Partant de la situation actuelle marquée par un accroissement inquiétant de la dette publique, que le gouvernement Rajoy a continué d’augmenter, il la compare avec celle de la France… en 1789. Iglesias et Podemos représentent, à ses yeux, un danger car ils risquent d’être les bénéficiaires de cette politique désastreuse. C’est ainsi que Pablo Iglesias devient un nouveau Robespierre, représentant une menace pour l’Espagne, mais aussi l’indicateur de l’urgence d’imposer un changement de politique : si le parti de Rajoy n’est pas remplacé, la menace d’un Podemos « terroriste » se réalisera ! Tel est l’objet de l’argumentation de son livre.

L’auteur doit alors prouver que Podemos ne pourra rien faire d’autre que répéter la « Terreur » et s’est donc efforcé de faire le récit de « la prise de pouvoir par Robespierre, Danton et Marat » en forme… de Coup d’état ! C’est assez osé et même fort audacieux car, si l’événement des 31 mai-2 juin 1793 a bien eu lieu, il est richement documenté et n’a donné lieu à aucune violence, ni juridique, ni physique !
Je rappelle rapidement ce qu’il s’est passé, car c’est fort intéressant !

La Révolution du 10 août 1792 avait renversé la monarchie et la Constitution aristocratique de 1791, réservant le droit de vote aux « riches », pour établir une République démocratique en France. Une nouvelle Assemblée législative fut élue en septembre 1792, la Convention. Le premier gouvernement fut girondin, mais s’opposa à la démocratisation de la société et crut s’en débarrasser en déclarant la guerre à tous ses voisins ! Mauvais calcul, l’offensive militaire échoua et précipita la chute du gouvernement de la Gironde.
Or, les institutions démocratiques de l’époque concevaient les élus comme des commis de confiance, ce qui signifie qu’ils étaient responsables devant leurs électeurs. Et la Révolution des 31 mai 1793 consista très précisément dans l’exercice pratique du rappel des mandataires infidèles : les électeurs s’étaient exprimés dans les mois qui précédèrent, réclamant la destitution de ces mandataires parce que, précisément, ils ne leur faisaient plus confiance.
Cela fut réalisé le 31 mai et vingt-deux députés de la Gironde furent ainsi destitués et renvoyés dans leurs foyers.
Il est vrai que cette institution, démocratique par excellence, n’est plus pratiquée dans nos systèmes électoraux actuels et qu’il faudrait à nouveau l’enseigner dans les écoles de sciences politiques, pour se familiariser avec ses relations intimes et fortes avec la souveraineté populaire et avoir les moyens de la reconnaître lorsqu’elle est mise en pratique. On éviterait ainsi que l’ignorance se trahisse, comme le révèle la lecture du gros livre de Pedro J. Ramirez.

Il demeure ainsi très difficile de démontrer que Robespierre, Danton et Marat, qui étaient déjà tous trois élus députés, auraient réalisé un « Coup d’état » au 31 mai 1793 et, de plus, quelques jours plus tard, la Convention votait la Constitution du 24 juin 1793, que le gouvernement girondin s’était acharné à éluder jusque-là ! Non, décidemment, Pedro J. Ramirez ne parvient pas à nous « terroriser » à ce sujet, même s’il oublie de mentionner le vote de cette Constitution dans son livre… Et le premier Coup d’état reste bien celui du général Bonaparte, le 18 brumaire-9 novembre 1799, et tout à fait militaire !

Mais reprenons l’évolution de ce prurit « terrorisant » récent.
Xavier Bertrand, député-maire de Saint-Quentin dans l’Aisne, a déclaré à BFMTV, le 5 mai 2015, à propos des relations extrêmement tendues entre Le Pen père et sa fille, au sein du Front national : « Quand son père monte à la tribune du 1er mai, vous voyez plus qu’une gêne. On voit bien qu’elle n’arrive pas à diriger son parti. Quand on ne réussit pas à diriger son parti, on ne peut diriger ni un pays, ni une grande région. C’est cette limite-là qu’elle est en train de montrer. Et vous n’empêcherez pas aujourd’hui certains de vouloir leur règlement de comptes internes. Regardez Monsieur Philippot, on dirait un petit Robespierre qui veut la tête de Louis XVI. C’est ça aujourd’hui le FN ».

L’auteur de cette allusion à la Révolution française relie Robespierre au procès du roi, comme s’il avait été question alors d’une décision d’un individu isolé, mais pas du tout ! Le procès du roi a été longuement débattu à la Convention et voté à une majorité de députés, dont on connaît fort bien le détail des votes. Quant à l’allusion à « la mort du père », par un tiers, dans la famille Le Pen, là encore, la chose fait davantage sourire qu’elle ne « terrorise ».

Le plus récent accès de prurit est signé par Michel Wieviorka, dans Ouest-France, le 10 juin 2015. L’auteur se lance dans une comparaison entre Daech et Robespierre et se félicite de l’excellence de son idée (à moins que le titre ne soit de la rédaction ?) : « La comparaison entre Daech et la France de Robespierre choquera peut-être. Elle n’en est pas moins instructive ».
On retrouve ici, une tonalité certes excessive, mais qui se rapproche de celle de Ramirez. Jugeons-en : « En 2015 au Moyen-Orient comme en 1793 en France, un ou deux Etats pourraient se construire dans le sang. La bien nommée Terreur a été précédée par des massacres de prêtres, prélude aux guerres de Vendée. Un décret du 31 juillet 1793 demandait la destruction des tombeaux royaux et autres mausolées dans toutes la République. Daech n’a rien inventé (…) »
Robespierre est ici le responsable du massacre des prêtres, des guerres de Vendée et de la destruction des tombes des rois : c’est « la bien nommée Terreur » ! Wieviorka a raison de penser que sa formule à l’emporte pièce « choquera peut-être », mais je suis moins « choquée » par ses propos que par la découverte de l’ampleur de son ignorance concernant les faits de la période révolutionnaire … et pourtant, ce ne sont pas les sources qui manquent pour les connaître.

Le massacre des prêtres : Robespierre, en tant que député élu chaque mois par la Convention au Comité de salut public, depuis le 17 juillet 1793, a refusé la « déchristianisation », menée par deux courants, l’un de « défanatisateurs sectaires », l’autre de contre-révolutionnaires qui cherchaient à tirer profit des divisions créées par les premiers ! Robespierre a réclamé l’application des principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen concernant la liberté de conscience : il en a même été puni par l’historiographie adepte de la « défanatisation intolérante », qui a voulu voir en lui un obscur défenseur de la religion catholique et le grand prêtre d’une religion supposée de l’Etre suprême ! Alors qu’il défendait le principe de la liberté des cultes de la Déclaration des droits (2) ! Comme Daech probablement ?

Sur les guerres de Vendée : M. Wieviorka sombre aussi dans leur inévitable instrumentalisation depuis qu’une historiographie, datant du bicentenaire et pilotée par le lobby vendéen, partie à la recherche d’un génocide dans la Révolution française, n’a pu dépasser le ridicule d’un supposé « génocide… franco-français » … en Vendée ! Robespierre n’y joue d’ailleurs aucun rôle particulier, contrairement à la propagande que martèle sans relâche ce lobby vendéen (3).

Quant aux destructions de tombeaux des rois, le député Grégoire a fait voter à la Convention des mesures contre ce qu’il appelait le « vandalisme qui ne connaît que la destruction » et qu’il qualifiait de « barbarie contrerévolutionnaire »(4). Ces mesures ont été soutenues par Robespierre et, là encore, il est difficile de lui faire porter le chapeau !

Comparer le vandalisme de la période révolutionnaire aux actes commis par Daech est non seulement erroné, mais ridicule et M. Wieviorka aurait été mieux inspiré de les comparer avec la destruction de la civilisation romaine au moment de la chute pluriséculaire de l’Empire romain d’Occident, qui a non seulement détruit des monuments, mais la langue, la littérature et des bibliothèques (5)…

Notes

(1) Interview dans Vox Populi, 9-X-2014.
Sur cette question, voir Olivier Tonneau, "Qui a peur de l'Incorruptible ? Pablo Iglésias et la Révolution française", Révolution Française.net, Février 2015.

(2) Robespierre, 5 et 6 décembre 1793, à la Convention, réclame l’application des principes déclarés contre les défanatisateurs, Ouvres, t.X, p. 226 et s. Déclaration des droits de 1793, Art. 7 : « Le droit de manifester sa pensée et ses opinions, soit par la voie de la presse, soit de tout autre manière, le droit de s’assembler paisiblement, le libre exercice des cultes ne peuvent être interdits ».

(3) Marc Belissa et Yannick Bosc, ""Robespierre bourreau de la Vendée ?": une splendide leçon d'anti-méthode historique", Révolution Française.net, Mars 2012, LIRE

(4) Archives Parlementaires, t. 83, p. 186, Grégoire à la Convention, 22 nivôse An II-11 janvier 1794, Rapport sur les inscriptions des monuments publics.

(5) Voir Bryan Ward-Perkins, La chute de Rome. Fin d’une civilisation, (Oxford 2005) trad. de l’anglais Paris, Alma, 2014.