Réponse de Jean-Clément Martin à la recension d'Anne-Marie Coustou Réplique
vendredi 16 décembre 2016Jean-Clément Martin nous a adressé cette réponse à la recension de son ouvrage Robespierre, la fabrication d'un monstre par Anne-Marie Coustou. Nous la publions intégralement. A la différence de Jean-Clément Martin, nous ne voyons dans cette recension ni propos "diffamatoires" ni "procès politique" mais une critique argumentée de son livre.
La rédaction
Intitulé « Robespierre, la fabrication d’un médiocre », le texte de Mme Coustou consacré à mon livre Robespierre. La fabrication d’un monstre accumule tant de déformations et d’accusations mensongères, que j’attends de la revue qui l’a diffusé, Révolution Française.net, la publication de ma réponse et une mise au point désavouant des propos inexacts voire diffamatoires. La recherche systématique de confusions, d’intentions perverses et de désinformations est inadmissible d’autant qu’elle s’appuie sur des citations tronquées ou mal comprises, voire dévoyées.
Il n’est pas possible de relever exhaustivement les propos délibérément erronés et malveillants. Le titre de ce texte insistant sur « médiocre » en est un exemple. En citant la phrase p. 328 du livre « En dotant Robespierre et le jacobinisme d’une telle importance et d’une telle autonomie, les Thermidoriens incitent à confondre l’histoire de la Révolution avec l’action d’un homme, exaltent sa puissance, gomment ses défaillances et font oublier la médiocrité de son rôle effectif » l’auteur oublie la phrase suivante « non seulement il est chargé de l’échec de l’entreprise révolutionnaire mais il en devient le seul initiateur ». Dit autrement, je démontre que Robespierre a été l’un parmi les grands personnages de la Révolution, avec lesquels il a partagé des idées et des décisions. En le suivant j’insiste sur le fait qu’il n’a pas été isolé mais qu’il a été au cœur de la vie politique en jouant un rôle parfois de premier plan, parfois plus retiré, comme l’ont fait les Marat, Danton, Barère, sans parler de Billaud-Varenne ou encore de Vadier, homme essentiel quoique peu apparent. La démonstration vise cependant à comprendre comment en juillet 1794 il devient le seul « tyran », le seul « monstre » qui est rendu responsable de tout ce qui vient de se produire. Dire qu’il n’a pas été le « dictateur », le « grand leader » ou comme des émissions de télévision le disent « président de la Convention » ne me semble pas considérer Robespierre comme un « médiocre », au contraire permet de le ranger parmi ceux qui ont gouverné la France avant qu’ils ne l’accusent de tous les maux ! Et pourquoi ne pas voir l’articulation avec l’ouvrage de M. Bélissa et Y. Bosc qui ont insisté sur le « mythe » né après thermidor ?
Cette façon de tirer des accusations perfides de ce que j’ai écrit est particulièrement visible dès l’introduction du texte qui ne relève que l’évocation de la polémique à propos de la tête de Robespierre de la page 8 du livre pour renverser ma démonstration et en faire une présentation à charge, exactement contraire à ce qui est écrit. L’auteur oublie de surcroît que j’ai pris position publiquement en faveur de l’attribution d’une rue à Paris en mémoire de Robespierre.
Les citations du livre sont ainsi systématiquement biaisées. Le meilleur exemple est la phrase tirée de la recension : « C’est ainsi qu’il affirme que l’historiographie « le voit plutôt comme un révolutionnaire en chambre condamné pour avoir perdu tout contact avec la réalité » (p. 294) » pour m’accuser d’a priori exécrables, quand la page 294 contient exactement : « La vision d’un Robespierre agresseur potentiel est peu retenue par l’historiographie, qui le voit plutôt comme un révolutionnaire en chambre condamné pour avoir perdu tout contact avec la réalité ». Dit autrement, je prends exactement le contrepied de l’historiographie en général et de tous les courants en particulier sans me rallier à aucun d’entre eux.
Quant à ce qui est conclu par l’auteur des phrases « l’insurrection se prépare, portée par Marat, par Billaud-Varenne, par Danton, et encore par le brasseur Santerre… » (p. 164), mais que « Robespierre suit plus qu’il ne précède » (page 166), je ne vois pas ce qui est faux ou injurieux, d’autant que p. 164, je mentionne l’intervention de Robespierre auprès des fédérés et que p. 166 la suite de la phrase incriminée insiste sur le fait qu’il légitime l’insurrection.
Insinuer que « toute la suite de l’ouvrage conforte cette analyse d’un personnage qui soigne son image mais reste en marge des événements » est contredit par le livre qui suit au contraire la ligne politique de Robespierre qui est soucieux de résoudre les contradictions posées par la nécessité de l’usage de la violence et l’obligation de légiférer ! (notamment p. 167)
Quant l’auteur me tance avec cette affirmation : « Rappelons également que « l’état-major » de l’insurrection se réunissait chez les Duplay, dans le logement de son ami Anthoine et que plusieurs amis de Robespierre en faisaient partie, notamment Simon de Strasbourg et Lazowski. D’ailleurs, les Girondins Isnard et Brissot ne s’y trompèrent pas, puisqu’ils menacèrent de dénoncer Anthoine et Robespierre devant l’Assemblée pour les faire envoyer devant la Haute Cour », j’écris à la page 166 du livre : « rien ne prouve qu’il (Robespierre) ait préparé la journée du 10 août, même si le Comité insurrectionnel s’est réuni chez Anthoine, Jacobin qui loge également chez les Duplay… » et quelques lignes plus loin je rappelle que Robespierre prend le parti des insurgés contre les députés, ce qui peut expliquer effectivement qu’il joue aussitôt « un rôle politique actif » toujours p. 166. Il ne s’agit pas d’une recension mais d’un procès politique trafiquant des preuves.
Sans pouvoir tout reprendre, il faut citer enfin une autre accusation témoignant d’une lecture rapide et orientée : « J.-C. Martin cite très peu de jugements portés sur l’Incorruptible par ses contemporains. En plus de celui de Manon Roland cité plus haut, notons le suivant : « Ce petit homme à la folle vanité » (p. 99). Ce « reproche » (sic) que lui adresse Charles de Lameth est repris à son compte par Martin pour illustrer son propos selon lequel «… en invoquant les grands principes, il ruine les tactiques nécessaires à la vie démocratique ». Rappelons que Robespierre revendique toujours l’égalité des droits, et notamment le suffrage universel. » Outre le fait que c’est le suffrage universel masculin qui est en cause, les droits des femmes n’étant jamais évoqués par Robespierre – ce qui est simplement un constat sous ma plume, entérinant un état de fait commun à la quasi totalité des hommes de l’époque – si le reproche de Lameth est cité c’est parce qu’il rend compte de ce qui est dit contre Robespierre, sans que je l’avalise en tant que tel (p. 99). Ce que la p. 100 dit d’ailleurs expressément puisque j’insiste sur Robespierre rompant avec les tactiques parlementaires pour chercher les moyens de bâtir une société vraiment révolutionnée.
Il est hors de question d’accepter les sous-entendus de l’auteur sur la description d’un Robespierre incapable de penser (comme le veulent toutes les remarques détachées du livre à propos de ligne « claire » ou « cohérente »). Je renvoie notamment à la p. 134 dans laquelle je mets en valeur la complexité de son approche, les alliances qu’il ébauche et les difficultés qu’il devra vaincre, toutes choses qui témoignent d’une réflexion d’un homme d’action confronté à une situation délicate. Qu’il n’ait pas de « programme précis » (id.) est en l’occurrence plutôt un compliment adressé à quelqu’un qui a la possibilité d’adopter un recul vis-à-vis de la gestion quotidienne. Pourquoi faut-il voir Robespierre comme LE philosophe délivrant une parole sacrée du haut de la tribune ou du fond d’une chambre, quand on le voit, au contraire, s’impliquer dans les conflits, porter la parole du comité de Salut public notamment, en faisant varier ses positions.
Le pire est lorsque je n’aurais pas « voulu magnifier sa doctrine politique et sa vision historique, n’ayant pu établir un corps de pensée structuré sur des principes originaux et cohérents. » (tiré du livre p. 344) » Le problème est que la totalité de la phrase est la suivante : « nous n’avons pas voulu accabler Robespierre comme seul responsable de la violence révolutionnaire, parce que rien dans les archives et les mémoires ne permet de l’affirmer ; pas plus que nous n’avons voulu magnifier sa doctrine politique et sa vision historique, n’ayant pu établir un corps de pensée structuré sur des principes originaux et cohérents ». Qu’il ait partagé des idées et des principes avec Le Chapelier, Pétion, Saint-Just, Couthon, Payan et Le Bas comme je le dis quelques lignes plus haut (et j’aurais dû citer Billaud-Varenne sur lequel j’insiste à de nombreuses reprises) me semble être une vérité de bon sens qui n’enlève rien à Robespierre mais qui évite d’en faire le personnage central de la Révolution, comme tous les critiques ordinaires le disent, surtout pour lui faire à nouveau porter toutes les responsabilités et notamment toutes les exactions, y compris celles qu’il a dénoncées !
Je n’entrerai pas dans les querelles entre chercheurs auxquelles je n’ai jamais voulu prendre part à propos de l’abolition de l’esclavage et de la position des uns et des autres, ni sur les rapports entre Brissot et Robespierre (dont H. Leuwers a bien rendu compte), ni sur l’opposition à Cambon le 8 thermidor, toutes choses sur lesquelles les débats sont ouverts et les conclusions incertaines. J’avoue ne pas comprendre les arguties sur la violence et la peine de mort. En revanche, il n’est pas acceptable d’être suspecté d’ « ignorance des enjeux politiques » à propos du « coup d’Etat » des 31 mai-2 juin 1793 au prétexte que « L’action du peuple de Paris le 2 juin n’avait pas pour fonction de prendre le pouvoir, mais bien de destituer de leur fonction des représentants indignes qui avaient trahi le peuple, afin d’obliger la convention à remplir sa mission au service du peuple, conformément aux principes de la démocratie et du droit naturel. » Cette position de l’auteur est uniquement idéologique, elle est sans rapport avec la montée des antagonismes et la résolution des conflits, elle est au-delà de ce qui est démontrable. La même chose se produit à propos de la vertu et des sentiments religieux, question sur laquelle je ne statue pas avec la prétention de pouvoir trancher comme le fait l’auteur de ce texte ni sur Montesquieu qui évoquait l’ambiguïté du mot vertu, hésitant entre vertus païennes, chrétiennes, ni sur ce que les contemporains pensaient de la « république » surtout quand ils décrétaient « le gouvernement révolutionnaire » pour le soustraire à toute pression politique. Je me garde pour autant de porter un jugement moral sur l’auteur de ces lignes, sauf à lui rappeler qu’elle doit elle aussi faire preuve de la même retenue en écrivant dans une revue scientifique.
Je renvoie enfin l’auteur de ce texte à ses sources à propos de la fête de l’Etre suprême et à la montée des tensions jusqu’au 27 juillet, en refusant les amalgames dépréciatifs fait avec les thèses thermidoriennes et les accusations de dérives totalitaires. Que les élèves de l’Ecole de Mars aient précipitamment prêté serment à la Convention avant que l’Ecole ne soit dissoute mérite plus qu’un revers de main. Sur la mort infâme, il vaudrait mieux lire ce que j’ai écrit, puisque je rapporte seulement ce qui a été fait pour déprécier les victimes des exécutions, et que je ne suis pas « agacé » de voir Robespierre devenir un « géant » en 1795. Je n’entends évidemment pas répondre aux jugements conclusifs, qui jugent davantage l’auteur de la recension que mon livre.
Jean-Clément Martin