Cette chanson a été interprétée le 20 Pluviôse-8 février 1794, soit quatre jours après la réception de la délégation de Saint-Domingue à la Convention et la proclamation de l’abolition -sans condition- de l’esclavage dans toutes les colonies françaises. Il s"agit du "sage décret" dont il est question dans le premier couplet. Quant au second couplet qui associe les deux révolutions, celle de Saint-Domingue et celle de France, on en trouve une belle représentation dans le bonnet de la liberté qui sert de logo à Révolution Française.net.
L'air choisi a été composé par François Devienne (1759-1803), surnommé le "Mozart français". Il est tiré d’un de ses opéras Les Visitandines dont la première est donnée au Théâtre Feydeau le 7 août 1792. Le morceau est mieux connu sous le nom de Dans cette maison à quinze ans ou Air des Visitandines. On notera que le texte de cette chanson figure dans le corpus de l’épreuve optionnelle de musique du baccalauréat 2009. On peut écouter en ligne une interprétation de Marc Ogeret (tirée de Marc Ogeret chante la Révolution, Socadisc Sc 370, 1989) dans laquelle les couplets 3, 4, 5 et 8 sont manquants. C’est toutefois la version disponible la plus complète de cette chanson. Une autre qui est également accessible sur Internet est encore plus amputée.

LA LIBERTE DES NEGRES

Par le citoyen Antoine-Pierre-Augustin chevalier de Piis Chanté à la section des Tuileries le Décadi 20 Pluviôse
Air : Ah ! De quel souvenir affreux.

1.LE savez-vous, Républicains,
Quel sort était le sort du nègre
Qu'à son rang, parmi les humains,
Un sage décret réintègre ;
Il était esclave en naissant !
Puni de mort pour un seul geste….
On vendait jusqu’à son enfant….
Le sucre était teint de son sang….
Daignez m’épargner tout le reste.

2.DE vrais bourreaux, altérés d’or,
Promettant d’alléger ses chaînes,
Faisaient, pour les serrer encor
Des tentatives inhumaines.
Mais contre leurs complots pervers,
C'est la Nature qui proteste ;
Et deux Peuples brisant leurs fers
Ont, malgré la distance des mers,
Fini par s ‘entendre de reste.

3.QU’ont dit les députés des noirs
A notre Sénat respectable,
Quand ils ont eû de leurs pouvoirs
Donné la preuve indubitable :
« Nous n’avons plus de poudre, hélas !
Mais nous brûlons d’un feu céleste,
Aidez nos trois cent mille bras
A conserver dans nos climats
Un bien plus cher que tout le reste. »

4.SOUDAIN, à l’unanimité :
« Déclarez à nos colonies,
Qu’au désir de l’humanité
Elles sont par vous affranchies.
Et si des peuples oppresseurs,
Contre un tel vœu se manifestent ;
Pour amis et pour défenseurs,
Enfin, pour colons de nos cœurs,
Songez que les Français vous restent. »

5.CES Romains, jadis si fameux,
Ont été bien puissans, bien braves ;
Mais ces Romains. libres chez eux,
Conservaient au loin des esclaves.
C‘est une affreuse vérité,
Que leur histoire nous atteste ;
Puisqu’avec nous d’humanité,
Déjà les Romains sont en reste.

6.TENDEZ vos arcs, négres marrons,
Nous portons la flamme à nos méches
Comme elle part de nos canons ;
Que la mort vole avec vos flèches.
Si des royalistes impurs
Chez nous, chez vous portent la peste,
Vous dans vos bois, nous dans nos murs,
Cernons ces ennemis obscurs,
Et nous en détruirons le reste.

7.QUAND dans votre sol échauffé,
Il leur a semblé bon de naître,
La canne à sucre et le café
N’ont choisi ni gérant, ni maître.
Cette mine est dans votre champ,
Nul aujourd’hui ne le conteste,
Plus vous peinez en l’exploitant,
Plus il est juste, assurément,
Que le produit net vous en reste.

8.DOUX plaisir de maternité,
Devenir plus cher à négresse ;
Et sans nuire à fécondité,
Prendre une teinte de sagesse.
Zizi toi n’étais, sur ma foi,
Trop fidèle, ni trop modeste ;
Mais toi t’en feras double loi,
Si petite famille à toi
Dans caze à toi, près de toi reste.

9.AMERICAINS, l’Egalité
Vous proclame aujourd’hui nos frères,
Vous aviez à la Liberté
Les mêmes droits héréditaires.
Vous êtes noirs, mais le bon sens
Repousse un préjugé funeste…
Seriez-vous moins intéressans,
Aux yeux des Républicains blancs
La couleur tombe, et l’homme reste.