L’obélisque et les philosophes Enseignement
Ou Comment l’Éducation Nationale a éteint les Lumières en classe
Par Nathalie Alzas
Les rentrées 2019-2020 des lycées, en France, sont marquées par la mise en place d’une réforme de vaste ampleur, qui touche l’ensemble des programmes (1). Comme toujours, ce genre de micro-événement suscite son lot de controverses, notamment en histoire, matière donnant traditionnellement lieu à de multiples débats. Mais dans une Éducation Nationale dont les réformes s’empilent, depuis des décennies, comme autant de couches de crème pâtissière sur un mauvais millefeuille, l’évocation d’un tel sujet s’apparenterait à un exercice particulièrement vain. L’observateur blasé n’y rencontre que des figures connues, débats éphémères d’un jeu de rôle médiatique. Parler d’ailleurs de « nouveaux » programmes pourrait laisser sceptique, tant le recyclage d’anciennes notions semble permanent (cf., par exemple, la réapparition de « La Méditerranée médiévale : espace d’échanges et de conflits » en Seconde). Pourtant, la lecture des dits programmes est souvent chose intéressante, tant elle nous amène, non pas à la découverte de l’histoire des temps passés, mais à un éclairage sur les temps présents. Malgré l’impression d’immobilisme évoquée plus haut, les programmes, et les manuels scolaires qui les interprètent, ont toujours été, en effet, très influencés par les évolutions idéologiques de leur époque. Les considérer permet d’aller au-delà des déclarations d’intention des politiques ou des idées reçues. Songeons, par exemple, aux travaux qui ont montré que sous la IIIe République, loin d’un « récit national » univoque, l’école primaire avait enregistré profondément le choc traumatique de la Première Guerre Mondiale (2). La polémique récente sur la disparition, en classe de Première, de la bataille de Verdun et son remplacement, en quelque sorte, par la bataille de la Somme, pour l’année 1916, dans le traitement de la Première Guerre Mondiale, est exemplaire à cet égard. Certains y ont vu la prééminence d’un discours victimaire, réduisant les soldats à des agents passifs d’un conflit absurde qui les dépassaient, en lieu et place d’une commémoration célébrant le courage des « poilus ». Dans la postmodernité des débuts du XXIe siècle, un jugement moral, pour ne pas dire moralisateur, dominerait les programmes, plutôt qu’une perspective historique (3).