C’est ainsi que nous prenons en compte les travaux d’Arlette Farge et de son groupe, et tout particulièrement de l’historienne de la Révolution française, Dominique Godineau, ainsi que les recherches récents de jeunes chercheures telles que Karine Lambert et Deborah Cohen, mais avec la marque spécifique de notre approche d’historien linguiste. En effet, il n’est jamais évident de saisir l’insulte dans « la fulgurance d’une profération » dans la mesure où « elle se trouve prise dans les logiques de l’interprétation, de la traduction, de la reformulation, de l’instrumentalisation » (Bouchet et alii, 2005, p. 9). A vrai dire, c’est cette logique discursive multiforme qui intéresse l’historien des langages politiques.

Ainsi, tout en considérant le travail de reconstitution de la parole populaire par les historiens, l’historien du discours s’interroge plus avant sur la manière dont cette violence verbale du peuple est mise à l’écart du champ politique sous l’Ancien Régime dans un premier temps, puis perçue, voire traduite à part entière dans le nouvel ordre social issu de la Révolution française. D’abord exclue du champ politique au début des Temps modernes, la violence verbale du peuple est progressivement différenciée, paraphrasée, voire argumentée à la jointure du 18ème siècle et du 19ème siècle pour devenir en fin de compte un sociolecte à part entière dans les français fictifs constitutifs du français, langue nationale.

Nous proposons donc de préciser, exemples à l’appui (1), cette transition fondamentale dans la perception de la parole populaire, dans la mesure où elle permet de lever les « obstacles cognitifs » qui empêchent d’en reconnaître l’existence, et par ricochet d’en faire une analyse linguistique complète. Il importe cependant, en prologue de notre propos centré sur les années 1750-1850, de marquer le positionnement initial de « la fureur populaire » aux limites de la politique moderne.

Prologue : la violence verbale séparée du politique dès son avènement (Machiavel et la révolte des Ciompi)

Dans Le Prince, Machiavel insiste sur la nécessité de la novation en matière d’action politique, au plus loin du modèle préétabli de la fortuna fruit du hasard et au plus près d’une vita activa et d’un vivere civile qui s’appuie sur une connaissance précise des circonstances. Héritier, à ce titre, de l’humanisme civique, il inscrit de plus la temporalité de l’action dans le fait même du conflit, considéré comme un facteur majeur de cohésion sociale (2).

Cependant ce modèle de l’action touche à ses limites lorsque Machiavel rend compte des manifestations de « la fureur populaire », en particulier de sa violence verbale. Tel est le cas de sa relation de la révolte des Ciompi de 1378 dans le Livre III de son Histoire de Florence (3).

La sensibilité extrême de Machiavel à l’émergence de tout forme nouvelle d’acteur, en particulier à travers sa parole politique, se heurte une autre sensibilité, de nature sociale, son attitude de retrait face à « la rage de la multitude ». C’est tout particulièrement le cas lorsqu’il fait le récit, par l’intermédiaire d’un « plébéien anonyme », de l’émeute du 22 juin 1378, où participe activement la plebe minuta.

« Veuillez les demander civilement et non en tumulte et par les armes », tel est le message que Machiavel délivre auprès de la populace sur ses demandes, par la bouche d’un gonfalonier des Arts. Mais, l’événement se passe autrement. Alors que le Conseil délibère sur les demandes des métiers et de la populace, « cette populace, impatience et légère, vint dans la place sous les étendards ordinaires, et fit des cris si grands et si épouvantables, que le conseil et les Seigneurs en furent effrayés ». De fait, « ils s’écrièrent que tous les Seigneurs eurent à sortir du palais, qu’autrement ils iraient tuer leurs enfants et brûler leurs maisons » (4).

Qui plus est, l’impatience, la légèreté, pour ne pas dire l’attitude insultante de la populace font contraste avec l’attitude « vertueuse » de ces porte-parole, et en premier lieu Michel de Lando, apte à discipliner, voir à punir les excès de la populace, même s’il est de « vile extraction ». Ce que Machiavel met en cause, ce n’est pas le conflit en lui-même, source d’un renouvellement nécessaire, mais « la fureur de cette multitude débridée » : débridée (sciolto) voulant dire délié, déréglé, en absence de tout respect du lien civil. La violence verbale est d’autant plus une parole débridée que Machiavel soupçonne une manipulation : ne suffit-il pas que quelqu’une voix crie « Allons chez Untel » pour que sa maison soit brûlée ! Ici le tumulte ne vise qu’à « se venger d’injures privées », il ne relève d’aucunes règles civiques. Un doute s’empare alors du lecteur sur la justesse des revendications de la populace - principalement ne plus être « soumise » - d’autant que Machiavel n’entre pas dans le détail des revendications, précisées par ailleurs dans les sources qu’il utilise. Le cri de la « fureur populaire » devient ainsi un constante du regard des élites pendant l’Ancien Régime, tout en s’intégrant de plus en plus dans une vision essentialiste du peuple.

I - Sous l’Ancien Régime, de la nature à l’observation sociale.

A- La violence verbale naturelle du peuple.

Sous un Ancien Régime, où les valeurs humanistes, civiles doivent composer avec les préceptes absolutistes, la vision essentialiste et homogénéisante du peuple se généralise. Arlette Farge (1992) a montré en quoi les Journaux et les Mémoires, au-delà des anecdotes individuelles, effacent toute figure singulière derrière une foule compacte et négativisée. Pour autant, la diversité des sources étudiées lui permet de rendre compte de la vitalité de la parole populaire. Mais, si l’historienne peut affirmer l’existence d’ « une fabrication politique de la parole populaire » dans le fait attesté de sa disqualification, voire de sa négation, le travail de l’analyste du discours s’avère plus délicat. Comment, au-delà de leur simple transcription, analyser des propos violents auxquels les contemporains n’attachent aucune raison, aucune légitimité civile ?



L’exemple des émeutes est le plus significatif en la matière. Deborah Cohen (2004) a montré récemment que le discours des élites sur l’émeute la qualifie, par un apparent paradoxe, sans sujets individuels tout en cherchant des meneurs. En fait, elle note que la figure des meneurs n’est là que pour garantir l’anonymat et l’absence de volontés individuelles dans une masse qui se meut sans raisons, si ce n’est par sa nature émeutière. C’est l’image d’un peuple violent, haineux, toujours prêt à l’insulte, voire au blasphème, qui ressort des propos punitifs collectés par les autorités dans leurs rapports et leurs correspondance. Le sujet des phrases qui rendent compte de l’émeute - par exemple « la populace s’est accrue considérablement et l’émeute est devenue violente » (1772) (5) - est un agrégat d’où sortent des cris indistincts, faute de pouvoir percevoir le peuple dans sa rationalité propre.

Peut-on décrire des cris d’émeute au-delà de leur simple profération, du fait de l’existence uniquement négative du peuple, donc sans particularisation de son jugement ? Voyons cela de plus près, alors que les autorités, ici le procureur général du présidial de Lyon en 1714, opèrent la distinction qualifiée d’essentielle entre « la sédition publique, qui intéresse le Souverain et l’Etat » et « une émotion d’un certain nombre de personnes pour un sujet particulier », La simple émotion étant « une action violente, qui se borne à une personne ou à un certain nombre » accompagnée « d’injures et de menaces » elle n’a aucune valeur propre dans son expression verbale à l’exemple des propos rapportés suivants (6), repris en annexe :

« Ha le voilà, le voilà ! Coupez lui le sifflet, coupez-lui la gorge à ce voleur ! » (Arras, 1688)

« Ah, le b…, il faut en finir, il branle encore » (1771, Varras dans la Loire)

« Te voilà, marchand d’allumettes ! Tu m’avais dit hier que tu n’achèterais pas de blé. On devrait te piller (…) Si toutes les femmes étaient comme moi, je te pillerais, le peignerais ta diable de perruque, je te jetterais à l’eau » (1757, Petit Andelys)

Le travail de l’analyste du discours est ici rendu difficile par le fait que le peuple n’est pas l’objet d’une observation sociale particulière. En effet, ce qui nous intéresse, ce n’est pas tant la description du lexique des cris d’émeute, même s’il conviendrait de la faire sur la base d’un vaste corpus, que le moment où les observateurs peuvent désigner, percevoir socialement un peuple qu’il ne voyait pas autrement que dans son essence négative, sa naturalité violente.

Réduite à des cris terrifiants et à des injures, la parole populaire est inaudible pour les élites. Elle n’existe, si l’on peut dire, sous aucune description : elle est « brute ». Sorti de l’archive judiciaire et policière où elle est exhibée négativement, elle n’ouvre à aucun possible. Dans les termes de l’analyse de discours, à défaut de pouvoir être identifiée comme ce qui peut et doit être dit, elle n’appartient à aucune formation discursive spécifique. Ainsi Deborah Cohen peut considérer à juste titre qu’il n’existe pas, au cœur du 18ème siècle, de configuration discursive spécifique de la parole populaire, au sens où le peuple ne peut atteindre le niveau de généralité traduit dans des mots adéquats à un jugement.



Le paradoxe discursif se trouve ici dans le fait qu’au regard de la multitude d’événements linguistiques qui se succèdent sans retentissement aucun en dehors de leur existence langagière, les cris violents du peuple, pourtant retentissants, ne font jamais événement au plan langagier, n’acquièrent pas la dimension intentionnelle d’un acte discursif dans la mesure où ils ne sont pas considérés comme le résultats des actes de la volonté humaine, mais comme de simples cris issus de la nature violente des hommes du peuple, donc, par essence, hors de portée des jugements rationnels.

B- Vers une configuration discursive pour la violence verbale.

Certes les historiens ont la capacité de donner une vie et une dignité propres à la parole populaire de manière à désigner une légitimité des revendications de peuple bien avant sa reconnaissance sociale dans un processus révolutionnaire, comme l’a fait Arlette Farge. Cependant l’analyste de discours s’intéresse plus particulièrement au moment où, dans les ressources mêmes de la langue, sa matérialité propre, une configuration discursive de la violence verbale commence à poindre, avant même la Révolution française. Là encore, l’historien peut intervenir, mais dans une démarche co-constructive où une part importante est réservée aux ressources propres des acteurs populaires, de leurs jugements émergents. Deborah Cohen (2004, 410-411) nous propose ainsi un exemple particulièrement significatif de cette démarche.

Nous entrons présentement dans le cadre d’un conflit en 1752 autour de droits seigneuriaux. Le seigneur de Fontenelle, Pierre Regnaud, se plaint à la maréchaussée que « des habitants de Bussy Saint-Georges étant venus chaumer dans son parc (…) qu’après avoir parlé sans pouvoir rien gagner sur eux, un des mutins nommé Drouet dit avec insolence qu’il voulait chaumer dans la pièce où il était et qu’on ne l’en empêcherait pas ». Et Drouet aurait ajouté le geste violent à l’insolence en lui envoyant une pierre. A la parole apaisante et raisonnée du seigneur s’opposerait donc, selon le seigneur, la parole insolente du peuple. Nous sommes donc toujours dans la vision de l’action violente irréfléchie.

Cependant Deborah Cohen présente une autre source qui montre que les paysans contestent ce schéma préétabli qui oppose force et violence verbale des paysans à la parole modératrice du seigneur. Nous savons en effet par l’un des paysans présents, le vigneron Simon Berry, que les paysans étaient antérieurement venus voir le seigneur pour « lui demander permission de faire du fourrage » sur sa terre récoltée, et qu’il s’en est suivi une négociation, mais sans succès. Un maçon, également présent, confirme cette version des faits, et relate même que c’est le seigneur qui exerce la première violence en donnant un coup de la crosse de son fusil à un paysan qui s’approche de lui, chapeau bas, pour reprendre la négociation, alors que les paysans viennent d’affirmer qu’ils quitteront la terre du seigneur si la justice les y oblige. Ainsi, l’insulte au seigneur est restituée dans un contexte, mise sous une description, qui met en évidence la capacité rationnelle de gens de peuple à négocier, certes grâce aux témoignages de ces gens eux-mêmes. Ici, comme l’indique Deborah Cohen, la violence verbale du peuple n’apparaît qu’au terme d’une fin de non recevoir de la part du seigneur d’ « une tentative populaire de parler, de raisonner et d’argumenter sur une situation précise, pragmatique » (7), bref dans le cadre d’une configuration discursive spécifique.

La parole violente comme parole monstrueuse, inaudible laisse donc progressivement la place, à partir des années 1770, à des formes quasi-rationnelles de paroles populaires au point que Mably peut affirmer le caractère « raisonnable » de l’attitude du peuple pendant la Guerre des farines en 1775. De fait Deborah Cohen (2004, 400) montre bien la concomitance de l’affirmation des émeutiers arrêtés d’avoir agi avec raison, sans pour autant trouver les mots justifiant leur attitude et l’insistance des spectateurs sur le fait qu’il était venu « pour voir leur manière d’agir ».

Adhésion instinctive pour les uns, seconde pour les autres, donc non vraiment réfléchie, mais qui donnent à l’événement un tel tour narratif que l’émeute devient diserte. Certes la parole y circule. Mais elle est d’abord peu respectueuse des autorités, par son côté acerbe et ironique, à l’exemple de Joachim Blancard « trouvé dissertant sur les ordonnances du roi, disant des choses peu respectueuses ». En second lieu, elle s’en tient à des choses très concrètes, à l’exemple de Thouard affirmant qu’ « il faut donc mourir de faim puisque les boulangers sont actuellement les maîtres d’augmenter le pain », la Guerre des farines ayant été déclenchée par les ordonnances sur la liberté du commerce des grains. Certes les émeutiers ne déploient pas, selon Deborah Cohen, de « formes d’argumentation et de revendications construites et articulées ». Mais le propos violent n’occupe plus ici une place centrale dans le regard des autorités. Des intendants conseillent même à leur personnel de parler aux insurgés, de considérer leurs motifs.

Pour autant la volonté de « faire droit » aux revendications du peuple au cours de la Révolution française ne tarit pas la violence verbale du peuple. Percevoir le peuple comme un ensemble d’individus malheureux, donc avec des revendications légitimes ou non lui donne une singularité propre, le fait sortir d’un essentialisme social qui le renvoyait à sa nature violente. Mais percevoir l’individu-peuple ne suffit pas à réduire la violence de son propos.

II –Traduire la violence verbale du peuple dans l’espace public.

1- La violence de la langue du peuple.

La nouvelle classe politique qui installe en 1789 la démocratie française, sous l’égide d’une Assemblée nationale, s’avère d’emblée apte à reconnaître le malheur de l’individu, et donc l’individu lui-même, qui s’exprime par un cri de détresse. Il est alors possible de mettre en place une politique de la bienfaisance sociale en réponse à la violence verbale légitime du malheureux (Duprat, 1993). Cependant, les députés se heurtent à une autre forme de violence, la violence punitive, qui prend une ampleur considérable au début de la Révolution française et s’adresse, aussi bien physiquement que verbalement, aux ennemis de la Révolution, et perturbe sérieusement l’ordre public. Ces hommes de loi n’éprouvent que de l’effroi au vu des manifestations les plus spectaculaires de la punitivité, par exemple les têtes coupées et fichées en haut d’une pique, et le tout accompagné de cris punitifs (Tackett, 1997). Leur réponse quasi-immédiate est l’instauration de la loi martiale qui permet de répondre à la violence des émeutiers par une violence légale traduite par le cri de « force à la loi », sans grand succès il est vrai.

Leur réponse différée se trouve dans la loi sur la presse d’août 1791 où des peines sont prévues en cas de calomnies et d’injures. Cependant l’adoption de cette loi se heurte à une vive opposition du côté des députés jacobins qui contestent la criminalisation d’une telle violence verbale, de même qu’ils s’étaient opposés, dans le cas de Robespierre, à la loi martiale (8). Leur argumentation porte sur la distinction entre ordre du discours et ordre du fait et précise que les énoncés violents n’appartiennent qu’à l’ordre du discours, et que l’on doit y répondre non par leur criminalisation, mais par d’autres énoncés qui soit s’y opposent, soit les traduisent dans des termes adéquats, s’il relèvent d’une demande légitime du peuple. A ce titre, il serait erroné de considérer, en particulier pour la période révolutionnaire, que les propos violents sont toujours des actes tant que les formes pratiques de passage de la violence verbale à la violence physique ne sont pas attestées. Dans bien des cas, la violence verbale est traduite par les porte-parole dans des paroles jugées légitimes, donc non-violentes, par les autorités au sein d’événements eux-mêmes légitimés.

Reste à mieux comprendre, au-delà d’une « vie fragile » des couches populaires favorable à l’expression de la violence, la diffusion rapide d’un tel langage de la violence d’un événement révolutionnaire à l’autre, voire dans le quotidien de la Révolution, en suivant le climat verbal d’un faubourg de Paris durant cette période, le faubourg Saint-Marcel (Burstin, 2005). Cette évolution est d’autant plus intéressante qu’elle permet de situer le moment où s’opère le passage des propos violents à un discours radical, dit « terroriste ».

Faubourg mutin et tumultueux par la présence de nombreux sans-culottes, le faubourg Saint-Marcel participe dès 1789 d’un climat favorable aux propos de plus en plus saturés d’agressivité dès l’épisode punitif de la prise de la Bastille où son gouverneur, De Launay, pris à parti par les cris « Il faut le pendre », est massacré. Cependant, l’épisode le plus marquant, en la matière, demeure les massacres de septembre 1792. Les prisons du Faubourg, où sont renfermés environ 800 suspects, sont prises d’assaut par des hommes « disposés à exercer des actes de férocité contre les prisonniers » (id., 428). L’arrivée des autorités dans les prisons n’a aucun impact sur les septembriseurs. Ainsi, précise un officier municipal dans une autre prison, « Je leur parlai le langage austère de la loi… Je les fis tous sortir devant moi ; j’étais à peine moi-même sorti qu’ils rentrèrent ». Seuls des juges improvisés arrivent à obtenir la lecture des motifs de la détention des suspects, dans le but de distinguer les innocents des coupables. Mais le résultat est bien maigre, si l’on peut dire : au cloître des Bernardins où sont examinés les motifs de 75 prisonniers, trois seulement sont libérés, les autres sont immédiatement mis à mort dans des conditions atroces.

Ce qui nous intéresse ici, c’est de voir comment, à partir de la collecte de propos violents des massacreurs et des juges improvisés (9), nous pouvons situer le passage d’une violence verbale de nature punitive à une violence verbale institutionnalisée, du moins dans les termes.

Là où le septembriseur utilise le langage quotidien pour décrire des actes non-différés et des intentions particulièrement sanglantes en regard des corps démembrés, dépecés, le juge improvisé introduit un discours sur « le sang des traîtres » tout aussi violent, mais qui visent, sans grand succès il est vrai sur le moment, à différer les exécutions au bénéfice d’une procédure judiciaire (« Vous devez aimer la justice »). Ainsi, des formules destinées à devenir classique de la violence verbale en révolution - « Guerre ouverte aux ennemis du bien public », « C’est un combat à mort », « il faut qu’ils périssent - côtoient une volonté affichée de distinguer les innocents des coupables. De même la référence plutôt abstraite à la souveraineté du peuple, en permettant d’affirmer que « la vengeance du peuple est juste », sert de légitimation de la violence légale alors que le septembriseur parle exclusivement en sa personne (« Voilà comment je travaille la marchandise »), sans autre précision que sa violence à l’égard de l’autre, l’aristocrate.

Nous assistons ainsi, au plan linguistique, à tout un travail de traduction, dans l’évènement, des propos violents du quotidien dans un langage politique radical. De fait, la presse pamphlétaire de nature populaire, à l’exemple du Père Duchesne, prend le relais d’une telle violence verbale euphémisée, légalisée. Parcourir et commenter, en les contextualisant, les très nombreuses expressions populaires du Père Duchesne d’Hébert, comme l’a fait Michel Biard (2009), nous fournit ainsi un étonnant panorama de cette expressivité violente de la parole populaire dans sa légitimité même. Le Père Duchesne n’est pas « un incendiaire », mais il n’hésite pas à « rembarrer de la bonne manière » aristocrates et autres ennemis du peuple, donc de jurer contre eux de manière violente.

Nous en donnons en exemple en annexe. Le cri du peuple « plus de nobles » traduit le mot d’ordre de destitution des nobles au sein du mouvement révolutionnaire en 1793. Qui plus est, il s’inscrit dans un registre thématique qui va faire florès au 19ème siècle, celui de la dénonciation de l’appétit vorace des ennemis du peuple (10).

Un nouveau langage politique de la violence est ainsi mis en visibilité par les thermidoriens (11). Il s’agit souvent de « propos terroristes » du temps des Jacobins, dénoncés en justice pendant l’an III, par exemple dans l’affaire de Salon. Mais il est question tout autant de propos qualifiés de « discours et propos de cet espèce de terrorisme », de « discours tendant à entretenir le terrorisme », de « propos inspirant la terreur » au cours de l’an III, donc après la chute de Robespierre, de la part de ceux qui le soutenaient, ainsi près d’Aix (12) . De fait, là où le simple citoyen s’en tient, à l’exemple des septembriseurs, à une violence verbale sur le dit « traître », « infâme », « factieux », la justice thermidorienne de l’an III impute aux autorités une violence verbale de classe exercée sur la dite « aristocratie bourgeoise ». Lorsqu’il est dénoncé en l’an III, après la chute de Robespierre, l’amalgame est fait ainsi entre les propos punitifs du terroriste et ceux des autorités jacobines.

Si l’accent est donc mis en fin de compte sur le caractère éphémère de la violence terroriste en l’an II, y compris verbale au regard d’un long apprentissage de la démocratie, nous ne devons pas oublier que cette violence verbale demeure en héritage de la démocratie et de ses fins propres. Le fait que la question du genre, plus précisément la présence des femmes, y occupent une place importante marque encore plus la présence de la violence verbale au moment même de l’avènement de la démocratie française.

Certes l’attention des autorités aux cris des femmes qui suscitent le désordre se précise dès le Moyen-Âge : elle permet de dissocier la profération des injures des pratiques du cri ayant droit de cité (Lett, Offenstadt, 2003). Cependant, « la mauvais langue » des femmes tend, an moment de la Révolution française, à les situer à la fois à l’extérieur et à l’intérieur de la pratique du cri légitime, présente au sous la forme de mots d’ordre dans le quotidien du politique.

2 – Le relais de la violence verbale féminine.

En effet, au cours de la Révolution française, il est fréquent que l’on attribue aux femmes des propos violents du fait de leur incivisme, voire de leur hostilité à la loi au titre de « leur mauvaise langue », y compris pendant la Terreur de l’an II (Guilhaumou, Lapied, 1999). Ainsi au cours d’une visite domiciliaire par la garde nationale à Mallemort dans les Bouches-du-Rhône en l’an II, « sommée au nom de la loi » d’ouvrir la porte de sa maison, une femme refuse en criant « qu’elle ne reconnaissait pas le comité de surveillance de Mallemort, qu’il n’était composé que de noirs et d’aristocrates » (13).

Cependant, la violence verbale la plus extrême est attribuée au citoyennes que les autorités appellent « les furies de guillotine » (14). Environnant les échafauds, sous le nom de tricoteuses, elles laisseront dans l’esprit des élites et de sa justice une image effrayante, à l’exemple de Sebastien Mercier les décrivant, dans Le Nouveau Paris (15), s’exprimant avec violence devant la guillotine (« elle ne parlait que de couper et tailler les têtes »), vociférant dans les groupes (« elle voulait le sang des traîtres »), hurlant des imprécations contre les Conventionnels (« elles allaient se mettre dans le sang jusqu’aux genoux ») au moment de l’insurrection de Prairial an III.

Hommes de lettres et hommes de loi nous délivrent ainsi un regard masculin particulièrement éloquent sur la violence verbale féminine, qu’il convient bien sûr de ne pas prendre à la lettre. Tout commence par des « ris ironiques » et des « cris séditieux », et se termine par des « hurlements affreux », des « cris de fureur », des « clameurs forcenés », des « vociférations atroces », voir des « glapissements », des « aboiements ». Donc tout cela est dit par les hommes pour renvoyer ces « boutefeux » - celles qui allument la sédition - à la nature essentiellement violente du peuple, et surtout des femmes. Ainsi la sensibilité auditive des élites évolue face à ce bruit incessant, ce brouhaha violent à l’exemple de Germaine de Staël. En effet, dans son roman Corinne, elle nous montre son héroïne Lucile, soucieuse d’entendre les « voies mélodieuses » des italiens, mais confrontée, au cours du carnaval de Bologne à un « peuple sans dignité », du fait que « le jargon des gens du peuple paraît hostile, tant le son en est rude » (16).

Cependant une telle volonté des élites d’exhiber cette dénaturation de la voix usuellement si douce des femmes ne peut empêcher l’historienne Dominique Godineau (1997) de constater, qu’au-delà de l’insistance masculine sur le bruit des femmes, les interrogatoires et autres sources montrent que ces citoyennes ont des revendications précises - la plus célèbre étant « Du pain et la Constitution de 1793 » - et qu’elles occupent ainsi une place non négligeable dans l’espace publique par leur prise de parole. Là encore, autour d’une violence verbale pourtant perçue à l’extrême, il est possible de décrire une configuration discursive significative d’une quête d’émancipation sur la base du droit naturel déclaré. A ce titre, la violence verbale attribuée aux citoyennes est tout autant une violence verbale exercée sur les femmes, de manière à les maintenir exclues des droits politiques au moment même où elles occupent une place non-négligeable dans l’espace politique. Dominique Godineau note ainsi qu’une telle perception de la violence féminine doit « se déchiffrer avec une grille de lecture politique » dans la mesure où nous nous trouvons face à « deux niveaux de perception : refus de voir les femmes dans l’espace politique et sentiment de férocité féminine se mêlent dans les descriptions faites par les contemporains » (id., 47).

III - Une violence verbale enfin négociée.

De manière générale, l’importance des formes d’insultes proférées publiquement par le peuple au début du 19ème siècle a été soulignée par Nathalie Petiteau dans un travail récent (2005). Certes les injures font partie du quotidien des relations interpersonnelles. Mais l’historienne précise que la justice s’en prend prioritairement aux personnes qui crient des injures contre l’autorité. Elle propose donc d’ouvrir une recherche sur « la nature des mots prononcés, les contextes, les effets, afin de mieux cerner ce que pouvait être l’insulte en politique entre 1800 et 1915 » (id., 210) au titre d’une enquête collective plus large sur « l’assaut verbal en politique ». Tout cela augure donc d’une collaboration fructueuse entre historiens et linguistes.

De manière plus spécifique, Karine Lambert (2001) a analysé dans sa thèse des parcours de femmes, à la fin du 18ème siècle et au début du 19ème, en quête d’identité à partir des attitudes violentes, y compris verbales, qui leur sont attribuées. En multipliant la description d’itinéraires de la déviance, cette historienne, proche d’Arlette Farge, permet de reconnaître l’importance d’un moi féminin, certes fortement instable, mais constamment ajustable dans son affirmation au sein des relations interpersonnelles. Nous n’allons pas entrer présentement dans les cycles les plus violents d’une telle affirmation identitaire, liés aux drames de la jalousie, de l’humiliation et de ses suites, les violences physiques, voire l’assassinat.

Nous nous en tenons présentement à la manifestation de la violence verbale dans le vivre ensemble au quotidien. Ainsi « la vitalité du discours féminin provoque des réactions d’une vivacité incontrôlée qui nourrissent le système vindicatoire, et le dénigrement instaure une connivence dans la reconnaissance simultanée séparant les moqueurs et les moqués, les victimes des agresseurs » (id., 375). Ici se concrétise un espace de liberté, voire de jugement dans le débat instauré autour de la réglementation policière en matière d’injure, qui peut paraître d’infime importance dans l’univers déjà évoqué de la violence extrême, mais qui nous montre bien l’ampleur de la configuration discursive dans laquelle l’injure est mentionnée.

Prenons le cas de deux femmes qui, en l’an XII (1804) s’affrontent dans les rues de Grasse (17). Toutes les deux boutiquières, l’une, Françoise Fouquet s’évertue à introduire la désunion dans le couple de l’autre, Magdeleine Ardisson. Tout commence au moment où Fouquet passe devant la boutique d’Ardisson dans des conditions qui font d’emblée débat. D’après Fouquet, Ardisson dit en s’adressant à elle avec l’air de la colère bien marqué : « sans honneur, sans honte ». Ces quatre mots lui firent faire deux pas en arrière (de peur d’être battu…( elle récidiva deux ou trois fois les mêmes injures « sans honneur, sans honte » en s’adressant toujours à la plaignante « Je ne t’achèterai plus de chaînes ». Considérant qu’elle ne pouvait « passer sous silence des injures si grossières », elle porte plainte à la police au nom de l’article du code de police qui « punit de peines de simple police les auteurs d’injures verbales » Ardisson réitérant ses injures selon elle, elle porte l’affaire au tribunal civil de Grasse. Ardisson se défend d’abord dans une lettre où elle donne sa propre version des faits : « Les contorsions, les injures basses et piquantes, les viles précautions qu’elle prenait pour se mettre à l’abri de mes poursuites….elle lui dit dans un moment de vivacité : « Va sans honte et sans honneur, fait ton chemin. Je ne t’achèterai plus de chaînes ». Voilà, messieurs les seules injures que j’ai dites… ». Elle reconnaît donc avoir proféré des injures, mais en réaction aux injures de Fouquet. Par ailleurs, elle se défend, devant le tribunal civil, de les avoir réitérées : « Je n’ai jamais eu la rencontre de la femme Girardin qu’elle ne m’ait injurié, en rappelant le jugement de ma condamnation. Non, citoyens, je n’ai pas proféré ces mots, ni ces injures ». Elle retourne donc l’injure si l’on peut dire, en la prêtant, dans sa réitération même, à sa dénonciatrice.

Le tribunal, soucieux d’y voir plus clair, interroge les témoins. Ce qui va permettre de connaître plus précisément « la nature de l’injure, le lieu où elle a été proférée, les circonstances qui l’ont accompagnée », toute raisons sur lesquelles le commissaire du gouvernement s’appuiera pour prononcer son réquisitoire contre Ardisson. Les témoins sont précis sur le lieu très fréquenté, la nature de l’injure par les reformulations qu’ils en proposent, et enfin les circonstances qui apparaissent plus clairement. Ainsi nous apprenons que Fouquet met en scène son attitude en disant "je suis bien aise que des honnêtes gens entendent ces propos et qu’Ardisson dit toutes les fois que tu passes, tu me cherches querelle, sans honneur et sans honte", la dite Girardin répliqua : "est-ce à moi que vous voulez parler, oui répondit la dite Ardisson, c’est à toi que je m’adresse, de chaînes, je ne t’en achèterai plus".

Considérant que « l’injure verbale n’est souvent que l’effet de l’irréflexion et d’un moment de promptitude et d’inconduite », mais que, lorsque « l’injure se renouvelle », elle devient en véritable « système de diffamation », le commissaire du gouvernement obtient alors, après son réquisitoire, la condamnation de la citoyenne Ardisson à quelques jours de prison et à une amende. S’appuyant sur le contre-réquisitoire de son défenseur qui considère que, si elle « se permit quelques propos », il ne s’agit que de « mots insignifiants sans pudeur et sans honte » sans volonté aucune de récidive, Ardisson fait appel au Tribunal criminel de département dans des termes qui révoquent le fait même de l’injure : "Elle lui dit qu’elle n’avait ni honneur, ni crainte, ni vergogne et qu’elle ne lui achèterai plus de chaînes. Ces propos, quoique très insignifiants, qui ne présentaient point le caractère d’une injure, ont donné lieu à une plainte". Elle obtiendra ainsi une remise de peine et la réduction de l’amende.

A vrai dire, la négociation permanente des « propos injurieux », qui le resteront pour les juges jusqu’au terme de la procédure se déroule, d’une étape judiciaire à l’autre, par un examen de plus en plus précis de la nature de l’injure, des lieux et des circonstances de son énonciation. L’événement « injurieux » y gagne en reconnaissance, mais pas nécessairement au profit de la plaignante. C’est plutôt un climat de connivence entre l’agresseure et l’agressée, sous le regard des témoins, qui s’instaure au point qu’il devient difficile de savoir où se situe l’injure, dans sa définition même, et surtout dans sa réitération supposée. La violence verbale devient une affaire de négociation dans un contexte particulièrement instable pour les juges qui veulent en déférer à la loi. Les femmes impliquées y gagnent en crédibilité dans leur capacité de jugement et ne sont pas réduites à une nature féminine violente par essence, donc prise dans l’expression unique de propos séditieux.

Cependant, si l’archive judiciaire témoigne d’une violence verbale négociée, la mémoire des premiers écrivains du 19ème siècle, à l’image de Madame de Staël, retient surtout les cris terrifiants du peuple, et en particulier des femmes. C’est aux générations suivantes de romanciers que nous devons tout un travail critique sur la parole populaire qui tend à lui donner une place à part entière dans la division des sociolectes.

Conclusion

Le roman philologique et la violence verbale au 19ème siècle

Les romanciers de la génération de 1820 et de celle de 1850, et en premier lieu, Stendhal, Balzac, Hugo, Flaubert, Zola, partagent un même réalisme critique de la société bourgeoise, en dépit de leurs choix stylistiques et idéologiques différents, comme l’a montré Philippe Dufour (2004) dans son livre particulièrement novateur sur La pensée romanesque du langage. Leur objectif commun est de rendre compte de la diversité, mieux encore de la division des sociolectes qui structurent les groupes sociaux à l’encontre d’un discours bourgeois qui unifie et accapare par là même l’opinion, l’éloquence de la tribune et la voix du publiciste, et rend muette la multitude, devenue un ensemble d’auditeurs sans conscience critique.

Ainsi le regard critique amène le romancier, par le biais de divers procédés littéraires, et tout particulièrement le dialogue, à valoriser un discours social pluriel où se confrontent des paroles situées et différenciées dans leur polyphonie même. A ce titre, la parole du peuple y occupe une place singulière : Balzac l’assimile à une « langue énergique » où la violence verbale y tient une place importante du fait de « l’instabilité des foules ».

Bien sûr les romanciers, véritables ethnolinguistes, excellent avant tout dans la mise en scène de la langue bourgeoise mimétique qui persuade sans convaincre des corps stupéfaits, à l’exemple de la célèbre scène des comices dans Madame Bovary. Mais le souci constant d’une « micro-sociologie des interactions verbales », selon l’heureuse expression de Philippe Dufour, rend compte d’une parole qui refuse de s’aligner, à l’exemple de la parole populaire dans Quatre-vingt treize de Victor Hugo.



Certes le souvenir de la Terreur étant encore proche : a ainsi l’interpellation populaire par le désignant de citoyen garde, pour le Vigny de Stello, la dimension d’une injure. Certes le cri du peuple est toujours assimilé, dans son mode inaugural d’expression, à une vocifération, à une parole fortement hostile dont Musset témoigne dans les Confessions d’un enfant du siècle en décrivant, en plein carnaval, « un homme en haillons » qui « nous vomissait un torrent d’injures au visage » (18). D’autant que Musset considère l’insulte comme un entrave à la civilité comme il le précise dans le commentaire d’une de ses attitudes : « Je résistai ainsi à l'envie que j'avais de le frapper ou de l'insulter, ces sortes de violence étant toujours hideuses et inutiles, du moment que la loi permet le combat en règle. » (19).

Cependant, à force de paraphraser la langue du peuple, ou plus exactement de la phraser, le romancier imprègne son style de son énergie ; en contrepartie, il en souligne la valeur socio-politique, la dimension d’action tournée vers l’avenir. Alors que la société bourgeoise triomphante avait relégué dans un Dictionnaire du bas-langage (20), toutes « les termes ignobles ou barbares » qui altèrent « le son doux et harmonieux » de la langue française pour en « bannir l’usage », le retour des barbarismes dans le roman philologique du 19ème, auquel Philippe Dufour consacre un chapitre de son livre, inscrit la langue du peuple, sa violence propre, dans un Dictionnaire du discours qui lui donne son autonomie, l’élance parmi les voix légitimes. Il est désormais possible - à l’exemple du Zola de Germinal écrivant la scène où se confrontent les porte-parole des ouvriers au directeur de la compagnie, la grève une fois déclarée - de traduire les jurons des mineurs (« On criait que ça ne durerait pas toujours » (21) ) dans la parole d’un orateur autonome (« Il aborda des questions obscures de droit » (22) ), non sans la conscience de la difficulté de traduire la parole punitive du peuple (23).

Références des travaux cités.

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Ce texte a été publié dans MOISE Claudine, AUGER Nathalie, FRACCHIOLLA Béatrice, SCHULTZ-ROMMAIN Christina (Dirs.), 2008, De l’impolitesse à la violence verbale. Tome 2 : Des perspectives historiques aux expériences éducatives, L’Harmattan (Collection Espaces Discursifs), Paris, 288 pages, p. 55-77.

NOTES

(1) Voir en annexe.



(2) La bibliographie en ce domaine est vaste. Citons cependant, en la matière, l’ouvrage classique, de John Pocock (1997).

(3) Voir à ce propos le travail passionnant de Jean-Claude Zancarini (2004) (Ce texte est disponible sur le Web).

(4) Nos citations font référence à l’édition française des Oeuvres de Machiavel de 1793 chez Volland, en particulier dans le volume 4, page 260.

(5) Exemple cité dans Cohen, 2004, 68.

(6) Nous avons trouvé cette analyse d’un contemporain et les propos punitifs collectés par l’historien dans l’archive au sein de l’ouvrage, essentiel pour notre présent propos de Jean Nicolas (2002).

(7) Ibid.



(8) D’après Agnès Steuckardt, « Contre une législation sur la violence verbale : les objections à la loi Thouret (22-23 août 1791) », La violence verbale, sous la dir. de C. Moïse, N. Auger, B. Fracchiolla er C. Schultz-Romain, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 43-54.

(9) Cette collecte a été effectuée à l’aide de la thèse de Bernard Conein (1978). Ce travail particulièrement novateur a ouvert une perspective pragmatique sur la manière dont des porte-parole traduisent les propos terroristes du peuple.

(10) Voir Tournier (2005)

(11) On peut en trouver une description dans le chapitre 7, « The Language of Terror » de l’ouvrage de D.M.G. Sutherland (2003).

(12) Voir les exemples en annexe. Nous avons décrit cette affaire dans le chapitre 3 de notre ouvrage (1992) sur Marseille pendant la Révolution française.

(13) Archives départementales des Bouches du Rhöne, fonds des comités surveillance, L 1301.

(14) D’après Dominique Godineau (1997). Voir aussi son ouvrage classique (1988) sur les femmes du peuple à Paris pendant la Révolution française.



(15) Edition établie par Jean-Claude Bonnet, Le Mercure de France, 1994, p. 255. Nous associons à la description de Mercier des propos correspondants pris dans l’archive judiciaire.

(16) Corinne ou l’Italie, Londres, 1807, p. 379. Par ailleurs, Madame de Staël se plaint de « la funeste influence des cris du peuple sur les décisions des hommes éclairés » pendant la Révolution française, et forge même l’expression « se montrer peuple dans sa fureur », Considérations sur la Révolution française, 1817, p. 252 et 322.

(17) Nous remercions vivement Karine Lambert de nous avoir fourni, en plus des analyses stimulantes de sa thèse, le dossier d’archive correspondant à la présente affaire décrite dans le fonds de la Cour de justice criminelle des Archives départementales des Alpes Maritimes.

(18) Confessions d'un enfant du siècle (1836), Paris, 1937, page 109.

(19) Id., p. 29. Vigny ne réagit pas différemment : « L'attaque a été faite avec violence et que je hais cette violence qui met la force physique au-dessus de la force spirituelle. », Journal d’un poête (1831).

(20) Publié par D’Hautel en 1808.

(21) Le texte exact est le suivant : « Derrière lui, on criait que ça ne durerait pas toujours et qu'un beau matin la boutique sauterait. », Germinal (1885), Œuvres, Paris, Gallimard, 1964, tome III p. 1184.

(22) « Carrément, il aborda des questions obscures de droit, le défilé des lois spéciales sur les mines, où il se perdait. », id., p. 1379.

(23) « Vainement, il réclamait du sang-froid, il criait qu'on ne devait pas donner raison à leurs ennemis, par des actes de destruction inutile. », id., p. 1412.

ANNEXES

Sous l’Ancien Régime : le propos de rébellion

A la parole des autorités...

« On n’a entendu par tout la ville, et même dans le bureau jusqu’à l’heure présente que des injures et des menaces d’assommer tous les employés » (Péronne, 1708).

..répondent les propos du peuple :

- « Ha le voilà, le voilà ! Coupez lui le sifflet, coupez-lui la gorge à ce voleur ! » (Arras, 1688)

- « Ah, le b…, il faut en finir, il branle encore » (1771, Varras dans la Loire)

- « Te voilà, marchand d’allumettes ! Tu m’avais dit hier que tu n’achèterais pas de blé. On devrait te piller Si toutes les femmes étaient comme moi, je te pillerais, te peignerais ta diable de perruque, je te jetterais à l’eau » (1757, Petit Andelys).

Sous la Révolution française : de la parole punitive à la parole « terroriste ».

1- les massacres de septembre (1792) : la traduction des propos punitifs.

Propos des agents terroristes :

- Voilà des têtes à bas, il en faut trente et ça ira !

- Triple nom de Dieu, je ne suis pas venu de 180 lieux pour ne pas foutre 180 têtes au bout d'une pique.

- Je hacherai cette viande par morceaux et la fricasserai pour les faire manger aux aristocrates de Cormeilles.

- C'est donc toi foutu morpion qui veut nous faire la loi, mais attends je vais m'en faire un haricot de tes os.

- Vous Monsieur à la peau fine, je vais me régaler d'une verre de ton sang.

- Tu n'as pas encore vu le coeur d'un aristocrate, je vais t'en faire voir un.

Les discours des porte-parole « juges improvisés » dans les prisons de Paris :

- Le sang des ennemis est pour les yeux des patriotes l'objet qui les flatte le plus

- Mes amis, vous voulez du sang, vous en aurez.

- Debout, debout et que le sang des traîtres commence à couler.

- Le peuple étant souverain, il n'y avait aucune force à lui opposer, lorsqu'on lui demandait qu'on lui livre ses ennemis.

- Mes camarades, mes amis, vous êtes de bons patriotes (…) Vos plaintes sont fondées. Guerre ouverte aux ennemis du bien public (…) C'est un combat à mort. Je sais comme vous qu'il faut qu'ils périssent, mais si vous êtes de bons citoyens, vous devez aimer la justice. Il n'est pas un de vous qui ne frémisse à l'idée affreuse de tremper les mains dans le sang de l'innocence.

- Que le peuple avait à se venger et qu'il serait dangereux de l'arrêter.

- Le peuple veut des victimes, il lui en faut, ce serait exposer les autorités que de résister en ce moment à la volonté du peuple.

- Ni trêve, ni ménagement, c’est un combat à mort, je sens comme vous qu’il faut qu’ils périssent.

2- Propos terroristes à Salon (1792-1793): le discours radical de la violence verbale.

- Le citoyen Jean-Baptiste Bon :

« Oh ! Oh ! Nous y sommes, tombons sur ces coquins de Messieurs, sur ces coquins de noirs, il n’en faut plus, il faut qu’ils y pètent, et en tenant ces propos, il portait la main à la garde de son épée ».

- Paris, président du département des Bouches-du-Rhône, aux citoyens de Salon venus avec une pétition : « Il finit par leur dire qu’ils étaient égarés par leur bourgeois, qu’ils n’avaient qu’à retourner dans leurs foyers, que jusqu’alors il n’y aurait point de justice pour eux qu’ils étaient des factieux, que leur pays était peuplé d’aristocrates et surtout infecté de l’aristocratie bourgeoise, que s’ils étaient de bons patriotes et qu’ils voulussent pas paix, ils devaient pendre en arrivant à Salon trois à quatre de leurs bourgeois et leur curé » (Autre témoignage : « il leur dit si vous êtes des patriotes, retournez à Salon et pendez tous les coquins de bourgeois ».]

3- Propos terroristes recueillis en l’an III à Jouques et Peyrolles, près d’Aix-en-Provence.

N.B. Ces propos sont qualifiés de « discours et propos de cet espèce de terrorisme, de discours tendant à entretenir le terrorisme, de propos inspirant la terreur » par le Tribunal criminel des Bouches-du-Rhône.

Il dit que les autorités constituées se trouvaient composées par le moyen des épurations, d’un tas de coquins et de scélérats et que les représentants du peuple étaient des contre-révolutionnaires et les principaux auteurs de la cherté des grains

Il a dit que les jacobins de Paris avaient gagné leur procès et qu’ils avaient tué plus de 3000 aristocrates.

Vive la Montagne, vive les jacobins, nos amis et frères, nous sommes inébranlables, nous sommes les vainqueurs, embrassons nous, il faut nous soutenir, nous ne périrons jamais. Merde pour la Constitution, nous sommes inébranlables, nous ne craignons rien. Dans peu de temps, les têtes des pauvres aristocrates tomberont, il ne faut pas en laisser une. Et autres exclamations de cette nature en jetant leur chapeau en l’air.

Qu’il irait à la campagne du citoyen officier municipal armé de son fusil et de deux pistolets pour lui faire signer et que, s’il refusait, il lui brûlerait la cervelle.

Qu’ils avaient des fusils, des balles, des cartouches pour tirer sur les coquins et les aristocrates

Si cela continuait. Il fallait se révolter. Ils étaient au nombre de quarante. Qu’en attaquant l’un, on les attaquait tous et qu’il y aurait surtout un virement, on le laisserait pas sur pied un seul de ceux qui ne sont pas de son parti.

On veut nous faire arrêter. Mais avant que cela soit, je mettrai à bas trois ou quatre de cette commune de Peyrolles.

Jacques Guilhaumou, "Percevoir et traduire la violence verbale du peuple. De l’Ancien régime au XIXème siècle", Révolution Française.net, Etudes, mis en ligne le 15 avril 2009, URL: