Les héritages des républicanismes et la république comme utopie Annonces
samedi 20 novembre 2010Les héritages des républicanismes et la république comme utopie, atelier du Congrès Marx International VI hors les murs associé au Centre d'Histoire des Systèmes de Pensée Moderne (Paris 1), se tiendra le samedi 27 novembre 2010 de 10h à 18h à l'Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, 12 place du Panthéon, 2e étage, salle 216.
Les problématiques du républicanisme, principalement connues par des travaux anglo-saxons, sont peu présentes en France. Les équivalents français de ces recherches en histoire politique et histoire des concepts ou des idées, quant à eux, ne dépassent guère le cercle étroit des spécialistes, au demeurant peu nombreux. Il s'agira dans cet atelier, de poursuivre, d'approfondir et d'élargir la réflexion entamée en 2008 lors du colloque Républicanismes et droits naturels, en se concentrant sur trois points qui sont apparus comme les principaux blocages : d'abord, le fait que la notion de républicanisme est réputée avoir épuisé ses potentialités révolutionnaires et semble désormais, en France, fixée peu ou prou aux valeurs de la IIIe République ; ensuite que le républicanisme est séparée des traditions jusnaturalistes et socialistes ; enfin, que l'approche standard des expériences républicaines tend à les cloisonner dans le temps et dans l'espace.
L'un des objectifs sera donc d'étudier les modalités de cet épuisement des notions de république et de républicanisme, apparemment dévitalisées et figées, la république étant en France essentiellement réduite à un type de gouvernement hostile à la monarchie. A contrario il s'agira d'une part, de réactiver ces notions en restituant à la république le statut de concept d'attente – plus que d'utopie – , tel que le définit Reinhart Koselleck, et, d'autre part, de mettre cette notion de concept d'attente – qui selon Koselleck est généré par la Révolution française – à l'épreuve des traditions républicaines antérieures à 1789. Avec la Révolution française, Koselleck considère en effet que « l'ancien concept global de Res publica, qui avait jusqu'alors inclus toutes les formes de dominations (…) acquiert un caractère d'exclusivité plus étroit mais en relation avec le futur » et « se transforme en concept d'attente ». Koselleck s'appuie sur Kant, selon lequel « l'expression de républicanisme (…) implique le principe du mouvement de l'histoire dont la progression constitue un véritable impératif moral de l'action politique. Quelle que soit aujourd'hui la constitution en vigueur, l'important à long terme est de remplacer la domination de l'homme par l'homme par la domination des lois ; ce qui importe en un mot c'est de réaliser la république. Le républicanisme est donc un concept de mouvement permettant d'actualiser dans le champ d'action politique les promesses contenues dans la notion de progrès pour l'ensemble de l'histoire » (Le futur passé, 1979, trad.1990, p.325).
L'approche standard tend à séparer le républicanisme et le socialisme. Dès lors nous connaissons mal les liens, les transferts ou les ajustements entre les traditions républicaines et le socialisme révolutionnaire qui se développe au XIXe siècle. Dans quelle mesure, par ailleurs, la tradition républicaine intègre-t-elle une dimension socialiste au sens large d'une socialisation d'une partie des biens ou des moyens de production et dès lors que recouvre la notion de propriété ? Ces questions ont un champ d'application très concret puisque récemment, l'opérateur de téléphonie SFR a attaqué en justice le syndicat SUD au motif que, ses statuts renvoyant à l'autogestion socialiste, ils enfreignaient les principes républicains garantissant la propriété. Du socialisme ou de la propriété, qu'est-ce qui est le plus républicain ? Au delà, il s'agit de prendre en considération le républicanisme dans sa dimension critique de l'impérialisme.
Suivant le schéma pocockien, l'approche standard oppose le républicanisme et les traditions jusnaturalistes. La première qui serait caractérisée par ses tendances holistes, sacrifiant les intérêts individuels à ceux du groupe, met en avant la vertu, le civisme. La seconde au contraire, qui fonde le libéralisme, serait construite sur l' individualisme et le droit, et donc incompatible avec les contraintes de la vertu. Les recherches actuelles sur le républicanisme dans l'Angleterre du XVIIe siècle, la France du XVIIIe siècle et la Révolution française, montrent qu'un tel schéma sur lequel se fonde l'opposition de la liberté des modernes et des anciens (Benjamin Constant) est intenable et doit être reconsidéré. Le simple intitulé de la Déclaration des droits de l'homme ET du citoyen nous invite à penser ensemble la vertu et le droit. On notera que Pettit et Skinner qui pourtant caractérisent le républicanisme par liberté comme non domination éludent également le droit naturel moderne.
Enfin, le cloisonnement dans le temps et dans l'espace des expériences républicaines et jusnaturalistes, sont un frein à l'étude des dynamiques, des circulations des catégories et des expériences, des déplacements et des traductions. Il y aurait par exemple, au XVIIIe siècle, un modèle nord américain et un modèle français qui seraient incompatibles (Habermas). L'émergence des problématiques du droit naturel au XIIe siècle tout comme l'Ecole de Salamanque au XVIe siècle sont découplées de la synthèse Lockienne à la fin du XVIIe siècle anglais, elle-même considérée comme étrangère à la tradition républicaine. Aux cloisonnements des traditions nationales s'ajoutent ceux des disciplines académiques.
Considérer les héritages des républicanismes consiste donc en un réexamen de la théorie standard, à partir duquel seront envisagées de nouvelles pistes de réflexions fondées sur les croisements de ce qui est habituellement séparé, tant en ce qui concerne les champs disciplinaires que les problématiques. Il s'agira donc de considérer les liens avec les autres traditions politiques construites sur le principe de liberté et de confronter les expériences dans le temps et dans l'espace.
Les organisateurs : Yannick Bosc, Remi Dalisson, Jean-Numa Ducange, Christopher Hamel, Carine Lounissi
Programme :
MATIN : 10h-13h
- Florence Gauthier (Paris 7), Éléments d'histoire du droit naturel : critique de Michel Villey
- Yannick Bosc (Rouen), Révolution française : refonder les problématiques du républicanisme
- Sophie Wahnich (CNRS), La critique postcoloniale de la république, une utopie de république en creux ?
- Christopher Hamel (Rouen), Milton, Sidney et le républicanisme anglais au XVIIe siècle
- Christophe Miqueu (Bordeaux 4), La modernisation de l’héritage républicain à l’âge classique : les cas Spinoza et Locke
APRES-MIDI : 14h-18h
- Raymonde Monnier (CNRS), Tradition et innovation : transfert et réception des textes républicains autour de 1789
- Stéphanie Roza (Paris 1), Mably : jusnaturalisme, républicanisme et utopie
- Carine Lounissi (Rouen), Le républicanisme libéral de Thomas Paine
- Marc Belissa (Paris 10), les leçons de républicanisme de Paine lors de son retour aux Etats-Unis en 1802
- Renaud Quillet (Amiens), Par delà les Anciens et les Modernes, le républicanisme de Jules Barni
- Jean-Numa Ducange (Rouen), La social-démocratie allemande et la République avant 1914
- Jean-Yves Frétigné (Rouen), Lecture de la Révolution française par Antonio Gramsci
Résumés des communications :
Marc Belissa (Paris 10), Les leçons de républicanisme de Paine lors de son retour aux Etats-Unis en 1802
En 1802, Thomas Paine revient aux États-Unis pour y mourir en 1809. Les textes politiques du vieux révolutionnaire dans ses dernières années sont largement consacrés à la question de ce qu’est le républicanisme moderne dans ses pratiques, notamment dans les huit Letters to the citizens of the United States publiées entre le 15 novembre 1802 et le 7 juin 1805. Trois thèmes émergent de ce corpus : tout d’abord, celui des factions et des partis dans la république, deuxièmement, la question de la perfectibilité du régime républicain et des mécanismes constitutionnels qui doivent en assurer l’expression, et enfin la question des formes que doit prendre la "mémoire" du moment fondateur révolutionnaire dans le maintien de la vertu républicaine. Ces trois thèmes dessinent ce qui me semble être des "leçons de républicanisme" à destination de la génération nouvelle dont la portée pratique en font des documents de premier plan sur la transition et les recompositions entre républicanismes "classique" et "moderne".
Yannick Bosc (Rouen), Révolution française : refonder les problématiques du républicanisme
L'interprétation dominante des républicanismes pendant la Révolution française s'inscrit dans le récit standard de la modernité qui oppose les « anciens » et les « modernes ». De cette opposition présumée résulterait deux conceptions de la république : les « anciens » seraient tournés vers les modèles politiques passés et défendraient une société holiste, alors que les « modernes » auraient perçu les nouveaux enjeux de l'économie et favoriseraient l'individu contre le groupe. Les premiers, potentiellement totalitaires, se recruteraient parmi les montagnards, les seconds seraient en particulier représentés par la mouvance girondine qui incarnerait les valeurs des droits de l'homme et les principes d'une économie politique républicaine. Contre ce schéma interprétatif qui d'emblée exclut les montagnards de la course à la modernité, il s'agira ici de considérer l'économie politique girondine comme un type de républicanisme qui cherche à s'émanciper des contraintes des principes du droit naturel et, a contrario , de voir l'économie politique populaire (selon l'expression de Robespierre) comme un type de républicanisme qui cherche à intégrer les contraintes des principes du droit naturel. De nos jours, face à l'épuisement du paradigme productiviste, le républicanisme fondé sur les principes du droit naturel à l'existence prôné par les Montagnards offre une ressource pour concevoir un principe républicain de justice qui permette de tenir ensemble ce que l'idéologie néo-libérale sépare : la protection sociale et la liberté.
Jean-Numa Ducange (Rouen), La social-démocratie allemande et la République avant 1914
Cette communication reviendra sur un des problèmes politiques les plus controversés dans le SPD d’avant-guerre, la pertinence de revendiquer une République allemande. Le contenu de celle-ci ne peut se comprendre qu’en reconstituant les enjeux précis du débat dans le contexte de l’époque : que signifie être républicain pour un social-démocrate dans l’Allemagne wilhelmienne ? Au miroir de quelles expériences et de quels modèles ? Quelle légitimité pour ce type de revendications politiques spécifiques à côté des luttes sociales, souvent jugées prioritaires ? A partir de ces quelques questions et à la lumière de nombreux textes souvent méconnus, nous reviendrons sur les diverses facettes d’un débat qui, au-delà de la seule expérience du SPD de l’époque, pose le problème de la forme politique concrète d’un changement social radical.
Jean-Yves Frétigné (Rouen), Lecture de la Révolution française par Antonio Gramsci
L'objet de notre communication aura pour enjeu principal d'expliquer comment le philosophe et homme politique italien Antonio Gramsci est passé d'une vision négative du jacobinisme et de la Révolution française à une approche beaucoup plus positive faisant du jacobinisme le principe explicatif de l'histoire française, au moins jusqu'à avènement de la Troisième République. Guidée par ses activités militantes, ces deux lectures ont toujours pour objectif de comprendre les tenants et aboutissants du présent et, en particulier, le retard politico-social de l'Italie, un État qui s'est modernisé sans connaître de véritable révolution politique. Ce thème de la révolution passive a profondément marqué la destinée intellectuelle et politique de l'Italie et nourri une vaste historiographie qui n'a pas encore dit son dernier mot.
Florence Gauthier (Paris 7), Eléments d'histoire du droit naturel : critique de Michel Villey
Les aventures de la petite phrase, droit naturel, demeurent encore largement méconnues, bien qu’elles suscitent un intérêt réel et récent. Le travail de Brian Tierney (1997) a permis de mieux situer sa réapparition dans des formes toutes nouvelles, à l’époque tumultueuse des XII-XIVe siècles, et d’en suivre la renaissance à la lumière de l’Ecole de Salamanque jusqu’aux débuts du XVIIe siècle. Je propose ici de revenir sur l’interprétation qu’en fit Michel Villey (Le droit et les droits de de l’homme, 1983), en attirant l’attention sur la curieuse déconnection qu’il établit ici entre droit naturel et droits de l’homme.
Christopher Hamel (Rouen), Milton, Sidney et le républicanisme anglais au XVIIe siècle
Dans le cadre de l’Atelier « Les héritages des républicanismes et la république comme utopie », cette communication s’attachera à présenter, à partir de deux figures majeures du républicanisme anglais du XVIIe siècle, quelques-unes des thèses les plus significatives de John Milton et Algernon Sidney. En effet, la pensée politique et morale de ces deux auteurs, permet, avec des accentuations différentes, de thématiser les axes de cet atelier. (i) Tout d’abord, leur républicanisme est essentiellement révolutionnaire – Sidney pensant la révolution comme la manifestation radicale d’un processus inévitable et légitime de changement politique inhérent la vie des hommes. (ii) Ensuite, leur républicanisme est non seulement compatible avec le jusnaturalisme, mais surtout indissociable de celui-ci : tous deux définissent le droit naturel des individus et des peuples par le fait de ne pas être dominé, i.e. par le contenu même de la liberté au sens républicain. (iii) Enfin, on peut soutenir que tous deux proposent une conception utopique (au sens de Koselleck) de la république – Milton en tirant du postulat de la souveraineté du peuple la thèse radicale mais irréfutable selon laquelle un peuple est toujours fondé à démettre un gouvernement, même quand celui-ci n’est pas tyrannique ; Sidney en ébauchant l’idée d’un perfectionnement indéfini de la liberté politique comme logique du progrès historique.
En présentant ces quelques thèses, on mentionnera au passage certains débats historiographiques – qui sont autant des débats philosophiques – relatifs à la tradition républicaine, en insistant notamment sur le fait que l’offensive de l’école straussienne, conduite au nom d’une opposition trompeuse entre les Anciens et les Modernes, est vouée à se méprendre sur le sens de la référence à l’Antiquité ainsi que sur le statut du jusnaturalisme chez Milton et Sidney.
Carine Lounissi (Rouen), Le républicanisme libéral de Thomas Paine
C'est dans Common Sense que Paine propose le premier programme véritablement républicain pour une nouvelle organisation politique américaine. Son pamphlet rejette l'argumentaire politico-juridique des colonies fondé sur des matériaux divers : le droit naturel, la tradition constitutionnelle britannique et les chartes et contrats coloniaux. Le républicanisme de Paine est d’emblée un plaidoyer en faveur d'une démocratie représentative fondée sur la première de ces sources. Sa pensée échappe déjà au schéma pocockien, comme JGA Pocock le reconnaît lui-même, et elle peut être en partie rattachée au libéralisme. En outre, même si son projet de refonte de la société et des institutions est à la fois politique, économique, diplomatique et religieux, son républicanisme ne cèdera jamais à l’utopie. Enfin, parce qu’étant au centre d'une triangulation intellectuelle qu'on pourrait qualifier d'atlantique, le parcours de Paine invite, en réalité, à un décloisonnement des espaces-temps du républicanisme.
Christophe Miqueu (Bordeaux 4), La modernisation de l’héritage républicain à l’âge classique : les cas Spinoza et Locke
S’interroger sur la question de la citoyenneté à l’âge classique implique non seulement d’examiner l’influence d’une philosophie politique majeure, celle de Hobbes, mais aussi de réfléchir à un héritage souvent oublié, l’héritage républicain. La difficulté est que la compréhension de cet héritage varie selon la perspective que l’on adopte. Soit l’on considère, comme il semble aller de soi presque spontanément, le républicanisme dans une perspective strictement française et alors il paraît difficile de considérer l’idée de citoyenneté comme pertinente à l’âge classique, tant celle-ci est immédiatement assimilée à la révolution française et à la construction républicaine singulière qui en a résulté. Soit l’on considère le républicanisme dans une perspective euro-atlantique, tel qu’il fut diffusé à partir de la Renaissance, et il est alors indéniable que la citoyenneté devient une idée pertinente à étudier bien en-deçà de la Révolution française et dans un cadre européen. En justifiant la deuxième approche, nous présenterons quelques résultats de notre thèse, Restaurer l’idée de citoyenneté à l’aube des Lumières. Le républicanisme moderne de Locke et Spinoza, soutenue en novembre 2009. Nous nous attacherons en particulier à souligner la modernisation de l’héritage républicain européen réalisée par le radicalisme philosophique de Spinoza et Locke, et l’articulation nouvelle entre le principe individualiste hobbesien et les schèmes classiques de la tradition républicaine qui apparaît comme le moteur théorique d’un nouveau paradigme de la citoyenneté républicaine à l’aube des Lumières porté, de manière singulière, par ces deux philosophes.
Raymonde Monnier (CNRS), Tradition et innovation : transfert et réception des textes républicains autour de 1789
Le recours aux textes emblématiques de la conception républicaine de la liberté par les révolutionnaires français autour de 1789 aide à comprendre l’importance du legs humaniste et néo romain et de la philosophie du droit naturel dans l’univers conceptuel des secondes Lumières. L’expérience d’auto-institution se donne comme projet à réaliser sur la base des droits de l’homme et du citoyen et témoigne d’un nouveau rapport au temps à l’aube de la période contemporaine. Cette représentation tournée vers l’avenir a été thématisée par Reinhart Koselleck par une tension entre champ d’expérience et horizon d’attente. Après les discussions engagées entre penseurs anglais et français sur le système de Rousseau, notamment dans le domaine de la pensée morale, la traduction des auteurs républicains de la première révolution anglaise popularise le corpus d’arguments qui légitime l’innovation politique dans l’attente d’une constitution démocratique. En croisant les approches contemporaines sur la traduction, l’histoire culturelle et l’histoire des idées, on cherchera à comprendre la signification politique et les enjeux rhétoriques de la traduction des textes du républicanisme anglais autour de 1789. Le but est de dépasser l’analyse en termes d’influence d’une tradition, pour s’intéresser à la transmission et au contexte de réception des textes, c’est-à-dire à l’agenda politique et au projet traductif des auteurs dans un état donné de la langue. Comment ces textes s’insèrent-t-ils dans le contexte intellectuel et les conventions argumentatives du moment révolutionnaire ? Dans quelle mesure ces traductions ont-elles été des outils de l’innovation politique ? L’interprétation du traducteur éclaire le contexte qui les a inspirées et le processus de transfert et de réception des idées et du vocabulaire. Sur l’horizon d’attente de 1789, le bonheur de la traduction dépend moins de la fidélité à l’original que de la manière de rendre l’esprit du texte et sa force illocutoire pour traduire les idées en actes.
Renaud Quillet (Amiens), Par delà les Anciens et les modernes, le républicanisme de Jules Barni
Philosophe engagé dans la traduction en français et l’exégèse de l’œuvre de Kant, Jules Barni (1818-1878) se sent appelé par les événements de 1848 à s’engager activement dans le combat républicain et à développer sa propre conception du républicanisme. Il appartient à une génération qui doit défendre la voie républicaine contre la critique libérale professée au nom de la thématique de la « Liberté des Modernes », inaugurée par Benjamin Constant. Il est aussi et par là même l’un des acteurs d’un moment où la pensée républicaine se distingue et s’autonomise clairement de la pensée libérale, et, au moins pour partie, du socialisme. A cette fin, il puise dans la réflexion de Kant, mais aussi du jeune Fichte. Il ne néglige pas pour autant les Lumières françaises, Montesquieu notamment. Enrichissant sa pensée de ses relations avec ses collègues républicains, de son expérience d’exilé genevois et de militant internationaliste, de compagnon de Garibaldi et d’homme de confiance de Gambetta, d’élu local et de parlementaire enfin, il n’a de cesse de dénoncer le royalisme et le bonapartisme, tout en récusant le libéralisme conservateur et le socialisme collectiviste. Son républicanisme n’est cependant nullement négatif, articulant anthropologie, morale publique et privée, instruction publique, conceptions et pratiques constitutionnelles, économiques et sociales. Il disparaît à l’aube du triomphe de la République républicaine, son œuvre le suivant bientôt dans l’oubli. Après près d’un siècle d’amnésie à peu près complète, on redécouvre l’homme, ses écrits et ses idées. Son républicanisme est néanmoins sans doute aujourd’hui en partie obsolète, par suite de la perte durable, sinon irréversible, d’un certain ethos républicain. Demeure cependant une pensée laïque, peut-être toujours utile pour concevoir le dépassement du dilemme entre libéralisme et communautarisme aux sens aussi bien français qu’anglo-saxon de ces termes.
Stéphanie Roza (Paris1), Mably : jusnaturalisme, républicanisme et utopie
L’œuvre de Mably présente la caractéristique frappante d’être, depuis le XVIIIe siècle jusqu’à aujourd’hui, l’objet de conflits d’interprétations extrêmement tranchés et vifs : alors que les révolutionnaires de toutes les tendances en ont revendiqué l’héritage, de la Constituante au Directoire, il a par la suite été considéré tantôt comme communiste utopique, tantôt comme penseur du droit naturel, ou enfin comme républicain classique. On a tour à tour insisté sur sa filiation aristotélicienne, lockéenne, rousseauiste. Nous voudrions montrer que ces différentes approches ne s’excluent pas forcément, mais qu’elles doivent être intégrées dans l’analyse d’une pensée dont il faut prendre en considération, à la fois l’évolution dans le temps, et les tensions internes. Apparait alors la figure d’un auteur qui n’est véritablement, ni communiste, ni républicain, mais chez qui l’utopie égalitaire sert d’idéal régulateur pour élaborer un projet politique paradoxal : en effet, tout en se voulant pragmatique et modéré, il a une portée finalement plus révolutionnaire que d’autres auteurs au ton bien plus radical.
Sophie Wahnich (CNRS), La critique postcoloniale de la république, une utopie de république en creux ?
Depuis 2005 et les émeutes de banlieue au moins, la critique postcoloniale de la République en France a pris de l'ampleur. Cette communication visera à montrer comment cette critique tout en oubliant ou occultant les fondations républicaines révolutionnaires de 1792-1793, critique de fait une troisième république au nom d'idéaux qui sont ceux de ce républicanisme de 1793. On pourrait alors considérer que cette critique n'est pas éloignée d'une manière de mettre en action l'utopie républicaine, même si c'est en creux. Nous analyserons les arguments des critiques postcoloniales, puis les mettrons en relation avec le républicanisme des fondations pour enfin interroger le bougé possible de la notion de République dans un contexte qui contrairement à celui de la marche des beurs de 1983 crée un écran entre l'événement révolutionnaire et la notion de république.