Le pouvoir exécutif et la loi : réceptions, réinterprétations, réécritures (1789-1804) Annonces
lundi 6 juillet 2015Appel à contribution pour la journée d’études doctorales Le pouvoir exécutif et la loi : réceptions, réinterprétations, réécritures (1789-1804), organisée par Alexandre Guermazi (IRHiS, Université Lille III) et Jeanne-Laure Le Quang (IHMC-IHRF, Université Paris I).
Cette journée d’études doctorale s’inscrit dans la continuité d’une première journée qui s’est tenue en Sorbonne le 5 décembre 2014 et qui avait pour but d’explorer un champ encore trop peu étudié par les historiens : l’exécution de la loi. D’une part, l’étude des pratiques des acteurs institutionnels chargés de l’application de la loi a permis de mettre au jour des parcours différenciés et un investissement polymorphe à tous les échelons du pouvoir exécutif où la lettre de la loi, toujours invoquée comme légitimité de l’action, fait cependant l’objet d’arrangements, voire de détournements. D’autre part, cette première session a permis de mettre en évidence la diversité les pratiques des acteurs non institutionnels que sont les citoyens dans le processus d’application ou d’affranchissement de la loi.
C’est précisément sur cet inévitable écart entre la lettre de la loi et son exécution que cette deuxième journée d’études doctorales voudrait se concentrer. Il s’agira plus particulièrement de s’intéresser aux mots employés par le pouvoir exécutif pour faire appliquer la loi, afin de mettre en évidence les éventuelles discordances par rapport à ceux utilisés par le pouvoir législatif dans le texte même de la loi. Pour ce faire, l’étude privilégiera les actes du pouvoir exécutif, dans toute leur diversité, de l’échelon local à l’échelle centrale – c'est-à-dire les promulgations royales, arrêtés du conseil exécutif provisoire et du Directoire, circulaires et instructions ministérielles et arrêtés des corps administratifs (communes, districts, départements)1. Tous ces actes n’ont cependant pas la même importance, le même degré de légitimité, ni la même portée, selon l’autorité qui la produit et ses destinataires variés (citoyens, fonctionnaires publics, administrateurs élus puis nommés…).
Si les quatre Constitutions de la période révolutionnaire confient toujours à la tête de l’exécutif (successivement, au roi, au Conseil exécutif provisoire, au Directoire, aux Consuls) le pouvoir de donner « force à la loi », toutes cantonnent cependant les administrations à un stricte rôle passif d’exécution. Or, comme l’a souligné Virginie Martin, si « les députés ont toujours dénié aux agents de l’exécutif le pouvoir de faire la loi, en vertu du dogme tenace que la loi se suffit à elle-même, ou qu’elle parle suffisamment d’elle-même pour n’avoir pas à être expliquée ni commentée »2, jamais les actes du pouvoir exécutif, entre 1789 et 1804, n’ont été de simples reproductions neutres de la loi : toute reformulation de la loi est de fait une interprétation, dès lors qu’il s’agit de l’expliquer aux fonctionnaires ou aux citoyens. C’est cette latitude dans l’interprétation de la loi, qu’autorise le droit ou que s’octroient les administrateurs, qu’il conviendra d’examiner en fonction des périodes et des régimes, afin de mesurer la manière dont l’exécutif s’emploie à « refaire » la loi, dès lors qu’il la traduit dans ses propres mots. Ce faisant, il s’agira de remettre en cause le dogme tenace d’un pouvoir exécutif sinon faible, du moins structurellement inféodé au pouvoir législatif, en faisant apparaître son rôle d’ingérence dans le processus même de diffusion et de réception de la loi, au point, sinon de compromettre l’idéal de stricte séparation des pouvoirs3, du moins de contribuer à l’émergence de ce pouvoir refusé en droit à l’exécutif, mais exercé de fait par ses organes : le pouvoir réglementaire4.
Dans cette optique, deux axes seront plus particulièrement privilégiés :
1/Les multiples formes de « réception » de la loi à travers les actes de l’exécutif
On entend par « réception de la loi » toute la palette des moyens mobilisés par l’exécutif, à toutes les échelles, pour transmettre et donner sens à la loi, autrement dit pour la rendre aussi bien effective que légitime, en fonction de toutes les contingences qui favorisent ou qui s’opposent à sa connaissance (matérielle et sémantique).
La question de la réception de la loi pose d’abord celle de la diffusion des textes de loi aux autorités en charge d’en assurer l’application mais aussi la publicité. Comment s’assurer de la disponibilité et de la fiabilité de la loi ? Comment y pallier lorsque la loi fait défaut : faut-il statuer provisoirement ou attendre la réception de la loi officielle ? Comment faire connaître la loi aux citoyens qui sont tenus d’y obéir ? Il convient donc de s’interroger sur les multiples « relais » de la loi, depuis les journaux qui l’impriment en passant par l’administration des postes qui s’en fait le véhicule jusqu’aux organes de l’exécutif qui en sont les passeurs. Promulguée et envoyée par le ministère de la Justice, transmise par les directoires des départements et des districts, les corps municipaux, proclamée par le crieur public au son de la trompe ou du tambour, placardée dans l’espace urbain, lue publiquement dans les églises ou sur les places publiques, la loi est aussi la manière dont les agents de l’exécutif la font connaître à leurs concitoyens. A côté de tous les habitus et rouages administratifs mobilisés pour « publier » la loi, on prendra donc en compte cette culture visuelle et orale qui participe pleinement de la visibilité de la loi dans l’espace public.
Il conviendra également d’aborder le problème de la sélection de la loi. Face au corpus monumental des lois publiées par Baudouin au fur et à mesure de leur adoption, quelles logiques ou quels intérêts guident les instances supérieures et inférieures de l’exécutif pour procéder à des tris, ou du moins des hiérarchies – certaines lois semblant devenir plus prioritaires que d’autres du point de vue de leur diffusion et de leur application ? Cette sélection se retrouve-t-elle dans les projets de « codes de lois » initiés, en vain, à l’échelle centrale, parallèlement à ceux qui ont été produits, à l’échelle locale, pour guider les fonctionnaires dans l’application de la loi (codes municipaux par exemple) ? En quoi ces diverses sélections (officielles ou officieuses) permettent-elles de déterminer le degré de soumission ou a contrario d’indépendance du pouvoir exécutif face au pouvoir législatif ?
Enfin, il est nécessaire de s’interroger sur le degré de « transparence » et de « faisabilité » de la loi. En effet, si le sens littéral est souvent questionné par les administrateurs et par les citoyens, il est aussi précisé et explicité par les instances de l’exécutif (ministères) ou du législatif (comités). Ce processus de « questions / réponses » pour éclaircir la signification même de la loi permet ainsi d’appréhender ses difficultés de compréhension, et donc, d’application.
2/ Circulation et circularité des actes de l’exécutif : les multiples échelles de l’application de la loi
La transmission des lois doit ainsi être interrogée via la circulation et la circularité des actes du pouvoir exécutif à travers les différents échelons de la machine administrative.
Au niveau central, ce sont les ministères, étroitement soumis au roi, au Comité de Salut public, au Directoire puis aux Consuls, qui doivent non seulement relayer la loi aux fonctionnaires publics et aux autorités intermédiaires et locales, mais également les éclairer sur le sens et les modalités de l’application de la loi, et enfin en contrôler l’exécution effective. Dans les circulaires et instructions ministérielles, comme dans les lettres échangées entre les ministres et les administrateurs, quels mots sont mobilisés tant pour expliciter la loi que pour circonscrire, encadrer et même réprimander l’action de ceux qui sont chargés de la faire appliquer suivant les recommandations de leur autorité de tutelle ?
A l’inverse, à l’échelle locale, les administrateurs ne cessent de réclamer le droit à « l’aménagement » de la loi pour pouvoir l’adapter aux réalités du terrain local dans lequel ils exercent – contrevenant ainsi plus ou moins ouvertement à leur strict devoir d’exécution. Les administrateurs se permettent également de contourner la verticalité de la hiérarchie administrative au profit d’une collaboration horizontale avec les autres agents de l’exécutif qui opèrent à l’échelle locale, pour s’éclairer mutuellement sur le sens même des lois, ou encore sur les modalités les plus appropriées d’application des lois. C’est ce travail de remise en forme et de mise en application de la loi à l’échelle locale qui peut se mesurer à travers les procès-verbaux des séances des conseils de communes, districts et départements ou encore à travers les correspondances échangées par ces conseils et leurs directoires avec les agents qui représentent successivement l’exécutif en province : d’abord les procureurs, procureurs syndics et procureurs généraux syndics ; puis les agents nationaux sous le Gouvernement révolutionnaire, les commissaires sous le Directoire, et enfin les préfets sous le Consulat.
Les entorses à la loi ne se mesurent pas seulement à l’aune des désaveux émanant de leur hiérarchie, mais également à travers les contestations dont elles font l’objet de la part des citoyens. La surveillance citoyenne s’exerce en effet en premier lieu sur ces agents de l’exécutif « infidèles » qui en dénaturent la lettre et l’esprit. En cas de contestation, un écart constaté entre le texte de loi et un acte de l’exécutif peut-il être résorbé ? Alors que le recours en contentieux n’existe pas, le « tribunal de l’opinion » suffit-il ou faut-il faire appel au législateur ou au juge pour corriger cet écart ? Les sanctions que les actes de l’exécutif reçoivent dans la sphère judiciaire permettent ainsi de questionner la vitalité et la viabilité des lois. En effet, le juge, « bouche de la loi » selon Montesquieu, doit devant chaque cas concret d’infraction ou d’appel à la loi par le requérant, s’assurer du respect de la lettre de la loi. Les sentences du juge posent donc la question de la cohérence des actes de l’exécutif face aux lois (en amont) et face à leur terrain d’application (en aval). En quoi ces sentences peuvent-elles rendre compte du pouvoir normatif du juge en Révolution et jusqu’à quel point participent-elles de l’émergence d’une jurisprudence ?
Date de la journée d’études : vendredi 4 décembre 2015
Date limite d’envoi des propositions : 15 septembre 2015.
Lieu : Université de Lille III-Charles de Gaulle
Organisation : Alexandre Guermazi (IRHiS, Université Lille III) et Jeanne-Laure Le Quang (IHMC-IHRF, Université Paris I).
Contact: j.e.appliquerlaloi@gmail.com
Notes :
(1) Bien qu’émanant d’un organe de nature « législative », les actes du Comité de salut public relatifs à l’exécution de la loi ou à valeur exécutive pourront également être retenus.
(2) Virginie Martin, introduction à la journée d’études Appliquer la loi : acteurs, modalités et limites de l’exécution de la loi (1789-1815), Paris, 5 décembre 2014.
(3) Michel Troper, La séparation des pouvoirs, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1980.
(4) Michel Verpeaux, La naissance du pouvoir réglementaire 1789-1799, Paris, PUF, 1991.