Depuis ce colloque fondateur, la réflexion des historiens de la Révolution française a été stimulée à différents niveaux d’études. D’abord, par l’étude des pratiques sociales, politiques et culturelles qui caractérisent les différents moments révolutionnaires sous la monarchie constitutionnelle, la République démocratique et le Directoire, qui ont fleuri grâce au Bicentenaire de 1789. Ainsi, de grandes enquêtes nationales ou régionales comme des études de quartiers parisiens ou des biographies ont été menées à bien dans le cadre de thèses ou de colloques universitaires pour comprendre les prises de position d’un milieu social, d’un groupe d’habitants ou d’un citoyen tout au long de la décennie révolutionnaire et, bien sûr, au-delà, sous d’autres régimes politiques pour appréhender tout un parcours de vie et fonder une réelle anthropologie politique. Parallèlement, d’autres concepts ont été forgés, soit à partir d’un néologisme italien comme « le protagonisme » proposé par Haïm Burstin ou bien « les courtiers locaux du politique », censés affiner le rôle de médiation de celles et ceux qui prennent la parole au cours d’un événement révolutionnaire (7). Evaluant l’état des recherches au tournant du siècle et les pistes nouvelles, Michel Vovelle concluait son avant-propos ainsi : « La Révolution des historiens n’est pas terminée (8). »

Ensuite, dans la valorisation de sources archivistiques et d’une méthodologie d’enquête et d’analyse. Citons - outre l’exploitation par Jacques Guilhaumou de mémoires justificatifs de vie politique à partir des sources judiciaires de l’an II, l’exploitation des registres quotidiennement tenus des assemblées des 21 sections de Marseille par Michel Vovelle pour dresser le portrait en pied du sans-culotte marseillais de 1791 à 1793 (9) ou la synthèse parisienne d’Haïm Burstin sur ses révolutionnaires du quartier Saint-Marcel au début de la Révolution (10) - les travaux novateurs de jeunes chercheurs qui ont résolument opté pour une étude intégrale de la décennie révolutionnaire, entre l’Ancien Régime et les années napoléoniennes : ceux de Nathalie Alzas sur l’action des administrations révolutionnaires locales, à partir des papiers de l’administration départementale de l’Hérault, du district et de la municipalité de Lodève, pour étudier les rapports entre guerre et Révolution et, notamment, la fabrication des héros (11) ainsi que ceux de Cyril Belmonte sur l’étude des sources communales dans une quinzaine de villes, bourgs et villages du pays marseillais pour créer une base de données de dix mille citoyens permettant de mesurer le passage des « plus apparents » d’Ancien Régime aux notables de l’époque napoléonienne, en passant par la promotion de patriotes, sans biens au soleil du Midi, sous la République démocratique (12).

Enfin, la recherche actuelle tend à mettre en lumière une aventure collective, à partir de notices individuelles rédigées par des spécialistes de la Révolution française dans tous les départements. Incontestablement, la recherche la plus profondément novatrice est celle dirigée par Gilles Feyel sur la presse départementale et, notamment, sur les journalistes méridionaux que Jacques Godechot, puis Michel Taillefer, en leur temps, avaient largement initiés en France et dans le Languedoc, ainsi que René Girard, puis René Moulinas pour la Provence. Cette remarquable enquête nationale, au long cours, offre une vision nouvelle du journalisme révolutionnaire dans chaque département français (13). Plus récemment, d’autres enquêtes prosopographiques ont été lancées, soit pour tenter d’améliorer le Dictionnaire des Conventionnels de Kuscinsky, ouvrage très précieux datant, certes, du début du XXe siècle (14), ou bien pour reprendre l’enquête sur les maires de France, initiée au siècle dernier par Maurice Agulhon et Jocelyne George. Ces projets administratifs de recherches universitaires, dans le cadre d’ANR ou autres Labex, sans lesquels les laboratoires n’ont pas de crédits financiers, ne sont pas sans rappeler évidemment les méthodes des Académies savantes, dites royales sous l’Ancien Régime, par ailleurs toujours vivantes (15). Il est vrai que la disparition de certaines entrées dans les dictionnaires, l’apparition de nouvelles ou la résurgence d’anciennes offrent d’intéressantes mises en perspective historique qui ne sont pas à négliger.

Les études de cas présentées dans ce numéro proposent de découvrir des parcours de vie pendant la Révolution française dans le Midi méditerranéen : un architecte de la légation pontificale qui se passionne pour une cité nouvelle ; un pasteur qui reste fidèle à ses convictions protestantes, républicaines et démocratiques ; un ci-devant aristocrate qui refuse l’ordre ancien et milite pour un monde meilleur et, enfin, l’engagement révolutionnaire des migrants français dans la ville frontière de Nice en l’an II de la République française une et indivisible. Nul doute que ces travaux permettront de valoriser le goût des archives, voire de mettre en doute les idées reçues de certaines synthèses locale ou nationale, et de prolonger les études sur la période révolutionnaire autour des notions-clés de «Citoyenneté, République et Démocratie » qui sont, aujourd’hui, au programme de nos concours d’enseignement du Capes et de l’Agrégation d’Histoire.

NOTES :

(1) Journée d’études du 21 mai 2014, salle Georges Duby de la MMSH à Aix-en-Provence, dans le cadre du groupe « Culture et politique au XVIIIème et sous la Révolution française » de l’UMR Telemme en présence de Michel Vovelle, Alain Badiou et Martine Lapied et avec la participation d’Haïm Burstin, Jacques Guilhaumou, Michel Biard, Nathalie Alzas, Cyril Belmonte et Alessandra Doria.

(2)Peuples en Révolution. D’aujourd’hui à 1789, dir. Cyril Belmonte et Christine Peyrard, Aix, PUP, 2014.

(3) Alessandra Doria « Gertrude Verne ou le parcours d’une militante jacobine niçoise », p. 105-125 : Yannick Bosc « Thomas Paine, le peuple et les Révolutions des deux mondes », p. 169-179 dans Peuples en Révolution, op.cit.

(4) Les intermédiaires culturels (Actes du colloque du Centre méridional d’Histoire Sociale, des Mentalités et des Cultures, 1978), Aix, PUP, 1981.

(5) Michel Vovelle, L’irrésistible ascension de Joseph Sec, bourgeois d’Aix, Aix, Edisud, 1975. Réédité dans une nouvelle version : Michel Vovelle, Le mystérieux monument Joseph Sec à Aix-en-Provence, Le Pontet, Barthélémy, 2009.

(6) Michel Vovelle, Théodore Desorgues ou la désorganisation (Aix-Paris, 1763-1808), Paris, Le Seuil, 1985.

(7) Haïm Burstin, « Le protagonisme comme facteur d’amplification de l’événement : le cas de la Révolution française », L’événement (Actes du colloque organisé à Aix-en-Provence par le Centre méridional d’Histoire sociale, Aix, PUP, 1986, p. 65-75 ; Jean Boutier, « Les courtiers locaux de la politique, 1789-1792 », A.H.R.F, 1994, p. 401-411.

(8) Michel Vovelle, « Préface », La Révolution française au carrefour des recherches, Aix, PUP, 2003, p. 9.

(9) Michel Vovelle, Les sans-culottes marseillais. Le mouvement sectionnaire du jacobinisme au fédéralisme (1791-1793), Aix, PUP, 2009.

(10) Haïm Burstin, Révolutionnaires, Paris, Vendémiaire, 2013.

(11) Nathalie Alzas, La liberté ou la mort ! L’effort de guerre dans l’Hérault pendant la Révolution, Aix, PUP, 2006.

(12) Cyril Belmonte, Les patriotes et les autres. L’arrière-pays marseillais en Révolution, Aix, PUP, 2011.

(13) Gilles Feyel (dir.), Dictionnaire de la presse française pendant la Révolution (1789-1799). La presse départementale, Centre international d’étude du XVIIIe siècle, Ferney-Voltaire, t. 1, 2005, t.4 Le dernier tome, auquel les agrégés et docteurs aixois de la Révolution française ont largement participé, tant pour l’Hérault que pour les Bouches-du-Rhône, paraîtra en 2015.

(14) A. Kuscinski, Dictionnaire des Conventionnels, Paris, 1916-1919. Le projet ANR Actopol, acteurs et actions politiques, se propose de reprendre les bases de données des députés à la Convention nationale et de les publier.

(15) Dictionnaire des Marseillais, Académie de Marseille, 2001.