socialistes, qui réclament le rétablissement du suffrage universel voire la mise en place d'un gouvernement direct. À cette occasion, une polémique oppose Louis Blanc, partisan du gouvernement indirect, aux partisans du gouvernement direct, parmi lesquels figure Ledru-Rollin. Cherchant à s'inscrire dans une tradition philosophique prestigieuse qui lui serve d'argument d'autorité, ce dernier affirme dans un article du Proscrit que la théorie du gouvernement direct a été développée par Montesquieu et Rousseau et mise en œuvre par la Convention (26). Dans une brochure au nom évocateur (Plus de Girondins !), Louis Blanc le réfute en se livrant à une longue exégèse du Contrat social et du discours de Robespierre du 28 décembre 1792 contre l'appel au peuple dans le jugement du roi (27), Il présente ce discours comme une apologie du gouvernement indirect (…) et en fait le pivot de sa démonstration en le citant longuement et en le rappelant à chaque étape de sa réfutation (28). Proudhon, qui revient sur cette polémique dans l'Idée générale de la Révolution au XIXe siècle, reprend à son compte l'interprétation donnée par Louis Blanc (29) du discours du 28 décembre 1792 (qu'il cite (30)), mais pour en tirer des conclusions bien différentes. En effet, s'il considère que « direct ou indirect (…) le gouvernement (…) sera toujours l'escamotage du peuple (31) », il préfère toutefois le gouvernement indirect, considère que « M. Ledru-Rollin (…) s'est montré plus libéral que M. Louis Blanc, sectateur inflexible du gouvernementalisme de Robespierre (32) ». Il affirme que Robespierre fait exécuter les « factions anarchiques » parce qu'elles voulaient l'établissement du gouvernement direct prévu par la Constitution de 1793 :</p>
<blockquote><p>Robespierre ne me convainc pas du tout. J'aperçois trop son despotisme. (…) Robespierre fut un de ceux qui, à force de prêcher au peuple le respect de la Convention, le déshabituèrent de la place publique, et préparèrent la réaction de thermidor. (…) Robespierre, s'étant débarrassé successivement par la guillotine des factions anarchiques d'alors, les enragés, les hébertistes, les dantonistes, de tous ceux enfin qu'il soupçonnait de prendre au sérieux la Constitution de 93, crut que le moment était venu (…) de rétablir sur ses bases normales le Gouvernement indirect. (…) Ce qu'il demandait à la Convention, le 9 thermidor, était donc, après épuration préalable (…) une direction plus UNITAIRE du Gouvernement, quelque chose enfin comme la présidence de Louis Bonaparte. (…) Robespierre (…) aspirait à être chef du Pouvoir exécutif dans un Gouvernement constitutionnel. Il eût accepté une place au Directoire ou au Consulat (33).</p>
<p></p></blockquote>
<p>Toutefois, si la critique anarchiste de Robespierre se rapproche de la légende noire libérale par sa dénonciation du tyran et la reprise de la comparaison entre Robespierre et Napoléon (à laquelle elle ajoute une comparaison entre Robespierre et Louis-Napoléon Bonaparte), elle est loin de reposer sur les mêmes fondements philosophiques car les libéraux, qui voient dans l'égalité la principale menace pour la liberté, ne repoussent, ni le principe d'autorité, ni l'idée du gouvernement indirect.</p>
<p>Proudhon critique les démocrates-socialistes et leur modèle Robespierre, non seulement pour leur « gouvernementalisme » et leur autoritarisme, mais aussi pour leur hypocrisie en matière économique et sociale et leur cléricalisme.</p>
<p>Dans les Confessions d'un révolutionnaire, il affirme que les démocrates-socialistes ont fait semblant d'adopter les idées socialistes parce qu'elles progressaient dans la population mais qu'une fois « la victoire remportée, on se proposait de jeter la question sociale par-dessus le bord, comme fit autrefois Robespierre. (…) La réaction était prête (…) contre les socialistes (34) ». En effet, pour Proudhon, « c'était si bien la propriété que la Convention et les jacobins entendaient défendre, que les socialistes de l'époque, qu'on nomme les enragés, furent livrés à la guillotine, et que la terreur des questions sociales fut plus grande de 93 à 94, que celle de la contre-révolution (35) ». À cette dénonciation du manque d'ambition sociale de Robespierre, qui est partagée avec les communistes, Proudhon joint une critique libertaire des idées formulées sur les questions économiques et sociales par Robespierre, dans lequel il voit un précurseur du dirigisme économique qu'il combat. Il s'attaque notamment à deux éléments emblématiques de sa pensée sur ces sujets, qui constituent un des héritages essentiels recueillis par le courant radical/socialiste. Dans les Confessions d'un révolutionnaire, il critique sa définition du droit de propriété, au motif qu'elle est la traduction d'une conception domaniste « qui en faisait une concession de l'État (36) ». Trois ans plus tard, dans La révolution sociale démontrée par le coup d'État du 2 décembre, il affirme que la défense par Robespierre du droit au travail ouvre en réalité la porte au dirigisme économique :</p>
<blockquote><p>Malouet, constituant, qui le premier parla du droit au travail ; à la Convention, Saint-Just et Robespierre ; Babeuf, après thermidor ; (…) le socialisme tout entier depuis 1830 ; en 48, le gouvernement provisoire, adoptèrent cette idée. (…) l'organisation des travailleurs (…) est incompatible avec la liberté du travail et de l'échange. (…) La perfection économique est dans l'indépendance absolue des travailleurs, de même que la perfection politique est dans l'indépendance absolue du citoyen (37)</p></blockquote>
<p>La critique que Proudhon fait de la politique religieuse de Robespierre est également marquée du sceau de ses conceptions libertaires. Si, dans le mémoire qu'il avait envoyé à l'académie de Besançon en 1839, Proudhon faisait du discours du 18 floréal de Robespierre, où s'exprime une « pensée, ingénieuse (…) belle » et « parfaitement vraie », un argument d'autorité au service de sa démonstration de l'utilité morale de la célébration du dimanche (38) , dans l'Idée générale de la Révolution au XIXe siècle, la tonalité est bien différente. Il y attaque les démocrates-socialistes, « disciples de Robespierre qui, à l'exemple du maître, invoquant la bénédiction de Dieu sur la République, l'ont pour la seconde fois livrée aux prêtres » et affirme que la politique religieuse de Robespierre (et notamment l'élimination des anarchistes athées) n'a été qu'un moyen de rétablir l'autorité :</p>
<blockquote><p>Ce fut Robespierre qui le premier, en 1794, donna le signal du retour de la société à Dieu. Ce misérable rhéteur, en qui l'âme de Calvin semblait revivre (…) n'eut toute sa vie qu'une pensée, la restauration du Pouvoir et du Culte. Il se préparait tout doucement à cette grande œuvre, tantôt en envoyant de pauvres athées, d'innocents anarchistes, à la guillotine ; tantôt en donnant des sérénades à l'Etre-Suprême, et enseignant au peuple le catéchisme de l'autorité. (…) La suite de Robespierre, c'était tout simplement de rétablir l'autorité par la religion, et la religion par l'autorité. Huit ans avant le premier consul, Robespierre célébrant des auto-da-fé à la gloire du grand Architecte de l'Univers, rouvrait les églises et posait les bases du Concordat. Bonaparte ne fit que reprendre la politique du pontife de prairial (39).</p></blockquote>
<p><strong>Notes</strong></p>
<p>(1) J. Droz (dir.), Histoire générale du socialisme, éd. cit., t. 1, p. 509-512.</p>
<p>(2) Par exemple, dans l'ouvrage Qu'est-ce que la propriété ? qu'il publie en 1840, Proudhon traite Robespierre de « démagogue » (Pierre-Joseph Proudhon, Qu'est-ce que la propriété ? ou Recherches sur le principe du droit et du gouvernement (1840), dans Œuvres complètes de P J. Proudhon, Paris, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1850-1871, t. 1, p. 341).</p>
<p>(3) Si Proudhon se définit à cette période à la fois comme un « socialiste » et comme un « anarchiste », nous préférons, pour des raisons de lisibilité, ne pas employer le terme « socialiste » à son propos et employer le terme « anarchiste », qui désigne ici un socialiste ou un communiste antiautoritaire.</p>
<p>(4) Edward Castleton, « Pierre-Joseph Proudhon, seul contre tous. Le Représentant du Peuple, Le Peuple, La Voix du Peuple, Le Peuple de 1850 », dans T. Bouchet et al., Quand les socialistes inventaient l'avenir, p. 278.</p>
<p>(5) Gaetano Manfredonia, « L'anarchisme », dans J.-J. Becker et G. Candar (dir.), Histoire des gauches en France, t. 1, p. 446.</p>
<p>(6) P.-J Proudhon, Confessions d'un révolutionnaire (1849), dans Œuvres complètes de P-J. Proudhon, t. 9, p. 273.</p>
<p>(7) Pierre-Joseph Proudhon, Solution au problème social, Paris, Pilhes, 1848, p. 2.</p>
<p>(8) Pierre-Joseph Proudhon, Idée générale de la Révolution au XIXe siècle <a href="1851">1851</a>, dans Œuvres complètes de P-J. Proudhon, t. 10, p. 173-174.</p>
<p>(9) Pierre-Joseph Proudhon, « Mazzini et l'unité italienne », l'Office de publicité, Bruxelles, 13 juillet 1862, dans Œuvres complètes de P-J. Proudhon, t. 16, p. 145.</p>
<p>(10) P.-J. Proudhon, Confessions d'un révolutionnaire, éd. cit., p. 318.</p>
<p>(11) Pierre Haubtmann, Pierre-Joseph Proudhon. Sa vie, sa pensée, Paris, Beauchesne, 1982, t. 1, p. 128-129.</p>
<p>(12) P.-J. Proudhon, Confessions d'un révolutionnaire, éd. cit., p. 18-19.</p>
<p>(13) lbid., p. 34-35.</p>
<p>(14) Louis Blanc, « L'État dans une démocratie » (reproduction de « Hommes du peuple, l'État c'est vous. Réponse au citoyen Proudhon », Le nouveau monde, n° 5, 15 novembre 1849), dans Louis Blanc, Questions d'aujourd'hui et de demain, Paris, E. Dentu, 1873-1884, t. 3, p. 154.</p>
<p>(15) ibid., p. 154-155.</p>
<p>(16) Louis Blanc, « L'Etat-anarchie de Proudhon » (reproduction de « L'Etat-anarchie du citoyen Proudhon », Le nouveau monde, n° 7, 15 janvier 1850), dans Louis Blanc, Questions d'aujourd'hui et de demain, t. 3, p. 210.</p>
<p>(17) Louis Blanc, « Proudhon et sa doctrine » (reproduction de « Un homme et une doctrine. Aux délégués du Luxembourg », Le nouveau monde, n° 6, 15 décembre 1849), dans Louis Blanc, Questions d'aujourd'hui et de demain, t. 3, p. 206.</p>
<p>(18) P.-J Proudhon, « À propos de Louis Blanc. De l'utilité présente et de la possibilité future de l'État », La voix du peuple, 26 au 27 décembre 1849, dans Œuvres complètes de P-J. Proudhon, t. 19, p. 46.</p>
<p>(19) Pierre-Joseph Proudhon, « Résistance à la Révolution », La voix du peuple, 25 novembre 1849, dans Œuvres complètes de P-J. Proudhon, t. 19, p. 24-25.</p>
<p>(20) Ibid., p. 24-25.</p>
<p>(21) Notice BERNARD Martin, Maitron en ligne, disponible sur : http ://maitron-en-ligne.</p>
<p>(22) Martin Bernard, « De la tradition révolutionnaire », Le proscrit. Journal de la république universelle, n° 1, juillet 1850, Bruxelles, J. Tarride libraire-éditeur, p. 37-39.</p>
<p>(23) « Ouoi ! sous ces guenilles dont on composait avec tant d'apparat la laide toilette de l'Hébertisme, il n'y avait même pas un squelette ! » (L. Blanc, « Proudhon et sa doctrine », éd. cit., p. 167).</p>
<p>(24) M. Bernard, « De la tradition révolutionnaire », p. 39.</p>
<p>(25) Pierre-Joseph Proudhon, « Aux citoyens Ledru-Rollin, Charles Delescluze, Martin Bernard et consorts, rédacteurs du Proscrit, à Londres », Le peuple, 20 juillet 1850, dans Œuvres complètes de P-J. Proudhon, t. 19, p. 164.</p>
<p>(26) Alexandre Ledru-Rollin, Du gouvernement direct du peuple, Paris, impr. de Prève, 1851 (reprend l'article intitulé « Du gouvernement direct du peuple » publié précédemment dans Le Proscrit), p. 4-5.</p>
<p>(27) Discours sur l'appel au peuple dans le jugement de Louis XVI (club des Jacobins, 28 décembre 1792), OC t. 9, p. 188-193.</p>
<p>(28) Louis Blanc, « Du gouvernement direct du peuple par lui-même - première partie » (reproduction de : Plus de Girondins !, Paris, Charles Joubert, 1851), dans Louis Blanc, Ouestions d'aujourd'hui et de demain, t. 1, p. 49-50, p. 115-118, p. 124 et p. 139-142.</p>
<p>(29) P.-J. Proudhon, Idée générale de la Révolution au Xlxe siècle, éd. cit., p. 168-169.</p>
<p>(30) ibid., p. 150.</p>
<p>(31) ibid., p. 130.</p>
<p>(32) ibid., p. 158.</p>
<pre></pre>
<p>(33) ibid., p. 150-171.</p>
<p>(34) P.-J. Proudhon, Confessions d'un révolutionnaire, éd. cit., p. 280.</p>
<p>(35) ibid., p. 275.</p>
<p>(36) ibid., p. 306-309.</p>
<p>(37) P.-J. Proudhon, La révolution sociale démontrée par le coup d'État du 2 décembre (1852), dans Œuvres complètes de P-J. Proudhon, t. 7, p. 37.</p>
<p>(38) P.-J Proudhon, De l'Utilité de la célébration du dimanche, considérée sous les rapports de l'hygiène publique, de la morale, des relations de famille et de cité (1839), dans Œuvres complètes de P-J. Proudhon, t. 2, p. 155-156.</p>
<p>(39) P.-J Proudhon, Idée générale de la Révolution au XIXe siècle, éd. cit., p. 261-262.</p>