Ce numéro s’ouvre avec la contribution de Brian Tierney qui nous a aimablement donné son accord pour publier, ici, la traduction de la présentation de son livre, The Idea of Natural Right. Studies on Natural Rights, Natural Law and Church Law, 1150-1625, (1997). Historien du droit médiéval, Brian Tierney a récemment retrouvé la date et le lieu d’apparition de ce droit naturel : dans le droit médiéval du XIIe siècle et chez les juristes, qui ont eu besoin d’ une conception nouvelle du droit pour exprimer les transformations de leur époque. Cette découverte permet de mettre fin à certaines interprétations inexactes ou fantaisistes, qui ont encore cours aujourd’hui, ce qui représente une contribution majeure à la compréhension de l’histoire du droit naturel.
Par ailleurs, de la fin du Moyen-âge jusqu’aux débuts du XVIIe siècle, Brian Tierney nous invite à faire connaissance avec des débats concernant les relations entre droits naturels individuels, droits de propriété et droits d’usage, l’apparition de théories politiques introduisant le droit naturel dans le droit constitutionnel et de théories d’un droit naturel des gens comme moyen de se protéger contre conquêtes et colonisations.
Florence Gauthier propose, dans « Éléments d’une histoire du droit naturel », de rouvrir la discussion sur la définition des termes droit naturel, rendus confus depuis la longue éclipse de la fin du XVIIIe siècle jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale et de revisiter, à la lumière de l’apport de Brian Tierney, les avancées comme la formation de nouveaux obstacles chez Léo Strauss et Michel Villey.
Christophe Miqueu entreprend de restituer sa radicalité à la pensée politique des Deux traités de gouvernement de Locke, perdue de vue lors des débats des années 1950-60, qui l’ont rendue particulièrement inaudible. Il nous propose encore un état de la question qui a connu un profond renouvellement dans les deux dernières décennies, des deux côtés de la Manche et de l’Atlantique.
Florence Gauthier, à nouveau, présente la critique que fit Mably de la théorie physiocratique, en 1767-1768, et précise la manière dont Le Mercier de la Rivière a cherché à s’approprier l’idée de droit naturel transformée en loi naturelle. Mably comprit en effet que ces économistes prétendaient détruire les sciences humaines, et la politique en premier lieu : il s’agissait non plus de débattre des lois auxquelles les citoyens donneraient leur consentement, mais de se soumettre à la tyrannie de pseudo lois naturelles de l’économie.
Marc Belissa intervient dans le débat récent sur la place du droit naturel chez Mably. Depuis la conceptualisation du « républicanisme classique » selon Pocock, des interprétations ont voulu l’appliquer, au-delà de son ère première située en Italie, en Angleterre et aux USA, aux Lumières françaises et à Mably en particulier, bien que ce cadre ne leur convienne guère. L’auteur critique méthodiquement l’opposition entre langage du droit et celui de la vertu que des interprétations récentes ont voulu introduire dans la pensée de Mably.
Christopher Hamel constatant le refus du droit naturel chez les néo-républicains depuis Pocock, se propose d’examiner leurs arguments. L’auteur commence par critiquer l’affirmation que le droit naturel relève du libéralisme et s’oppose au républicanisme, poursuit son examen de l’objection de l’abstraction attribuée au droit naturel, comme à la place consentie aux droits individuels et nous conduit à la thèse centrale du refus des droits naturels vus en tant que contraintes constitutionnelles, qui priveraient les individus de la délibération collective. Tous ces arguments sont examinés d’une façon approfondie pour atteindre le cœur même du sujet : qu’est-ce qu’un droit ? qu’est-ce que le droit naturel ?
Yannick Bosc revient sur la rupture avec le droit naturel qui s’est produite avec le 9 thermidor an II-27 juillet 1794, rupture qui a entraîné la sortie du principe d’une Déclaration des droits hors du droit constitutionnel français. Il met en lumière les arguments que les Thermidoriens, acteurs de cette expulsion, puis à leur suite Jérémy Bentham qui séjournait en France et son ami J-B. Say, enfin les Idéologues, ont construit pour rompre avec le droit naturel. La démocratie est présentée comme anarchie, afin de justifier une aristocratie des propriétaires, seuls aptes à gouverner. Les arguments selon lesquels la Déclaration des droits ne peut être une contrainte, mais un simple guide, et celui de l’abstraction du droit naturel, furent introduits avec insistance et éclairent l’examen mené dans l’article précédent par Christopher Hamel : les sources de l’argumentaire apparaissent là, sous nos yeux, donnant un relief particulier à cette double enquête.

Note :

(1) Voir notre site Révolution française.net et notre dernière publication Marc BELISSA, Yannick BOSC, Florence GAUTHIER éd., Républicanismes et droit naturel. Des Humanistes aux révolutions des droits de l’homme et du citoyen, Paris, Kimé, 2009, avec les interventions de Marc Belissa, Yannick Bosc, Vinvent Bourdeau, Emilie Brémond, Monique Cottret, Marc Deleplace, Antoni Domènech, Florence Gauthier, Jean-Pierre Gross, Magali Jacquemin, Joaquin Miras, Raymonde Monnier, Pierre Serna, Sophie Wahnich.

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