Les signifiés évoqués par « fraternité » dans le lexique de la Révolution figurent tous dans le périmètre de signification que ce mot a toujours eu et qui continue à avoir jusqu'à nos jours : un lien à l'intérieur d'un groupe et les sentiments que ce lien suscite. Dans le cas particulier de la période révolutionnaire, les groupes sont : la famille, les structures de sociabilité politique et culturelle, le domaine religieux, le domaine militaire, les différentes communautés, la patrie/nation, la république, l'humanité entière. Les sentiments tournent autour de multiples déclinaisons de l’«amour» (6). La fraternité révolutionnaire apporte une dimension politique aux liens et aux sentiments, dans un contexte marqué dès ses débuts par des fortes dynamiques de conflit et d'antagonisme. La dialectique inclusion/exclusion est déjà pleinement effective dans la première année de la Révolution (y compris la Fête de la Fédération du 14 Juillet 1790) (7) et tendra à s'accroître de plus en plus dans les années qui suivent.

Fraternité expansive et fraternité identitaire

En l'état actuel de la documentation, les évidences lexicométriques qu'il est possible de reconstruire, signalent comme il est difficile pour « fraternité » de s'insérer dans la rhétorique révolutionnaire. Une première explication réside sans doute dans le plan plus proprement linguistique : la « fraternité » est difficile à exploiter (ou du moins plus que d'autres mots) comme signifiant vide (8)dans les stratégies mises en place pour la construction d'un discours hégémonique. La pluralité de signifiés qu'elle évoque sont concrets, identifiables et culturellement connotés, par conséquent peu adaptés à perdre leur spécificité pour jouer un rôle d'articulation symbolique dans la production discursive de nouvelles identités collectives. Par ailleurs, sur le plan conceptuel (9) «fraternité » présente de nombreuses défaillances : son statut incertain (valeur, vertu ou sentiment ?) (10), l'impossibilité de la réglementer et de la transcrire dans la loi (11), la fusion problématique entre la connotation chrétienne et la connotation maçonnique (12). Du côté philosophique, la « fraternité » – d'Aristote à Derrida – s'est toujours trouvée dans la condition de devoir se mesurer avec la concurrence insidieuse de l'« amitié » (13). Dans sa déclinaison politique, elle a dès le début trouvé sur son chemin les hypothèques encombrantes de « patrie » et « nation » (14). Depuis la seconde moitié du XIXe siècle et jusqu'à nos jours elle sera en concurrence avec la «solidarité » (15). Dès les années soixante et soixante-dix du XXe siècle nous assistons à l'entrée en scène menaçante de « sisterhood », « sorority », « sororité ».

Sur les difficultés d'ordre général – ici sommairement évoquées – la Révolution a une incidence détonante. Tous les groupes qui se disputent le pouvoir et la légitimité dans le théâtre de la Révolution, sont traversés par le doute que la fraternité puisse être exploitée à des fins politiques partisanes (16). La méfiance à l'égard de la fraternité s'étend à tout segment dans lequel commence à se diviser le front des « patriotes » dans la dernière phase de l'Assemblée Constituante et précisément depuis la crise de Varennes en juin-juillet 1791. En juillet 1792 Brissot abordera la question de manière explicite :

Messieurs, la fraternité que nous avons jurée, doit inspirer les plus douces espérances pour nos discussions futures ; elle doit en inspirer pour le succès des grandes mesures que vous allez décréter ; elle doit, en électrisant toutes les âmes sur la surface de cet Empire, ne faire qu'une grande famille de tous ceux qui veulent sincèrement la liberté et l’égalité ; car c'est entre ces hommes seuls qu'une véritable réunion peut subsister. Mais, Messieurs, en réunissant les âmes, cette fraternité ne peut enchaîner les opinions : elle nous commande des égards en les exposant, de l'indulgence pour les erreurs de nos frères ; elle nous défend de leur supposer des intentions perverses. Mais là s'arrête la voix de fraternité. Notre conscience est toujours à nous, à nous seuls : elle doit être libre ; ou bien nous aurions engagé ce qui ne peut jamais s'aliéner, ou bien nous aurions trahi l'intérêt du peuple. La fraternité doit exister d'abord entre les hommes qui ont les mêmes opinions, ensuite entre ceux qui, quoique d'opinion différente, se chérissent et s'estiment. Ayons toujours cette dernière fraternité : cherchons l'autre ; mais n'y contraignons pas notre conscience. Avant tout, et même avant cette fraternité, nous sommes à nous, nous sommes au peuple qui nous a confié ses intérêts (17).

Les appréciations et les soupçons envers la fraternité s'alternent et se mêlent pendant la Révolution. La « fraternité » peut être « précieuse » dans la mesure où elle « fait d’une société des républicains, une seule et même famille »(18), mais elle peut également être un voile derrière lequel se cachent les ennemis de la Révolution :

Les sans-culottes sont toujours debout, mais tranquilles. Ils se surveillent eux-mêmes ; car ils savent que beaucoup de gens suspects prennent leur costume et la pique, pour les travailler sous le voile de la fraternité (19).

En l'état actuel de la documentation il n'est pas possible d'attribuer avec précision une déclinaison particulière et univoque du mot « fraternité » aux différents acteurs du conflit. La sans-culotterie de l'an II se distingue indubitablement par l'articulation entre fonction identifiante envers soi-même et torsion excluante contre les adversaires (20). Pourtant, comme l'a souligné à juste titre Marisa Linton (21), les formules que nous avons l'habitude d'utiliser pour décrire les parties en conflit sont assez vagues et imprécises et dépendent en grande partie de la construction mémorielle des gagnants du moment. En l'an II en particulier, il n'est pas facile de distinguer jacobins, montagnards et sans-culottes. Il existe des chevauchements entre les personnes et les orientations (22). À Paris une même personne peut fréquenter le club des jacobins, s'asseoir à la Convention au sein de la Montagne et soutenir les instances des sans-culottes. La polysémie du signifiant « sans-culotte » complique davantage les choses (23). Dans les provinces la situation est encore plus confondue. Comment définir Châlier ? Jacobin ou sans-culotte ? Et l’Instruction de la Commission temporaire de surveillance républicaine (26 brumaire an II) est- elle un document des jacobins ou des sans-culottes (24) ?

La radicalisation progressive du discours, qui caractérise les dynamiques de la Révolution de 1789 à 1794, remodèle sans cesse les prises de position et les propositions des acteurs qui se déplacent sur la scène de la révolution (25).Les oscillations et les incertitudes dans l'emploi de « fraternité » traversent tous les groupes politiques qui surgissent, se décomposent et recomposent de 1789 à 1794. Le problème se pose une nouvelle fois – avec des caractéristiques différentes – également pour la période postérieure à 1794 et jusqu'à la conclusion de la décennie révolutionnaire en 1799.

De plus, juste après la chute de Robespierre, la mise en garde contre les appels à la fraternité se poursuivra, tout en soulignant que cela concerne uniquement les «patriotes» :

On cherche à diviser les patriotes en leur parlant de fraternité ; qu'ils réfléchissent bien qu'il ne peut y avoir de fraternité avec des hommes qui ont voulu nous assassiner au 10 août; qu'aucune union ne peut exister entre la pureté du cœur et la bassesse des sentiments, entre le crime et la vertu (26).

Après Thermidor et pendant les années du Directoire, la fraternité semble regagner – du moins comme souhait et idéal – une dimension inclusive, même si déclinée de façon générique (27) et dans le cadre d'une construction mémorielle qui associe la fraternité de l'an II à la promesse d'une mort pour les adversaires et les ennemis (28), dans le contexte de ce qu'on dénonce comme le « système de terreur » du pouvoir robespierriste (29) : sur ces aspects la documentation est pourtant encore extrêmement insuffisante. Des ultérieures études lexicologiques et lexicométriques seront nécessaires, mais ces études ne seront possibles que lorsque nous aurons à disposition des corpora numérisés étendus et complets.

Dans ce cadre nébuleux et en perpétuelle évolution, deux éléments se posent avec clarté : un déclin progressif de la latitude universaliste du mot (« fraternité » adressée à l'humanité toute entière) et une affirmation progressive d'une attitude de méfiance face au mot lui-même. Cette attitude est partagée par tous les groupes politiques, souvent inversés, comme le démontrent les citations ci-dessus par Brissot, et Prudhomme ainsi que le Rapport de Barère, sur lequel nous reviendrons ci-après. Dans un univers mental dominé transversalement par l'obsession d'authenticité (30), la fraternité se prête facilement à être interprétée comme un masque pour obtenir des consensus autour de sa personne ainsi que pour tromper les interlocuteurs politiques (31). Il n'est pas possible d'aller plus loin. Nous pensons qu'une mise au point analytique devrait commencer à partir des 3243 occurrences de « fraternité » dans le corpus numérisé des Archives parlementaires, puis avancer avec les autres mots appartenant à la même famille lexicale et avec le dépouillement systématique des volumes des Archives pas encore numérisés et finalement en venir aux autres sources en papier ou numérisées. Il faudrait aussi tester les capacités performatives du mot « fraternité » dans les lois et dans le discours publique de la révolution (32). De tels tâches et engagements vont au-delà des limites de notre contribution.

Les dynamiques de plus en plus conflictuelles – la guerre, la contre-révolution, l'anti-révolution, la relecture des événements en termes de complot, la caractérisation des adversaires comme « ennemis de la patrie » et « ennemis du peuple » - détermineront le passage de la « fraternité » d'une dimension universelle et inclusive à une dimension clivante,d’identification et exclusive (33). La fraternité expansive laissera progressivement la place à la fraternité identitaire (34). Le Rapport de Barère du 28 messidor an II (16 juillet 1794) est à ce propos exemplaire :

La fraternité est douce et modeste ; elle est le produit du temps et de la confiance ; elle consiste à secourir les malheureux, à défendre les patriotes opprimés, à s'éloigner des aristocrates corrupteurs, à dénoncer les contre-révolutionnaires déguisés, à soutenir la patrie et ses véritables représentans. Le sentiment de l'humanité s’évapore et s'affloiblit en s’étendant sur toute la terre : l'ami de l'univers ne connut jamais le délicieux sentiment de l'amour de la patrie ; il en est de même du sentiment de la fraternité : il faut en quelque manière le borner et le comprimer pour lui donner une activité utile. La fraternité doit être concentrée pendant la révolution entre les patriotes qu'un intérêt commun réunit. Les aristocrates n'ont point ici de patrie, et nos ennemis ne peuvent être nos frères (35).

Nous sommes bien loin de l'époque où Mirabeau en août 1789 évoquait la « fraternité universelle » :

(…) la liberté générale bannira du monde entier les absurdes oppressions qui accablent les hommes, les préjugés d'ignorance et de cupidité qui les divisent, les jalousies insensées qui tourmentent les nations, et fera renaître une fraternité universelle, sans laquelle tous les avantages publics et individuels sont si douteux et si précaires (36).

Le baiser de Lamourette

Pendant la Révolution la latitude de la fraternité – lorsqu'elle est évoquée explicitement dans le discours public comme substantif abstrait ou à travers les autres formes de la même famille lexicale – se réduit peu à peu. La donnée est claire et vérifiable (37). Un exemple particulièrement éclairant à propos de ce parcours de contraction est mis en place par Adrien Lamourette, le célèbre acteur du baiser (38), sur lequel nous avons un travail en cours, qui sera bientôt publié dans le cadre d'un volume collectif par l'Université de Trieste sur la notion de fraternité. Dans les Prônes civiques, publiés en cahiers entre 1790 et 1791, Lamourette évoque plusieurs fois la fraternité et avec une latitude explicitement universelle, qui comprend tous les hommes en tant que hommes :

Cette circonstance, c'est qu'au moment où l'évangile parut au monde, le monde entier se voyoit l'esclave d'une puissance qui avoit englouti tous les empires, et qu'il semble que cette sagesse éternelle qui balance et qui prépare nos destins dans la lenteur et la majesté de son conseil, ait voulu attendre que les hommes eussent éprouvé les dernières tribulations de la servitude, pour leur apporter une doctrine qui devoit nous peindre, sous des couleurs si nouvelles, la destinée, l'excellence et l’indestructibilité de la nature humaine et sceller de la sanction la plus sacrée et la plus irrévocable, la fraternité et l'égalité de tous les habitans de la terre (…) Mais il s'agit de faire revivre en nous l'esprit d'égalité, par la considération de la grande sanction dont la religion a consacré la consanguinité et la fraternité de tout ce qui est sorti de la tige d’Adam (39).

Dans l’épisode du baiser (7 juillet 1792) l'appel à la fraternité est fort et explicite :

Ramenez à l'unité la représentation nationale (…) Jurons-nous fraternité éternelle ; confondons-nous en une seule et même masse d'hommes libres, également redoutable, et à l'esprit d'anarchie, et à l'esprit féodal ; et le moment où nos ennemis domestiques et étrangers ne pourront plus douter que nous voulons une chose fixe et précise, et que ce que nous voulons, nous le voulons tous, sera le véritable moment où il sera vrai de dire que la liberté triomphe, et que la France est sauvée (40).

Néanmoins l'espace gagné par la « fraternité » dans les Prônes civiques et dans l'intervention du 7 juillet 1792 va durer peu de temps. Pendant le siège de Lyon – dans une lettre du 14 juillet 1793 – Lamourette invitera explicitement les habitants du Département de Rhône-et-Loire à se méfier de la fraternité si évoquée par les «faux patriotes» qui avaient appuyé Joseph Châlier à Lyon. Dans sa lettre Lamourette abandonne ses tons iréniques et conciliants de l'épisode du baiser et assume pleinement le registre conflictuel, clivant et délégitimant qui qualifie la confrontation publique entre les « patriotes » à partir, au moins, de la période qui suit les illusions de concorde et unité soulevées par la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790. Les adversaires politiques sont définis comme « monstres », « brigants », « hideux », «infâmes », « hommes pervers », « scélérats », « méchants » :

La méchanceté, mes très-chers frères, épuise, en ce moment, ses derniers moyens pour vous tromper ; et nous apprenons que des esprits turbulens et ennemis de l’ordre et de toute autorité, se répandent parmi vous, pour vous regagner à l’anarchie, et vous faire accroire que l’événement du 29 mai (le renversement de Chalier), qui a renversé une faction de brigands et d’assassins, est une victoire de l’Aristocratie sur les patriotes (41).

Dans ce contexte la « fraternité » devient inévitablement identitaire et subit une forte torsion excluante et clivante :

Cependant, M. T. C. F., ceux qui vont porter le venin de leurs perfides et lâches insinuations, au fond de vos douces et innocentes campagnes, osent invoquer les saintes loix de la fraternité, et vous dire qu’il faut s’entendre et s’unir. Ah ! sans doute, le signe le plus touchant du bonheur public, c’est l’unité et la concorde des frères ; et à Dieu ne plaise que nous qui sommes les Ministres de la charité et de la paix nous négligions jamais aucun des moyens qui peuvent produire et maintenir ce concert et cette unité si précieuses et si désirables ! mais défiez-vous, estimables Citoyens des Campagnes, de ceux qui voudroient faire servir les saints préceptes de la nature et de la religion, au rétablissement de la licence et de l’anarchie. Un méchant qui dit à un homme de bien, soyons unis, lui demande d’abjurer la probité, et d’embrasser le crime. Lorsque la fermentation de toutes les passions déréglées a fait dégénérer une révolution politique, en une subversion qui fait chanceler toutes les bases de la sûreté et de la propriété des Citoyens, la réunion des esprits et des cœurs ne peut plus s’opérer que de l’une des deux manières, ou en convertissant tous les méchans à la probité, ou en déterminant tous les gens de bien à se faire scélérats. Ne perdez pas de vue, M. C. F. cette terrible alternative, lorsqu’on vous parle de réunion et de raccord (….) (42).

La question sur la responsabilité de cette progressive contraction de la sphère de la fraternité dans le discours publique de la révolution reste ouverte. Les circonstances ? La réponse est certainement oui car toute situation de guerre (dans le cas spécifique guerre nationale et guerre civile) tend à réduire le périmètre de la « fraternité » (43). La culture politique ? Les dynamiques au sein même du langage révolutionnaire ? Le circuit sémiotique évoqué par Furet (44) ? En ce cas les réponses peuvent être diverses et variées et affectent la dialectique révolution – contre-révolution (45). En tout cas elles doivent être recherchées avec prudence, mesure et humilité. Et surtout avec conscience que – dès l'an II – nous sommes confrontés avec les contradictions d'un moment de l'histoire « où l’égalité sainte parut enfin descendre parmi les hommes pour répondre à leur attente millénaire » (46).

Fraternité dans le lexique de Hébert, Marat, Robespierre, Saint- Just

Dans la perspective d'un élargissement de la base documentaire et d'un approfondissement et une reprise de la conceptualisation – surtout en direction de la fraternité comme « mise en acte du lien de réciprocité entre liberté et égalité » (47) – nous avons décidé de mettre à disposition de la communauté scientifique les concordances complètes des mots qui font partie de la famille lexicale de « fraternité» chez des auteurs inclus dans le corpus numérisé des textes de la Révolution française, que nous continuons à élargir auprès du Département de Sciences Humaines de l'Université de Trieste (48) : Hébert, Marat, Saint-Just, Robespierre. Les concordances complètes de la famille lexicale de « fraternité » dans les auteurs ci-dessus cités, que nous présentons ici en avant-première à la communauté scientifique, seront publiées dans le troisième tome de La felicità', en cours d'élaboration avancée (49).

Nous nous limiterons ici à quelques brèves indications sur Hébert, Marat et Saint-Just et à des considérations légèrement plus détaillées sur Robespierre, tout en laissant aux chercheurs la possibilité d'évaluer analytiquement le matériel que nous présentons. En ce qui concerne Hébert (« fraternité » : 25 occurrences ; FRN : 0,0045) il faut signaler le lien « fraternité » - « amitié » et les renvois au « brave Sans-Culottes Jésus » :

Heureusement, foutre, les parisiens sont un peu débadaudés ; les boutiquiers et les Sans-Culottes ont senti qu'ils avaient besoin les uns des autres ; ils se sont embrassés et ils se sont jurés amitié et fraternité (…) Avec ces onze Jacobins, Jésus enseigna l'obéissance aux lois, prêcha l'égalité, la liberté, la charité, la fraternité, fit une guerre éternelle aux prêtres, aux financiers, anéantit la religion des Juifs, qui était un culte sanguinaire (…) Quand le brave Sans-Culottes Jésus parut, il prêcha la bienfaisance, la fraternité, la liberté, l'égalité, le mépris des richesses (50).

Dans Marat (« fraternité » : 59 occurrences ; FRN : 0,0023) il est possible de saisir une défiance précoce :

Il y a quelques jours que les airs retentissaient encore de cris d'allégresse, une joie stupide éclatait sur tous les fronts, et la trop confiante multitude éblouie par des fêtes pompeuses et séduite par de faux dehors de fraternité, croyait ses ennemis écrasés pour toujours, insultait à leur défaite et chantait son triomphe, tandis que les soldats de la patrie, accourus de tous les coins du royaume, donnaient la main de paix à leurs mortels ennemis sur l'autel de la liberté, et s'engageaient stupidement à servir d'instruments de fureur à un législateur corrompu, à des ministres perfides (51).

Saint-Just (« fraternité » : 28 occurrences ; FRN : 0,0076) emploie le mot «fraternité» de manière générale et tend à la caractériser comme « sentiment » (52). Une grande partie des occurrences concernent la formule « salut et fraternité » (19 occurrences).

Tournons-nous maintenant vers Robespierre. Une donnée déjà connue est confirmée (53) : à savoir, Robespierre est le premier à proposer la devise « liberté, égalité, fraternité ». Il le fait le 5 décembre 1790 dans une intervention (jamais prononcée intégralement, mais publiée et remaniée ensuite sous forme d'opuscule) au club des Jacobins sur l'organisation des gardes nationales :

Elles porteront sur leur poitrine ces mots gravés : LE PEUPLE FRANÇAIS, et au-dessous : LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ. Les mêmes mots seront inscrits sur leurs drapeaux, qui porteront les trois couleurs de la nation (54).

L'expression « liberté, égalité, fraternité » (dans cet ordre précis) avait été employée auparavant dans un compte-rendu de la Fête de la Fédération du Juillet 1790, publié par Camille Desmoulins (55) dans le numéro 35 des Révolutions de France et de Brabant :

Après le serment sur-tout, ce fut un spectacle touchant de voir tous les soldats-citoyens se précipiter dans les bras l’un de l’autre, en se promettant liberté, égalité, fraternité (56).

Desmoulins ne propose pas la phrase en tant que devise (57). Robespierre oui et pour cette raison – du moins jusqu’à ce que nous parvenions à découvrir des données nouvelles (58) – il peut être considéré l'inventeur de l'emblème révolutionnaire (59), qui sera relancé par de Girardin au club des Cordeliers le 29 mai 1791 (60) et repris par Momoro en 1793 (61). C'est à partir d’Aulard (1904), l'un des pères fondateurs de l'historiographie scientifique de la Révolution française ainsi que premier titulaire d'une chaire d'histoire de la Révolution française à la Sorbonne (1901), que l'identification de l'inventeur de la devise révolutionnaire engage l'historiographie. Il ne s'agit point d'un exercice de curiosité stérile, mais d'un engagement concret d'érudition historique visant la recherche des courants culturels qui ont préparé la naissance et le développement du discours révolutionnaire (62). Il est souhaitable que l'acquisition de nouveaux corpora numérisés aussi bien que la mise en place des instruments de la linguistique computationnelle puissent contribuer à enrichir ce domaine par des éléments inédits (63).

Malgré la primauté (provisoire, pour les raisons ci-dessus) dans le lancement de la devise révolutionnaire, dans le lexique de Robespierre « fraternité » joue un rôle de «Cendrillon », conformément à ce qu'on répertorie dans Hébert, Marat, Saint-Just. Le nombre d'occurrences (56 occurrences ; FRN : 0,0032) est faible non seulement par rapport aux deux autres mots de la devise révolutionnaire, mais aussi par rapport à la plupart des mots à forte teneur sociopolitique (64). En l'état actuel de la documentation et des recherches, il n'est pas possible de faire une comparaison correcte entre le poids spécifique de « fraternité » dans le lexique de Robespierre et le poids spécifique du mot dans le lexique global de la Révolution. La comparaison ne peut être accomplie qu’en termes de fréquences relatives. Pourtant les corpora numérisés de la période révolutionnaire, qui nous permettraient d'effectuer des enquêtes lexicométriques détaillées, restent encore limités et ne nous permettent de conduire des comparaisons sûres et fiables. Dans tous les cas l'impression – qu'il faudra vérifier et calibrer en tenant compte notamment des segments temporels spécifiques – est que les performances de « fraternité » dans le lexique de Robespierre soient au-dessous des moyennes du lexique de la Révolution. Si confirmé, cette donnée pourrait être interprétée comme un choix politique et/ou comme stratégie réthorico-discursive. Toute considération à cet égard est prématurée et s'inscrit en dehors des limites et des intentions de notre contribution.

Les concordances de « fraternité » dans les Œuvres de Robespierre mettent en évidence le déplacement de la trajectoire d'une fonction inclusive (65) à une fonction d’identification et exclusive. Le point d'arrivée de ce parcours s'achève peu avant Thermidor, dans une intervention du 16 juillet 1794 au Club des jacobins (le jour même de la susmentionnée intervention de Barère) :

Il ne faut pas que l'aristocratie puisse accuser la Convention de ne pas aimer la fraternité, il est donc utile d'exposer, ici, les vérités qui ont été la base de ce sage décret, et de montrer que les aristocrates savent abuser contre nous de nos vertus même : un des secrets les plus dangereux de l'aristocratie, est de faire dans un tems ce qui n'est bon à faire que dans un autre. Voulez-vous que la Révolution n’arrive pas à un terme heureux et désirable, fraternisez avec le crime ; jamais la fraternité ne peut exister que pour les amis de la vertu, il n’est pas possible que les gens de bien s’unissent avec leurs ennemis et leurs assassins : étouffons tous les germes de discorde, soyons justes envers tout le monde et même envers le crime, mais prenons garde de nous compromettre par des démarches indiscrettes (sic) La fraternité est l'union des cœurs, c'est l'union des principes : le patriote ne peut s'allier qu'à un patriote ; s'il s'unit à d'autres, il perd ses forces au lieu de les augmenter. Lorsqu'un peuple a établi sa liberté et sa tranquillité sur des lois sages, lorsque ses ennemis sont réduits à l'impuissance de lui nuire, le moment de la fraternité est arrivé ; mais tant qu'il existe des ennemis de la liberté, que les aristocrates fraternisent entre eux, et les patriotes avec les patriotes (66).

Les circonstances jouent nécessairement un rôle de premier plan dans la graduelle contraction du périmètre de la fraternité par Robespierre. Cependant n'oublions pas les éléments de stratégie politique et de culture politique, sur lesquels la confrontation reste évidemment ouverte et que nous n'avons pas l'intention d'aborder ici.

Concordances

Avertissement de lecture

En ce qui concerne la lecture de chaque index, les contextes renvoient ponctuellement au péritexte des œuvres qui composent notre corpus. Au sujet de la longueur des textes des concordances, nous avons essayé de ne pas dépasser la limite de 4-5 lignes, en employant tous les signes de ponctuation à l’exception des virgules comme signes de découpage. Le seul élément qui nécessite un éclaircissement est l’utilisation des astérisques dans les références de certaines concordances. En ces cas, nous avons signalé avec un astérisque (*) les concordances où il y a des phrases qui n’ont pas été produites (écrites ou prononcées) directement par l’auteur. Par ailleurs, nous avons indiqué avec deux astérisques (**) les phrases où la pensée de l’auteur est référée en utilisant la troisième personne.

Voir les concordances chez Hébert

Voir les concordances chez Marat

Voir les concordances chez Robespierre

Voir les concordances chez Saint-Just

Tableau récapitulatif des occurrences des lexies faisant partie de la famille lexicale de "fraternité" chez Hébert, Marat, Robespierre et Saint-Just.

NOTES

(1) M. Ozouf, Fraternité (1988), dans F. Furet, M. Ozouf, Dictionnaire critique de la Révolution française. Idées, Paris, Flammarion, 2007, p. 199-215: p. 199.

(2) Cf. C. Vetter, « Fraternità, rivoluzione francese e linguistica computazionale », Endoxa, vol. 3, fascicolo 13, 2018, p. 27-33; Idem, « “Fraternité” nel lessico della Rivoluzione francese », Il Pensiero Politico, vol. 52, fascicolo 1, 2019, p. 87-104.

(3) En ce qui concerne le difficile parcours de formation de la devise républicaine cf. M. Borgetto, La devise « Liberté, Égalité, Fraternité », Paris, PUF, 1997.

(4) L'interrogation des Archives parlementaires par PhiloLogic4 (PhiloLogic4 Databases) montre 59429 occurrences de « liberté », 13508 occurrences de « égalité » et 3243 occurrences de « fraternité ».

(5) Dans le Dictionnaire raisonné de plusieurs mots qui sont dans la bouche de tout le monde, et qui ne présentent pas des idées bien nettes par M*** (Paris, 1790) « fraternité » ne figure qu'avec deux occurrences dans l'étude relative à l'article « civisme » (p. 30-43 : p. 39). Cf. A.-R. Morel, « Le principe de fraternité dans les fictions utopiques de la Révolution française », Dix-huitième siècle, n. 41, 2009/1, p. 120-136.

(6) L'interrogation des Archives parlementaires par PhiloLogic4 (PhiloLogic4 Databases) met en évidence comme «union», «sentiments» et «liens» se trouvent dans le segment des premières 100 collocations (cooccurrences) de «fraternité», respectivement avec 274, 194 et 157 cooccurrences. Par ailleurs, il y a 58 cooccurrences de «fraternité» - « sentiment » et 17 cooccurrences de « fraternité » - « lien ». Les cooccurrences « fraternité » - « amour » sont 87.

(7) Cf. J.-Cl. Martin, La Terreur. Vérité et légendes, Paris, Perrin, 2017, p. 147-148.

(8) Sur la notion de signifiant vide cf. E. Laclau, Why do Empty Signifiers Matter to Politics?, dans Emancipation(s), London-New York, Verso, 1996, p. 36-46 ; Idem, Populism: What’s in a Name?, dans F. Panizza (edited by), Populism and the Mirror of Democracy, London-New York, Verso, 2005, p. 32-49 ; Idem, « Why Constructing a People is the Main Task of Radical Politics », Critical Inquiry, Vol. 32, No. 4 (Summer 2006), p. 646-680. En ce qui concerne la distinction introduite successivement par Laclau entre signifiants vides et signifiants flottants cf. E. Laclau, On Populist Reason, London- New York, Verso, 2005, p. 129 et s.

(9) Sur une mise en perspective de l'évolution du concept de fraternité à long terme, des indications utiles dans G. Bertrand, C. Brice, G. Montègre (sous la direction de), Fraternité. Pour une histoire du concept, Grenoble, Les Cahiers du CRHIPA, 2012.

(10) Cf. F. Brahami, O. Roynette, Introduction, dans F. Brahami, O. Roynette (sous la direction), Fraternité : Regards croisés, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2010, p. 7-10.

(11) Cf. M. Borgetto, La Notion de fraternité en droit public français. Le passé, le présent et l’avenir de la solidarité, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1993.

(12) Sur la sécularisation maçonnique de la notion de fraternité cf. M. Borgetto, La Notion de fraternité en droit public français, cit., p. 22-28 ; Idem, La devise, cit., p. 14-17.

(13) En ce qui concerne le dix-huitième siècle français, nous trouvons un intéressant témoignage de la primauté assignée à l'« amitié » par rapport à la « fraternité » dans la traduction française (1712) d'un texte italien d'inspiration aristotélique par Emanuele Tesauro (1670). Cf. E. Tesauro, Th. Croset, Introduction aux vertus morales et héroïques, 2 vol., Bruxelles, François Foppens, 1712, vol. 2, p. 260 : « Le Lien de l’Amitié est donc plus noble, que celui de la Fraternité (…) La Fraternité est un Lien naturel (…) L’Amitié est un Lien vertueux ».

(14) Cf. M. Borgetto, La Notion de fraternité, cit., p. 26 et s.

(15) Cf. M. Borgetto, La Notion de fraternité, cit., p. 341 et s. Dans les Archives parlementaires en ligne nous trouvons 126 occurrences de « solidarité » et aucune cooccurrence de « fraternité » - « solidarité ».

(16) Jean-Clément Martin suggère de lire la Révolution – au moins jusqu'en 1794 – comme un ensemble de dynamiques caractérisées par des rivalités permanentes entre des groupes rivaux à la recherche de légitimité politique : H-France Forum Volume 2, Issue 2 (Spring 2007), No. 5, p. 43-49 : p. 45. Pour une vision d’ensemble – qui met en évidence aussi la volatilité des étiquettes avec lesquelles les divers groupes se présentent à Paris et dans les provinces – cf. J.-Cl. Martin, Nouvelle histoire de la Révolution française, Paris, Perrin, 2012.

(17) Archives parlementaires, tome 46 (Séance du lundi 9 juillet 1792), p. 261.

(18) J.-B. Chemin-Dupontès, Morale des Sans-Culottes, de tout âge, de tout sexe, de tout pays et de tout état ou évangile républicain par Chemin, fils, Paris, Imprimerie de l’auteur, an II de la République, p. 40.

(19) Révolutions de Paris, dédiées à la Nation, Éditeur : Prudhomme, Paris, n. 172 (20-27 octobre 1792), p. 207.

(20) Cf. J.-Cl. Martin, La Terreur. Vérité et légendes, cit., p. 149-151.

(21) M. Linton, Choosing Terror. Virtue, Friendship, and Authenticity in the French Revolution, Oxford, University Press, 2013, p. 6-8. Cf. aussi J.-Cl. Martin, Nouvelle histoire, cit., p. 364-365. En ce qui concerne le débat relatif à l'emploi du terme « jacobin » dans l'essai de Marisa Linton cf. H-France Forum, vol. 9, Issue 4 (Fall 2014). URL : http://www.h-france.net/forum/h-franceforumvol9.html

(22) Cf. M. Vovelle, Les jacobins. De Robespierre à Chevènement, Paris, La Découverte, 1999, p. 26, 55.

(23) Cf. C. Vetter, « Révolution française : évidences lexicologiques, évidences lexicométriques et interprétations historiographiques », ''Révolution Française.net'', février 2013; Idem, «Furori rivoluzionari: il Movimento 5 Stelle e i sanculotti», Rivista di Politica, numero 4, ottobre-dicembre 2013, p. 5-9: p. 5-6.

(24) Instruction. Adressée aux Autorités Constituées des Départemens de Rhône et de Loire, par la Commission Temporaire (établie à Ville Affranchie (Lyon)), 26 brumaire an II (16 novembre 1793), dans W. Markov, A. Soboul (dir.), Die Sansculotten von Paris. Dokumente zur Geschichte der Volksbewegung. 1793-1794, Berlin, Akademie-Verlag, 1957, p. 218-236. Albert Soboul définit l’Instruction comme le manifeste des sans-culottes, Françoise Brunel comme le manifeste de la partie de la Montagne la plus sensible aux « droits sociaux » (F. Brunel, Thermidor. La chute de Robespierre, Bruxelles, Complexe, 1989, p. 12-13). Sur la Commission temporaire est encore fondamental R. Cobb, «La Commission temporaire de Commune Affranchie (brumaire-germinal an II). Étude sur le personnel d’une institution révolutionnaire», dans Terreur et Subsistances 1793-1795, Paris, Librairie Clavreuil, 1965, p. 55-94 (première éd. : Cahiers d’histoire, 1957, t. 2, p. 23-57).

(25) Sur la « radicalisation cumulative du discours » – en ce qui concerne non seulement la Révolution française mais la logique des révolutions en tant que telles – cf. P. Guennifey, La politique de la Terreur. Essai sur la violence révolutionnaire (1789-1794), Paris, Fayard, 2000, p. 230. La notion avait été employée par Hans Mommsen dans ses études sur le national-socialisme.

(26) Séance au Club des jacobins du 11 fructidor an II (28 août 1794) : cf. Réimpression de l'Ancien Moniteur, tome XXI, Paris, Henri Plon, 1841, p. 650-652 : p. 651.

(27) Cf., par exemple, Discours prononcé par le représentant du peuple J. B. Louvet dans la séance du 14 Prairial, an III (2 juin 1795), Paris, Imprimerie de la République, Prairial, an III, p. 12 : « Douce fraternité, paix charmante, accord de tous les citoyens entr'eux, quand donc reviendrez-vous consoler ces régions désolées ! » Pour la version du Moniteur cf. Réimpression de l'Ancien Moniteur, tome XXIV, Paris, Plon Frères, 1854, p. 607-612 : p. 610.

(28) Sur l'interprétation de la formule « fraternité ou la mort » cf. M. David, Fraternité et Révolution française, Paris, Aubier, 1987, p. 166-197 ; A. Simonin, Le déshonneur dans la république. Une histoire de l’indignité 1791-1958, Paris, Grasset, 2008, p. 37, 222-226 ; M. Biard, La liberté ou la mort. Mourir en député, Paris, Tallandier, 2015, p. 261 : note 13. La manipulation thermidorienne du signifié du syntagme « ou la mort », comme mort à infliger aux autres (suggérée, semble-t-il, pour la première fois par Chamfort) peut être démontée par l'enquête lexicométrique : il nous a suffit de chercher dans les corpora numérisés les cooccurrences de « fraternité » et la chaîne de la famille lexicale de « mort ». Cf., par exemple, Archives parlementaires, vol. 77, p. 698 (Séance du 7 brumaire an II : 28 octobre 1793) : « La commune de Montoire a accepté avec joie cette Constitution, et renouvelle le serment de fidélité à la République une et indivisible et de maintenir de tout son pouvoir la liberté, l'égalité, la fraternité ou de mourir en les défendant ». Nous n'avons pas connaissance de données textuelles relatives à un possible troisième signifié (outre ceux de subir ou de donner la mort) de l’association entre « fraternité » et « mort » (sois mon frère que je te tue) : cf. J. André, La révolution fratricide : Essai de psychanalyse du lien social, Paris, PUF, 1993, p. 182.

(29) Cf. C. Vetter, « “Système de terreur” et “système de la terreur” dans le lexique de la Révolution française », Révolution Française.net, octobre 2014.

(30) Cf. M. Linton, « Robespierre et l’authenticité révolutionnaire », Annales historiques de la Révolution française, 371, 2013, p. 153-173 ; Idem, Choosing Terror, cit., passim.

(31) Cf., par exemple, comment le duc d’Orléans est présenté dans une adresse envoyée en octobre 1793 à la Convention Nationale par la Société populaire et républicaine de Saint-Quentin : « faux jacobin, il venait s'asseoir parmi les patriotes pour mieux les tromper, sous le masque de la fraternité » (Archives parlementaires, vol. 78, Séance du 4 novembre 1793, p. 251).

(32) Sur les capacités performatives du mot « fraternité » cf. en particulier M. Hunyadi, « Dangereuse fraternité ? », dans O. Inkova (sous la direction), Justice, liberté, égalité, fraternité : sur quelques valeurs fondamentales de la démocratie européenne, Genève, Institut européen de l’Université de Genève, 2006, p. 153-172 ; J.-P. Rosa, « La dynamique de la fraternité. Une fraternité sans père ? », dans M. –Jo Thiel, M. Feix (éditeurs), Le défi de la fraternité, Zürich, Lit Verlag, 2018, p. 45 – 57.

(33) Sur le rapport entre fraternité et terreur cf. M. David, Fraternité et Révolution française, cit., p. 17-197. Sur la question fraternité et guerre révolutionnaire cf. M. Belissa, Fraternité universelle et intérêt national (1713-1795), Paris, Kimé, 1998, p. 253-433.

(34) Cf. M. Ozouf, La Révolution française et l’idée de fraternité, dans L’homme régénéré, Paris, Gallimard, 1989, p. 158-182 : p. 173-175.

(35) Cf. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57093h. En ce qui concerne l'emploi du mot « fraternité » dans Barère cf. M.-Th. Bouyssy, Fraternité chez Bertrand Barére en l’an II, dans Equipe "18ème et Révolution", Langages de La Revolution (1770-1815), Paris, Klincksieck, 1995, p. 523-533.

(36) Archives parlementaires, tome VIII (Séance du lundi 17 août 1789), p. 439.

(37) Cf. C. Vetter, «“Fraternité” nel lessico della Rivoluzione francese», cit.

(38) R. Darnton, The Kiss of Lamourette, New York, Norton, 1990. Pour un cadre complet du parcours de Lamourette avant et pendant la Révolution cf. en particulier D. Menozzi, Philosophes e chrétiens éclairés : politica e religione nella collaborazione di G. H. Mirabeau e A. A. Lamourette (1774-1794), Paideia, Brescia, 1976 ; D. Sorkin, The Religious Enlightenment: Protestants, Jews and Catholics from London to Vienna, Princeton University Press, Princeton, NJ, 2008, p. 261-309 ; C. Chopelin-Blanc, De l'apologétique à l'Eglise constitutionnelle : Adrien Lamourette (1742-1794), Paris, Honoré Champion, 2009. Darnton interprète l'épisode du baiser dans la clé possibilism versus giveness of things. Pour d'autres interprétations, voir en particulier : D. Sorkin, “THE KISS OF LAMOURETTE” “Possibilism” or “Christian Democracy”?, dans W. Breckman, P. E. Gordon, A. Dirk Moses, S. Moyn and E. Neaman (edited by), The Modernist Imagination. Intellectual History and Critical Theory. Essays in Honor of Martin Jay, Berghahn Books, New York – Oxford, 2009, p. 3 – 23; C. Chopelin-Blanc, « Le « baiser Lamourette » (7 juillet 1792) », Annales historiques de la Révolution française, 355, janvier-mars 2009, p. 73 – 100 ; A. O'Connor, « “Through the bonds of sentiment”: Fraternité and politics in revolutionary France », dans L. Kontler & M. Somos (Eds.), Trust and Happiness in the History of European Political Thought, Brill, Leiden, 2018, p. 412-435.

(39) A. Lamourette, Prônes civiques ou le Pasteur Patriote, Paris, Lejay, s.d. (1791) : Prône III, p.4 ; Prône IV, p. 27.

(40) Archives parlementaires, vol. 46, p. 211-212.

(41) Lettre de Adrien Lamourette, évêque métropolitain du département de Rhône-et-Loire, aux habitants des campagnes de ce département, Lyon, Imprimerie d’Amable Leroy, 14 juillet 1793, p .1. Le terme « monstre » est employé à p. 2. Les termes « hideux », « infâmes », « hommes pervers » à p. 3. Les termes « scélérats » et « méchants » respectivement à p. 4 et à p. 7. L’expression « faux patriotes » figure à p. 6.

(42) Lettre de Adrien Lamourette, évêque métropolitain du département de Rhône-et-Loire, aux habitants des campagnes, cit., p. 4-5.

(43) Cf. J.-P. Gross, Égalitarisme jacobin et droits de l’homme. 1793-1794 (La Grande famille et la Terreur) (1997), Paris, Arcantères, 2000, p. 102.

(44) F. Furet, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978, p.84.

(45) Pour une mise au point récente et équilibrée du rapport entre circonstances et idéologie dans les dynamiques d'ensemble de la Révolution française, et notamment dans la question de la Terreur, cf. T. Tackett, The Coming of the Terror in the French Revolution, Cambridge (Mass.)-London, Harvard Univ. Press, 2015.

(46) A. Soboul, Robespierre ou les contradictions du jacobinisme (1977), dans Idem, Portraits de révolutionnaires, Paris, Messidor, 1986, p. 223-242 : p. 240.

(47) Cf. Y. Bosc, « Sur le principe de fraternité », Révolution Française.net, janvier 2010. Les suggestions heuristiques de Yannick Bosc se reflètent dans de nombreux documents, sur lesquels nous sommes en train de travailler en vue de l'essai sur Lamourette, en cours d'élaboration avancée. Parmi les différents documents, nous pouvons mentionner – sur l'indication de Bosc lui-même – le Dictionnaire raisonné de plusieurs mots qui sont dans la bouche de tout le monde, dans lequel dans on peut lire : « Dans un moment de disette, réelle ou artificielle, le peuple meurt de faim. (...) L'alliance commune est rompue, les hommes ne sont plus des frères, ils sont ennemis les uns des autres » (cit., voir liberté, p. 102).

(48) Auprès du Département de Sciences Humaines de l'Université de Trieste nous avons construit et continuons à élargir – grâce notamment au travail de Marco Marin – un corpus numérisé des sources de la Révolution française. Le corpus – qui pour le moment ne peut pas être mis en ligne à cause des contraintes liées aux droits d'auteur – compte plus de 7 000 000 de tokens et comprend la bibliographie suivante : Œuvres politiques de Marat (10 vol., Bruxelles, Pôle Nord, 1989-1993) et d’autres écrits de Marat de la période qui précède la Révolution ; Œuvres de Maximilien Robespierre (11 vol., Paris, SER, 2000-2007) ; Œuvres complètes de Saint-Just (Paris, Lebovici, 1984) ; le journal de Hébert (Le Père Duchesne, 10 vol., Paris, EDHIS, 1969) ; Du Bonheur de Lequinio (20 brumaire an II) ; 113 catéchismes politiques de la Révolution française, numérisés par Marco Marin ; trois volumes des Révolutions de France et de Brabant par Desmoulins, pour un total de 38 numéros, qui correspondent aux publications à partir du mois de décembre 1789 jusqu'à quelques mois du 1790 (en particulier de janvier à mai et de septembre à novembre). Le corpus de Desmoulins est encore fragmentaire puisque la numérisation est en cours.

(49) Cf. C. Vetter, M. Marin (sous la direction), La felicità è un’idea nuova in Europa. Contributo al lessico della rivoluzione francese, 2 vol., Trieste, EUT, 2005-2013.

(50) Hébert, Le Père Duchesne, cit., tome VIII (N° 244, s.d., p. 4); tome VIII (N° 277, 26 août 1793: p.5); tome IX (N° 307, 7 novembre 1793: p. 7).

(51) Œuvres politiques de Marat, cit., tome II, p. 1135 (L’Ami du peuple n° 177, 30 juillet 1790 : p. 1131-1136).

(52) En tout cas Saint-Just semble préférer l’« amitié » à la « fraternité ». Dans les Œuvres complètes de Saint-Just (cit.) « amitié » compte 11 occurrences ; « ami(s) » 151 occurrences ; « frère(s) » 107 occurrences. Nous trouvons 8 occurrences de « fréres et amis ».

(53) Cf. F. Gauthier, Triomphe et mort du droit naturel en Révolution. 1789-1795-1802, Paris, PUF, 1992, p. 129 ; M. Belissa, Y. Bosc, Robespierre. La fabrication d’un mythe, Paris, Ellipses, 2013, p. 50 ; H. Leuwers, Robespierre, Paris, Fayard, 2014, p. 146-150 ; Y. Bosc, Le peuple souverain et la démocratie. Politique de Robespierre, Paris, Éditions critiques, 2019, p. 23 - 44.

(54) M. Robespierre, Discours sur l’organisation des gardes nationales (5 décembre 1790), dans Œuvres, cit., tome VI, p. 610-655 : p. 643.

(55) Dans le corpus Desmoulins qui a été numérisé jusqu'à présent (Révolutions de France et de Brabant, vol. 2, 3, 5) il y a 12 occurrences de « fraternité » (FRN : 0,00303%).

(56) C. Desmoulins, Révolutions de France et de Brabant, N° 35 (juillet 1790), p. 515.

(57) Des considérations analogues valent pour le Sermon sur l’accord de la religion et de la liberté, prononcé par Claude Fauchet le 4 février 1791 : cf. M. David, Fraternité et Révolution française, cit, p. 70.

(58) Il convient de rappeler que – à partir de Aulard (1904) – l'historiographie a longtemps indiqué dans le mois de mai 1791 (club des Cordeliers) la date de naissance de la devise républicaine. Nous trouvons encore cette datation dans M. Ozouf, Liberté, égalité, fraternité, dans P. Nora (sous la direction de), Les Lieux de mémoire, III, Paris, Gallimard, 1997, p. 4353-4388 : p. 4357. Gérald Antoine affirme – sans toutefois produire des preuves – que la devise remonte à 1789 : cf. G. Antoine, Liberté-Égalité-Fraternité ou les fluctuations d'une devise, Paris, UNESCO, 1981, p. 31.

(59) Pour la première attestation dans les Archives Parlementaires des trois mots placés l'un à côté de l'autre, quoique non dans l'ordre qu'ils auront dans les successives mises au point de la devise révolutionnaire, cf. vol. 16, Séance du samedi 19 juin 1790, p. 372 ; pour la première attestation dans les Archives Parlementaires des trois mots réunis dans l'ordre avec lequel ils se présentent dans la devise révolutionnaire cf. vol. 55, Séance du vendredi 21 décembre 1792, p. 346. Dans le recueil de Aulard nous avons trouvé une seule occurrence de la chaîne « liberté, égalité, fraternité », dans une intervention de Vadier du 22 mai 1794 : «Vous retrouverez dans les Jacobins les amis de tous les bons citoyens, les frères de tous ceux qui veulent avec nous la République une et indivisible, la liberté, l'égalité, la fraternité ou la mort ». Cf. F. A., Aulard, La société des Jacobins. Recueil des documents pour l’histoire du club des jacobins de Paris, 6 vol., Paris, Jouaust-Noblet-Quantin, 1889-1897, vol. VI, p. 145.

(60) Cf. A. M. Baggio, L'idea di "fraternità" tra due Rivoluzioni: Parigi 1789 - Haiti 1791, dans A. M. Baggio (sous la direction ), Il principio dimenticato. La fraternità nella riflessione politologica contemporanea, Roma, Città Nuova Editrice, 2007, p. 25-56: p. 29-30.

(61) Cf. A. Aulard, La devise « Liberté, Égalité, Fraternité » (1904), dans Études et leçons sur la Révolution française, Paris, Félix Alcan Éditeur, 1910, p. 6-26 : p. 14-18 ; M. Borgetto, La devise, cit., p. 32-33. Sur Momoro et l’idée de fraternité (qualifiée comme « fraternité sociale ») cf. D. Bonnamy, Un homme pour une idée : François-Antoine Momoro et la fraternité, dans F. Brahami, O. Roynette (sous la direction), Fraternité : Regards croisés, cit., p. 61 -79.

(62) Le fréquent rappel à Fénelon en tant qu'inspirateur de la devise est, à notre avis, exagéré. Dans le passage de Les aventures de Télémaque (1699), invoqué au soutien de cette généalogie, non seulement le triptyque n'y figure pas, mais nous ne trouvons que l'adjectif « fraternelle » dans une phrase et dans une autre non consécutive « libres et égaux » : Fénelon, Les aventures de Télémaque, dans Œuvres de Fénelon, tome XX, Paris, Lebel, 1824, p. 170. Compte tenu du saut qualitatif dans le taux de conceptualisation que le substantif abstrait « fraternité » présente par rapport aux autres formes de la même famille lexicale, à notre avis on devrait également exclure de la généalogie de la devise les exemples si fréquemment cités de Voltaire (1755) et de Mably (1758) : cf. M. Borgetto, La devise, cit., p. 14.

(63) Dans les Archives parlementaires en ligne nous avons trouvé seulement trois cooccurrences «devise» - «liberté, égalité, fraternité» : cf. vol. 72, p. 111 ; vol. 74, p. 404 ; vol. 82, p. 658. Dans les trois cooccurrences la séquence «liberté, égalité, fraternité» est toujours contournée d’autres mots et dans les deux dernières cooccurrences de l’ajout «ou la mort». Dans les catéchismes révolutionnaires nous avons trouvé seulement une cooccurrence : Catéchisme du citoyen, à l’usage des jeunes républicains français, par le citoyen Sérane, Paris, Imprimerie de Martin, an II, p. 3 : « La devise d'un bon Républicain français est: Liberté, Égalité, Fraternité ».

(64) Dans les onze volumes des Oeuvres « liberté » a 4671 occurrences (FRN : 0,2696), « égalité » 502 occurrences (FRN : 0,0290). En ce qui concerne la fréquence absolue et relative de certains mots à forte teneur sociopolitique dans le lexique de Robespierre cf. C. Vetter, M. Marin, E. Gon, Dictionnaire Robespierre. Lexicométrie et usages langagiers. Outils pour une histoire du lexique de l’Incorruptible, Trieste, EUT, 2015. Pour Hébert, Marat et Saint-Just cf. C. Vetter, M. Marin (sous la direction), La felicità è un’idea nuova in Europa, cit.

(65) Une fois de plus en avril 1793 Robespierre rappelle avec force « les devoirs de fraternité qui unissent tous les hommes et toutes les nations ». Cf. M. Robespierre, Sur la nouvelle Déclaration des Droits (24 avril 1793), dans Œuvres, cit., tome IX, p. 459-471 : p. 463.

(66) M. Robespierre, Contre les banquets patriotiques (28 messidor an II : 16 juillet 1794), dans Œuvres, cit., tome X, p. 533-535 : p. 534. Sur les banquets fraternels de l'an II cf. J.-P. Gross, Le Banquet fraternel de l’an II, dans J.-P. Bertaud, F. Brunel, C. Duprat, F. Hincker (éditeurs), Mélanges Michel Vovelle : Sur la Révolution, approches plurielles, Paris, Société des Études Robespierristes, 1997, p. 253-260.