Dès 1886, il commence à écrire un nombre impressionnant d’ouvrages portant pour la plupart, non sur sa "spécialité", la littérature germanique, mais sur l’histoire militaire de la Révolution et de l’Empire dont il devient LE spécialiste dans sa génération. Les titres les plus importants sont sa série de 11 volumes sur Les guerres de la Révolution et les trois tomes de sa Jeunesse de Napoléon. Le Dumouriez réédité aujourd’hui date de la fin de sa carrière. Chuquet écrit également un grand nombre d’études biographiques de militaires de l’époque révolutionnaire comme par exemple son intéressante étude sur Charles de Hesse (Un prince jacobin, Charles de Hesse ou le général Marat, 1906) ou d’études de campagnes militaires particulières.

Arthur Chuquet occupe une place à part dans la génération d’Alphonse Aulard. Il fait partie des membres fondateurs de la Société d’histoire moderne en mai 1904. Parmi les autres membres fondateurs, on peut relever les noms d’Alphonse Aulard, d’Antonin Debidour, d’Ernest Lavisse, de Gabriel Monod et du jeune Albert Mathiez. Mais directeur de la Revue critique, il possède une relative indépendance vis-à-vis du grand maître des études révolutionnaires qu’était alors Alphone Aulard. Ainsi, il participe à la fondation de la Société des Études robespierristes de Mathiez (concurrente de facto de la Société d’histoire de la Révolution française d’Aulard), annoncée dans sa revue le 9 décembre 1907. L’annonce précisait que l’organe de la société, les Annales Révolutionnaires, serait une publication trimestrielle. Arthur Chuquet était théoriquement directeur de la revue et principal responsable, ce qui ne manque pas d’étonner quand on remarque avec l’historien James Friguglietti que Chuquet "ne semble pas avoir été un robespierriste actif avant cette date" (1). D’ailleurs, sur la pression d’Aulard, Chuquet s’éloigne de la Société des études robespierristes en 1909, tout en gardant des liens avec sa revue.

Que retenir de ce parcours ? Chuquet était le seul historien des guerres révolutionnaires associé au groupe des républicains radicaux admirateurs de la Révolution française. Alors que la plupart des militaires qui avaient écrit sur la Révolution étaient des royalistes bons teints ou du moins des réactionnaires affirmés, Chuquet écrivait une histoire militaire qui se voulait "républicaine" et "radicale". Proche d’Aulard, mais capable de travailler également avec Mathiez (même brièvement), il fait partie de la génération des fondateurs des études révolutionnaires et de son histoire militaire en particulier à laquelle il donne une tonalité politique marquée. Pourtant, Chuquet est loin d’être un "robespierriste" militant et ses ouvrages d’histoire militaire sont marqués par les défauts du genre en usage au début du XXe siècle.

Ainsi, Chuquet écrit l’histoire selon les normes admises à l’époque d’Aulard. Dans son Dumouriez, il se contente d’indiquer en avant-propos que l’ouvrage a été "composé d’après les écrits imprimés et papiers manuscrits du général, d’après les documents des archives publiques, d’après nos Guerres de la Révolution, la Defence of England de Rose et Broadley, les journaux, mémoires et brochures du temps." Aucune autre référence d’aucune sorte aux sources ne figure dans l’ouvrage, ce qui en rend la lecture difficile à un historien actuel qui s’attend à pouvoir vérifier en permanence "qui" parle et de quelle "position".

Par ailleurs, comme beaucoup d’historiens des guerres révolutionnaires (et les plus récents n’échappent pas toujours à cette approche), Chuquet tend à faire un travail permanent de réhabilitation de son héros, ce qui dans le cas de Dumouriez est un exercice relativement facile sur le terrain militaire, mais beaucoup plus ardu sur le terrain politique. Si Chuquet ne cache pas les contradictions et les trahisons du personnage, il a tendance à reporter les torts sur ses adversaires. Ainsi, le ministre de la guerre Pache est un incapable, Hassenfratz un jacobin outré et démagogue, l’administration des subsistances est totalement corrompue par "les juifs" Bidermann et Berr, etc. Dans l’affaire pour le moins trouble des fournitures aux armées qui a opposé Dumouriez (qui soutenait les munitionnaires Espagnac et Malus) au ministre, il n’est pas certain que Dumouriez ait eu un si beau rôle, comme l’ont montré plusieurs travaux comme ceux, malheureusement inédits, d’Isabelle Fourneron sur Pache (2) … En admirateur assumé, Chuquet épouse les causes du général en Belgique et prend position contre les commissaires de la Convention, ceux du pouvoir exécutif, contre les sociétés populaires, etc. A Neerwinden, ce sont les troupes de volontaires, et surtout les volontaires parisiens et sans-culottes, qui sont à l’origine de la défaite… Ce sont de même les jacobins de Paris qui sont accusés de tous les maux. Bref, on a chez Chuquet une lecture pour le moins défavorable aux "politiques" et à tout ce qui ressemble à un contrôle civil populaire sur le militaire. Seule la livraison des commissaires de la Convention aux Autrichiens paraît à Chuquet une grave erreur de son héros… Mais il la justifie en quelque sorte en présentant la défense de Dumouriez dans un dialogue fictif (ou du moins très reconstruit puisque l’on ne sait pas quelle est la source d’où Chuquet le tire) entre le général qui se défend contre ses ennemis sans-culottes et jacobins et les commissaires de l’Assemblée.

Il ne s’agit pas de reprocher à Chuquet ses parti-pris historiques favorables au militaire contre le mouvement populaire : à part Mathiez (mais qui était d’une autre génération, nettement moins marquée par le mythe de l’honneur français maintenu par l’armée contre les "excès" révolutionnaires), ils étaient largement partagés par les historiens de son temps, mais faut-il faire l’impasse sur tout ce qui a été écrit depuis Chuquet, notamment par Jean-Paul Bertaud ou Annie Crépin pour n’en citer que deux, sur l’histoire politico-sociale des armées révolutionnaires ? On ne peut plus lire Chuquet aujourd’hui sans le compléter par les problématiques des travaux d’histoire militaire de la Révolution française depuis La Révolution armée de Jean-Paul Bertaud, publiée il y a trente ans. Plus généralement, l’histoire militaire de la Révolution française a été tellement renouvelée depuis 1914 qu’il me semble regrettable de rééditer un livre comme celui de Chuquet sans l’accompagner d’un appareil critique et d’une large mise à jour historiographique. Le Dumouriez de Chuquet est, en effet, comme ses Guerres de la Révolution, un ouvrage classique et important de l’historiographie militaire de la Révolution française, mais sans une mise en contexte dans la production scientifique de son temps et surtout une perspective historiographique intégrant les travaux plus récents, on prend le risque de faire partager aux lecteurs d’aujourd’hui les parti-pris historiographiques du début du siècle, ce qui n’offre guère d’intérêt pour la recherche scientifique et sa diffusion dans le public. Il aurait fallu, au moins, introduire le classique de Chuquet en le complétant par le livre récent de Jean-Pierre Bois sur le même Dumouriez (3) . Le rôle et l’action de Dumouriez, notamment sous l’Ancien Régime, en auraient pu être mieux éclairés.

Entendons-nous bien : la réédition d’un ouvrage classique comme le Dumouriez de Chuquet est une très bonne chose puisqu’elle permet à un lectorat actuel d’y accéder en dehors des bibliothèques spécialisées, et il ne saurait être question d’affirmer qu’un ouvrage ancien est forcément dépassé par ceux qui ont écrit par la suite sur le même sujet, mais on pourra trouver dommage qu’elle ne s’accompagne pas d’une mise au point permettant de replacer l’auteur et son œuvre dans l’historiographie des études révolutionnaires. D’une manière générale, et sans vouloir en aucune manière pratiquer d’amalgame entre cette intéressante réédition de Chuquet et d’autres ouvrages nettement moins indispensables, voire totalement superflus, on peut regretter, avec l’historien Michel Biard, la vague actuelle de rééditions à l’identique d’ouvrages sur la Révolution française aux problématiques dépassées et aux parti-pris franchement réactionnaires, n’apportant strictement rien à la connaissance de la période, mais ce n'est pas, répétons-le, le cas de cet ouvrage qui aurait mérité une mise en perspective historiographique conséquente.

NOTES

(1) J. Friguglietti, "La querelle Mathiez-Aulard et les origines de la Société des Études robespierristes" dans Annales Historiques de la Révolution française, n° 353, Juillet-septembre 2008, p. 82.

(2) I. Fourneron, Pache, ministre de la guerre et maire de Paris (1792-1794), mémoire de DEA dirigé par M. Vovelle, Paris I Panthéon-Sorbonne, 1992.

(3) J. P. Bois, Dumouriez, Paris, Perrin, 2005.