Ce serment politique, qui ne peut se comprendre que dans un espace public de réciprocité, prêté par des individus libres et égaux en droits, combine désormais adhésion aux valeurs communes de la nation et soumission à ses lois. D’où la violence des débats engendrés par le refus de prestation après les condamnations prononcées par le Saint-Siège à l’encontre de la constitution civile du clergé, et le schisme qui s’ensuit au sein de l’Église de France. Les opposants au serment allèguent ainsi qu’il procède d’une intrusion de la puissance publique dans le domaine de la foi, argument repris contre le serment exigé en l’an V et qui s’appuie alors sur la contradiction que présente une telle intrusion supposée au moment même où l’on sépare constitutionnellement sphère politique et sphère religieuse. L’argument se redoublant de l’affirmation de l’inanité d’un serment qui ne peut précisément plus être garanti religieusement. D’où également l’émergence précoce d’une autre forme de serment, serment d’exécration à l’encontre de ceux qui refusent de manifester leur adhésion, bientôt assimilés aux suppôts contre-révolutionnaires de la tyrannie : l’émigré, le prêtre réfractaire, l’anglais sont ainsi successivement ou conjointement, de 1792 à 1795, vouées à la haine des peuples libres. Quant au serment civique, il tend à s’institutionnaliser davantage avec le Directoire, malgré le débat que suscite alors son détachement de tout support religieux qui en fondait la valeur séculaire, par suite de l’adoption de la loi de laïcité de ventôse an III (février 1795). La formule de « haine à la royauté, haine à l’anarchie ; attachement et fidélité à la constitution de l’an III », adoptée pour le 2 pluviôse an V (21 janvier 1797), anniversaire de l’exécution du roi, combine ainsi serment d’exécration (contre toute forme de tyrannie, qu’elle soit à « bonnet rouge » ou couronnée), d’adhésion aux valeurs de la République (celles de la déclaration qui figure en tête de la constitution, dernière du genre produite par la Révolution et première à rompre avec la référence au droit naturel déclaré) et de soumission à ses lois (et aux autorités constituées). Il est étendu à l’ensemble des autorités constituées de la République, ainsi qu’aux électeurs et enfin aux prêtres le 19 fructidor an V (5 septembre1797), devenant de la sorte, plus qu’aucun autre avant lui, le garant de l’ordre social dans son ensemble.

Les serments institués par le régime consulaire puis impérial semblent au contraire renouer avec une tradition plus ancienne, mais les serments révolutionnaires survivent d’une part dans la « République du secret », dans les sociétés secrètes de la Restauration et de la Monarchie de juillet où l’exécration de la tyrannie, incarnée un temps par les Bourbons, demeure vive, et de l’autre dans l’habitude conservée d’exiger un serment d’obéissance et de soumission aux lois, quel que soit le régime en place, lors de l’entrée dans une fonction publique. Héritier le plus direct de l’invention révolutionnaire du serment civique, quoique dévoyé le plus souvent par ce qu’il implique à nouveau d’allégeance au monarque que ce soit sous la Restauration, la Monarchie de juillet ou le Second empire, ce type de serment ne sera définitivement abandonné, par la République, que le 5 septembre 1870.

Bibliographie :

Bernard Plongeron, Conscience religieuse en Révolution, Paris, Picard, 1969.

Jean-Yves Piboubes, Le Serment politique en France, 1789-1870, thèse de doctorat d’histoire sous la direction d’Alain Corbin, Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, 2005.

Marc Deleplace, « La haine peut-elle être un sentiment républicain ? À propos du serment civique de l’an V », Annales historiques de la Révolution française, n° 4, octobre-décembre 2009.

Timothy Tackett, La Révolution, l'Église, la France : le serment de 1791, préface de Michel Vovelle, postface de Claude Langlois, traduit de l'américain par Alain Spiess, Paris, les Éditions du Cerf, 1986.