Sieyès, lecteur de Condillac et critique de « l’école de Condillac » Etudes
lundi 25 septembre 2023Par Jacques Guilhaumou, UMR « Triangle », ENS Lyon.
« M. de C(ondillac) relève les erreurs des p(hiloso)phes. Soit, il peut avoir raison. Mais, dégagé de toutes ces erreurs, je ne me mets en conversa(ti)on avec lui que sur ce qu'il prétend établir. » (Sur L’art de penser)
Sieyès participe d’une génération de législateurs philosophes présents sur le devant de la scène politique pendant la Révolution française. Nombre de députés de l’Assemblée Nationale ont une culture philosophique sans être pour autant des philosophes, hormis quelques exceptions comme Condorcet et les Idéologues. Pour autant la forte présence philosophique de Sieyès se manifeste par ses échanges avec de nombreux philosophes qui le considèrent à part égale, qu’il s’agisse de Condorcet, des Idéologues et surtout des philosophes allemands présents à Paris. Pour mesurer la portée d’un tel engagement philosophique de Sieyès, nous disposons d’un ensemble de manuscrits philosophiques de longueurs très inégales, allant de simples notes à de longs développements, mais répartis sur une longue période, c’est-à-dire de ses manuscrits de jeunesse des années 1770 à ses manuscrits les plus tardifs des années 1810. En leur sein, la présence de Condillac selon diverses modalités est quasi constante, comme en témoigne d’emblée le premier manuscrit, le Grand cahier métaphysique présenté par notre soin dans le cadre de la publication de manuscrits de Sieyès en deux volumes (Christine Fauré, 1999, 2007) (1).
Qui plus est, la confrontation entre Sieyès et Condillac prend appui sur le positionnement central de la pensée condillacienne dans l’ordre philosophique des années 1770 aux années 1800 et sur son extension à la formulation du nouvel ordre social. La méthode analytique de Condillac est également mise en œuvre dans ses textes politiques. Mais tel n’est pas aujourd’hui notre propos plutôt centré sur les aspects philosophiques et linguistiques des manuscrits de Sieyès dans leur rapport à Condillac à divers moments de l’itinéraire de Sieyès.
Sieyès et Condillac, une vue d’ensemble
Sieyès fait mention dans ses abondantes Bibliographies (MS, II, 83-299), rassemblées dans les années 1767-1768, du Traité des animaux et de la Recherche sur l’origine des idées que nous avons de la beauté et de la vertu de Condillac. Ses premiers manuscrits philosophiques montrent aussi qu’il prend connaissance des ouvrages de Condillac au cours de ses études aux séminaires de Saint-Sulpice et Saint-Firmin de 1765 à 1772 à Paris. Il lit l'Essai sur l'origine des connaissances humaines (1746), le Traité des systêmes (1749) et le Traité des sensations (1754). Il prend en compte Le commerce et le gouvernement dès sa parution (1776). Il lira plus tard L'art de penser, qui se situe au centre de son débat avec les Idéologues.
Abordant la genèse de l’œuvre de Sieyès, Christine Fauré considère l’intérêt de Sieyès pour Condillac comme une sorte de « surenchère » dans son souci d’extension à l’infini du concept d’activité, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’impact de la pensée condillacienne dans un contexte révolutionnaire. D’emblée, se pose donc la question de son « radicalisme sensualiste » (MS, II, 45) dont il convient de se demander s’il ne s’agit pas plutôt d’un empirisme associé à une activité du moi fondée sur un substratum métaphysique.
Cependant le premier contact de Sieyès avec Condillac n'est pas très heureux. Dans ses toutes premières notes critiques (2), il parle de l’Essai sur l'origine des connaissances humaines de façon peu amène :
Ma foi, je n'y puis plus tenir. L'auteur n'est qu'un charlatan (3) (...) Il fait beau l'entendre crier contre les systèmes, lui qui touche ici dans le défaut le plus absurde des gens systématiques, celui de se former un plan, de le remplir en y faisant entre après coup, bon gré, mal gré, les faits des l'expérience.
C'est sans doute à cause de son aversion initiale pour l'illusion du langage (4) que Sieyès est si sévère à l'égard de la première philosophie condillacienne du langage.
La rigueur d'analyse qu'il recherche, il la trouve ailleurs, chez Claude-Adrien Helvétius. Ce philosophe lui paraît particulièrement apte à définir dans ses ouvrages De l'Esprit (1759) et De l'Homme (1773) le lieu d'où on peut acquérir des connaissances par soi-même, donc à l'écart des littérateurs et des philosophes égarés dans des raisonnements erronés par « l'abus du langage ». De fait, Sieyès adopte, à l'égal d'Helvétius, la position d'observateur-philosophe :
Observer sans cesse nos sensations et leurs liaisons, distinguer entre elles tant qu'il y substituera un principe de distinction, remonter aux éléments simples, découvrir comment il se peut faire que tous les phénomènes ne soient que des combinaisons différentes d'un fait unique, d'une cause commune, arrivé là, imiter à notre tour la nature, former les mêmes phénomènes qu'elle en imitant ses combinaisons, produire enfin et créer à son exemple, c'est notre lot (5).
Observer et analyser marchent ici de pair. Nous ne sommes donc pas à vrai dire si loin de Condillac. De fait, après avoir lu le Traité des sensations, Sieyès change radicalement d’attitude à l’égard de Condillac. Le principal manuscrit philosophique du jeune Sieyès, le Grand cahier métaphysique (6), comprend une trentaine de pages de commentaires sur le Traité des sensations, déployés chapitre après chapitre, paragraphe après paragraphe, soit plus de la moitié des textes de ce cahier. Le second ensemble du cahier métaphysique, rédigé trente ans plus tard, soit au début du XIXe siècle, revient de manière insistante sur Condillac, mais à travers les travaux de ce qu’on appelle alors « l'école de Condillac », c'est-à-dire les Idéologues, représentés ici par Antoine Destutt, Comte de Tracy. L’attitude de Sieyès vis-à-vis de Condillac devient alors plus nuancée sur certains points, certes importants. Nous y venons dans la dernière partie de notre exposé, en appui sur les ultimes textes du cahier métaphysique qui se présente sous la forme d’un commentaire critique de L'art de penser, ouvrage central pour appréhender ce qu’il en est de la langue analytique chez Condillac.
Dans un premier temps, Sieyès est convaincu par la lecture du Traité des sensations au regard de la manière dont s'y déploie l'analyse par le biais d’une déduction génétique du moi sur la base fictionnelle de la statue. Il précise que la méthode analytique est la seule valide pour acquérir de vraies connaissances sur l'homme. Lisant et critiquant également l'Essai analytique sur les facultés de l'âme (1760) de Charles de Bonnet construit aussi autour de la fiction de la statue humaine, Sieyès part de la réflexion de ces deux « statuaires métaphysiciens » pour fonder ce qu’il qualifie de « science des quantités », en prélude à la « science politique », soit ce qui est de l’ordre d’un « tiers mesurable et commun » en prélude à ce qu’il va appeler le Tiers État en 1788 (7).
Dans cette voie, le spectateur-philosophe peut reconstituer la suite des opérations, qu'il s'agisse de la suite des sensations et actions, ou de celle des connaissances, qui préside à la formation du moi dans une perspective qualifiée par les chercheurs actuels d’empiriste (Charrak, 2003). Et s'il critique avec vivacité telle ou telle erreur de Condillac, c'est pour proclamer quelques lignes plus loin toute son importance : « L'œuvre de Condillac depuis la seconde partie et surtout en avançant me paraît un vrai chef d'œuvre, il suffit à présent de méditer sur ce qu'il expose » (MS, I, 123).
Sieyès ne se départira plus jamais de son adhésion à la méthode analytique condillacienne. Ainsi, en 1793, il s'associe avec Jules-Michel Duhamel et Antoine Caritat, marquis de Condorcet pour publier le Journal d'Instruction sociale, sur la base d’un credo analytique partagé :
Une définition, lorsqu'elle est possible n'est que le résultat d'une analyse qu'elle suppose et qu'elle rappelle. Avant d'attacher à un mot une idée complexe, il faut l'avoir développée et circonscrite ; il faut que ceux qui doivent s'entendre en prononçant le même mot, reçoivent la même idée; et l'analyse seule peut remplir cette condition (8).
C’est là où il convient de mettre en valeur ce que Sieyès doit à la méthode analytique condillacienne, et sa conséquence principale, le rôle de la langue analytique. C’est dans L’art de penser, partie du Cours d’étude, que ce programme analytique est présenté dans sa forme la plus achevée.
Le programme condillacien de l’analyse : autour de L’art de penser
Dans La logique, ou les premiers développements de L’art de penser, Condillac désigne les langues comme des méthodes analytiques au titre de leur capacité à observer avec ordre les matériaux de la connaissance permettant d’accéder à la vérité. Il préconise le recours à l’observation analytique à l’encontre des philosophes scolastiques et cartésiens qui, pris dans des disputes de mots, s’engagent dans des questions vaines et puériles.
Condillac considère en effet que la plupart des philosophes commencent par énoncer des propositions générales, au lieu de tenir compte des observations confirmées par l’expérience. Leur erreur tient au fait qu’ils s’attachent d’emblée à la réalisation abstraite des notions, en considérant que les mots trouvent leur réalité dans les choses, donc dans des qualités situées hors de l’esprit. Ces philosophes supposent dans les choses une réalité dont les mots seraient les signes, par le simple recours à leur imagination. Ils ignorent ainsi l’ouvrage de l’esprit, la manière dont l’esprit concourt, avec l’action des sens, à la production des idées abstraites.
Condillac part du constat empirique que les idées simples, particulières, nous viennent par sensation, et que nos sensations sont ainsi l’origine de toutes nos connaissances et de toutes nos facultés. Il en vient ensuite à considérer que l’art de penser n’est autre que « l’art de se servir des signes ». De ce fait, la connaissance de cet art dépend l’art de conduire sa réflexion. Il convient donc, au titre de la nécessité des signes, de s’intéresser à la manière dont ces signes, qui contribuent à la réflexion, permettent d’établir la liaison entre le langage et la pensée, sur la base de leur relation initiale aux idées.
Du point de vue de la génération de l’esprit, tout commence par le mot qui fixe une idée simple dans l’esprit par la réflexion ; le nom réunit alors en esprit une collection d’idées simples sur la base de l’expérience. Nous sommes alors capables d’acquérir des notions, et tout particulièrement les notions associées aux êtres moraux. La vérité de ces notions tient à la combinaison d’idées simples dans notre esprit ; leur réunion en nombre, en qualité et en ordre permet de les élaborer sans modèle et à un niveau élevé de complexité. À chaque combinaison, l’invention des signes pour fixer nos idées s’avère ainsi décisive.
Le signe préexistant à l’idée, dont Condillac nie le caractère inné, la langue est ici le recours essentiel de l’esprit : elle permet de faire, avec des combinaisons d’idées simples, des idées abstraites. Tel est le caractère foncièrement lingual de l’ouvrage de l’esprit que les penseurs politiques des Lumières tardives, et tout particulièrement Sieyès retiendront de la lecture de Condillac. L’important est alors de se situer dans les circonstances sensibles qui permettent d’abord de faire l’expérience des signes exprimant les premières idées, puis de les faire venir à notre connaissance. Ainsi s’instaurent conjointement une approche génétique et une démarche analytique qui concernent successivement la position de l’observateur philosophe, le statut notionnel de ce quelque chose qu’il observe et la formation de la langue analytique elle-même.
D’un point de vue génétique, les matériaux de nos connaissances sont les idées particulières qui viennent par les sensations chez l’homme isolé selon le développement génétique de ses facultés. Il importe donc que le philosophe, pour appréhender une telle génération de l’esprit, réalise les circonstances d’une invention en s’y plaçant lui-même. Ainsi en est-il dans le Traité des sensations où Condillac souligne, par l’Avis au lecteur, « qu’il est très important de se mettre exactement à la place de la statue que nous allons observer » (1754/1984, p. 9) pour appréhender le principe d’activité qui détermine le développement naturel des facultés de l’homme, langage inclus.
Vient ensuite la découverte analytique, par l’analyse en esprit, des rapports que ces idées simples instaurent au sein même de l’expérience, ce qui permet d’élever la connaissance de l’homme expérimenté à la vérité. Il s’agit plus précisément d’observer l’expérience où les signes expriment les idées au plus près des sensations liées à nos besoins. C’est alors que le philosophe observateur peut percevoir quelque chose qu’il rapporte à un nom généralement emprunté à l’usage. Ainsi percevoir une sensation, c’est exprimer un rapport à quelque chose sous la forme d’un jugement exprimé par un nom. À ce titre l’esprit concourt, sans modèle préétabli mais sur la base d’un rapport fondateur, à la production des notions abstraites de la métaphysique et de la morale. Condillac peut alors souligner l’importance de l’esprit d’un homme qui sait penser, soit de l’esprit qui juge au titre d’une intelligence d’ordre supérieur sachant apprécier la valeur des mots, choisir les combinaisons adéquates à la production d’idées morales complexes.
La démarche analytique, que Sieyès partage avec Condillac, consiste dans l’acte de fixer dans notre esprit les idées simples par des mots qui nous en donnent la signification, puis de déterminer les termes appropriés aux idées abstraites, qualifiés de notions abstraites, par la combinaison d’idées simples sur une base génétique. Dans la liaison des idées avec les signes, et tout particulièrement dans le lien premier des mots aux idées, la langue analytique devient ainsi une langue toute nouvelle.
Du programme condillacien analytique nous pouvons donc retenir, au plus près de la lecture que Sieyès en fait, les cinq points suivants :
a - La réduction de toutes les facultés de l’esprit à des opérations sémiotiques constituées de la génération des liaisons des signes linguistiques à partir des signes naturels sous la modalité de la langue analytique.
b - L’établissement d’un programme naturaliste qui circonscrit l’appartenance de l’individu, du moi à une espèce sur le plan logique, selon une perspective génétique s’ancrant méthodiquement dans l’étude du langage.
c - En ce qui concerne l’usage d’opérations mentales permettant la fixation des significations, il existe un langage d’action, certes « primitif », mais qui possède déjà un caractère conventionnel affirmé.
d - La métaphysique est basée sur un seul principe, la liaison des idées entre elles et avec les signes au regard des sentiments et des idées qui procèdent effectivement de l’expérience. À distance de toute interprétation tant essentialiste que réaliste des notions abstraites des opérations de l’âme, il est question d’une science des circonstances centrée sur la facticité des besoins humains.
e - L’insistance sur le rôle de la conscience, sous la forme de la dynamique de l'esprit, du moi et de son substrat naturel, dans la construction de l'ordre social, ce qui revient à mettre à distance une certaine vulgate encyclopédiste qui voudrait réduire l'action du philosophe à une fonction critique dans un univers dominé par l'opinion publique et fondé sur le seul principe de raison.
Tel est l’argumentaire condillacien sur lequel Sieyès s’appuie pour penser, puis mettre en acte une nouvelle langue politique de forme analytique au cours de la Révolution française. Cependant l’apport condillacien se concrétise d’abord chez Sieyès dans une première expression de la langue analytique au sein des Lumières tardives sous la modalité du travail de l’esprit politique,
Le travail de l’esprit politique en contexte
En fin de compte le travail de l’esprit selon Condillac, s’il est de caractère particulièrement abstrait, s’établit tout autant dans un lien particulier à l’empiricité, à l’activité. Nous sommes désormais confronté à un acte de nommer en esprit les nouveaux objets sociaux au titre même de leur extension empirique sur la base de l’expérience individuelle. C’est ainsi que ces objets sont conçus et réalisés.
Quant au langage d’action, il acquiert dans ce processus d’extension une seconde nature. Il n’est plus unilatéralement rapporté à l’origine naturelle du langage. Il est associé au travail de l’esprit de tout individu expérimenté, donc apte à juger. Désormais la parole du sujet politique de la langue est tout à la fois pensable et possible dans la mesure où elle relève d’une opération de l’esprit qui produit des signes artificiels, tout en disposant de sa nature propre en tant que logique des signes associée à un pouvoir infini de créativité.
Le pouvoir ontologique ainsi conféré aux esprits supérieurs, le philosophe en première ligne, mais aussi le législateur tant attendu, nous introduit à la thématisation des nouveaux objets sociaux. En premier lieu, le paradigme social de facture récente – l’Encyclopédie souligne la nouveauté de l’adjectivation « social » – s’enrichit en esprit d’un espace conceptuel issu du mouvement d’auto-institution du social. À la sociabilité naturelle définie comme la capacité des organismes humains à vivre ensemble, donc à constituer un organisme social, s’associe désormais une socialité qui se déploie du corps social aux vérités sociales pour former le tout de l’organisation sociale. Sieyès n’aura de cesse de traduire une telle socialité dans une description de l’ordre social, en appui sur une science sociale qualifiée de sociologie (Guilhaumou, 2018).
Nous n’allons pas présentement entrer dans le détail des événements qui marquent au cours des années 1770-1780 ce que l’on peut qualifier de moment nominaliste de facture condillacienne9. Précisons seulement que l’affirmation nominaliste de la seule existence des individus dans la nature se traduit, sur la base des besoins naturels, par une manière de nommer de nouveaux objets sociaux comme Sieyès le fait dans ses notes manuscrites sur ce qu’il doit en être de l’ordre social10. Sous la plume de Sieyès se développe la traduction empirique d’un espace du pensable et du possible au sein d’un paradigme social de facture condillacienne. Au titre d’une critique des libéraux d’inspiration physiocratique, il s’agit non pas de déduire les principes des faits, sur un fonds de cartésianisme vulgarisé dans l’idée d’évidence, mais d’observer analytiquement la nature de l’homme en deux temps : d’abord selon un ordre local qui met l’accent sur la capacité d’assimilation des individus entre eux, donc au sein même de la réciprocité humaine, puis selon un ordre général qui garantisse la finalité humaine, le bonheur, et trouve les moyens d’y parvenir.
En résumé, à chaque moment historique de la réalisation du programme analytique de Condillac, Sieyès se positionne en esprit puis en pratique au plus près des circonstances.
D’abord, il importe au jeune Sieyès de se placer en esprit, au cours des années 1770, dans les circonstances sensibles de l’invention de l’individu isolé, sur le modèle de la statue du Traité des sensations. Ainsi apparaît, dans le cahier métaphysique, la figure du spectateur philosophe qui prend appui sur une métaphysique du langage, désignée par l’expression de « langue abstraite », pour élaborer une métaphysique du moi et de son activité. Chemin faisant, précise Sieyès, la constitution de la langue analytique s’avère indispensable.
Ensuite, durant le moment proto-politique des années 1780 où se déploie le travail de l’esprit politique, soit ce quelque chose qui fonde la politique dans le lien du philosophe au législateur, Sieyès s’efforce de percevoir et d’analyser ce qu’il en est d’un un tiers commun entre les citoyens qui prend d’abord nom de Tiers État, puis incarne la nation en 1789 par sa capacité à se traduire politiquement dans l’avènement d’une Assemblée Nationale. Ainsi se mettent en place les conditions adéquates au développement d’une nouvelle langue politique au sein de la Nation française sur le modèle de la langue analytique condillacienne.
Enfin il convient d’élaborer analytiquement, dans les circonstances révolutionnaires, la langue politique, à la fois comme « langue propre » du législateur et « langue bien faite » du philosophe analyste. C’est là tout un champ de recherche à délimiter sur la base des écrits politiques de Sieyès. Au plan philosophique, l’événement principal est la confrontation avec les Idéologues sous le regard des philosophes allemands.
Il apparaît que la lecture de Condillac par Sieyès ne relève pas d’un simple débat philosophique, mais renvoie tout autant à une dimension d’action, et ses supports, des figures agissantes. Les énoncés de Sieyès sont ainsi des énoncés situés. Nous leur conférons, on dirait de nos jours, une dimension performative. Retenons aussi, dans notre approche, un effet de décentrement de la réception reconnue de Condillac chez les Idéologues. En mettant l’accent sur le travail de l’esprit politique de facture condillacienne dans les moments proto-politique et proprement politique de la Révolution française, il n’est plus vraiment question d’une « découverte » de l’importance philosophique de Condillac par les Idéologues. Ces penseurs arrivent, selon ce point de vue, en fin de course d’une mise en acte du programme condillacien, et en réduisent de surcroît sa portée épistémologique par le fait de ne plus considérer le langage d’action comme le fondement premier de la pensée.
Sieyès critique de l’école de Condillac
Peu enclin à suivre ses collègues dans la formation d’un gouvernement des savants (11), Sieyès, dans ses manuscrits du Consulat, s'en prend à ses collègues législateurs qui refusent toute « analyse philosophique » ou « métaphysique » et se définit lui-même comme « philosophe-analyste » après avoir été « observateur-philosophe ». En excepte-t-il les Idéologues qu'il qualifie alors d'« école de Condillac » ? Certes il les fréquente au sein de l'Institut, mais il demeure vraiment très réservé sur leur usage de la méthode analytique.
Le différend entre Sieyès et les Idéologues éclate au grand jour à l'occasion du « Colloque métaphysique » organisé par le philosophe allemand Wilhelm von Humboldt et Destutt de Tracy le 27 mai 1798 (12). Au cours de la réunion elle-même, Sieyès suit sans difficulté l'exposé d'Humboldt sur la métaphysique allemande, à la différence des Idéologues présents, dans la mesure où ce philosophe allemand donne une définition de la métaphysique qu'il partage dans les termes suivants rapportés par Humboldt : « Notre métaphysique n'est autre chose qu'un développement parfait des actions de ce que nous nommons notre moi » (Azouvi, 107). Nulle surprise donc si la discussion entre Humboldt et Sieyès qui s'ensuit s'avère fructueuse en dépit de quelques divergences. Mais, avec les Idéologues, le dialogue tourne court. Selon Humboldt, « La volonté pure, le bien véritable, le moi, la pure conscience de soi, tout cela est pour eux totalement incompréhensible » (Azouvi, 110). Non seulement ils n'ont aucune « capacité d'abstraction », et, par là même, ils sont incapables de concevoir l'existence de quelque chose a priori, mais l’'idée de synthèse leur est totalement étrangère.
Le second ensemble du cahier métaphysique (13) porte, comme nous l’avons déjà dit, sur certains aspects de la pensée des Idéologues, soit de « l'école de Condillac », représentés surtout ici par Antoine Destutt, Comte de Tracy et sa Grammaire (1803), seconde partie de ses Éléments d’idéologie. Les titres des divers paragraphes sont révélateurs des réserves, voire des critiques de Sieyès à leur égard : Couleur, espace ; Affections, jugements sont d'un ordre différent ; Monde lingual. Mécanisme du langage analogue mais plus étendu et plus puissant que celui du cerveau avant les langues de convention; Le jugement ne se réduit pas à sentir qu'une idée est dans une autre ; L'art de penser, chapitre X. Au-delà du fait que Sieyès développe ici une critique minutieuse de la position de Destutt de Tracy (14), l’élément important, de notre présent point de vue, est qu’il s’y associe une prise de distance, sur des points précis, avec L’art de penser de Condillac.
Dans le court texte intitulé Affections, jugements sont d'un ordre différent, Sieyès crédite les « nouveaux métaphysiciens », qu'il regroupe dans « l'école de Condillac », d'une ressemblance avec « les gens du monde qui se dirigent par politique » dans la mesure où ils voient dans l'instinct un « calcul de tête ». À l'encontre de cette volonté de ne concevoir « que des jugements plus ou moins prompts dans nos affections et dans l'action de l'instinct », il insiste sur la nécessité de distinguer « le sentiment passionné » et les « signes de convention », le « langage naturel », ou « langage simple naturelle de l'instinct » de « la langue conventionnelle analytique ». Il en conclut que « le jugement n'appartient pas au même organe que l'affection », que « la faculté du sentiment et la faculté du jugement ont chacune leur langue à part ».
Sieyès montre ainsi qu'il ne participe pas d'une vision strictement sensualiste et analytique de la production des idées. Très à l'aise dans le « jeu des abstractions », – on lui reprochera bien souvent –, il dissocie nettement le langage médiat du jugement, seule véritable langue analytique, du langage immédiat du sentiment. Opère-t-il ainsi une rupture idéaliste avec ses options sensualistes de jeunesse ?
Un second texte précise ce qu’il en est du monde lingual, soit du « Mécanisme du langage analogue mais plus étendu et plus puissant que celui du cerveau avant les langues de convention » (15) où se fait « la communication des idées par le commerce des signes ». Le fond de la critique de Sieyès apparaît alors avec netteté : Condillac et les Idéologues réduisent ce mécanisme lingual aux formes linguales, ils s'avèrent donc incapables de circonvenir des instruments neufs pour l'analyse intellectuelle. Ainsi, non seulement Sieyès précise cette insuffisance par une critique frontale d'un aspect de la conception condillacienne du verbe, systématisé par les Idéologues au titre de la réduction des formes verbales au verbe être, mais il produit également, au centre de ses réflexions manuscrites et dans un texte essentiel pour toute réflexion sur sa métaphysique du langage, le concept de monde lingual à l'encontre du sensualisme formaliste des Idéologues.
Lorsque Condillac s'interroge sur la fonction existentielle du verbe, il précise qu'il s'agit de rendre compte de la coexistence du sujet et de l'attribut, ce qui revient à donner une place prépondérante au verbe être. Considérant que pour Condillac et les Idéologues, « le verbe être n'est point le seul verbe. Il n'est pas mieux un verbe », Sieyès leur oppose une conception verbale différente car centrée autour du verbe de mouvement : « Le mouvement seul est bien le verbe », « Les verbes me paraissent surtout destinés à exprimer l'action ». Dans la mesure où le verbe être est l'abstraction la plus généralisée des verbes, « il cesse déjà de conserver le véritable caractère des verbes qui est l'action ». Certes, les verbes, après analyse, « rendent l'existence avec une qualification », mais ils doivent surtout « donner l'idée d'action qui n'est pas dans le verbe être ». À vrai dire, il ne fait lui aussi que systématiser un autre aspect de l'analyse condillacienne du verbe.
Dans une note séparée intitulée Du verbe, que nous avons publiée (16), Sieyès développe une conception du verbe de mouvement en adéquation avec sa définition de la science des quantités fondatrice de la science politique. Le verbe d'action, et d'abord les verbes exprimant l'action tels que faire, agir, constitue ici l'instrument majeur de cette science.
Sieyès précise alors deux points importants d’un manuscrit à l’autre :
- « Le mouvement seul est bien le verbe … le verbe exprime une action » (17).
Il souligne ainsi le rôle fondateur du verbe d'action à valeur performative (je veux, donc j'agis) dans l'affirmation de la volonté et de la liberté.
- « Le verbe exprime seulement la liaison des qualités et l'identité des qualités. Mr de Condillac veut qu’il exprime la coexistence de l’attribut avec le sujet, c’est nier qu’il y ait des passés et des futurs. Il faut se servir du mot liaison qui est plus générique » (18).
Nous comprenons pourquoi Sieyès rejette une conception dominante chez les grammairiens de son époque du verbe être qui nous maintient au seul niveau de la coexistence des formes linguales, et préconise par là même l'usage de verbes signes d'action dans la perspective d'une science des quantités apte à fonder le mouvement vers la liberté. Sieyès peut ainsi préconiser l'usage de verbes simples pour exprimer activement les rapports inconnus de quantités à partir de combinaisons nouvelles de qualités connues, tout en montrant que seuls les verbes d'action peuvent signifier de tels rapports par leur capacité à montrer la valeur de l'action de telle ou telle nouvelle combinaison de faits.
En fin de compte, à la différence des Idéologues, et plus particulièrement de Destutt de Tracy, Sieyès redonne au verbe une place à part entière dans le mouvement du discours, se démarquant dans le même temps de Condillac. Qui plus est, il réfute d'emblée la conséquence la plus fâcheuse de cette survalorisation du verbe être : l'hypertrophie du jugement par sa disparition derrière l'idée d'existence. En effet, il n'est question, dans la Grammaire de Destutt, que d'un jugement d'existence, équivalent au fait qu'une idée existe contenue dans une autre. C’est là où intervient le texte suivant intitulé Le jugement ne se réduit pas à sentir qu'une idée est dans une autre (19). Sieyès y développe une critique plus ciblée des fondements épistémologiques de la Grammaire de Destutt de Tracy (20). En affirmant, dans le chapitre I, que « Juger, c'est sentir des rapports entre nos idées » soit « c’est sentir qu'une idée en renferme une autre », Destutt confond, selon Sieyès, deux opérations distinctes : le fait d'« apercevoir la liaison, ou le rapport d'une idée à une autre » et le fait d'« analyser par abstraction les qualités d'un même fait ». Ainsi, si la méthode analytique demeure la voie royale, par le jeu de l'abstraction elle « fournit matière au jugement indépendamment de la vue des rapports qui lient ces différents faits ou ces différentes idées » (21).
Une fois de plus, c'est sur la question de l'abstraction que les Idéologues achoppent. Calquant l'analyse intellectuelle sur les formes sensibles, Destutt transforme les « facultés supérieures de jugement », qui ouvrent un champ immense au savoir, en « une faculté et un acte homogène », bref en une conception confuse et simplifiée de l'entendement.
Étant acquis que « L'erreur de Condillac et des autres grammairiens vient de la fausse idée qu'ils veulent avoir du verbe être, qui au lieu d'être le verbe unique, comme ils disent, n'est pas même à la rigueur un verbe » (22), la lecture de L’art de penser par Sieyès permet de développer trois autres aspects d'une conception de la cognition humaine qui le rapproche au premier abord des philosophes allemands, en particulier Kant :
1- La définition des catégories d'espace et de durée comme « deux choses à part », deux choses en elles-mêmes à la fois extérieures et abstraites du corps, donc indépendantes de tout rapport. C'est ainsi que Sieyès écrit, dans le texte sur Couleur, espace qui ouvre le second ensemble du cahier métaphysique : « L'espace est toujours l'espace sans avoir besoin de tenir à rien … C'est dira-t-on la dernière abstraction ! » (23). Il s'oppose donc à Condillac et aux Idéologues qui pensent que la durée est la succession des sensations, et l'espace leur coexistence.
2- La possibilité, grâce au monde lingual, de circonscrire « un mécanisme du système intellectuel réglant en quelque sorte la nature dans un ordre favorable à nos besoins » donc apte à « perfectionner les moyens de connaître la nature » par le recours à « un pouvoir d'abstraire » agrandi à l'infini, en associant « l'analyse et la synthèse ». Ainsi s’ouvre la réalité à l'infinité des possibles :
J'acquiers une force de connaître (assez pour mes besoins, assez pour le commerce social) une infinité d'objets que je n'ai jamais vus, que je pourrai jamais voir (…) Je double, je centuple les signes arbitraires. Bien plus, je lie ces signes entre eux. Je les organise en systèmes de jugement, de proposition, de raisonnement, de discours (24).
3 - L'affirmation du moi comme « point central » des sens internes aptes à nous donner des connaissances autres que celles issues de nos sensations premières.
C'est une fois de plus autour de la question du jugement, appréhendé dans l'immensité du champ qu'il couvre par la multiplicité et la complexité de ses manifestations, que le problème de l'unité du moi, de sa capacité synthétique, se précise.
Comment peut-on reconnaître l'existence à part, sous les sensations, et différenciée des corps, d'un moi unifié dans un espace/temps ouvert à l'infinité des possibles par le système lingual ? Par une « opération supérieure à la faculté purement sensitive », soit la « faculté supérieure de jugement ». Cette faculté découvre ce qui existe pour soi, soit l’« existence a parte rei » puis « distingue plusieurs » et enfin « se fait l'idée d'unité »25. Plus précisément, elle incarne « le sens intime de nous-même… » qui « nous a conduit à la connaissance comparée du moi et des autres », puis à la reconnaissance des corps extérieurs dont un « sujet extérieur », le sien propre. « Elle exerce toutes les opérations sur notre propre corps devenu extérieur pour elle. L'« être réel » qu'elle met en évidence par « la reconnaissance d'un moi, sujet ou substratum auquel s'attachent toutes les sensations » est un tout irréductible à un sujet pour soi. Ainsi Sieyès précise :
La connaissance intime de ce sujet conduit inévitablement l'esprit à supposer un 'sujet pareil' sous les sensations qui nous viennent des autres corps. Nous sommes inévitablement conduits à juger que les corps extérieurs qui nous donnent les mêmes sensations que notre corps sont des hommes comme nous, et qu'ils sont autres à mesure que la similitude diminue. Nous arrivons ainsi à la connaissance des corps nous ressemblant le moins, mais qui sont encore des corps ayant leur substratum plus ou moins analogue au nôtre (26).
La reconnaissance du réel, saisi dans le mouvement même de la faculté du jugement issu d'un tel substratum, procède-t-elle chez Sieyès, comme dans la philosophie pratique allemande, des catégories de la « pure intuition du moi » pour reprendre l'expression utilisée par Humboldt pendant le colloque métaphysique de 1798 ? Ce philosophe allemand ajoute que les Idéologues sont incapables de réfléchir sur les catégories constitutives d'un tel a priori. Mais, une fois de plus, il en excepte Sieyès : "Sieyès en dit une fois quelque chose : le philosophe écarte les jugements des sens, il ferme les yeux etc. Je crois qu'il a en lui une capacité d'y parvenir, mais ne se l'avoue pas" (Azouvi, Bourel, 1991:109). À la différence des Idéologues qui « n'apprirent rien de plus de la philosophie kantienne » au terme de la réunion métaphysique, précise Humboldt, Sieyès semble bien avoir retenu la leçon, ou tout du moins les convergences avec sa propre pensée métaphysique (27). En effet, critiquant les Idéologues dans les textes manuscrits que nous venons de succinctement présenter, produisant ainsi les catégories a priori de moi, d'espace/temps et de monde lingual, Sieyès nous semble avoir enfin commencé à concrétiser la capacité d'abstraction du moi sous forme de représentations a priori grâce auxquelles nous pouvons émettre des jugements distincts, multiples, composés, donc supérieurs. Lorsqu’il parle, à propos de l'espace et de la durée, de « choses à part », et à propos du moi substratum d'un « sujet existant à part lui », Sieyès n’est-il pas au plus près de l'explicitation de la chose en soi, telle que la conçoivent les philosophes allemands ? Le débat reste ouvert.
Conclusion
La présence de Condillac au sein des écrits de Sieyès est quasi permanente dans la mesure où elle est le pivot de sa méthode analytique. Cependant, ce qui caractérise Sieyès comme philosophe procède de l’articulation de son empirisme analytique à une métaphysique du moi substratum. La lecture des philosophes kantiens de son époque tend à rapprocher la philosophie de Sieyès, du moins dans sa dimension métaphysique, de l’a prioricité kantienne. Elle a l’avantage d’avoir été formulée dans le vif de l’échange direct de Sieyès avec ses philosophes, le temps de leur présence à Paris. Mais une telle référence historique épuise-t-elle pour autant la signification de la conception sieyésienne du moi ? Une autre piste en ce domaine se présente, la voie phénoménologique.
C’est là où intervient la manière dont Jean-Christophe Bardout (2017) présente la relation, chez Condillac, du moi au corps, nous introduisant ainsi à une autre approche de la signification du moi dans la relation de Sieyès à Condillac. Ce chercheur considère que le Traité des sensations met en œuvre une figure originale du moi, ce qui nous est apparu dans la lecture que Sieyès fait de cet ouvrage. Mais il situe l’émergence du moi chez Condillac dan la perception d’une présence de ce moi au corps. Une telle relation du moi à son corps le distingue certes du monde extérieur, mais selon une réflexivité de ce moi au monde extérieur qui lui permet d’acquérir la certitude de l’existence de ce monde. Une telle insistance sur le lien entre la formation du moi et son corps au regard de l’existence du monde met en valeur « quelque chose » de permanent présent dans chaque expérience sensorielle distincte. Ici le moi n’est pas une essence, une substance, mais une présence au monde extérieur dans l’expérience des autres et le retour de cette expérience vers soi. Une telle lecture phénoménologique du moi chez Condillac s’écarte de la lecture des philosophes allemands, et ouvre donc une nouvelle perspective sur Sieyès lecteur de Condillac. Qui plus est, la prise en compte des notes manuscrites éparses de Sieyès rassemblées autour de celle sur le moi, met en évidence un intérêt majeur de Sieyès pour les facultés du moi, en particulier la mémoire, l’imagination, la réminiscence… Une telle lecture phénoménologique ouvre un dialogue avec les psychologues et les philosophes cognitivistes contemporains travaillant sur la mémoire28. Sieyès lui-même lit et commente dans ses ultimes manuscrits Bichat et ses Recherches physiologistes sur la vie et la mort dans l’édition de 1800, Richerand et ses Nouveaux éléments de physiologie, dans l’édition de 1814, et les Rapports du physique et du moral de Cabanis dans l’édition de 1815. Les titres de ses analyses nous rapprochent des préoccupations de nos contemporains, Du cerveau et de l’instinct, Point central du système humain, Monde intérieur/extérieur, Analyses des actes concourant à la cognition. Quelque chose existe et quelqu’un parle sous la forme d’un moi substratum propice à la genèse de la langue analytique, qui se concrétise avec Sieyès dans une nouvelle langue politique.
Sources et Bibliographie
- Corpus Condillac (1714-1780), sous la direction de Jean Sgard, Genève-Paris, Éditions Slaktine, 1981.
- Condillac Étienne Bonnot, Traité des sensations, 1754, Corpus des Œuvres de Philosophie française, Paris, Fayard, 1984.
- Condillac Étienne Bonnot, La logique ou les premiers développements de l’art de penser - Sur Gallica.
- Destutt Antoine, Comte de Tracy, Œuvres complètes, tome IV : Grammaire seconde partie des Éléments d’idéologie, (1803), Paris, Vrin, 2013. Et sur Gallica l’édition de 1803.
- Manuscrits de Sieyès, Tome I et II, sous la direction de Christine Fauré, Paris, Champion, 1999, 2007. Le Grand cahier métaphysique est disponible par nos soins sous forme de transcription, d’annotation et de présentation, dans le Tome I des Manuscrits de Sieyès (1773-1799), sous la direction de Christine Fauré, collection « Pages d’archives », Paris, Champion, 1999, p. 47-166. En abrégé dans le texte MS I, et MS II.
- François Azouvi et Dominique Bourel, De Königsberg à Paris, La réception de Kant en France (1788-1804), 1991.
- Marc Belissa, Yannick Bosc, Le Consulat de Bonaparte. La fabrique de l’Etat et la société propriétaire 1799-1804, Paris, La Fabrique, 2021.
- Aliénor Bertrand (dir.), Condillac et l’origine du langage, Paris, PUF, collection « Débats philosophiques », 2002.
- Jean Christophe Bardout, « Le corps du moi. Remarques sur le Traité des sensations », Études philosophiques, 2017/4, p. 531-554.
- André Charrak, Empirisme et métaphysique. L’ « Essai sur l’origine des connaissances humaines » de Condillac, Paris, Vrin, 2003.
- André Charrak, Empirisme et théorie de la connaissance, Paris, Vrin, 2009.
- Christine Fauré, « Introduction », Manuscrits de Sieyès (1773-1799), Tome I, Paris, Champion, 1999, p. 15-45.
- Christine Fauré, « Actualité de Sieyès et genèse de son œuvre manuscrite », Manuscrits de Sieyès 1770-1815, Tome II, Paris, Champion, 2007, p. 15-57.
- Jacques Guilhaumou, « Sieyès et la métaphysique allemande », Annales Historiques de la Révolution française, France-Allemagne. Interactions, références, N°317, 3-1999, p. 513-536.
- Jacques Guilhaumou, « Sieyès et 'l'école de Condillac'», in Formen der Aufklärung une ihrer Rezeption/Expressions des Lumières et leur réception, R. Bach, R. Desné, G. Hassler hrsg, Tübingen, Stauffenburg, 1999, p. 441-452.
- Jacques Guilhaumou, Sieyès et l’ordre de la langue. L’invention de la politique moderne, Paris, Kimé, 2002.
- Jacques Guilhaumou, « Humboldt et l’intelligence politique des Français : autour de Sieyès », Des notions concepts en révolution. Autour de la liberté politique à la fin du XVIIIe siècle, sous la dir. de J. Guilhaumou et R. Monnier, collection d’études révolutionnaires N°4, Paris, Société des études Robespierristes, 2003, p. 169-184.
- Jacques Guilhaumou, « Sieyès et la figure nominaliste du métaphysicien : du Grand Cahier métaphysique aux Vues analytiques », Figures de Sieyès, sous la dir. de Vincent Denis, Pierre-Yves Quiviger et Jean Salem, Publications de la Sorbonne, 2008, p. 241-254. Disponible sur HAL-CNRS.
- Jacques Guilhaumou, Cognition et ordre social chez Sieyès. Penser les possibles, Paris, Kimé, 2018.
- Jacques Guilhaumou « Le philosophe et le cerveau. Quelques notes de lecture de Sieyès et la mémoire », La mémoire à l’épreuve de l’interdisciplinarité. Sciences humaines et cognitives, sous la direction d’Isabelle Luciani et Céline Souchay, Presses Universitaires de Provence, 2023.
- Nicolas Rousseau, Connaissance et langage chez Rousseau, Paris, Droz, 1986.
- Domenico Siciliano, « Defensive AufKlärung ». Il conflitto tra philosophia, politica, giurisprudenza nella’Articolo segreto per la pace perpetua di Immanuel Kant, Milano, Guiffrè, 2023 (Une partie sur Kant et Sieyès p. 124-150).
Notes
(1) En abrégé, soit MS I, II, dans les références suivantes.
(2) Les premières notes critiques du jeune Sieyès ont disparu du fonds manuscrit conservé aux Archives Nationales (284 AP). Cependant un érudit du XIXe siècle, Hippolyte Fortoul, qui avait pu les consulter avant leur disparition, a recopié des extraits de ces notes conservées également aux Archives Nationales (246 AP 35). La citation présente et la suivante sont puisées dans ces cahiers.
(3) Les mots et énoncés en italique sont soulignés dans les manuscrits de Sieyès.
(4) "Je déteste la langue parce qu'elle a imprimé dans ma mémoire les préjugés de ceux qui m'ont environné depuis ma naissance", Id.,
(5) Id.
(6) Pour simplifier, nous parlons désormais de cahier métaphysique.
(7) Voir sur ce point notre ouvrage Sieyès et l'ordre de la politique. L'invention de la politique moderne (2002), en particulier les pages 48-53.
(8) Reprint Edhis du Journal d'Instruction sociale (1793), Paris, 1981, Prospectus p. 3.
(9) Voir la première partie, sous le titre « Le moment nominaliste des années 1779-1780 », de notre ouvrage sur Cognition et ordre social chez Sieyès. Penser les possibles (2018).
(10) Id., Seconde partie.
(11) Sur ce point, voir Belissa, Bosc (2021, p.147-148).
(12) Ce « Colloque métaphysique » a été décrit par Humboldt lui-même dans son journal, publié en 1916, et sa correspondance avec Schiller. Voir sur ce point le chapitre 10 de notre ouvrage sur Sieyès et l'ordre de la langue, op. cit. Ce résumé de la rencontre a été traduit dans l’ouvrage de François Azouvi et Dominique Bourel (1991).
(13) CM, I, p. 143-166.
(14) Voir sur ce point le chapitre 9 de notre livre sur Sieyès et l'ordre de la langue (2002) intitulé « Sieyès, Destutt de Tracy et la langue analytique ».
(15) MS, I, p. 149-154.
(16) Voir notre ouvrage Sieyès et l'ordre de la langue (2002), p. 214-218.
(17) MS, 1, 153.
(18) Sieyès et l'ordre de la langue, op. cit., p. 217.
(19) MS, I, p. 157-159.
(20) L'édition originale de la Grammaire de Destutt de Tracy reproduite dans Gallica à laquelle Sieyès fait référence est de 1803.
(21) Id., p. 23.
(22) MS, I, 161.
(23) Id., p. 145.
(24) Id., p. 152.
(25) Dans une note séparée intitulée moi, Sieyès commence par écrire: « + moi - existence a parte rei - je distingue plusieurs - je me fais un - je juge ou perçois ». Nous avons retranscrit et publié cette note séparée dans notre contribution sur « Le philosophe et le cerveau. Quelques notes de lecture de Sieyès et la mémoire », (Guilhaumou, 2023), p. 141-142.
(26) MS, I, p. 163.
(27) Dans son Journal Parisien, Humboldt relate ses nombreuses rencontres avec Sieyès en 1798. Il voit en lui « un homme de caractère complexe et riche », un philosophe qui n'« n’étudiait que la métaphysique » et « n’éprouvait qu’aversion pour toute politique ». Et il ajoute : « Sieyès était fait pour se consacrer un jour exclusivement à la métaphysique et avait établi un système très nouveau », mais il ne l’a jamais fait alors que « sur la métaphysique, il semble avoir des idées personnelles qui reposent principalement sur l’action et la réaction ». Mais « l’idée du public autour de lui est tout de suite là » ; ainsi « tout écrit est une partie de la vie publique ». Donc "il se retire, facilement susceptible, dès qu’il voit que ses idées ne sont pas acceptées partout et complètement ». Pour plus de précisions voir Guilhaumou, 2003. Cependant, Sieyès lui-même n’était pas très à l’aise dans cette rencontre comme en témoigne Karl Theremin, également présent à l’une des rencontres avec Humboldt, qui écrit une lettre à son frère dont la teneur est la suivante : Hier j'étais chez Sieyès où se trouvait un kantien nouvellement arrivé (sans doute Humboldt lui-même) ; on a beaucoup parlé de la philosophie kantienne, et Sieyès, qui n'est connu que comme homme d’Etat, mais qui s'est beaucoup occupé de métaphysique sans jamais rien publier à ce sujet, a exposé quelques-uns de ses principes et a remarqué le kantien qui a précisé que ses principes correspondaient à ceux de Kant, ce qui a semblé beaucoup gêner Sieyès. La lettre en allemand de Theremin a été publiée par Domenico Siciliano, 2023 , p. 128, au sein d’une réflexion plus large sur la figure du Philosophe-roi chez Kant et Sieyès, p.124-150.
(28) Comme nous le proposons dans notre contribution "Le philosophe et le cerveau. Quelques notes de lecture de Sieyès et la mémoire" (Guilhaumou, 2023).