Pourquoi Robespierre fait-il le choix discursif, tout à la fois de référer le plus fréquemment « Jacobins » à la Société des Jacobins, et d’utiliser très rarement le singulier « jacobin » (13 occurrences) ? Le fait-il par une simple référence spatiale à un lieu de paroles, de débats ? Il convient ici de faire appel à la manière dont le lexicologue rapporte les usages de « jacobin(s)/jacobinisme » au sein des luttes politiques dès le début de la Révolution française.

L’emprise « royaliste » sur les usages de « Jacobin(s) »

Annie Geffroy (1), montre que l’entrée en politique du mot « jacobin » en 1790 se fait dans le cadre d’une association polémique, au sein la presse de droite, permettant de stigmatiser la Société des Jacobins en la qualifiant négativement. Les premiers textes qui parlent de « Jacobites » ou « Jacobins » (décembre 1789 - février 1790) sont "contre-révolutionnaires" par le fait qu’on assimile les Jacobins aux Ligueurs, car Jacques Clément était dominicain au couvent St Jacques. Mais, en janvier 1790, Camille Desmoulins (2) fait de « Jacobins » une lexie positive. Annie Geffroy en conclut que « Jacobin est donc, lexicalement, doublement "motivé": platement, par un lieu, richement, par la polémique (…). Dans l'univers de l'affrontement politique, la motivation plate ne suffit pas ; un mot "doit" avoir un sens plus riche, plus plein. » (3). Et elle ajoute : « Pour que nous parlions aujourd'hui du jacobinisme, il était certes nécessaire qu'un groupe se réunisse "dans le couvent des jacobins". Mais était-ce suffisant ? Et si ce groupe avait trouvé un autre local, chez des augustins, chartreux, capucins, cordeliers ou feuillants ? L'histoire des luttes politiques et de leurs vicissitudes aurait été la même, sans doute ; mais elle ne se serait pas dite avec les mêmes mots (4). »

Nous entrons, au-delà de la référence stable à la société des Jacobins, dans un univers de luttes politiques au sein duquel Robespierre élabore des stratégies discursives spécifiques, d’une configuration des énoncés avec « Jacobin(s) » à l’autre. Dans l’ordre historiographique, chaque emploi de « Jacobin(s) » s’explique en lien étroit aux circonstances, donc au regard d’un contexte « externe » analysé dans les travaux des historiens sur Robespierre, en particulier les plus récents, par Yannick Bosc (5), Hervé Leuwers (6), Jean-Clément Martin (7), mais aussi les réflexions fondatrices de Florence Gauthier sur l’originalité du « cas Robespierre » (8) au regard de son projet d’« économie politique populaire » inscrit à l’horizon du libéralisme de droit naturel, et de Georges Labica énonçant avec Robespierre en quoi la Révolution est « illégale », au regard du principe d'un droit naturel déclaré, en tant qu’il n'est pas porteur de sa propre genèse (9).

Mais présentement, notre démarche d’historien linguiste ne fait que décrire de manière configurationnelle des ressources propres aux énoncés de Robespierre se rapportant aux multiples usages de « Jacobins/jacobin ». Elle a pour objectif d’essayer de nous faire comprendre l’ampleur et la diversité des valeurs-principes et des valeurs-objets attestées dans les usages discursifs que Robespierre fait de « Jacobins » au regard d’une valeur-grandeur rapportée de manière inaliénable, inéchangeable à la « Société des Jacobins » (10). A ce titre, elle s’efforce de visibiliser des effets discursifs spécifiques, des effets de sens ayant un statut épistémologique de « surplus de sens » par rapport aux explications proposées par les historiens.

Le refus du « nom de jacobin seul ». Jacobin(s), un désignant assigné à une règle unificatrice

Dans le contexte initial de l’initiative antijacobine précoce de la presse royaliste, le décompte fréquentiel des œuvres de Robespierre montre un emploi vraiment faible de « jacobin », soit 13 occurrences, ce qui n’est pas une surprise pour le lexicologue et l’historien. Au-delà de ce constat lexical, l’enjeu discursif autour des usages de ce terme prend une telle ampleur que Robespierre lui attribue de manière intentionnelle une fonction linguistique précise. Ainsi, à la séance des Jacobins du 26 février 1792 (11), il est question de l'emploi du mot « Jacobin », du « nom simple de jacobin » (Robespierre), à propos de « la circulaire de la quinzaine aux sociétés affiliées » qui vient d’être lue. Il est également précisé, dans le compte-rendu de la séance, que « Robespierre approuve la circulaire, mais en propose l'ajournement. Il est d'avis par ailleurs, pour éviter toute équivoque, que « ne nous en tenions pas au nom de Jacobin seul ». Et il revient longuement sur ce dernier point dans les termes suivants :

« M. Robespierre. Quoique l'esprit de l'adresse soit bon et patriote, néanmoins comme il renferme le projet d'une sorte de comité central de députés des sociétés dans chaque département, et que cette mesure me paraît mériter quelque attention, je demande qu'on en fasse l'objet de la discussion de la prochaine séance, jusques là, je conclue à l'ajournement. Une seconde observation moins importante, mais que je crois aussi mériter quelque attention, c'est que je désirerais que dans cette adresse, au nom simple de Jacobins, on substituât celui d'amis de la constitution qui est notre véritable dénomination, et cela par deux raisons : la première, c'est qu'il me semble que c'est maintenant moins que jamais le moment de changer le nom avec lequel nous nous sommes formés, nom qui nous rappelle à jamais le but de notre institution et qui le rappelle également à nos ennemis : je désire donc malgré l'inconvénient de la longueur que nous ne changions jamais dans nos actes publics de correspondance notre nom de société des amis de la constitution, séante aux Jacobins. La seconde raison qui me fait désirer que nous ne nous en tenions pas au nom de Jacobin seul, c'est d'éviter d'adopter uniquement une dénomination qui fait naître sur-le-champ l'idée de corporation et même de faction, grâce aux calomnies dont nos ennemis ne cessent de nous honorer. ».

Robespierre propose que le terme de « Jacobin(s) » soit coordonné en permanence, dans ses usages, avec d’autres mots du vocabulaire patriotique. C’est là le point nodal de sa manière d’user de ce terme. Certes, il ressort de son intervention l’accent mis sur la valeur du désignant « Jacobin(s) », sa grandeur propre dans le souci même de Robespierre qu’elle demeure constante, à distance de toute dérive sémantique vers une assimilation du club à une faction. Mais ce qui importe pour Robespierre, une fois posée la grandeur des Jacobins, c’est que le nom de « Jacobins/jacobin » cooccure avec une série des termes qu’il convient de lui associer positivement, série dont nous allons caractériser les occurrences tout au long de cette courte description discursive.

Dans la mesure où Robespierre confère au terme de « Jacobins » une intentionnalité spécifique, l’historien linguiste se doit d’autant plus de décrire les ressources réflexives mises en œuvre par Robespierre au sein du champ sémantique de « Jacobins ». Cette démarche permet de caractériser, au plus proche des préoccupations des historiens sans s‘y confondre, sa stratégie discursive, sans l’y réduire, tout en s’en tenant à la description de fonctionnalités linguistiques attestées dans des jeux de langage relatifs au terme de « Jacobins » (12). Ces fonctionnalités rendent compte des effets pratiques relatifs aux usages de « Jacobins », au sein de la relation du locuteur à l’auditeur. De ce point de vue, il convient de s’interroger sur la manière dont le journaliste des Annales monarchiques, philosophiques, politiques, introduit, au regard de l’argumentation attestée de Robespierre, un effet qui ne lui est pas spécifique : « Il faut tout dire, M. Roberspierre n'est pas de cet avis : il va plus loin : comme 'il connaît tout l'odieux que porte aujourd'hui le mot jacobin, il en demande la suppression dans toutes les lettres adressées aux sociétés affiliées (13). » Ici se précise un point stratégique sur l’enjeu réel ou supposé de l’intervention de Robespierre chez son auditeur, et au-delà. En effet quelques mois plus tard, Robespierre prend par ailleurs acte de l’emploi de « la dénomination de Jacobites », désignation autre du « nom de jacobin seul », chez les adversaires des Jacobins :

« D'abord vous décidez presque la question en donnant à toutes les sociétés patriotiques de France, le nom de faction jacobite. C'est vous qui parlez de faction. J'aimerais mieux entendre Catilina dénoncer les conspirations ou Clodius déclamer contre la sédition. Mais n'importe, il parait au moins que vous connaissez l'empire des mots sur les hommes ; et parce que des moines nommés Jacobins habitèrent jadis dans l'enceinte de l'édifice, où se réunissent les citoyens de la société des amis de la constitution de Paris, vous appliquez à tous les français qui assistent à ces sortes d'assemblées, la dénomination de jacobites. Ce fut toujours un des principaux points de votre politique, de présenter le patriotisme, comme une secte. Pour remplir cet objet, vous n'avez pas trouvé de moyens plus heureux que de vous exprimer, comme si Dominique était à-la-fois, le fondateur de l'ordre des et de toutes les sociétés patriotiques de l'empire. Et vous aussi, général, vous êtes fondateur d'ordre (14).»

Robespierre, orateur du peuple aux Jacobins en 1792. L’ajustement d’une stratégie discursive à une fonction cognitive de nature sensible

Les usages de « Jacobins », en tant qu’il s’agit de la « Société des Jacobins » certes majoritaire, ne se résument pas chez Robespierre, au plan sémantique, à un lieu et aux individus qui y sont présents, y discutent. Diverses manières de parler y sont attestés. Leur fonctionnalité est de maintenir le potentiel patriotique de la référence à la « Société des Jacobins ». Nous sommes ici dans un moment, les années 1791-1792, où Robespierre se présente comme orateur du « peuple », au regard de sa vertu publique. A ce titre, ses opinions et ses jugements acquièrent une forte dimension morale, voir sensible. L’historien Hervé Leuwers précise à ce propos que « La stratégie n’est pas seulement discursive. Le procédé rappelle aussi une sensibilité, qui rappelle celle de Rousseau /…/En écoutant Robespierre, les journalistes et politiques comprennent l’efficacité de ses propos, mais s’étonnent de leur forme : ils en mesurent également la faille, et certains concentrent leurs attaques sur ce qu’est l’adversaire, sur son caractère, sa personnalité, sa sensibilité » (15). Ainsi Camille Desmoulins, dans Les Révolutions de France et de Brabant (16) indique, en positif, à propos de la séance du 5 décembre 1790 : « Qui pourrait ne pas partager la sainte indignation que Robespierre fit éclater le soir, aux Jacobins, dans un discours admirable. Les applaudissements dont il fut couvert, si forte censure du décret du matin, parurent alarmer Mirabeau, président des Jacobins.» Mais le journaliste du Lendemain, à propos de l’intervention de Robespierre à la séance du 8 juin 1791, ajoute de manière plutôt ambiguë : « Robespierre, qui ne connaît pas les ménagements, et qui ne doute de rien, Robespierre qui dirait : périsse l'armée, comme il a dit périssent nos colonies, a parlé sur le même sujet, sans être embarrassé comme le préopinant /…/ Cette sorte d'éloquence a été fort du goût des Jacobins, et l'impression du discours a été décrétée à l'unanimité (17). »

Par ailleurs, les usages de « Jacobins » non référenciés à la société des Jacobins, à la présence de ses membres à la tribune, voire au sein de la Montagne de la Convention, relèvent en partie chez Robespierre d’une prise de distance avec la vision des « Jacobins » dans le discours de l’ennemi de l’extérieur et de l’intérieur. Ainsi en est-il lorsque Robespierre rapporte, le 5 juillet 1792 dans Le Défenseur de la Constitution, les propos de l’empereur : « Il Léopold reproche amèrement dans le même manifeste, avec une naïveté qu'on n'aurait pas attendue d'une majesté impériale et autrichienne, à tous les français patriotes, qu'il nomme Jacobins, de compromettre le salut de la France, par leur inflexibilité à repousser tout changement, même dans les accessoires de la constitution » et ajoute : « L'empereur croit devoir au bien-être, de la France et de l'Europe entière, ainsi qu'il y est autorisé, par les provocations et les menées du parti des Jacobins, de démasquer et de dénoncer publiquement, une secte pernicieuse, comme les vrais ennemis du roi très-chrétien, et des principes fondamentaux de la constitution actuelle, et comme les perturbateurs de la paix et du repos général » (18). Et, au sein même de la Convention, plus spécifiquement de son côté droit, Robespierre dénonce l’utilisation par les ennemis de l’intérieur d’une série de désignants dévalorisant les « Jacobins » le 10 janvier 1793 : « N'est-il pas vrai que comme les Maury et Malouet, les Ramond et les Dumolard on a parlé dans la Convention, sur le même ton, des tribunes des Jacobins, des démagogues, des agitateurs, des factieux, de populace et de populacier, et que toutes ces expressions parties du même côté, dans les trois assemblées, ont toujours désigné les mêmes personnes, les amis de la liberté et de l'égalité (19) ? »

Coordination et effet de sens : une émergence discursive au sein d’une diversité d’objets institutionnels

Après six semaines d’absence, Robespierre écrit à Buissart, le 30 novembre 1791 : « J'ai été dans la soirée à la séance des Jacobins où j'ai été accueilli du public et de la société avec des démonstrations de bienveillance si vives qu'elles m'ont étonné, malgré toutes les preuves d'attachement auxquelles le peuple de Paris et les Jacobins m'avoient accoutumé(20). » De même, quelques mois plus tard, dans sa correspondance avec Jérôme Pétion, il écrit, qu’« il prend la défense de l'assemblée électorale de Paris et des Jacobins » et : « En réponse au second discours de Pétion où celui-ci lui reprochait de l'avoir calomnié et persiflé, et renouvelait ses attaques contre la Commune, les Jacobins et l'assemblée électorale, Robespierre constate que Pétion reconnaît avoir fait tous ses efforts pour empêcher l'insurrection et avoue avoir été gardé à vue chez lui sur sa propre demande (21). » Robespierre qualifie ici sa relation aux Jacobins par la connexion discursive : /accoutumer aux preuves d’attachement du peuple de Paris et des Jacobins = être accueilli du public et de la société par des démonstrations de bienveillance/. Ce n’est pas seulement la valeur unifiante que Robespierre attribue à des circonstances révolutionnaires, où la série « Peuple de Paris, assemblée électorale de Paris, Commune de Paris », fait sens dans sa connexion au Jacobins, qu’il met présentement en avant. Il s’agit aussi d’une fonction énonciative ayant valeur de point d’origine temporel d’un vaste système de coordonnées spécifiées par des énoncés proches – voir les concordances - tels que « les moyens de sauver l’État et la liberté » mis en œuvre par les Jacobins, « les services qu'ils ont rendus à la patrie, et la grande influence qu'ils ont eue aussi sur la dernière révolution. », « leur souci de combattre pour les droits du peuple », en tant qu’ils sont ceux « qui ont désilé trois fois les yeux du peuple », « au moment où il allait être opprimé », etc. Ici se matérialise « la voix de l’homme-principe » (Laponneraye), sa finalité propre : « Les Jacobins veulent une véritable république unique, fondée sur la pureté des principes de la déclaration des droits, où la seule loi domine, et jamais un individu (22). »

De ce jeu répétitif de coordinations - on en trouve d’autres occurrences – ressort un repérage discursif, au regard d’une localisation, et de l’ordre de ce qui est nécessaire, déterminé (23). Au regard des principes inscrits à l’horizon de la souveraineté du peuple, la fonctionnalité des expressions coordonnées avec le terme « Jacobins » en leur sein confère un effet de globalisation à des référents institutionnels relatifs à l’espace révolutionnaire. Il en ressort un effet de savoir sur le caractère unificateur de ces référents. C’est dans un tel espace discursif que le journaliste de L'Abréviateur universel (24), nous fait part, dans l’ultime intervention de Robespierre à la séance des Jacobins du 6 thermidor an II au club, de son dernier usage de Jacobins : « C'est au nom de ce même intérêt, que j'adjure les Jacobins et tous les bons citoyens de saisir et d'arrêter sur-le-champ quiconque oserait insulter la Convention nationale (25). »

Au sein du processus discursif que nous venons de décrire, un effet de sens spécifique se concrétise jusque dans l’ultime intervention de Robespierre. Un ensemble d’énoncés se configure au sein de coordinations avec le nom de « Jacobins », référant à un réseau d’institutions révolutionnaires situées au plus près de la Société des Jacobins, l’Assemblée électorale de Paris, la Commune de Paris, le peuple de Paris les sociétés affiliées, et de manière générale les bons citoyens. Cette configuration est connectée à un préconstruit, « l’intérêt du peuple », attesté dans une thématisation (« C’est au nom de… »), et ayant pour référent l’a priori historique du droit naturel déclaré, concrétisé dans une autre expression de Robespierre, les « droits du peuple ». Le présent effet de sens relève de l’émergence d’une unité des forces révolutionnaires, toujours à refaire face à leur dispersion de tout instant (26).

Désigner en 1793 le nom de Jacobins : un processus discursif de nominalisation généralisée autour des « députés de la Montagne ».

Au cours des premiers mois de 1793, Robespierre élargit l’espace de désignation des « Jacobins », du fait de la présence, en leur sein, des « députés de la Montagne », comme le souligne la collocation gauche « Convention » (8 emplois) de « Jacobins ». Robespierre y joue son rôle propre dans des circonstances qui s’y prêtent, ne serait-ce qu’avec la fin du procès de Louis Capet, et son exécution, la pression populaire au regard des problèmes d’accaparement et de pénurie de blé, l’apparition du mouvement des Enragés, favorable à une insurrection du peuple, enfin l’accusation portée par Robespierre à la Convention contre Brissot et les Girondins qui ne cessent de le mettre en cause.

D’un point de vue discursif, et au regard de l’intensité des luttes de langage durant cette période, l’usage explicite du verbe « désigner » par Robespierre ouvre large le champ discursif à des expressions désignant négativement les amis de la liberté et de l’égalité, soit les Jacobins : « N'est-il pas vrai que comme les Maury et Malouel, les Raimond et les Cumulard on a parlé dans la Convention, sur le même ton, des tribunes des Jacobins, des démagogues, des agitateurs, des factieux, de populace et de populacier, et que toutes ces expressions parties du même côté, dans les trois assemblées, ont toujours désigné les mêmes personnes, les amis de la liberté et de l'égalité (27) ? »

A contrario, la liste des collocations de « contre » (22 à gauche) délimite le champ des lexies désignant les forces associées à Jacobins, qui n’a de cesse de s’amplifier : « nous/moi, notre patrie, les patriotes, les défenseurs de la République, le salut public, la Convention nationale, la Montagne, les députés patriotes de la Convention, le peuple de Paris, la députation de Paris ». C’est dans cet espace discursif que Robespierre écrit contre : « Les mêmes bouches qui, à la tribune de la Convention nationale, ont plaidé la cause du tyran /…/ renouvellent leurs impostures liberticides contre les Jacobins, contre le peuple de Paris, contre les députés patriotes de la Convention', devenus aujourd'hui la majorité (28). » Ainsi les « Jacobins de la Convention », en l’occurrence, « plusieurs députés-Jacobins-de-la-montagne », « furent attaqués et poursuivis par des assassins, pour avoir provoqué la prompte punition du tyran ». Mais « les Jacobins, les membres de la Convention …ne se plient point aux vues des intrigants » (29). Et Robespierre d’ajouter : « Ces braves républicains, se réunirent aux Jacobins, avec leurs frères, et accédèrent, avec transport, à cette sainte alliance de tous les amis de la patrie (30). » Il marque aussi sa distance en mars 1793 vis-à-vis des Cordeliers et du comité insurrectionnel de l’Évêché : « Les instigateurs de l'émeute déclamaient hautement, dans les promenades publiques, contre les Jacobins, contre la Convention nationale en général, contre les députés de la montagne. Il faut vous dire que les marchands Jacobins ont été les plus maltraités » (31), sans oublier les royalistes : « Était-ce le peuple, étaient-ce les patriotes qui osaient crier "vive Louis XVI, au diable les Jacobins, au diable la montagne et les députés de Paris" (32). » Considérant « les Jacobins de 1789, les Jacobins du 10 août, les Jacobins des jours non moins sacrés, où le tyran fut jugé, où la mort du tyran enfanta la république »(33), Robespierre situe cette série expressive, – « Jacobins de 1789, Jacobins du 10 août 1792, Jacobins des jours non moins sacrés » – dans l’espace constituant le point origine de leur légitimité sous forme d’une interpellation : « Si vous en doutez, venez voir, venez observer les Jacobins et leurs adversaires ; venez recevoir nos embrassements fraternels (34). »

Cependant, un tournant est pris, semble-t-il, par Robespierre lors de son discours du 28 ventôse an II (18 mars 1794) à la Société des Jacobins :« Vous rappelez-vous que le lendemain les Cordeliers vous envoyèrent une députation dont l'orateur osa supposer que les Jacobins avoient reconnu que c'était aux Cordeliers qu'il appartenait de sauver encore une fois la patrie ? Vous rappelez vous que le gage de la conciliation était d'unir les Jacobins aux Cordeliers, pour consommer l'œuvre commencée. Les intrigants ont fait imprimer cette séance, dans le dessein de tromper l'opinion publique, et de persuader au peuple que les Jacobins adoptaient leurs principes ; mais ils ont eu beau faire : la foudre est tombée sur le lieu où les conjurés étaient rassemblés. | N'est-ce pas ce même homme qui fut chassé avec Jacques Roux de la Société des Cordeliers, sur la proposition qui en fut faite par le Jacobins (35) ? »

Robespierre conteste toute légitimité à l’énoncé « C'était aux Cordeliers qu'il appartenait de sauver encore une fois la patrie », thématisation qui présuppose une volonté des Jacobins d’adopter les principes des Cordeliers. Faut-il y voir, chez Robespierre, une volonté de rompre avec sa stratégie d’unification des forces révolutionnaires, dans le contexte de la crise de ventôse an II ? Pour l’historien Jean-Clément Martin, « On ne saura jamais ce que Robespierre pense du rôle qu’il joue et que ses collègues lui font jouer dans ces conflits » (36), et tout particulièrement dans celui avec les Cordeliers.

Contentons nous présentement de faire le constat discursif que le rapport entre coordination et discours n’est plus vraiment à l’ordre du jour en pleine crise de ventôse an II. Il s’y substitue un autre processus, rapporté de la bouche même de l’orateur cordelier venu aux Jacobins, sous forme d’une thématisation ayant valeur de préconstruit rapporté au discours de l’autre (« l'orateur osa supposer que les Jacobins avoient reconnu que c'était aux Cordeliers qu'il appartenait de sauver encore une fois la patrie »). Ici, l’orateur cordelier, dans son propos rapporté, rompt avec le principe de l’émergence de l’union libre et égalitaire construite par la coordination entre la Société des Jacobins, la Commune, le peuple de Paris, les sociétés populaires affiliées, sous l’égide du législateur incarnant le droit naturel déclaré à la Convention. Or, pour Robespierre, toute nomination qui excède les principes contractuels et qui est traduite par les Jacobins dans le lien organique entre les éléments coordonnés aux Jacobins et à la Montagne de la Convention, constitue un déplacement illégitime, illusoire (37).

Si l’historien considère que la relation de Robespierre aux événements est changeante, en particulier dans son conflit avec les Cordeliers, les repères discursifs de ses écrits et de ses discours, présentement avec la désignation élargie et unitaire de l’espace des Jacobins, demeurent stables, voire s’étendent par la capacité de Robespierre à désigner « l’expression juste », lorsque de nouveau, « il cherche le mot » à l’aide de « l’expression et la formule qui frappent l’adversaire et touchent l’auditoire » précise l’historien (38).

Présentement, c’est le mot de « vertu » qui s’impose à l’auditoire des Jacobins lorsque Robespierre fait signe vers l’acte d’union de tous autour des Jacobins, à la séance du club du 10 avril 1793, dans un discours contre Brissot et les Girondins : « Mais, ô force toute puissante de la vérité et de la vertu ! Ces généreux citoyens ont abjuré leurs erreurs ; ils ont reconnu, avec une sainte indignation, les trames perfides de ceux qui les avaient trompés ; ils les ont voués au mépris public, ils ont serré dans leurs bras les parisiens calomniés ; réunis tous aux Jacobins, ils ont juré, avec le peuple, une haine éternelle aux tyrans, et un dévouement sans bornes à la liberté (39). »

Comme l’ont montré Cesare Vetter et Elisabetta Gon (40), les occurrences de « vertu » chez Robespierre entrelacent des références à la morale et à la politique. En quelque sorte, au départ de la mécanique de la langue politique, « le ressort essentiel des républiques, est la vertu, comme l’a prouvé l’autheur (sic) de l’esprit des loix, c’est à dire la vertu politique, qui n’est autre chose que l’amour des loix et de la patrie », précise Robespierre en 1784. Mais le lien entre l’idée de vertu et la politique ne marche, si l’on peut dire, que dans le déploiement de l’objet réel de la politique en révolution, l’acte même qui « réunit tous aux Jacobins ».

L’usage unitaire que Robespierre fait de « Jacobins » s’inscrit-il dans un espace de normes écartant la possibilité d’une révolution illimitée dans ses effets, comme le souligne Jean-Claude Milner (41) ? Du point de vue discursif, l’effet de savoir que nous avons mis en valeur dans le travail de la coordination, sur la base de configurations discursives attestées, construit, selon ses règles et ses principes propres, un effet de globalisation de référents nouveaux, les institutions révolutionnaires, ce qui ouvre à des possibles.





Concordances et collocations de « jacobin »/ « jacobins » chez Robespierre dans ses Œuvres complètes

Par Cesare Vetter et Elisabetta Gon, Université de Trieste.

Avertissement de lecture

Nous proposons ici en avant-première à la communauté scientifique les collocations de «jacobins» et les concordances complètes de la lexie «jacobin(s)» dans les onze volumes des Œuvres de Maximilen Robespierre, que nous avons composées pour le deuxième tome du Dictionnaire Robespierre (voir la présentation du premier volume), en cours d'élaboration avancée. En ce qui concerne les collocations, le nombre pris en compte est de quatre mots à gauche et quatre à droite. Les collocations de «jacobins» ont été construites à partir des concordances de la lexie «jacobins» dans les Œuvres de Robespierre. En ce qui concerne la lecture de chaque index des concordances, les contextes renvoient ponctuellement au péritexte des œuvres qui composent notre corpus. Au sujet de la longueur des textes des concordances, nous avons essayé de ne pas dépasser la limite de 4-5 lignes, en employant tous les signes de ponctuation à l’exception des virgules comme signes de découpage. Le seul élément qui nécessite un éclaircissement est l’utilisation des astérisques dans les références de certaines concordances. En ces cas, nous avons signalé avec un astérisque (*) les concordances où il y a des phrases qui n’ont pas été produites (écrites ou prononcées) directement par l’auteur. Par ailleurs, nous avons indiqué avec deux astérisques (**) les phrases où la pensée de l’auteur est référée en utilisant la troisième personne.

Voir les concordances de la lexie jacobin

Voir les concordances de la lexie jacobins

Voir les collocations de la lexie jacobins


Notes

(1) « Aux origines, quel patron pour les Jacobins ? », Mélanges Michel Vovelle. Sur la Révolution approches plurielles, Paris, Société des Etudes Robespierristes, 1997.

(2) Dans Les Révolutions de France et de Brabant (n° 8 et 9).

(3) Op. cit., p. 188.

(4) Id. p. 189.

(5) Yannick Bosc, Le peuple souverain et la démocratie. Politique de Robespierre, Paris, Éditions Critiques, 2019.

(6) Hervé Leuwers, Robespierre, Paris, Fayard, 2014.

(7) Jean-Clément Martin, Robespierre. La fabrication d’un monstre, Paris, Perrin, 2016.

(8) Florence Gauthier, Triomphe et mort du droit naturel en révolution 1789-1795-1802, Paris, PUF, 1992, en particulier sur Robespierre pages 66-95 et 220-243.

(9) Georges Labica, Robespierre. Une politique de la philosophe, Paris, PUF, 1990. Réédition La Fabrique, 2013.

(10) Sur la question des valeurs, nous renvoyons à Nathalie Heinich, Des valeurs une approche sociologique, Paris, Gallimard, 2017. Présentement, la valeur-grandeur résulte de l’ensemble des opérations par lesquelles une qualité de stabilité et de légitimité est affectée par Robespierre à un lieu déterminé, présentement l’espace de réunion et de débats des Jacobins. Quant aux valeurs-objets, ou valeurs conférées aux objets, elles nous introduisent à ce que Robespierre valorise, et aux résultats de son évaluation, en lien à des principes axiologiques, les valeurs-principes au fondement même du processus d’évaluation.

(11) D’après le Journal des débats et correspondance, Société des Amis de la Constitution, n° 150, OMR (Œuvres de Maximilien Robespierre, Paris, SER, 1910-2007), 8, p. 206-207. C’est nous qui soulignons dans les citations de Robespierre.

(12) En précisant que « Nous considérons le langage du point de vue d’un jeu qui se déroule d’après des règles fixes. Nous le comparons avec un tel, le mesurons d’après lui », Wittgenstein caractérise le statut même d’une description discursive d’énoncés attestés : « Une description du langage doit donner le même résultat que le langage », Grammaire philosophique, Paris, Gallimard, 1969, p. 34.

(13) Annales monarchiques, philosophiques, politiques, t. IV, n° 363, OMR, 8, p.207

(14) Le Défenseur de la Constitution, N° 7 (29-30 juin 1792), Deuxième lettre de M. Robespierre, à M. Lafayette, sur les lettres de M. Lafayette à l'Assemblée Nationale et au roi, OMR, 4, p. 204

(15) Robespierre, op. cit., p. 211.

(16) Les Révolutions de France et de Brabant, t. V, n° 55, p. 111, OMR, 6, p.613.

(17) Le Lendemain, T. III, n° 162, p. 664, OMR, 7, p. 465.

(18) Le Défenseur de la Constitution, N°8, 5juillet 1792, OMR. 4, p. 235.

(19) Lettres de Robespierre… à ses commettans, N°2, 10 Janvier 1793, OMR, 5, p. 221.

(20) OMR, 3, p.130.

(21) OMR, 3, p.158.

(22) Le Défenseur de la Constitution, N° 9, 13 décembre 1792, OMR, 4, p. 132.

(23) Selon le linguiste Antoine Culioli, « le concept de repérage est lié au concept de localisation relative et à celui de détermination. Dire que x est repéré par rapport à y signifie que x est localisé (au sens strict du terme), situé par rapport à y, que ce dernier, qui sert de repère (point de référence) soit lui-même repéré par rapport à un autre repère, ou à un repère origine ou qu’il soit lui-même origine », Pour une linguistique de l’énonciation, tome 2, Paris, Ophrys, p. 97-98.

(24) L'Abréviateur universel, t.V, n° 572, p. 2286.

(25) OMR, 10, p. 539.

(26) Sur l’abord discursif de la coordination en analyse du discours, voir l’analyse de Jacques Guilhaumou et Denise Maldidier, « Coordination et discours. "Du pain et X" à l’époque de la Révolution française », composant le chapitre 5 de l’ouvrage de Jacques Guilhaumou, Denise Maldidier, Régine Robin, Discours et archive, Mardaga, Liège, 1994.

(27) Lettres… à ses commettans, N° 2 (10 janvier 1793), OMR, 5, p. 221.

(28) Lettres… à ses commettants, N° 8 (2-5 mars 1793), Adresse des Amis de la liberté et de l’égalité séante aux jacobins a Paris aux sociétés affiliées, OMR, 5, p. 325

(29) Lettres… à ses commettans, N° 1 (5 janvier 1793), Lettre de Maximilien Robespierre à MM. Vergniaud, Gensonné, Brissot et Guadet sur la souveraineté du peuple et sur leur système de l’appel du jugement de Louis Capet, OMR, 5, p. 203.

(30) Lettres … à ses commettans, N° 3 (25 janvier 1793), A propos de l'exécution du roi et du meurtre de Le Peletier, OMR, 5, p. 227-228

(31) Lettres…à ses commettans, N° 8 (2-5 mars 1793), Adresse des Amis de la liberté et de l’égalité séante aux jacobins a Paris aux sociétés affiliées, OMR, 5, p. 326.

(32) Lettres…à ses commettans, N° 9 (6 avril 1793), 344, Sur les troubles de Paris, OMR, 5, p.344.

(33) Lettres… à ses commettans, N° 8 (2-5 mars 1793), Adresse des Amis de la liberté et de l’égalité séante aux jacobins a Paris aux sociétés affiliées, OMR, 5, p. 325

(34) Id. ,p. 328.

(35) Contre une entente avec le club des cordeliers, Journal de la Montagne, t. II, n° 128, p.1036 et al., OMR, 10, p. 389.

(36) Robespierre, op.cit., p.259.

(37) Sur ce point, voir Jacques Guilhaumou, « Le langage du Contrat social. Première institution du savoir politique jacobin. La question du langage politique légitime (Rousseau/Robespierre) », Peuple et pouvoir. Études de lexicologie politique, Jacques Guilhaumou et Michel Glatigny (dir.), P.U.L., 1981, p.127-152.

(38) Hervé Leuwers, op. cit., p. 263-264.

(39) Lettre de Robespierre …. à ses commettans, n° 10, OMR, 5, p. 382.

(40) Cesare Vetter, Elisabetta Gon, « La vertu dans le lexique de Robespierre : évidences lexicologiques et lexicométriques », Révolution Française.net, Décembre 2018.

(41) Relire la Révolution, Paris, Verdier, 2016, p.130.