Marc BELISSA, Construire, reconstruire la république polonaise : Mably et Rousseau

La république et le républicanisme ne sont pas au XVIIIe siècle seulement des "traditions" et des sujets de dissertation pour collégiens lecteurs de Tacite et de Cicéron. Il existe en Europe un certain nombre d’États républicains dont l’expérience pratique contribue à former la pensée politique des Lumières. Ces républiques modernes sont des objets complexes et qui ne se laissent pas facilement enfermer dans les catégories politiques actuelles. Parmi celles-ci, la Pologne, est l’enjeu d’un débat important entre les années 1760 et 1780. J’ai retracé les grandes lignes de cette discussion dans l’introduction à l’édition des œuvres de Mably sur la Pologne qui vient de paraître aux éditions Kimé, je reviendrai aujourd’hui sur les contributions croisées de Rousseau et de Mably au débat sur l’évolution nécessaire de la République polonaise. Les ouvrages des deux hommes ont donné lieu à une très abondante production historiographique qu’il n’est pas question de reprendre ici, je me contenterai d’indiquer les grandes lignes des deux textes pour les replacer dans le contexte général du débat sur la Pologne et montrer en quoi ils défendent une conception républicaine tendant à la démocratie par l’extension des droits de citoyens possédés par les nobles à toute la population. En effet, les Considérations sur le gouvernement de Pologne de Rousseau et Du gouvernement et des loix de Pologne de Mably ont souvent été opposés comme si deux conceptions antagoniques républicaines s’exprimaient dans ces textes. Je voudrais au contraire montrer que les points de convergence entre les deux auteurs sont bien plus nombreux qu’il n’y paraît, même si les divergences entre leurs approches et leurs méthodes respectives existaient bel et bien et étaient d’ailleurs parfaitement claires pour les deux philosophes.

Yannick BOSC, Thomas Paine contre Boissy d’Anglas. Le conflit des conceptions de la république.

L’interprétation que propose K.-M. Baker du républicanisme classique au XVIIIe siècle (2001), très largement partagée, le conduit à associer Thomas Paine et la Convention thermidorienne au sein d’une même modernité républicaine. Or, pendant le débat sur la Déclaration et la Constitution de l’an III, Thomas Paine est le seul conventionnel à prendre la parole pour s’opposer radicalement au projet de Constitution républicaine présenté par Boissy d’Anglas qu’il qualifie de « rétrograde des véritables principes de liberté ». Ce moment anti-painéen de la Révolution française institue en effet une conception de la république dans laquelle la norme sociale n’est plus fondée sur les principes du droit naturel garantissant la liberté comme non-domination.

Emilie BREMOND, Souveraineté populaire et pouvoir représentatif chez Marat. L'exercice de deux pouvoirs contradictoires ?

La lecture du texte de Jean Paul Marat « Sur le jugement du chef de l’exécutif » écrit en janvier 1793, permet de préciser sa définition du concept de « souveraineté populaire ». Bien loin des idées reçues, qu’on lui prête, Marat le définit comme résultant de la conjugaison de deux éléments fondamentaux : la nécessité impérative de responsabiliser tous les citoyens, et celle d’allier le système représentatif à celui dit de « démocratie directe ». Ainsi, Marat couramment présenté comme un théoricien de la démocratie directe au détriment d’une « démocratie représentative », s’exprime dans des termes radicalement différents. Ce constat conduit à s’interroger sur le sens et la validité de l’expression « démocratie directe » employée pour la Révolution française. D’autre part, il nous incite également à venir revisiter les analyses des théories politiques des membres du « côté gauche » afin de les sortir de cette impasse réflexive.

Monique COTTRET, "Rome n’est plus dans Genève"

Il s’agira d’analyser les critiques formulées par Rousseau contre l’évolution arsitocratique de la répubique de Genève et de montrer comment cette douloureuse expérience alimente sa réflexion politique générale comme ses projets sur la Corse et la Pologne.

Marc DELEPLACE, Comment sortir de l’anarchie : un paradoxe républicain en l’an III ?

Les analyses du moment thermidorien ont le plus souvent mis l’accent sur les modalités de sortie de la Terreur (B. Baszcko, 1988). Nous voudrions ici attirer l’attention sur un autre souci constamment réitérer au long des derniers mois de la Convention nationale, dans le moment même ou s’effectue la rupture avec le droit naturel (F. Gauthier, 1992), de séparer la République de l’anarchie, entendons de l’expérience révolutionnaire de l’an II, afin de légitimer l’ordre républicain (Deleplace, 2001). Il s’agit donc d’interroger le paradoxe de républicains qui pour garantir la République en l’an III lui sacrifient délibérément la démocratie, au contraire des républicains de 1791, en éclairant également ce moment républicain, thermidorien et directorial, à la lumière d’une pensée républicaine de plus longue durée (Skinner, 1998).

Antoni DOMENECH, Républicanisme et revenu d’existence

David Casassas suggests that the proposal for a universal and unconditional Basic Income of citizenship and the republican political tradition are linked since, for historical republicanism, the connection between freedom and property is essential. And it is true that this connection is so fundamental that republican freedom actually derives from property, in other words, from the material independence of individuals. Upholding this republican idea that having to survive cum permissu superiorum was the clearest sign of non-freedom, Marx pointed out in a celebrated passage of "Critique of the Gotha Programme" that the man "who possesses no other property than his labour power must, in all conditions of society and culture, be the slave of other men who have made themselves the owners of the material conditions of labour. He can only work with their permission, hence live only with their permission." However, we are not arguing that the relationship between what is now understood by "republicanism" and Basic Income is a simple one, as we shall discuss in the following paper.

Florence GAUTHIER, Les femmes dans l’espace public. L’idée d’une galanterie démocratique chez Robespierre

Lorsque Robespierre fut nommé directeur de l’Académie d’Arras, il mena une campagne en faveur de l’admission des femmes dans les sociétés savantes, non seulement en tant que membres honoraires –souvent lointains et donc absents-, mais bien plus comme membres ordinaires, qui pouvaient participer réellement à la production du savoir et aux débats qu’elle susciterait. L’Académie d’Arras se fit remarquer pour avoir choisi deux femmes comme membres honoraires en février 1787, faisant figure de pointe avancée dans la conquête de la mixité entre les sexes, alors que la mixité sociale, entre les ordres, ne faisait plus problème. Robespierre et son complice Dubois de Fosseux lancèrent ensuite une enquête, sur cette question de la conquête de cette mixité entre les sexes, auprès des membres de l’Académie d’Arras. Parmi les réponses, celle de François-Noël Babeuf prend chaleureusement parti en faveur de la proposition rédigée par Robespierre et fait chorus à l’évocation d’un bonheur créé par cette érotisation des relations sociales qu’il était, alors, permis d’exprimer, mais qui est trop souvent devenue un objet qui se dérobe à nos sensibilités et insensibilités actuelles. Nous entrons ici en terre perdue de vue, non celle d’un libertinage, frivole ou sadique, mais celle de la « galanterie », au sens où elle est reconnue avoir pris forme à la cour et dans les salons des classes supérieures du XVIe au XVIIIe siècles, en France. Seulement là ? C’est bien la question que pose Robespierre, qui convoque cette galanterie au service des progrès des Lumières pour les deux sexes, en élargissant ses assises, historiques jusqu’au « siècle d’Aspasie », et sociales dans le cadre d’une république démocratique à venir.

Jean Pierre GROSS, Domesticité, travail et citoyenneté en l’an II

Les Levellers anglais du XVIIe siècle proposaient d’accorder le suffrage à tous les hommes adultes, hormis les serviteurs à gages et les mendiants. Les Montagnards de 1793 prétendent abolir la domesticité et offrir aux domestiques (femmes exclues) le statut de citoyen à part entière. Quelle fut l’incidence de ce projet ? S’agit-il d’un repère significatif dans l’évolution de la démocratie ?

Magali JACQUEMIN, Étienne Polverel, commissaire civil à Saint-Domingue (1792-1794) ou les principes de la république face au défi de la liberté générale.

Étienne Polverel fut à l’été 1793 l’un des acteurs de l’abolition de l’esclavage à Saint-Domingue. Durant la première partie de la Révolution française, il fut député des États de Navarre à l’Assemblée constituante, fréquenta la Société des Amis de la Constitution en même temps que Léger-Félicité Sonthonax, Julien Raimond et quelques autres abolitionnistes de l’époque et écrivit aussi quelques articles abolitionnistes et anticolonialistes, notamment dans le journal Tableau des révolutions du XVIIIe siècle. Après le 4 avril 1792, lorsque l’Assemblée législative reconnut les droits politiques aux libres de couleur, Étienne Polverel fut alors pressenti avec L.-F. Sonthonax et Antoine Ailhaud pour assumer le rôle de commissaires civils dans la colonie de Saint-Domingue et y faire appliquer ledit décret. Sur place, après plusieurs mois de lutte acharnée pour faire triompher les principes de la révolution dans la colonie la plus riche de France, les commissaires civils parvinrent à faire surgir l’abolition de l’esclavage au cours de l’été 1793. Nous connaissons de cet événement la proclamation de la liberté générale que publia L.-F. Sonthonax le 29 août 1793 au Cap, mais qui ne concernait alors que le Nord de l’île de Saint-Domingue. Nous nous arrêterons quant à nous sur le travail particulier mené dans ce cadre par E. Polverel dans l’Ouest et le Sud de la colonie. Pour mener à bien l’abolition de l’esclavage, celui-ci publia une série de proclamations entre le 27 août 1793 et le 28 février 1794, au sein desquelles la notion de république occupe une place centrale. Tout au long de ces textes, E. Polverel interroge les concepts de propriété, de travail et de droit à l’existence. Il s’agissait pour lui rendre pérenne la liberté des nouveaux libres et nous reconnaissons dans cette réflexion l’inspiration de la philosophie du droit naturel moderne. Les idées d’E. Polverel semblent aussi trouver leur origine dans ses travaux prérévolutionnaires autour des biens communaux en Navarre. Cette œuvre politique originale nous permettra de nous attarder notamment sur le lien entre liberté et égalité, sur la notion de réciprocité du droit. Nous tenterons de montrer à travers cette intervention qui s’intègre dans le cadre d’une thèse comment Étienne Polverel trouva dans sa définition de la république les réponses nécessaires à l’organisation des nouveaux rapports sociaux à Saint-Domingue au lendemain de l’abolition de l’esclavage, pour l’avènement de la liberté générale.

Abdelaziz LABIB, Mably des « Droits et devoirs du citoyen » aux « Observations sur le gouvernement et les lois des États-Unis d’Amérique » : ambiguïté ou complexité d’une théorie républicaniste ?

Œuvre républicaniste radicale, les Droits et devoirs du citoyen de Mably, fondent le pouvoir démocratique sur des principes théoriques catégoriques, participant d’un ordre rationnel inconditionnel. Les droits naturels fondamentaux, formulés à l’origine par Locke, se trouvent, dans cette œuvre maîtresse de philosophie politique de Mably, radicalisés et redirigés dans une perspective centralisatrice, voire d’esprit « jacobin ». Situé d’abord sur le plan du droit, d’idéalité philosophico-juridique, le principe républicain n’est – toujours dans cette même œuvre de 1758 – « expérimentable » que sur une « île déserte », sorte d’entité mentale, ou d’être métaphysique « où tous égaux, tous riches, tous pauvres, tous libres, tous frères », la première loi des hommes serait « de ne rien posséder en propre ». Confronté ensuite à l’expérience politique fondatrice (Observations sur le gouvernement et les lois des États-Unis d’Amérique, 1784), le principe républicain de Mably, bien que mûrement préparé à s’accommoder avec les faits hypothétiques, avec les conditions de possibilité historique, fonctionne comme l’indice d’une tension entre norme et fait, raison et événement ; ou encore comme le criterium par lequel une crise est cernée, analysée et critiquée. Ainsi des limites inhérentes au républicanisme, limites aussi bien théoriques (idéalisme juridique de Mably) que pratique (influence du libéralisme physiocratique sur le gouvernement des États-Unis), sont-elles apparues aux prémices de leur genèse, et conduisent-elles à des questions antinomiques : Au point de vue de la société civile entre individus, la démocratie est-elle essentiellement égalitaire ou inégalitaire ? Au point de vue de la société civile entre peuples, le républicanisme est-il essentiellement pacifique ou expansionniste ? La démocratie moderne ne serait-est-elle pas, par essence historico-logique, une démocratie guerrière ? Peut-on espérer être citoyen du monde sans souffrir la domination d’une monarchie universelle ? Inversement peut-on espérer être citoyen d’une république particulière sans subir les effets de l’État-nation avec son cortège de répressions, de guerres dites nationales, de conquêtes dites civilisatrices, libératrices ? A qui la faute ? A la démocratie ou au capitalisme ? En quel sens et jusqu’à quelle limite peut-on (ou encore doit-on) distinguer, dissocier, l’un de l’autre Mably écarte la perspective propriétaire et guerrière qu’impliquerait, même de manière négative, le contractualisme moderne, et revigore la conception antique de sociabilité naturelle que seconderont une juste disposition des lois et une thérapeutique des passions. Ainsi pense-t-il éviter deux écueils : d’une part, la violence à caractère exogène entre nations concurrentes, que soutient, même de manière passive, tout contrat dont la portée ne dépasse pas les frontières d’une nation de contractants ; d’autre part, la dissolution de l’« esprit national » dans un espace planétaire, ou monarchie universelle, qui, échappant au jeu des forces et contre-forces, rendrait infirme la volonté d’un peuple, la souveraineté d’une nation. C’est par rapport à ces deux formes « géopolitiques » de gouvernement que la position de Mably évolue ; position que nous essayerons de clarifier et reconstruire dans cette réflexion.

Joachim MIRAS, Res Publica : la pensée politique de Francisco de Vitoria.

Francisco de Vitoria est l´initiateur de ce courant de pensée, nommé Escuela de Salamanca, qui comprend plusieurs générations d’intellectuels humanistes. Ses idées ont été l´échafaudage des futurs développements intellectuels des successifs auteurs de l´école. Francisco Vitoria est connu généralement pour sa contribution au problème des droits des indiens, suscité par la conquête coloniale de l´Amérique, et pour son apport fondateur au moderne droit des gens. Mais Francisco de Vitoria a développé une pensée politique d´ensemble, à la hauteur des problèmes posés par son temps, d´après les postulats du jusnaturalisme, dans lequel trouvent leur explication ses idées les plus connues. Formé dans la connaissance de la pensée humaniste du XVle siècle, du thomisme et du nominalisme — pendant une quinzaine d´années, il a fréquenté la Sorbonne — l’on peut percevoir dans son élaboration intellectuelle l´importance de la pensée classique d’Aristote et de Cicéron et de l’héritage juridique romain. En s´inspirant de ces auteurs il élabore de nouvelles et audacieuses solutions d´ensemble à la théorie politique dominante de son époque. Mais l´importance de la nouvelle conception politique qui s´ouvre dans son œuvre a généralement été effacée lorsqu’on fait référence à lui. Le choix de ce sujet obéit au désir de montrer, encore qu’en schémas, que les idées de cet auteur qui ont été les plus propagées, et grâce auxquelles on le connaît aujourd’hui, celles formulées sur les droits des "indios" et sur le droit des gens, sont la conséquence d´une conception politique républicaine qui, entre autres, défend le droit universel humain à la propre république, ce qui inclue le droit et la responsabilité de déposer du pouvoir politique le mauvais magistrat, même s´il s’agit d’un roi. Il défend aussi la liberté, par droit de nature, de tous les individus du genre humain, et, comme troisième élément de principe, l´existence d´un ordre de droits naturels supérieur, qui est celui de l´humanité entière.

Raymonde MONNIER, Nedham, Machiavel ou Rousseau ? Autour de la traduction par Mandar de The excellency of a free state

Dans la continuité des analyses proposées dans mon livre de 2005, Républicanisme, patriotisme et révolution française, sur la traduction et l’édition de textes républicains anglais du XVIIe siècle, je propose une réflexion sur la traduction en français par Théophile Mandar en 1790 du texte de Nedham, The excellency of a free state (1656). Il s’agit de s’interroger sur le contexte de l’édition du texte en France, sur sa réception et sur les déplacements significatifs dont il témoigne, d’une révolution à l’autre, de la théorie néo-romaine de la liberté. Dans quelle mesure les notions politiques mises en avant par Nedham correspondent-elles aux concepts-clés de la révolution française ? De quelle manière les annotations du traducteur, et notamment les citations de textes du XVIIIe proposées à l’appui des théories et des exemples développés par Nedham, déplacent-ils le modèle constitutionnel et l’argumentation politique ? Comment interpréter, par delà les traditions nationales et les débats conjoncturels internes aux états, la permanence de propositions théoriques ou de notions-clés dans un échange co-lingue de longue haleine ? On appréciera, à travers les déplacements du vocabulaire et les transpositions lexicales d’une langue à l’autre, l’évolution du modèle néo-romain et de la théorie républicaine de la liberté à l’épreuve des Lumières et de la révolution de 1789.

Pierre SERNA, De l’ordre social à l’art social, les contradictions d’un modèle républicain entre 1780 et 1800

Cette communication se propose de réfléchir sur la notion d’ordre social, pensé à son tour comme un art social, à partir de textes parus avant et pendant la révolution, rédigés par des hommes aussi différents que Le Trosne, le physiocrate bien connu, Mandar, un homme de lettres, grand passeur de textes politiques anglais (cf. communication de Raymonde Monnier), Mercier, l’observateur de Paris avant et après la révolution, Salaville, ancien secrétaire de Mirabeau et républicain démocrate sous le Directoire, ou Sieyès. Comment de l’ancien Régime à la Révolution se construit une réflexion sur l’organisation de la chose publique de telle sorte que le champ social, dans sa diversité et sa complexité, induise une pensée sur la constitution politique lui garantissant sa reproduction mais selon des termes nouveaux. La république ainsi pensée n’est plus simplement la structure qui doit permettre la participation du plus grand nombre à la décision collective et qu’un Antonelle par exemple a défini par l’invention du concept alors hautement subversif (et devenu des plus usités) de « démocratie représentative ». Dans les textes de ces auteurs, en revanche, la république se construit à partir de la propriété et par la gouvernance de la garantie des bien acquis, ce qui ne va pas sans problème avant la révolution dans une société du privilège et ne cesse de poser problème durant la révolution à partir du débat sur les conditions effectives d’une égalité pour tous, ou tout au moins d’une redistribution plus juste des toutes les richesses. La république dans ces conditions devient celle d’un ordre public où l’organisation sociale reflète une hiérarchie fondée sur le travail liée à la propriété. Le régime politique, à partir de 1792 (et la politique de la Convention ne saurait déroger à cette chronologie), tente de construire sa légalité dans un ordre qui doit traduire l’excellence de ses institutions dans la recherche d’un modèle qui puisse combiner égalité juridique et inégalité économique. Ainsi Le Trosne pose l’axiome physiocrate que les élites en révolution ne cessent de tenter d’appliquer : il n’est de régime que celui de la république des propriétaires. Mandar dans l’urgence de la crise de 1793 se demande comment fonder une république en sortant le plus vite possible de l’état d’insurrection interrogeant lui aussi les conditions d’émergence d’une pacification sociale. Mercier et Salaville interrogent eux plus particulièrement les formes que pourrait revêtir l’art social du pouvoir en république. Cette filiation proposée interroge les conditions de formation d’une culture politique qui interroge le lien entre l’héritage physiocratique et la république dite bourgeoise telle qu’elle se dessine au fur et à mesure, sans pour autant tracer de façon téléologique un lien entre cette république et l’autoritarisme du consulat. Il s’agit de réfléchir à la façon dont ces auteurs pensent la régulation des rapports sociaux, la conditions des échanges dans une société, sous la forme de paroles, de biens, des statuts, des distinctions, autant d’éléments constitutifs de la république dans son essence, un régime fondé sur la souveraineté du peuple dont la condition de fonctionnement est qu’il ne l’actionne pas lui-même. Proposition dérangeante certes, mais qui fonde un modèle de république au cœur de la tentative de stabilisation des acquis de la révolution française, et qui force à réintégrer le modèle de république bourgeoise dans deux historiographies réfractaires : Qu’est ce qui demeure révolutionnaire dans cette république de l’ordre public ? qu’est ce qui reste conservateur dans ce modèle révolutionnaire et républicain à la fois ?

Sophie WAHNICH, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et ses fondements dans les arguments et les pratiques des révolutionnaires en 1792

L’année 1792 est marquée par une activité politique multiforme où mouvement pétitionnaire, fêtes, affrontements physiques conduisent à un changement radical de gouvernement. Dans cette activité politique, la Déclaration occupe une place majeure, soit pour fournir des arguments, soit pour exprimer la présence religieuse d’une autre norme face à la toute puissance de la loi positive injuste. On interrogera ainsi la place occupée par le droit naturel, non seulement dans les argumentaires politiques, mais encore dans les imaginaires et les pratiques d’une nouvelle religion civile du droit.