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Elle se présente sous la forme d'une feuille pliée en deux avec le texte original en anglais écrit de la main de Paine à gauche et en vis-à-vis la traduction en français d'une main inconnue. On trouvera ci-dessous la transcription de cette lettre en anglais (due à Gary Berton) et en français (due à Marc Belissa).

La lettre est datée du 7 nivôse an IX (28 décembre 1800). Elle est adressée à Dominique-Joseph Garat (1749-1833).

Élu aux États généraux par la province du Labourd (Pays basque), Garat (à ne pas confondre avec son frère Dominique Garat dit Garat l'aîné, 1735-1799) devient ministre de la justice le 9 octobre 1792. C'est lui qui notifie à Louis XVI sa condamnation à mort. En janvier 1793, il remplace Roland au ministère de l'Intérieur jusqu'en août 1793. Il est brièvement emprisonné en octobre 1793. Sous le Directoire, il est d'abord enseignant à l'École Normale, puis ambassadeur à Naples. En 1799, il entre au Conseil des Anciens. Après le coup d'État du 18 brumaire, il devient sénateur.

Depuis le coup d'État, Paine et ses proches sont étroitement surveillés par le nouveau pouvoir. Nicolas de Bonneville a été emprisonné, puis relâché. Le journal auquel Paine avait collaboré, Le Bien Informé, est sous surveillance et n'a plus que quelques mois d'existence devant lui. Paine doit aider financièrement la famille de son ami, réduisant ainsi de manière significative ses propres revenus.

Il rédige alors son Maritime Compact , un écrit qui pose la question de la constitution d'une ligue universelle des neutres pour imposer la paix sur les mers et qui, traduit par Bonneville, circule assez largement en Europe. Il en envoie un exemplaire à Jefferson le 1er octobre 1800, donc trois mois avant cette lettre, dans laquelle il exprime sa volonté contrariée par le contrôle anglais sur les mers, de rentrer aux États-Unis.

Il y commente également l'arrivée des plénipotentiaires américains envoyés par le Président Adams pour régler le contentieux franco-américain depuis le début de la Quasi-War Il a rencontré l'un d'entre eux, Ellsworth, et lui a exposé les difficultés de sa mission, critiquant au passage le traité anglo-américain connu sous le nom de traité Jay. Il défend également l'idée que les États-Unis ne devraient signer aucun traité partiel qui ne leur permettraient pas de se réserver la possibilité d'entrer dans une ligue de défense de la neutralité. Il recommande enfin à Jefferson au cas où il deviendrait président de nommer l'ancien consul Skipwith comme représentant à Paris et son ami Joel Barlow en Hollande.

Mal vu par le Premier Consul qui se méfie de ses connaissances américaines et de ses amitiés parmi les néojacobins, Paine est alors obligé de rester en France et d'y ronger son frein. Il ne pourra rentrer aux États-Unis qu'après la paix d'Amiens.

Paine s'adresse ici à Garat pour certifier le patriotisme d'un de ses amis franco-américain nommé Charles Este qui vient d'être arrêté en raison de ses liens commerciaux avec l'Angleterre et les États-Unis. Paine s'offre comme garant de Este et de la famille de Robert Smith chez qui il vit. Il demande à Garat de s'entremettre pour avertir le Premier Consul Bonaparte ou son ministre de la Police, Joseph Fouché.

Transcription du texte en anglais

Mention dans le coin supérieur gauche : "renvoyé au préfet de police"

My dear friend,

I now give you some notices respecting the person I spoke of to you yesterday, and who by some strange mistakes, or some malicious denonciation, was put in arrestation yesterday and taken to the Temple.

I begin by saying that the Citizen Seiyes knows very well the Citizen Robert Smyth. I have dined in company with Seiyes at the house of Smyth, the corner of Rue Choiseul on the Boulevard. Seiyes knows also Madame Smyth and her two daughters. They are also well known to the Banker Perregaux, who is the Banker of Smyth.

Robert Smyth purchased a house (national property) No 2 Rue Cerutti. One of his daughters is married to a young man, Charles Este, who has been in france since he was 14 years of age, under the protection of Smyth, and who was pupil of the Surgeon Dessault. It is of this young man I am going to speak.

He occupies the house in Rue Cerutti. Madame Smyth lives in the same house with her daughters. As Este is a perfect master of the french language he does business for some American merchants and American Captains of Vessels who do not understand french.

Among the persons taken up on suspicion of conspiration Este is one. His papers among which are those belonging to several Americans and certificates of purchases in the French funds, for himself and for Americans, are all seized, and also all the letters and papers of Madame Smyth which regard her domestic affairs.

If among all my friends there is a family of whom I can speak with more confidence than of another, it is family of whom I am speaking ; and the arrestation of any part of that family, knowing them as I do, and esteeming their merits, gives me pain.

Smyth has been obliged to return to England, much against his inclination, because his property in that country, which is very considerable, was exposed to some hazard by his staying in France. His family remains here ; and instead of being exposed to inconveniences they merit to be under the protection of the Government.

The detention of Este, in the situation he is in in business is not only injurious to him, but to several Americans, whose commercial papers and interests are in his hands ; and so confident am I of the innocence of this young man, that I offer myself as a caution for (??) his appearance at any time the Minister of Police shall call for him.

I have now my dear friend given you the particulars of this case, under my own hand, and I pray you on the score of friendship, confidence, and patriotism, to shew this paper to the first Consul, or to the Minister of Police as you shall judge best, and to procure the liberation of Este, for whom I will sign a Caution at the Bureau of the Minister of Police if necessary.

Salut et fraternité, Thomas Paine

Transcription du texte français

Mon cher ami,

Je vous adresse quelques nouvelles sur la personne dont je vous ai parlé hier et qui par une étrange méprise ou par quelque dénonciation malicieuse avait été mise ce jour là même en arrestation et conduite au Temple.

Je commencerai par vous dire que le Citoyen Syeyès connaît très bien le Citoyen Robert Smith. J’ai dîné avec Syeyès chez Smith au coin de la rue Choiseul sur le Boulevard. Syeyès connaît aussi Madame Smith et ses deux filles. Elles sont aussi très connues du banquier Perregaux, le banquier de Smith.

Robert Smith a acheté une maison (propriété nationale) n° 2 rue Cerutti. Une de ses filles a épousé un jeune homme Charles Este, qui est en France depuis l’age de 14 ans sous la protection de Smith et qui a été l’élève du célèbre chirurgien Dessault. C’est de ce jeune homme que j’ai à vous parler.

Il occupe la maison rue Cerutti. Mme Smith est dans la même maison avec ses filles ; comme Este connaît parfaitement la langue française, il fait les affaires de quelques négociants américains et de capitaines de vaisseaux américains qui n’entendent pas le français.

Este est une des personnes arrêtées comme soupçonnée de conspiration : ses papiers parmi lesquels se trouvent ceux qui appartiennent à quelques Américains, et les certificats de leurs acquisitions et des siennes dans les fonds publics sont tous saisis et aussi toutes les lettres et papiers de Melle Smith qui regardent ses affaires domestiques.

Si dans tous mes amis, il y avait une famille dont je puisse parler avec plus de confiance que d’une autre, c’est la famille dont je vous parle ; et l’arrestation de quelque membre de cette famille, les connaissant comme je les connais et appréciant leur mérite, me fait peine.

Smith a été obligé de retourner en Angleterre et véritablement contre son inclination, parce que ses propriétés, dans ce pays là, qui sont considérables, se trouvaient exposées à quelques dangers s’il fut demeuré en France.

Sa famille y reste, et loin d’y éprouver des désagréments, elle mérite de s’y trouver protégée par le gouvernement. La détention de Este dans la situation où il est pour ses affaires lui cause non seulement une grande perte, mais encore elle est préjudiciable à plusieurs Américains dont les papiers de commerce et leurs intérêts sont entre ses mains, et j’ai un tel sentiment de l’innocence de ce jeune homme que je m’offre pour caution dans tous les temps où le Ministre de la Police pourrait en avoir besoin.

Maintenant, mon cher Ami, que je vous ai donné de ma propre main, toutes les particularités de cet événement, je vous pris, au nom de l’amitié, de la confiance et du patriotisme, de montrer cet écrit au premier Consul ou au Ministre de la Police, comme vous le trouverez le plus convenable, et pour procurer la mise en liberté de Este ; je signerai pour lui un cautionnement au bureau du ministre de la Police s’il est nécessaire.

Salut et Fraternité

Thomas Paine

Pour le Citoyen Garat, membre du Sénat conservateur, 7 nivôse en 9