Josiah Child et Vincent de Gournay Annonces
dimanche 22 février 2009Traités sur le commerce de Josiah Child suivis des Remarques de Jacques Vincent de Gournay, édité et présenté par Simone Meyssonnier, Paris, L’Harmattan, Les cahiers d’économie politique, 2008
Cette édition des Remarques de Jacques-Claude Vincent de Gournay est une première éditoriale en France. Les manuscrits de ce texte, écrit en 1752 et cité par Turgot et l’abbé Morellet, n’ont été découverts qu’en 1976, à la Bibliothèque municipale de St Brieuc. L’édition par son découvreur, Takumi Tsuda, parue au Japon en 1983, aujourd’hui épuisée, ne pouvait rester sans suite. Elle ne distinguait pas les notes autographes de l’auteur, ni ne reprenait les notes de ses commentateurs, dont celles d’un des membres les plus influents de son groupe, Véron de Forbonnais. En outre, Tsuda interprétait la doctrine de l’intendant dans un sens protectionniste, et le considérait comme « trahi par Turgot » qui aurait accentué à tort son libéralisme. Ceci est contestable : les mémoires des contemporains qui figurent dans le fonds de St Brieuc, le présentaient comme un partisan convaincu d’une politique économique libérale, en opposition à ceux qui se réclamaient de la politique réglementariste de Colbert. De nombreux mémoires autographes de Gournay, autres que les « Remarques », apportent aussi la preuve de cette orientation.
La nouvelle édition des Remarques apporte donc de nouveaux éléments sur la forme et sur le fond des manuscrits de Gournay.
Elle reprend le dernier manuscrit mis au propre par Gournay en 1754, à partir des premières copies de 1752. Destiné à une impression - qui n’eut pas lieu -, il contient toutes les notes autographes de l’auteur, ainsi que celles de Véron de Forbonnais. Ces notes précisent la pensée des deux économistes qui se répondaient successivement sur le même feuillet, élaborant par cette coopération une pensée nouvelle pour rendre compte de l’évolution des échanges internationaux et des nouveaux rapports de force en train de naître entre les pays européens. Leur réflexion se situait à la fois sur les concepts fondamentaux de la « science du commerce », sur la politique économique à mettre en œuvre et sur les institutions politiques qui pouvaient la réaliser. Cette lecture donne un nouvel éclairage des positions de ces économistes du milieu du XVIII° siècle, nourris d’une culture économique exceptionnelle pour l’époque, acquise par la lecture d’auteurs anglais, espagnols, italiens, et des auteurs français, Boisguilbert, Melon, Montesquieu.
L’intérêt d’une découverte de ces textes tient aussi au fait qu’ils ont été écrits dans une période comparable à la nôtre. C’est celle de la deuxième mondialisation, dans la transition entre les deux phases du mouvement économique, celle du capitalisme commercial des XVI° et XVII° siècle, et celle du capitalisme industriel naissant du XVIII° siècle. Ayant acquis une expérience du commerce international pendant 15 ans dans la gestion du comptoir de Cadix dans lequel sa famille avait des intérêts, Gournay avait compris, avant quiconque, les mutations économiques qui nécessitaient de nouvelles lois de la part d’un Etat, non plus réglementariste, mais libérateur des initiatives et régulateur des inégalités créées par les nouvelles formes de production de richesse.
Gournay résumait sa doctrine par le slogan : « liberté et protection », une expression plus complexe que la simple formule « laisser faire, laisser passer » qu’on lui a attribuée à tort, et qui ne désignait que l’aspect libre-échangiste de la nouvelle économie politique. La protection est ici celle de la liberté et de la concurrence, du travail et de l’emploi, des intérêts des plus pauvres dans un but de cohésion sociale. Sa doctrine introduit les concepts d’une nouvelle économie politique : la valeur-travail, le circuit économique, le crédit à l’investissement, la protection du travail, l’aisance de la multitude. Il pose les premières bases d’une évaluation de la richesse territoriale.
Après lui, les Physiocrates s’affichèrent comme les promoteurs du libéralisme économique devenu à la mode, mais en détournèrent l’objectif au profit d’une économie fondée exclusivement sur la richesse agricole. Leur « science économique » était inspirée des lois physiques et fondée sur la valeur-terre. Cette erreur ne les empêcha pas de faire avancer la recherche analytique sur la mesure du produit net, mais elle orienta la réflexion pendant de nombreuses années sur une vision systémique erronée. Vingt ans plus tard, Adam Smith écrivit un texte fondateur au moment où l’opinion pouvait enfin comprendre le nouveau système économique en train de se mettre en place. Mais le travail dans l’emploi productif, créateur des richesses, distinct du travail dans les fonctions non productives avait déjà été mis en exergue par Gournay dès 1752. Vincent de Gournay est un des pères fondateurs de l’économie politique française, initiateur d’une doctrine que l’on peut qualifier de libéralisme des Lumières et visionnaire de la société émergeante, postérieure à l’Ancien Régime.
Voir les travaux de Simone Meyssonnier :
- La balance et l’horloge, genèse de la pensée libérale en France au XVIII° siècle, Editions de la Passion, Montreuil, 1989,
- « Inventaire analytique du fonds Gournay de St Brieuc », in Actes du colloque Commerce, population et société autour de Vincent de Gournay (1748-1758) : la genèse d’un vocabulaire des sciences sociales en France, INED, Paris, février 2004, (à paraître 1er trimestre 2009).