Lettre ouverte Enseignement
dimanche 11 janvier 2009A Madame et Messieurs les Inspecteurs pédagogiques régionaux d'histoire et de géographie de l'académie de Paris
Nous avons pris connaissance de votre lettre académique d'histoire et de géographie n° 7 du 12 décembre 2008 . Non sans effarement ! Les collègues qui enseignent nos disciplines dans les collèges et les lycées parisiens y sont invités à assister à la projection d'un docu-fiction intitulé « L'évasion de Louis XVI », projection programmée pour le 11 février et qui sera suivie d'un débat entre les jeunes, leurs professeurs et le producteur du film ainsi que la directrice de l'unité magazines et documentaires de France 2... Le « conseiller historique » de ce docu fiction Jean Christian Petitfils a-t-il rédigé ou ratifié les quatre lignes de présentation destinées à convaincre les enseignants d'emmener leurs élèves voir ce film ? Cinq lignes ahurissantes : "Pour sauver ses enfants de la terreur, et sa femme Marie Antoinette de la vindicte populaire, le roi Louis XVI, déguisé en bon bourgeois, s'enfuit incognito du palais des Tuileries où il est prisonnier. Mais rien ne va se passer comme prévu. L'échec de sa fuite se soldera un an plus tard par la décapitation du roi et de la reine de France." Ignorance ou falsification ?
Quelles que soient les divergences d'appréciation sur les intentions du roi Louis XVI, ce roi incertain et secret, tous les historiens sont d'accord sur les faits suivants : la terreur comme système de gouvernement usant de moyens de coercition terribles sur les contre révolutionnaires a été mise en oeuvre à partir de septembre 1793 pour atteindre son plein déploiement en mai- juin 1794, soit plus de deux ans après la fuite de Varennes. Elle n'est donc pas la cause de cet événement majeur, elle en est la conséquence différée !
Citons les historiens les moins suspects de partialité en faveur des jacobins tant vilipendés aujourd'hui : Edgar Quinet évoque en ces termes le plan de Mirabeau devenu conseiller de la Cour jusqu'à sa mort survenue le 2 avril 1791 : Le roi se réfugiera dans une place forte au milieu des régiments fidèles. De là proclamation pour dissoudre l'Assemblée, convocation du ban et de l'arrière ban de la noblesse, Paris investi, réduit à capituler ainsi que la Révolution (...) l'effet de la mort de Mirabeau sur le roi fut de le convaincre qu'il n'y avait plus de salut pour lui au-dedans du royaume. Dès lors toutes ses pensées se tournèrent vers des projets de fuite (vers la Belgique qui appartenait à son beau frère Léopold, l'empereur Habsbourg dont le secours financier et militaire apparut désormais indispensable) C'est pour reprendre les concessions politiques et non pour autre chose que Louis XVI sur le chemin de Varennes allait chercher une armée aux frontières et des alliés sur les trônes d'Europe. Une génération plus tard, un autre historien , celui qui a obtenu la création d'une chaire d'histoire de la Révolution française, Alphonse Aulard écrit : Dès le mois d'octobre le projet était arrêté de partir secrètement pour Montmédy. L'empereur ferait sur nos frontières une démonstration militaire qui effraierait les patriotes. Louis XVI marcherait sur Paris avec l'armée de Bouillé. Puis il cite la lettre mensongère du roi lue à l'Assemblée le 19 avril pour endormir la vigilance des Parisiens : J'ai accepté et juré de maintenir cette Constitution dont la Constitution civile (du clergé) fait partie et j'en maintiens l'exécution de tout mon pouvoir. Aulard poursuit : Au même moment Louis XVI se concertait avec l'étranger et avec Bouillé pour sa fuite et son coup d'état.
Veut-on des analyses plus récentes ? Voici celle de Frédéric Bluche auteur d'une biographie de Danton qu'on ne soupçonnera pas de sympathie excessive à l'égard des jacobins : Louis XVI prisonnier de Paris depuis le 18 avril, ulcéré d'avoir dû accorder sa sanction à la Constitution civile du clergé votée le 12 juillet 1790 et condamnée par le pape le 10 mars 1791 est décidé à ne plus jouer le rôle que les circonstances lui imposaient depuis presque deux ans. Il est résolu à fuir la capitale, à se réfugier en province à Montmédy afin de retrouver au moins la plénitude de ses attributions constitutionnelles. En fuyant vers la frontière belge dans l'espoir de trouver des troupes fidèles à Montmédy loin de la fournaise révolutionnaire, le roi espérait mettre un terme à la révolution, retrouver l'intégralité de ses pouvoirs, c'est-à-dire déchirer le mensonge de la monarchie constitutionnelle espérée par l'Assemblée nationale mais à laquelle il n'avait consenti que sous la pression du peuple parisien manifestée le 14 juillet lors de la prise de la Bastille puis le 6 octobre 1789 lors de la marche des femmes sur Versailles : elles y étaient allées chercher du pain mais aussi la ratification (on disait alors la sanction) de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen jusqu'alors différée par le roi.
L'affrontement du 18 avril 1791 allait accélérer la mise en oeuvre du plan de fuite parce qu'elle révélait au roi la force croissante des révolutionnaires : le roi très chrétien aurait voulu célébrer la semaine pascale à Saint Cloud en compagnie d'un curé «non jureur » n'ayant pas prêté le serment de respecter la Constitution civile du clergé. Le peuple ainsi que les gardes nationaux affectés à la garde du palais lui avaient interdit le passage, jugeant suspecte cette sympathie affichée à l'égard d'un clergé non jureur dès cette date assimilé à la contre révolution militante. Conflit où le facteur religieux se mêlait inextricablement au conflit politique. Cet événement mettait fin aux hésitations du roi qui décide de suivre le plan d'évasion mis au point par le marquis de Bouillé et Fersen. Il quitte les Tuileries au soir du 20 juin 1791, est arrêté à Varennes le lendemain soir par l'intervention conjointe du maître de poste Drouet et de la municipalité : le plan hasardeux du roi s'effondrait tandis que les citoyens découvraient avec stupeur le roi « fuyard » et « menteur ». Ils avaient accueilli avec joie la révolution et ses changements institutionnels, ils avaient pris conscience de leur qualité de citoyens membres adultes d'une nation proclamée apte à se gouverner elle-même en administrant ses communes, ses départements. Aventure prodigieuse mais troublante par sa nouveauté si bien qu'ils avaient placé leur confiance dans une figure tutélaire à peine retouchée : ils avaient imaginé une paisible mutation de la fonction royale, un roi de droit divin transformé en roi constitutionnel jouant loyalement le jeu .
Cette illusion majoritairement partagée s'effondrait sous le choc des faits : le roi avait laissé derrière lui une déclaration aux Français, que nous citons d'après le résumé détaillé qu'en donne Mona Ozouf ( Varennes la mort de la royauté, Gallimard, 2005). Louis XVI a fait une description très exacte ...des accrocs faits à la prérogative royale par des Constituants qu'obsédait le désir de subordonner l'exécutif jusqu'à la paralysie...Le roi commande toujours l'armée mais celle-ci ...refuse d'être commandée...C'est en son nom qu'on rend la justice mais qu'est-ce que ce pouvoir judiciaire s'il ne peut refuser son consentement aux juges que le peuple aura élus? Il dirige l'administration mais le pouvoir administratif appartient désormais aux départements aux districts aux municipalités tous corps délibérants ...qui nuisent à l'unité et à la rapidité d'exécution...Que peut l'influence d'un roi qui n'a plus ni places ni récompenses à distribuer ?...Qu'est ce enfin et surtout qu'un roi écarté de l'élaboration des lois ? Jaurès cite cet autre passage fort éclairant : ''Revenez à votre roi il sera toujours votre père...Quel plaisir n'aura-t-il pas à oublier toutes les injures personnelles et à se revoir au milieu de vous lorsqu'une Constitution qu'il aura acceptée librement fera que notre sainte religion sera respectée... Aucune allusion et pour cause à la terreur dans ce texte mais une énumération précise des innovations révolutionnaires auxquelles le roi très chrétien ne peut consentir. Le traumatisme vécu fut tel qu'il donna naissance au premier courant républicain, à Paris mais aussi plus timidement en province. Et c'est cet immense bouleversement des consciences, cette modification fondamentale des rapports de forces qu'on voudrait ramener à la dimension d'un drame domestique ? Louis XVI avait une plus haute idée de sa fonction, de ses responsabilités ! N'en déplaise à France 2 et à sa directrice des magazines et documentaires ! Grotesque, cette façon de présenter l'aventure du 21 juin 1791 s'inscrit également dans un courant historiographique bien précis : celui qui a envahi les médias et produit toutes sortes de « livres noirs » dont « Le livre noir de la révolution française » publié par les éditions catholiques du Cerf : parmi les auteurs de cet ouvrage collectif on relève les noms de ...Jean Christian Petitfils « le conseiller historique » associé à la production de ce docu fiction recommandé par votre lettre académique de décembre !
Jean Christian Petitfils a multiplié les biographies de « nos rois » ce qui relève de sa liberté intellectuelle mais ne le qualifie nullement pour trancher sur l'histoire révolutionnaire. Sa monumentale biographie de Louis XVI (1114 pages) reprend avec une éloquence digne du vicomte de Chateaubriand les images noires mises en circulation par les libellistes royalistes : la prise de la Bastille ? Pratiquement rien sur la dureté du combat mais une complaisante évocation du « peuple violent, barbare, carnassier, bouillonnant de pulsions sadiques »... La marche des femmes sur Versailles ? « Des amazones déguenillées, dépoitraillées, des harengères, des marchandes de vin, des blanchisseuses, des filles de chambre, des catins... » Suit la scène fameuse par laquelle La Fayette réussit à faire acclamer la reine au balcon du château. Elle inspire ce jugement vengeur : « versatilité de cette foule irrationnelle et impulsive qui s'apprêtait quelques instants auparavant à égorger la malheureuse et à faire des cocardes de ses boyaux » (?) L'insurrection du 10 août 1792 d'où naquit la première république fondée sur le suffrage universel masculin ? Due aux « démagogues de la Commune » (p 893), elle donna naissance à la « démocratie totalitaire »! Le procès du roi ? Une anticipation des procès staliniens ! « Portée par un minorité agissante animée d'une utopie totalisante sinon totalitaire la république mettra plus d'un siècle à s'en remettre ». D'où vient la violence qui selon Petitfils est consubstantielle à toute l'histoire révolutionnaire et disqualifie toutes ses institutions ? Du 20 juin 1789 quand les Etats généraux s'instituent assemblée nationale ! « Une assemblée unique omnipotente vite livrée à la démagogie et à la surenchère des factions...un pouvoir détenteur par principe de toute autorité exécutive, législative judiciaire et enclin par son origine comme par sa nature au totalitarisme ...tous les maux ultérieurs de la révolution, les désordres, la violence sauvage et collective ont trouvé leur origine dans cette appropriation de la souveraineté sans partage par une assemblée unique ». Les quatre lignes citées plus haut prennent alors tout leur sens : la fuite du roi expliquée par son souci de «sauver ses enfants de la terreur »...qui n'interviendra que deux ans plus tard dans le contexte de la guerre civile et étrangère ! Le tripatouillage de la chronologie ne révèle pas seulement le mépris des faits, il signe la volonté de s'inscrire dans un courant politique qui a la faveur des médias et qui vise à déconsidérer la révolution dès son origine ! Libre à J C Petitfils de cultiver cette veine politico-littéraire prometteuse de succès médiatique. Mais nous sommes surpris et choqués de découvrir que l'inspection régionale d'histoire de l'académie de Paris a jugé bon d’accorder à cette entreprise la caution de son autorité pédagogique. N’est-ce pas là un abus de fonction ?
Nicole Bossut-Perron, historienne de la révolution française
Michel Barbe, professeur d’histoire-géographie
Odile Dauphin, professeur d’histoire
Rémy Janneau , professeur d’histoire
Jean-Jacques Marie, historien
Maurice Martin ,professeur d’histoire
Lucien Perron, professeur d’histoire
Serge Sebban, professeur d’histoire