Cette opération dispose d'un site internet : Le Tambour des doléances

Vous pouvez envoyer vos doléances à :
courrier@letambourdesdoleances.org

Lire les doléances collectées



Texte d'appel

Ici nul roi ne convoque des Etats Généraux. Nous sommes, dit-on, le peuple souverain, celui d’une démocratie, mais nous sommes un étrange souverain à qui l’on propose de choisir des candidats aux élections en le privant régulièrement de débats qui devraient donner du sens à la représentation.



Alors, pourquoi ne pas réécrire les doléances, ces cahiers de doléances ? Nous les appelons dans l’idée d’une certaine souveraineté à venir et cela justement, au-delà de la notion de souveraineté, du peuple au peuple, du peuple vers nos supposés représentants, du peuple vers des partis politiques qui semblent désespérément et trop souvent satisfaits de confisquer le pouvoir sans maintenir l’échange, les valeurs ou vertus de travail, de courage, de volonté qui devraient être au cœur de l’attitude d’un représentant digne de ce nom.

Crise de la représentation. Crise du travail politique. Crise de l’écoute politique. Crise de la connaissance politique.

Et ces crises, cette crise n’est pas une crisis, une crise passagère et surmontable, elle en appelle, pour être dépassée à la raison (qui ne serait pas toujours celle du plus fort), aux savoirs, aux origines de cette même crise, savoirs trop souvent dérobés, confisqués, atténués par les souverainetés instituées en pouvoirs légitimes ou en contre pouvoir tout aussi institués. Cette crise, ces crises sont cruelles. Elles font souffrir au quotidien, au travail, dans les entreprises, dans la rue, elles excluent, tyrannisent, harcèlent le corps social et politique le réduisant à une masse de consommation et d’ignorance programmée.

Aussi il faut dire à nos représentants à venir, de bien vouloir daigner faire connaissance avec cette « autre souveraineté », celle d’un peuple souffrant et dédaigné. Rédiger un cahier de doléances ne consistera pas à produire une supplique mais bien à se donner les moyens de refaire une Cité.

Ce mot « doléance » appartient à la même famille que celui de douleur et de deuil (dolere) et exprime une idée de tristesse et de plainte. La doléance serait l’acte qui consiste à politiser la plainte, à lui donner sa puissance active, craignant le pire, sentant qu’il y a lieu de le craindre. Le moment serait-il venu de l’exprimer au seuil, peut-être, de l’irréversible ? Un cahier de doléances pour battre en brèche une politique de la pitié et faire advenir une politique de la justice soit une politique du possible de l’impossible qui fasse événement où le corps sensible n’est pas malheureux et victime, mais sensible à ce qui est juste et à ce qui est injuste.

Il s’agit bien ici de rendre justice au corps souffrant de notre civilisation atteint sans qu’aucune médecine, même des plus sophistiquée, ne vienne apaiser l’impact des mensonges institués, fondement d’une politique destructrice programmée, du bien commun méprisé. Il s’agit ici de faire appel à témoin, de témoigner, c’est-à-dire de tenter de traduire une expérience, de dire sa vérité au risque de se tromper, avant que la possibilité même de témoigner ne disparaisse sous couvert d’expertise et d’intelligence artificielle.

On peut, croyons-nous, se plaindre d’injustices même si elles ne portent pas directement atteinte à notre propre corps. On peut se plaindre d’injustices qui affectent le corps en ricochet, on peut avoir mal de la politique en étant ou sans être « sans papier », « chômeur », « affamé « sans logis ». On peut souffrir de la politique sans être une victime désignée comme telle, on peut souffrir de voir, simplement voir, une politique être menée. On peut souffrir de voir des outils détruits, des lois bafouées, des principes ignorés.

De quelle autorité parle la doléance ? De l’autorité de l’épreuve des jours, de l’autorité d’une connaissance qui serait nouée à cette épreuve sensible constante qui affecte les corps pensants à l’insu, une connaissance qui reste insoupçonnée malgré la fatigue, la répétition, malgré le poids du déni, malgré l’information qui nous bombarde, malgré les écrans qui nous accaparent, une connaissance par rencontre des corps, connaissance de soi, connaissance de l’autre, connaissance du monde, qui n’a rien de virtuelle. Elle est souvent arcboutée au travail, à des bribes de savoir, à des lectures, à des histoires, à des mots qui s’échangent, malgré tout quand il reste encore un peu de disponibilité pour écouter, tendre l’oreille, une oreille curieuse ou compatissante, une oreille rêveuse ou maussade, une oreille attentive. C’est alors l'intimité du sentiment de la justice et de l'injustice qui permet à quiconque de déplacer l’impossible, d’interpréter les situations politiques et d'agir sur elles en se référant à la nécessité de résister à l'oppression.

Le lien politique amical consiste ici à tenter de traduire des expériences sensibles à l’égard du juste et de l’injuste. Il nous semble juste de dire nos doléances pour produire la liberté politique dans un processus qui arrache les corps souffrants à leur condition et faire en sorte que chaque citoyen soit vraiment convoqué à participer à l’élaboration de la loi comme bien commun. Soyons réalistes, demandons l’impossible.



Le « tambour des doléances »
Comité de rédaction pour le recueil des doléances



Doléances. Cahier zéro

Richesses, dominations

Paris 20e, juin 2010
Je ne comprends pas qu’on puisse nous demander d’accepter la rigueur alors que nous avons renfloué les banques, il y a à peine un an et sans intérêt en plus. J’ai vraiment cru que cette crise des banques allait obliger à changer de cap, à inventer un monde meilleur, mais voir que rien ne change, que les riches continuent à s’enrichir et que l’on explique aux pauvres qu’ils vivent au dessus des moyens du pays parce qu’ils tiennent à la sécu et à des allocations de chômage décentes, ça m’énerve mais vraiment.

Nevers, août 2010
Aujourd’hui les campagnes de sensibilisation aux luttes contre le cancer mettent l’accent sur le dépistage précoce et les progrès de la médecine qui est capable de guérir aujourd’hui 80% des cancers, mais pour autant, le fait d’avoir eu un cancer dépisté tôt et guéri conduit à une véritable discrimination dans l’accès à l’emprunt. Double pénalisation, vitale. On a été malade et ensuite on est dans une case pour le reste de sa vie avec une sorte de vie limitée. Le secret médical devrait aussi exister pour les assureurs ! Comme on dit ce ne sont vraiment pas des philanthropes.

Meaux, septembre 2010
Je m'appelle Maria et je vis en Seine et Marne du côté de Meaux. Je travaille au ministère de la Justice, place Vendôme. En fait je viens d'une famille modeste, mes parents étaient Portugais. Ma mère ne travaillait pas et nous élevait avec mes frères et mes sœurs, et mon père, comme beaucoup de Portugais, travaillait dans le bâtiment. J'ai pas fait beaucoup d'étude et je gagne pas beaucoup. Mon mari non plus, c'est pour ça que nous vivons en Seine et Marne. C'est un peu loin de là ou je travaille, mais je suis contente car je suis huissier au ministère. C'est moi qui accueille les gens, qui répartit le courrier, qui répond au téléphone. Dans mon service les gens sont plutôt sympathiques. Mais ce que j'aime bien c'est que là où je travaille c'est beau, c'est agréable. Quand j'ai fait une heure et demi pour venir au travail, je suis dans un endroit joli. Ça compense. Mais on nous a dit que le Gouvernement avait décidé de vendre notre bâtiment qui sera acheté par l'hôtel d'à côté. Y a plus que le ministre qui sera à Vendôme. On va aller à Issy les Moulineaux, je crois. En tout cas, en banlieue. Pour moi ce sera beaucoup plus loin. J'aurai peut-être deux heure de transport le matin et deux heures le soir. Mes enfants sont grands, mais quand même, j'aime bien rentrer pas trop tard pour m'occuper d'eux. Mais surtout, c'est dur car, moi j'étais très fière de pouvoir montrer à mes enfants où je travaille. C'est un peu un palais, et il nous appartient aussi puisque c'est à la République, c'est aussi à nous. Ça compensait. Si je vais travailler en banlieue, dans une autre banlieue, je ne quitterai plus la banlieue. Je ne viendrai plus à Paris, c'est déjà loin, mais en plus je ne serai plus motivée. On va nous exclure de tout de qui est joli. Paris c'est joli, j'aime bien. Moi je suis contre qu'on vende pour un hôtel de luxe. Ces bâtiments ils sont un peu au peuple quand ils sont à l'État. Pourquoi l'État vend ses bâtiments aux riches plutôt que de prendre l'argent là où il est ? C'est ce que m'a demandé mon fils, je trouve que c'est une bonne question. J'espère que mes enfants pourront travailler plus tard dans un endroit joli. C'est plus agréable, ça fatigue moins.

Annecy, septembre 2010
Ce qui me révolte et m’indigne, c’est la destruction des services publics et l’irrespect des valeurs de solidarité, de fraternité, de justice, de vivre ensemble, contenues dans le programme du Conseil National de la Résistance. Plus de bureaux de poste dans les villages, plus de trains qui s’arrêtent dans les petites villes…A l’hôpital public, le patient devient un client, on ne parle plus de santé pour tous, mais de rentabilité. On ferme les services, les hôpitaux et les maternités de proximité, on réduit dangereusement le personnel hospitalier au détriment de la qualité des soins… A l’école de la République, c’est aussi la marchandisation, l’école publique qui oeuvrait pour le développement et l’épanouissement de l’enfant, aujourd’hui, on prépare et formate l’enfant pour l’entreprise, pour la compétition, la concurrence, l’individualisme, la course au profit…et là aussi on diminue dangereusement les effectifs des enseignants… Le néolibéralisme produit misère et pauvreté, des sans travail, des sans logement, des sans argent, des sans droits, des sans papiers…

Au plan personnel, étant aveugle, je dénonce les galères rencontrées par les personnes handicapées pour obtenir un emploi, une compensation financière et une pension de retraite décentes, une autonomie pour se déplacer ou s’exprimer, une accessibilité à tous les lieux… Nos élus votent des lois à l’Assemblée, au Sénat pour l’égalité des chances pour les personnes handicapées, loi du 11 février 2005, mais bon nombre des articles contenus dans cette loi sont inapplicables.

Culture

Paris, 18e, juin 2010
J’aimais bien la fête de la musique au début, mais c’est devenue la fête de la tristesse. Je me suis promenée dans mon quartier et j’ai vu plus d’alcool à vendre sur les trottoirs que de groupes de musiciens. C’est peut-être vieux jeu, mais j’ai le sentiment d’une société qui n’a aucun souffle, car après tout la musique c’est le souffle. On étouffe ce 21 juin.

Le Plessis Trévise, juillet 2010
J’ai grandi en banlieue parisienne, dans différentes banlieues, plus ou moins éloignées du centre de Paris, et j’ai connu des années heureuses et fructueuses à l’école publique. La communale d’abord où dans la cour de récréation se côtoyaient des enfants de cités pavillonnaires, des enfants d’immeubles ordinaires et des enfants de cités Emmaüs. Il y avait là des enfants qui venaient du Maghreb, d’Espagne, du Chili, d’Europe centrale, peut-être était-ce la Yougoslavie, enfant je ne savais pas trop. Je ne sais toujours pas mais je me souviens que certains étaient plutôt en âge d’être au collège, qu’ils appartenaient à une classe où on apprenait le français et qu’en cours d’année ils arrivaient dans les autres classes en parlant difficilement mais en étant les meilleurs en maths ou les meilleurs en gym, parfois en dessin, parfois pas bons du tout à l’école. C’était des figures fortes de l’école, entre grands frères et grandes sœurs qui ensuite partaient ailleurs, en fait quand ils savaient bien le français. C’était dans les années 1973-1976. Depuis un moment déjà, l’enseignement du français langue étrangère ne se faisait plus au sein de la même école, désormais j’ai entendu qu’il était très explicitement en danger. On ne l’enseignerait plus à l’école mais dans des associations, ailleurs. Cette séparation des uns et des autres, des lieux et des objectifs, je trouve ça triste. Apprendre une langue c’est aussi pouvoir la parler avec des plus petits qui veulent vous rencontrer et ouvrent de grands yeux sur de belles étrangères et de grands garçons très forts. ça fait mal de voire ainsi programmer la séparation des corps et des esprits. Certains disent que ce n’est plus possible. Moi je ne comprends pas pourquoi. Mes deux grands-mères, étrangères étaient analphabètes, ma mère adorait lire, et je suis devenue professeur de français. C’est douloureux pour moi de voir que l’on ne veut plus croire dans ce pays à ces trajectoires pas seulement sociales ou de réussite, mais trajectoires de passage des langues et d’amour de la langue. Canetti, Kafka, Kundera on ne veut vraiment plus rien en savoir ? On a beaucoup critiqué la violence symbolique des usages du français à l’école publique, du modèle d’intégration républicain, mais l’épreuve de la langue était alors aussi épreuve de la vie à vivre avec ses joies, ses douleurs, ses déceptions et ses enthousiasmes. Aujourd’hui c’est juste une épreuve supplémentaire pour juste avoir le droit de survivre.

Lille, juillet 1010
Pour que les structures comme des musées survivent financièrement, on se retrouve à accepter des partenariats mécénats qui transforment le sens de ces institutions culturelles. Elles proposent des événements, des ateliers, des anniversaires pour les enfants, de l’agitation culturelle mais le fond est aujourd’hui peu travaillé. Quand on propose des sujets complexes, les tutelles ont peur et elles réclament essentiellement des activités dites « grand public ». Mais ce grand public aussi a droit à une offre de qualité ! L’entertainement remplace trop souvent l’étonnement. S’amuser c’est bien, mais découvrir en soi et autour de soi des mondes inconnus, c’est tout de même mieux ! La vocation d’une politique publique de la culture ce n’est pas de produire du consensus, de conforter chacun dans son train train. Non, c’est de produire juste plus de vie, une vie autre. Ça sonne un peu vieux, mais la culture c’est fait pour changer la vie.

Institutions démocratiques

Paris, 5e juin 2010
En fait je suis très énervée de voir comment fonctionnent les institutions démocratiques au sein de l’école publique. Dans un collège, des délégués de cinquième n’ont pas été prévenus du changement d’horaire de leur conseil, quand ils sont arrivés il avait déjà eu lieu, et la principale adjointe avait fait le conseil en déclarant qu’ils étaient peut-être partis en vacances. Ils ont certes obtenu des excuses le lendemain, mais comment adhérer à un modèle qu’on appelle démocratie quand il est autant maltraité dans l’enfance ? A l’école primaire, dans mon expérience c’est pire. Non seulement on appelle formation à la citoyenneté des enfants, des formations à l’obéissance aux propositions des adultes, mais en plus les conseils d’école ne ressemblent en rien à des conseils. Là où j’ai été élu, la directrice disposait de deux heures pour empêcher que quoi que ce soit d’intéressant ne se dise et les parents élus, s’ils protestaient étaient violement agressés et même parfois mis en quarantaine, calomniés, accusés de mettre une mauvaise ambiance dans l’école. J’ai même vu un instituteur déclarer dans sa réunion de rentrée qu’il n’accepterait aucune remarque sur la directrice. Mais cette caporalisation des conseils, c’est ça qui met une mauvaise ambiance dans l’école ! Le clivage entre parents et instituteurs est construit, alors que nombreux sont les parents qui veulent s’investir dans l’école, proposent des activités périscolaires constamment rejetées. Les parents voilà les ennemis. Je me demande comment on en est arrivé là.

Grenoble, juillet 2010
Dans un pays comme la France l’hyper présidence donne trop de pouvoir à l’exécutif et ne permets pas de développer une véritable opposition démocratique. Les mouvements sociaux de résistance ne sont pas négligeables, mais sans débouché politique législatif ils semblent devoir toujours rester mouvements morts, voix blanche. Comment vouloir encore agir si c’est toujours simplement pour perdre des journées de salaires ? Pour remédier à cet état de fait qui nous laisse nous gens du peuple sans voix, il faudrait que les élections législatives servent de contrepoids aux élections présidentielles à mi parcours, pour que le président écoute le pays et pour que le pays puissent réagir dans un cadre institutionnel clair. Sinon nous ne sommes plus des citoyens, juste les dindons d’une farce qui se joue tous les cinq ans.

Paris, 18e, août 2010
Je trouve que, arrivés au point où nous en sommes, ce qui fait le plus mal dans ce pays c’est son président, Nicolas Sarkozy. Il menace le pays et je me demande s’il ne faudrait pas demander sa déchéance, lui retirer sa nationalité ou sa citoyenneté ou les deux pour des raisons qui sont nombreuses : - décrets anticonstitutionnels multiples - non respect de la séparation des pouvoirs exécutifs et judiciaires - mise en danger de la cohésion nationale pour raisons de décrets racistes et vichystes - mise en danger de l'ordre politique par une répression aveugle - complicité de délinquance fiscale ....... etc. On peut exprimer ça mieux et plus justement peut-être. Mais vraiment nous n’avons pas de président !

Justice

Saint Ouen, Septembre 2010
Je suis employée de cantine et je gagne 1000 euros par mois. J’ai deux enfants. J’ai eu un conflit avec mon propriétaire qui ne voulait pas faire des travaux contre l’humidité dans ma maison. Parce que je croyais pouvoir obtenir que mon propriétaire fasse les travaux, j’ai demandé l’aide juridictionnelle pour avoir un avocat. Mais un avocat comme ça, c’est pas les meilleurs, il ne s’occupe pas de toi. Ce n’est pas l’accès à une bonne justice. De plus l’avocat m’a demandé de lui payer quelque chose en plus, sous la table. Il m’a dit qu’il n’était pas assez payé par l’Etat pour s’occuper de mon affaire. J’ai donné mais il ne s’est pas plus occupé de moi. Le jour du procès, c’est moi qui ait parlé car je connaissais mieux la situation que lui. Le juge m’a donné raison, mais mon propriétaire ne fait rien. Et mon avocat ne m’aide pas. Au tribunal, on m’a dit de m’adresser à une association. Mais j’ai gagné, pourquoi je n’ai pas ce qui m’est du ? Il faut que la justice s’occupe aussi des petites gens.

Sécurité

Paris 18e, juin 2010
Dans mon quartier, il y a bien longtemps que les policiers ne passent que rapidement en voiture. Quand il y a un problème et qu’on téléphone, on nous répond qu’on n’avait qu’à habiter ailleurs. J’aime bien mon quartier, je trouve que c’est dommage de laisser le champ libre à quelques uns qui ne respectent pas les autres. Il suffirait que les policiers soient plus présents et discutent un peu avec les gens pour connaître les problèmes et pas se tromper quand ils interviennent. Une fois ils ont fracassé la porte d’une voisine, ils s’étaient trompés. Elle n’a pas pu se faire rembourser les dégâts. Ce n’est pas juste et ce n’est pas de la bonne police.

Amiens, juin 2010
A Etouvie, un quartier d’Amiens sensible, la ville avait jugé bon d’équiper l’espace multimédia du centre commercial d’un ordinateur pour donner des moyens aux jeunes qui en auraient besoin pour les révisions du BAC. Un animateur devait réguler son usage. En fait voilà ça marche plutôt bien cette version de soutien scolaire pour grands. Mais alors que tout allait bien, la police nationale s’autorise à effectuer à l’intérieur de la salle de service municipale, un contrôle d’identité. L’animateur proteste, il trouve anormal que son travail et celui des adolescents soit gêné, dérangé. Les jeunes gens montrent leurs papiers mais lui ne les a pas sur lui, ils sont dans son blouson resté sur le porte manteau, un peu plus loin. Tout en manifestant sa mauvaise humeur, il se déplace pour aller les chercher et à ce moment, la police le plaque au sol, le menotte et lui donne des coups de pied. Il est finalement emmené au poste sous le regard médusé des adolescents et du public. Evidemment le soir, de récit en récit, ça s’échauffe et dans le quartier des embryons d’émeutes ont lieu, on brûle des poubelles, des voitures. Du coup les CRS interviennent en pleine nuit à 5h30 du matin. Ils sont harnachés comme pour une guerre civile et réveillent les gens en faisant de grands faisceaux de lumières dans les fenêtres des immeubles. Les gens se réveillent dans un quartier quadrillé. Cette police, elle provoque l’insécurité plutôt qu’elle ne la règle. C’est comme sur Amiens Nord , il y a des contrôles policiers trois fois par jour, évidemment que ça énerve. Mais dans les petites villes comme Villers Bretonneux, ou Moreuil, là il n’y a pas de présence policière quand les gens en ont besoin. Juste un hélicoptère qui tourne au dessus du parc archéologique.

Rénovation urbaine, habiter

Lyon, septembre 2010
Quand ils ont décidé de détruire l’immeuble où j’habitais j’étais pas contre. Ils voulaient aérer le quartier faire une rue au milieu des immeubles. On m’a dit que je serai relogé dans le quartier après la rénovation. J’ai dit oui et nous avons été parmi les premiers à quitter l’immeuble et être relogés dans une ville à côté en attendant la démolition et la reconstruction du quartier. Mais faire déménager toutes les 25 familles de l’immeuble ça a mis 3 ans, j’ai donc attendu. Puis on nous a invité à voir la démolition de l’immeuble, il y avait même un ministre, celui qui s’occupe de ça au gouvernement. Puis, ils ont reconstruit des immeubles et refait le quartier. C’est devenu mieux. Mais en tout, il s’est passé 5 ans, mes enfants sont partis faire leur vie, et on m’a dit qu’avec mon mari on était plus prioritaire car mon mari à un travail et nous n’avons plus d’enfants à la maison. Et donc je dois rester là où je suis. Je n’ai pas profité de la rénovation alors qu’au départ j’ai joué le jeu. La rénovation des immeubles est ce que ça doit servir à bouleverser la vie des gens qu’ils soient d’accord et puis après qu’il n’en profite pas. Je voudrais retrouver mes voisins d’avant.

Impuissance syndicale

Roubaix, septembre 2010
Ça fait des années que je suis au syndicat. Mon père y était déjà et mon grand père aussi. Dans ma famille et mon métier, c’était naturel. On devenait « arpette » et on prenait sa carte. L’action syndicale j’y croyais. Et puis j’ai commencé à me poser des questions. D’abord sous la gauche, j’ai ressenti comme un malaise, on nous attaquait pour des avantages qu’on avait depuis la guerre et notre syndicat protestait, mais on avait de plus en plus le sentiment que c’était pour la forme. En 1995, j’ai fait grève longtemps, mais j’étais jeune et je n’avais pas encore une famille. Depuis, on remet en cause nos acquis, mais la seule réponse c’est une journée d’action de temps en temps. Je perds de l’argent et j’ai aussi le sentiment que je perds mon temps. Je suis pour qu’on se défende, mais alors vraiment. C’est pas une journée qu’il faut faire, mais c’est vraiment la grève, l’action dure. Je sais que ce sera pas facile, mais ça s’organise. J’ai lu qu’en 1936, dans le Nord, les grévistes avaient des caisses de grève pour tenir. Aujourd’hui, on a les moyens de s’organiser pour tenir longtemps. Car si on s’arrête pour de bon, ça va vraiment coûter cher. Mais il faut que le syndicat le veuille et l’organise. Pour ça il ne faut pas qu’il pense uniquement par rapport aux politiques du coin. Dans le Nord ça va mal, Lille n’est plus une ville d’ouvriers. Alors la grève, je ne la ferais maintenant que si j’ai le sentiment qu’on veut vraiment gagner et pas uniquement qu’on veut dialoguer avec le gouvernement pour ne pas faire peur à tous ceux qui ne vivent pas nos difficultés. La grève c’est l’inverse de l’alcool. Un jour seulement, bonjour les dégâts. C’est quand la victoire nous rend ivre que c’est bien. En 1995, on a fait une grande fête à la fin, et on était tous ivres car on ne savait pas quand on pourrait recommencer. Moi je pense que c’est le moment.

Dignité humaine

Lyon, juillet 2010
Ce qui me choque aujourd’hui c’est la condition de vie actuelle des détenus dans les prisons françaises, le mépris, le désintérêt total de ce qui s’y passe, l’absence de projet quelconque pour ceux qui entrent et qui en ressortiront. Des prisons qui ne produisent rien pour ceux qui la subissent. La construction des prisons modernes apparemment plus confortables s’avère d’un mode de vie encore plus déshumanisant. Si on voit l’état d’une société à l’état de ses prisons comme le dit Badinter, on peut s’inquiéter de l’état de la société française. En fait on construit des prisons nouvelles et elles sont pleines avant d’ouvrir. Cette multiplication des peines d’emprisonnement quand on sait que ce mode pénal est contreproductif, c’est quand même étrange. Ce qui est terrible c’est aussi de voir que ces prisons nouvelles sont toutes en périphérie et que pour les familles c’est vraiment difficile de maintenir les liens. Or les enfants peuvent avoir un papa en prison, ils ont quand même besoin de le voir.

Lyon, août 2010
Moi ce qui me fait mal, c’est qu’on se moque de la dignité humaine. Je trouve que des événements récents trahissent une absence de respect minimum de cette dignité humaine. L’expulsion des Roms sans aucune finalité sécuritaire objective, car ça ne produit pas plus de sécurité, c’est une pure instrumentalisation politique. C’est révélateur, on jette des gens en pâture, on s’assoit sur la présomption d’innocence. Et puis créer une catégorie de citoyens qui ne sont pas des citoyens de plein droit mais des ex-étrangers conduit implicitement à ostraciser une partie de la population. Il n’y a pas très loin du sous-citoyen au sous-homme. Stigmatiser des populations entières Roms, Musulmans, Arabes et Noirs en affirmant que l’appartenance à un groupe est synonyme de délinquance remet en question un des principes fondamentaux de la société française : l’égalité de chacun devant la loi indépendamment de sa race, de sa culture, de sa religion. En fait on fait disparaître l’individu au profit d’un supposé groupe d’appartenance. Ce qui disparaît aussi c’est la possibilité de reconnaître d’autres formes de liens qui eux sont politiques et fondés sur l’usage du libre arbitre dans des parcours singuliers pour chacun. Assigner les gens à une catégorie, c’est déjà leur dénier une partie de leur humanité, je veux dire de leur liberté.

Bron, juillet 2010
Aujourd’hui les psychopathes, on ne sait pas les soigner, ils sont le plus souvent en prison, plutôt qu’en hôpital psychiatrique mais dans les deux cas, on ne sait pas quoi en faire. Il y a un véritable déficit de capacité à les soigner et à les accueillir. Ils n’ont rien à faire en prison, mais les psychiatres ne savent pas les gérer non plus. Il faudrait penser une nouvelle modalité pour des gens qui sont aujourd’hui traités comme des monstres, mais quand même ce sont des hommes avant tout.

Lille, juillet 1010
Pour que les structures comme des musées survivent financièrement, on se retrouve à accepter des partenariats mécénats qui transforment le sens de ces institutions culturelles. Elles proposent des événements, des ateliers, des anniversaires pour les enfants, de l’agitation culturelle mais le fond est aujourd’hui peu travaillé. Quand on propose des sujets complexes, les tutelles ont peur et elles réclament essentiellement des activités dites « grand public ». Mais ce grand public aussi a droit à une offre de qualité ! L’entertainement remplace trop souvent l’étonnement. S’amuser c’est bien, mais découvrir en soi et autour de soi des mondes inconnus, c’est tout de même mieux ! La vocation d’une politique publique de la culture ce n’est pas de produire du consensus, de conforter chacun dans son train train. Non, c’est de produire juste plus de vie, une vie autre. Ça sonne un peu vieux, mais la culture c’est fait pour changer la vie.

Autres thèmes à traiter

-Abus de pouvoir -Libertés publiques -Travail

Nous proposons d’inclure la question des discriminations dans dignité humaine ainsi que tous les enjeux psychiatriques. La question de l’école et de l’université dans culture ou dans travail en fonction des enjeux soulevés. D’une manière générale nous souhaitons plutôt regrouper les rubriques et non les multiplier.