Peuples en Révolution d'aujourd'hui à 1789 Annonces
samedi 24 mai 2014Cyril Belmonte et Christine Peyrard (dir.), Peuples en Révolution d'aujourd'hui à 1789, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2014, 236 pages. Présentation de Cyril Belmonte et Christine Peyrard :
Ce livre est issu du colloque international qui s’est tenu dans la
salle Duby de la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme à
Aix-en-Provence les 12 et 13 juin 2012. Les révoltes et révolutions
populaires au cours de l’année 2011 dans le monde arabe ont donné aux
travaux conduits dans le groupe de recherches de l’UMR Telemme,
« Lumières et Révolution française », une acuité certaine.
Ainsi, ce colloque sur la thématique : « Peuples en
Révolution » a pris un relief singulier.
Car les historiens de la Révolution française ne pouvaient guère rester
insensibles aux événements contemporains, tant la mobilisation des
hommes et des femmes de Tunisie, d’Egypte ou d’ailleurs dans les
manifestations de rue et dans l’occupation de l’espace public pour
promouvoir leurs revendications sociales et politiques, rappelle les
pratiques politiques de la France en 1789 et pendant la décennie
révolutionnaire. Les combats contre la tyrannie et un ordre social
inégalitaire montrent non seulement la vitalité des principes universels
de liberté et d’égalité dans des contextes socio politiques
spécifiques, mais encore la vivacité des revendications démocratiques
dans le monde actuel.
Cette rencontre scientifique a ainsi offert l’occasion de s’interroger
sur un certain nombre de thèmes majeurs qui ont construit l’histoire de
la Révolution et de la démocratie française à partir de la rupture de
1789. En effet, les chutes actuelles de pouvoirs politiques, comme les
remises en cause d’autres régimes, ainsi que le bouleversement des
forces au plan international qu’elles induisent, montrent tout l’intérêt
d’une réflexion historique. Au-delà de la surprise suscitée par de tels
événements dans le monde méditerranéen, la place de l’Histoire dans
l’analyse politique, sociale et culturelle des temps présents a pu être
valorisée.
Il était important aussi de porter une attention civique à l’étude de la culture politique française, pendant la décennie révolutionnaire jusqu’à ses héritages républicains, tels que Jean Jaurès les avait initiés à partir tant d’une solide connaissance de la Révolution que de ses engagements politiques. Enfin, il incombait aux universitaires et chercheurs de remplir ce rôle de transmission de savoirs auprès des étudiants, des enseignants du secondaire et du primaire, et d’un large public, toujours soucieux d’une meilleure connaissance sur l’histoire actuelle de notre Grande Révolution et ses résonances dans le monde. Ainsi, ce livre propose une réflexion autour de thèmes majeurs de la Révolution française et des révolutions populaires : l’entrée en Révolution, l’apprentissage de la démocratie, la vitalité démocratique et la question de l’identité nationale.
Comment le peuple entre en révolution ? Comment une révolte
populaire se transforme, par son ampleur considérable, en un changement
complet de régime au plan non seulement juridique et politique, mais
encore économique et social ? Comment s’est opérée dans la France
de 1789 la proclamation universaliste de droits naturels de l’homme et
du citoyen ?
La participation populaire reste une caractéristique majeure de la
Révolution française par rapport à d’autres révolutions de la fin du
XVIII°s. en Europe et dans le monde. Les recherches récentes sur les
sans-culottes des villes et des campagnes à Marseille ou dans l’arrière
pays marseillais, comme à Paris ou ailleurs en France, témoignent de ce
questionnement historien et civique sur les apports des revendications
populaires à la construction d’un nouvel ordre social et politique.
Si les réseaux sociaux d’aujourd’hui ont joué un rôle majeur pour la
mobilisation d’hommes et de femmes et leur occupation de places
publiques afin de défendre des idéaux révolutionnaires, donc,
démocratiques, d’autres formes d’entrée en politique manifestent la
culture politique d’un peuple, à partir notamment de leurs conditions de
travail et d’existence. Ainsi, les comportements des ruraux et des
citadins ont été présentés dans diverses modalités de leur entrée en
politique que ce soit par l’action directe à partir des émotions
populaires et des révoltes agraires, ou bien par la répression
judiciaire et politique, ou encore par le rôle de certains médiateurs,
sinon par la médiation de groupes constitués. Peter Jones analyse le
processus de politisation des villageois d’Allan, des luttes
anti-seigneuriales à la construction d’une arène politique locale entre
1786 et 1790. Hervé Leuwers met en relation deux notions, justice du
peuple et justice de la nation, à partir d’une émeute frumentaire et de
la mise en actes du « pouvoir exécutif » populaire. Eric
Saunier porte son intérêt sur l’appropriation de l’expérience
révolutionnaire par les francs-maçons et l’émergence progressive d’une
identité nouvelle à travers le parcours de deux négociants.
L’apprentissage d’une vie politique nouvelle, sans censure et
interdit, sans citoyens dits actifs ou passifs, marque la voie
révolutionnaire. C’est bien la Révolution qui instaure la liberté de
penser, même sur les questions religieuses, et la liberté d’association,
même politique. Le principe d’un mandat électif pour toutes les
fonctions dans une France nouvelle et complètement réorganisée au plan
administratif, comme la création d’un espace public avec le rôle des
sociétés politiques, donne une vitalité certaine aux institutions
nouvelles et, bientôt, républicaines. Toutefois, les actions contre
révolutionnaires comme les réactions politiques, sinon les coups d’Etat,
révèlent des clivages dans la société civile, entre tenants d’un ordre
ancien et partisans d’un nouveau régime.
C’est à l’acte de vote que s’intéresse Malcolm Crook pour décortiquer
l’émission publique d’un vote secret, de l’utilisation du bulletin de
vote et sa concurrence avec le vote à haute voix à la nécessité, ou pas,
d’une assemblée et d’un isoloir. Valérie Sottocasa souligne la violence
des affrontements politico-religieux dans le Midi où cohabitent
protestants, juifs et catholiques. A partir des soulèvements
septentrionaux de 1792, Laurent Brassart tente de mettre en évidence les
aspects contradictoires de la mobilisation populaire. Alessandra Doria
valorise les engagements publics d’une femme du peuple à partir du récit
de soi que les témoignages judiciaires ou les archives notariées
peuvent permettre de dresser.
La vitalité démocratique implique la durée de l’action
révolutionnaire. Que ce soit dans l’acte de vote, dans la mobilisation
collective, dans l’engagement armé ou dans le militantisme politique, le
nouveau cadre institutionnel promu par la Révolution autorise, ou
parfois restreint, la vie démocratique. Ces institutions républicaines,
si chères à Saint-Just et à d’autres Montagnards en l’an II de la
République, montrent alors la plénitude de leur force ainsi que
l’importance du rôle des législateurs comme l’engagement civique des
individus, libres et égaux en droits sous la République démocratique.
Julien Saint-Roman s’intéresse au monde des travailleurs de l’arsenal de
Toulon de 1789 à 1793, à leur intrusion dans la vie politique locale
ainsi qu’à leurs revendications spécifiques au sein d’un comité central
des ouvriers de l’arsenal. Danièle Pingué analyse la loi du 21 mars 1793
dans le département de la Haute-Saône, à partir de l’enquête nationale
qu’elle a dirigée sur les comités de surveillance. Cyril Belmonte se
consacre à la lutte des places pendant la décennie révolutionnaire à
partir d’une étude précise des citoyens, électeurs et élus, dans les
villes et les villages de l’arrière-pays marseillais.
La question de la souveraineté nationale est au cœur des
mobilisations collectives pendant la Révolution française. Contre une
usurpation de l’identité collective par une minorité de privilégiés,
s’appuyant sur l’octroi clérical d’un pouvoir dit de droit divin, l’idée
d’une souveraineté- nationale d’abord, populaire ensuite- a été
affirmée sur la base d’une reconnaissance des droits naturels de l’homme
et du citoyen de 1789 à 1793. L’affirmation, en actes, de la dignité
de l’homme et de la femme, est bien une caractéristique essentielle des
mouvements révolutionnaires. Au-delà des représentations symboliques,
d’Hercule avec sa massue et de la figure de Marianne, qui méritent
toujours un intérêt soutenu, les débats parlementaires et les pratiques
populaires ont été privilégiés.
Car c’est bien un nouvel ordre international que les révolutionnaires
imposent, basé sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, depuis
le vote des Avignonnais pour l’intégration à la France révolutionnaire
jusqu’au vote de la Convention en février 1794 pour imposer les
principes de 1789 aux colonies, notamment à Saint-Domingue, à savoir
l’abolition de l’esclavage du 16 pluviôse an II qui reste une des
grandes lois de la « Terreur ».
Au-delà de la question d’une France coloniale et des choix politiques
des Législateurs, les processus d’identification nationale restent une
question complexe. Comment est-on passé du droit des gens aux droits des
nations ? Comment peut-on être révolutionnaire des Deux
Mondes ? Comment construire une nation en refusant le
nationalisme ?
Yannick Bosc, à partir de la figure de Thomas Paine, citoyen anglais,
puis américain et français, interroge le sens commun du peuple, la
souveraineté populaire et la représentation politique avant de poser la
question du peuple à l’échelle du genre humain. Christine Peyrard
reprend les revendications du peuple avignonnais dans la presse, dans la
rue et dans le vote pour comprendre la formation d’une identité
nationale et révolutionnaire. Vittorio Criscuolo s’interroge sur
l’identité de ces patriotes italiens qu’on a appelés jacobins en raison
de la perspective égalitaire, base de la création d’une nation
italienne, lors de l’hégémonie de la Grande Nation. Lluis Roura i
Aulinas explore l’impact de la Révolution française sur la construction
de la nation en Espagne dans la première moitié du XIXème siècle et,
particulièrement, pendant la Guerre d’Indépendance et les Cortès de
Cadix, entre d’une part diabolisation de la Révolution française et
espagnole et, d’autre part, conscience politique de la souveraineté.
Non seulement « le temps est « venu pour les Français de prêter à nouveau l’oreille aux échos universels de La Marseillaise et de les entendre aussi fortement qu’on les entend dans le reste du monde » comme disait Eric J. Hobsbawn en 2007 dans son livre « Aux armes, historiens », mais encore faut-il étudier l’histoire sociale de la Révolution française, à partir de ses archives, comme les modalités d’expression d’une exigence démocratique ainsi que les fondements d’une construction révolutionnaire nationale et internationale d’une République universelle.