Florence Gauthier étudie la construction de ce préjugé de couleur et sa fonction dans les colonies à esclaves. Contrairement au récit standard de l'historiographie qui tend à les séparer, elle montre que la question de l'esclavage pose, dès le XVIIIe siècle le problème de la domination coloniale. Les sources sur lesquelles elle s'appuie la conduisent également à conclure que, pour comprendre les Révolutions de France et de Saint Domingue, il ne faut pas les dissocier mais les saisir ensemble, dans la dynamique de leurs échanges. En France, les libres de couleur contribuent ainsi à la structuration du côté gauche de l'Assemblée nationale (que l'on retrouve en particulier au club des jacobins). Face à eux, le combat sans merci que livre le lobby colonial esclavagiste et ségrégationniste afin de maintenir sa domination s'inscrit dans une Contre-Révolution dont il porte tous les masques.
En mai 1791, ce lobby colonial, regroupé autour du club Massiac, obtient de la Constituante qu'elle « décrète, comme article constitutionnel, qu'aucune loi sur l'état des personnes non libres ne pourra être faite par le Corps législatif, pour les colonies, que sur la demande formelle et spontanée des assemblées coloniales ». Le club Massiac, par l'entremise de Barnave, entraîne donc l'Assemblée à constitutionnaliser l'esclavage dans les colonies et à délibérément violer la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le sort des esclaves étant désormais entre les mains des assemblées coloniales.

A l'époque où il est voté, ce décret est considéré par des Jacobins (et non des moindres) comme le déshonneur de la Constituante. Camille Desmoulins écrit ainsi dans son journal que « l'assemblée s'interdit de délibérer jamais sur l'esclavage des noirs ; voilà bien ce qui s'appelle sacrifier les principes et se déshonorer, aussi Pétion, Robespierre et Grégoire n'ont-ils pas voulu partager ce déshonneur et ont rejeté ce décret ».

Le débat sur la question coloniale de mai 1791 est l'un des épisodes qui conduit à la scission au sein de la Société des Amis de la Constitution, c'est-à-dire les Jacobins. En son sein, Brissot puis Robespierre condamnent le décret constitutionnalisant l'esclavage et les positions défendues par Barnave qui œuvre pour le lobby esclavagiste. La rupture est consommée après la fuite du roi et son arrestation à Varennes. La société tenant ses séances dans l'ancien couvent des jacobins change alors de nom et devient Société des Amis de l'égalité et de la liberté : on y retrouve ceux qui ont dénoncé la constitutionnalisation de l'esclavage et deviennent les principales figures des Jacobins (ceux qui sont censés incarner le « jacobinisme »). Autour de Charles de Lameth (riche planteur au sud de Saint-Domingue) et de Barnave, qui étaient jusque là désignés comme les chefs jacobins, la Société des Amis de la Constitution se réunit désormais dans l'ancien couvent des feuillants. Le feuillantisme, un universalisme blanc, masculin (et peu catholique par ailleurs). Le feuillantisme, voilà l'ennemi !

Faut-il rappeler que la première abolition de l'esclavage date du 16 pluviôse an II-4 février 1794 ? On peut lire cette histoire de la Révolution de Saint-Domingue, de l'abolition de l'esclavage et de son rétablissement par Bonaparte en 1802 sur Révolution Française.net et en voir une des traces avec le bonnet de la liberté qui sert d'emblème à ce site.

On pourrait ajouter, par ailleurs, que l'idée d'associer « jacobinisme » et « catholicisme » semble, pour le moins, incongrue à tout spécialiste de la Révolution française. Où et quand, dans quel document d'archives, dans quel ouvrage scientifique a-t-on pu affirmer que les Jacobins — à quelque époque du club que ce soit — aient défendu le catholicisme comme religion d'État ou que leur universalisme ait été teinté d'une nuance quelconque de « catholicisme » ? A moins de confondre le déisme ou le théisme de certains Jacobins avec le catholicisme — ce qui serait une confusion fort étonnante — on ne voit pas très bien comment le « jacobinisme » pourrait avoir le moindre rapport avec l'Église apostolique et romaine…

Enfin, sur la question du genre, de nombreux travaux (dont ceux de Dominique Godineau dont on trouvera un article sur notre site) ont mis en évidence des clivages, des débats et l'existence de pratiques politiques "jacobines" fort éloignés de l'idée de domination masculine…

Ce n'est pas en substituant des slogans à la recherche que l'on fera avancer la connaissance et l'action politique qu'elle permet.

Lire l'introduction d'Esther Benbassa au numéro hors série de Mouvements, La France en situation post-coloniale ?