Les sources de ce "républicanisme classique" sont connues et délimitées : filiation aristotélicienne, expérience politique des cités italiennes, œuvre de Machiavel, réflexions des penseurs anglais, etc. Ses caractéristiques le sont également : apologie de la liberté politique positive contre les formes de la liberté négative, refus du luxe et du commerce corrupteur, réflexion autour de la constitution romaine pensée comme le modèle de la constitution mixte, mise en valeur de la common law, etc. Conçu d’abord comme un paradigme s’appliquant au monde anglophone pour expliquer les filiations, les influences et les transmissions de l’Italie de la Renaissance à l’Angleterre du XVIIe siècle et à l‘Amérique coloniale, le républicanisme dit "classique" a eu tendance à être utilisé par d’autres historiens comme un cadre général influençant toutes les traditions républicaines nationales à l’époque moderne. Une telle approche fait sans doute l’économie des liens plus complexes entre traditions politiques différentes, par exemple le nominalisme ou la tradition égalitaire et démocratique, avec l’apport majeur de la Révolution hollandaise et de la pensée spinoziste mise en acte dans la lutte contre la domination religieuse et tyrannique en Europe. Enfin, il est frappant de constater la faible place occupée dans l’historiographie du républicanisme dit "classique" par l’école du droit naturel moderne et du droit des gens. Existe-t-il une ou des traditions non-machiavéliennes du républicanisme en Europe ? Les traditions républicaines espagnole, italienne, hollandaise, française, genevoise et suisses relèvent-elles du républicanisme "classique" tel qu’il apparaît dans l’historiographie anglo-saxonne ? ou existe-t-il des traditions nationales originales présentant des liens plus étroits avec l’école du droit de la nature et des gens ? Comment s’articulent ces différentes conceptions républicaines ?

Ces questions ont connu un début de réponse dans les deux volumes parus en 2002 dirigés par Martin Van Gelderen et Quentin Skinner. Les contributions regroupées dans cet ouvrage ont élargi le champ d’étude du républicanisme en s’intéressant aux thèmes de l’antimonarchisme, du citoyen, de la constitution, des valeurs républicaines, à la place des femmes dans la République et au rapport tendu entre société commerçante et vertu républicaine. Les études sur les Provinces-Unies, l’Italie, la Pologne, les Pays-Bas autrichiens, l’Allemagne, l’Espagne ont permis de replacer les traditions républicaines dans une perspective réellement européenne. Il reste beaucoup à faire, en effet, nombre de ces travaux concernent la première modernité et abordent peu la question des synthèses républicaines dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et surtout pendant la Révolution française.

Au cours des deux dernières décennies, le champ des études révolutionnaires s’est d’ailleurs largement renouvelé. La réinscription du politique dans les problématiques du droit naturel moderne, travaillées par le mouvement populaire et le débat d’assemblée, a ouvert des pistes fécondes. L’approche de la question républicaine a gagné en complexité en sortant du débat sur les formes du gouvernement pour s’attacher aux principes qui définissent ce qu’est une société juste et comment la réaliser. Dans cette perspective, la Révolution française est constituée par le conflit des conceptions de la république, c’est-à-dire des conceptions de la liberté.

Des travaux comme ceux de Florence Gauthier (Triomphe et mort du droit naturel en Révolution, 1992) ou ceux de Raymonde Monnier (Républicanisme, Patriotisme et Révolution française, 2005), mais aussi la réflexion menée dans le cadre du séminaire L’Esprit des Lumières et de la Révolution, ont commencé à poser la question des synthèses républicaines des Lumières et surtout de leur mise en action dans la Révolution française. Le colloque que nous proposons de tenir à Paris en 2008 entend prendre sa place dans ce cadre général. Le débat actuel sur le républicanisme montre que le paradigme républicain de la civilité échappe aux modélisations rigides et qu’il occupe une place centrale dans le dispositif des traditions politiques qui traversent pensées, débats, et pratiques politiques tout au long des Temps modernes. Il s’agit de multiplier les points de vue et les apports permettant de mieux cerner le concept de républicanisme à l‘époque moderne et la variété des traditions philosophiques et politiques qui s’en réclament, ainsi que de penser la ou les synthèses entre républicanisme et jusnaturalisme, non seulement pendant la première modernité, mais aussi à la fin du XVIIIe siècle et pendant la Révolution française.

Les organisateurs du séminaire L’Esprit des Lumières et de la Révolution et le comité de rédaction de la revue en ligne Révolution Française.net : Marc Belissa (Paris X), Yannick Bosc (IUFM Rouen), Françoise Brunel (Paris I), Marc Deleplace (IUFM Reims), Florence Gauthier (Paris VII), Jacques Guilhaumou (CNRS), Fabien Marius-Hatchi (Paris VII), Sophie Wahnich (CNRS)


Comité scientifique : Jean-Clément Martin (Paris I), Claude Nicolet (EPHE), Quentin Skinner (Cambridge)


PROGRAMME

Les séances se tiendront dans la salle des thèses de l'Université de Paris VII Denis Diderot, Immeuble Montréal, 103 rue de Tolbiac, 75013 Paris


Jeudi 5 juin 2008

Introduction du colloque 9h00-9h30 : Claude Nicolet (EPHE)

Républicanisme des Humanistes aux Lumières - Présidence : Françoise BRUNEL (Paris I)

9h30 -10h00 Joachim MIRAS (Barcelone), Res Publica : la pensée politique de Francisco de Vitoria

10h00 – 10h30 Abdelaziz LABIB (Tunis El Manar), Mably des Droits et devoirs du citoyen aux Observations sur le gouvernement et les lois des États-Unis d’Amérique : ambiguïté ou complexité d’une théorie républicaniste ?

11h00 - 11h30 Monique COTTRET (Paris X), "Rome n'est plus dans Genève"

11h30 - 12h00 Marc BELISSA (Paris X), Construire, reconstruire la république polonaise : Mably et Rousseau

12h00 -12h30 discussion

12h30 -14h déjeuner

1792-1795 Fondations – refondations républicaines - Présidence : Marc BELISSA (Paris X)

14h00 -14h30 Sophie WAHNICH (CNRS), La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et ses fondements dans les arguments et les pratiques des révolutionnaires en 1792

14h30 -15h00 Marc DELEPLACE (Reims), Comment sortir de l’anarchie : un paradoxe républicain en l’an III ?

15h00 -15h30 Yannick BOSC (Rouen), Thomas Paine contre Boissy d’Anglas. Le conflit des conceptions de la république

15h30 -16h00 discussion


Vendredi 6 juin

Modèles républicains en révolution - Présidence : Florence GAUTHIER (Paris VII)

10h30 -11h Raymonde MONNIER (CNRS), Nedham, Machiavel ou Rousseau ? Autour de la traduction par Mandar de The excellency of a free state

11h00 - 11h30 Pierre SERNA (Paris I), De l’ordre social à l’art social, les contradictions d’un modèle républicain entre 1780 et 1800

11h30 - 12h00 Emilie BREMOND (Paris VII), La souveraineté populaire, seul vrai système démocratique ? D’après les textes de J. P Marat

12h00 -12h30 discussion

12h30 -14h déjeuner

Républicanisme, égalité, droit à l’existence - Présidence : Jacques GUILHAUMOU (CNRS)

14h00 -14h30 Antoni DOMENECH (Barcelone), Républicanisme et revenu d’existence

14h30 -15h00 Jean-Pierre GROSS, Domesticité, travail et citoyenneté en l’an II

15h00 -15h30 Florence GAUTHIER (Paris VII), La place des femmes dans l'espace public. L'idée d'une galanterie républicaine chez Robespierre

15h30 -16h00 Magali JACQUEMIN (Paris VII), Étienne Polverel, commissaire civil à Saint-Domingue (1792-1794) ou les principes de la république face au défi de la liberté générale

16h00-16h30 discussion

16h30-17h30 Table ronde : républicanisme et droit naturel, quelle actualité ?

Voir les résumés des communications