Cette rencontre scientifique offre l’occasion de s’interroger sur un certain nombre de thèmes majeurs qui ont construit l’histoire de la Révolution et de la démocratie française à partir de la rupture de 1789. En effet, les chutes actuelles de pouvoirs politiques, comme les remises en cause d’autres régimes, ainsi que le bouleversement des forces au plan international qu’elles induisent, montrent tout l’intérêt d’une réflexion historique. Au-delà de la surprise suscitée par de tels événements dans le monde méditerranéen, quelle place l’Histoire occupe dans l’analyse politique, sociale et culturelle des temps présents ? Ensuite, quelle régénération intellectuelle peut offrir l’étude de la culture politique française, pendant la décennie révolutionnaire jusqu’à ses héritages républicains, tels que Jaurès les a initiés à partir tant d’une solide connaissance de la Révolution que de ses engagements politiques ? Enfin, quelle transmission de savoirs l’Université peut apporter aux citoyens, aux enseignants du secondaire et du primaire, comme au public en général invité par exemple à fréquenter le récent Mémorial de la Marseillaise dans le département des Bouches-du-Rhône et, surtout, soucieux d’une meilleure connaissance sur l’histoire de notre Grande Révolution ?
Ainsi, ce colloque propose une réflexion autour de trois thèmes majeurs de la Révolution française et des révolutions populaires :

1. L’entrée en Révolution
Comment le peuple entre en révolution ? Comment une révolte populaire se transforme, par son ampleur considérable, en un changement complet de régime au plan non seulement juridique et politique, mais encore économique et social ? Comment s’est opérée dans la France de 1789 la proclamation universaliste de droits naturels de l’homme et du citoyen ? La participation populaire reste une caractéristique majeure de la Révolution française par rapport à d’autres révolutions de la fin du XVIII°s. en Europe et dans le monde. Les recherches récentes sur les sans-culottes des villes et des campagnes à Marseille ou dans l’arrière pays marseillais, comme à Paris ou ailleurs en France, témoignent de ce questionnement historien et civique sur les apports des revendications populaires à la construction d’un nouvel ordre social et politique.
Si les réseaux sociaux d’aujourd’hui ont joué un rôle majeur pour la mobilisation d’hommes et de femmes et leur occupation de places publiques afin de défendre des idéaux révolutionnaires, donc, démocratiques, d’autres formes d’entrée en politique manifestent la culture politique d’un peuple, à partir notamment de leurs conditions de travail et d’existence.

Ainsi, il convient de faire une place aux comportements des citadins et des ruraux à partir des diverses modalités d’entrée en politique que ce soit par l’action directe à partir des émotions populaires et des révoltes agraires, ou bien par la répression judiciaire et politique, ou encore par le rôle des députés, des juges et des journalistes, sinon par la médiation de groupes constitués. L’année 1789, ou la Révolution de la Liberté, est privilégiée pour aborder la rupture avec l’Ancien régime, même si la résonance de la Révolution de France a eu des échos plus tardifs dans d’autres pays.

2. La vitalité démocratique
L’apprentissage d’une vie politique nouvelle, sans censure et interdit, sans citoyens dits actifs ou passifs, marque la voie révolutionnaire. C’est bien la Révolution qui instaure la liberté de penser, même sur les questions religieuses, et la liberté d’association, même politique. Le principe d’un mandat électif pour toutes les fonctions dans une France nouvelle et complètement réorganisée au plan administratif, comme la création d’un espace public avec le rôle des sociétés politiques, donne une vitalité certaine aux institutions nouvelles et, bientôt, républicaines. Toutefois, les actions contre révolutionnaires comme les réactions politiques, sinon les coups d’Etat, révèlent un clivage de la société civile, entre tenants d’un ordre ancien et partisans d’un nouveau régime.
Si la question du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a été posée d’abord par le peuple avignonnais, rejetant avec force l’autorité pontificale, il est clair que l’entrée en guerre de la France radicalise le mouvement révolutionnaire et que l’année 1792, celle surtout de la révolution de l’Egalité, mérite une attention particulière. Toutefois, la chronologie des événements fondateurs est différente en Italie comme à Genève, par exemple.
Dans ce colloque, il importe de valoriser les mobilisations populaires autour de questions politiques majeures : la défense de la patrie en danger, le rôle des femmes, les combats électoraux, les comités révolutionnaires, les soldats-citoyens, la place des catégories populaires et, notamment, des ci-devant passifs sous la monarchie constitutionnelle, dans les charges publiques comme l’implication des journalistes et des législateurs.

3. Peuples et nation
La question de la souveraineté nationale est au cœur des mobilisations collectives. Contre une usurpation de l’identité collective par une minorité de privilégiés, s’appuyant sur l’octroi clérical d’un pouvoir de droit divin, l’idée d’une souveraineté nationale, d’abord, populaire, ensuite, a été affirmée sur la base d’une reconnaissance des droits naturels de l’homme et du citoyen. L’affirmation, en actes, de la dignité de l’homme et de la femme, est bien une caractéristique essentielle des mouvements révolutionnaires. Au-delà des représentations symboliques, d’Hercule avec sa massue et de la figure de Marianne, qui méritent toujours un intérêt soutenu tant les symboles sollicitent l’intérêt public, comme des débats parlementaires, les pratiques populaires concrètes seront privilégiées.
De même, la « fronde des Grands Blancs », « la révolte mulâtre » et « la révolution nègre » qu’ Aimé Césaire analysait, il y a 50 ans, dans son remarquable « Toussaint Louverture. La Révolution française et le problème colonial » méritent, aujourd’hui, une analyse approfondie à une époque où sévit « la peste du communautarisme », selon une expression employée, naguère, par Maxime Rodinson.
Pourtant, c’est bien un nouvel ordre international que les révolutionnaires imposent, basé sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, depuis le vote des Avignonnais pour l’intégration à la France révolutionnaire jusqu’au vote de la Convention en 1794 pour imposer les principes de 1789 aux colonies, notamment à Saint-Domingue, à savoir l’abolition de l’esclavage qui reste une des grandes lois de la Terreur.
Au-delà de la question d’une France coloniale et des choix politiques des Législateurs, les processus d’identification nationale restent une question complexe. Comment est-on passé du cosmopolitisme aux droits des nations ? Comment peut-on être révolutionnaire des Deux Mondes ? Comment construire une nation en refusant le nationalisme ?

Ces diverses thématiques ont pour but de mieux explorer les conditions d’une situation révolutionnaire, les modalités d’expression d’une exigence démocratique et les fondements d’une construction nationale et internationale, sinon d’une République universelle.

Christine Peyrard, Université d’Aix-Marseille, UMR 6570, au nom du collectif aixois.

Programme

Premier jour : matinée du 12 juin
Présentation du colloque, Cyril Belmonte et Christine Peyrard (Telemme).
Thème 1 : L’entrée en révolution
Peter Jones (U de Birmingham), « Paysans et seigneurs dans la France de 1789 »
Hervé Leuwers (Uté de Lille), « Les révolutionnaires face aux juges en 1789 »
Eric Saunier (Uté du Havre), « Comment les Francs-maçons devinrent révolutionnaires ? »

Après-midi du 12 juin: L’apprentissage de la démocratie
Malcolm Crook (U de Keele), « L’apprentissage du vote en 1789 »
Valérie Sottocasa (U de Toulouse), « Les antagonismes politiques autour du fait religieux »
Laurent Brassart (U de Lille), « Mobilisations populaires en 1792 »
Alessandra Doria (Telemme), « Parcours d’une Niçoise en révolution »

Second jour : matinée du 13 juin
Thème 2 : La vitalité démocratique
Cyril Belmonte (Telemme), « Les citoyens face aux charges publiques »
Danièle Pingué (U. de Franche Comté), « Comités de surveillance et initiatives populaires »
Julien Saint-Roman (Telemme), « La démocratie turbulente des ouvriers de l’arsenal de Toulon »

Après-midi du 13 juin
Thème 3 : Peuples et nations
Christine Peyrard (Telemme), « Avignon ou le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »
Vittorio Criscuolo (U de Milan), « Journalistes et presse démocratique en Italie »
Lluis Roura (U de Barcelone), « L’Espagne au miroir de la Révolution française »
Yannick Bosc (U de Rouen), « Tom Paine, révolutionnaire des Deux Mondes »

Conclusion du colloque.