Politique de Fichte : « jacobinisme », nation allemande et Antiquité Etudes
samedi 22 novembre 2008Par Lucien Calvié, CRÉG et PLH-ÉRASME, Université de Toulouse II-Le Mirail
Fichte « jacobin » et/ou nationaliste : une querelle française
Auteur difficile à lire et à interpréter, Fichte est-il tout uniquement, à travers les fortes et rapides variations de la conjoncture politique de son temps d’adulte, de 1789 à sa mort en 1814, peu après le début des guerres antinapoléoniennes dites « de la liberté » ou « de libération » (Freiheitskriege ou Befreiungskriege), le « jacobin » – du moins le « jacobin » allemand, avec de précautionneux guillemets en raison de la difficulté d’une définition du jacobinisme, en France même et, plus encore, dans la zone d’expansion du phénomène révolutionnaire au cours des années 1790, en Allemagne (1), comme aussi en Italie, en Hongrie ou en Pologne – que laissent percevoir ses premiers écrits de 1793 ? Ou bien est-il surtout, sinon exclusivement, le nationaliste – ou l’ultranationaliste, dirait-on aujourd’hui en raison du galvaudage rapide de la terminologie politique –, voire le précurseur du pangermanisme, de l’idéologie völkisch et du nazisme que semblent parfois révéler ses Discours à la nation allemande de 1807 ?
L’auteur de ce travail n’est pas philosophe, ni même historien de la philosophie, mais germaniste, spécialisé depuis une trentaine d’années dans ce qu’il est convenu d’appeler l’histoire des idées, en particulier politiques, de la dernière décennie du XVIIIe siècle, à partir de 1789, aux révolutions de 1848, en passant par 1830, avec une révolution de Juillet trop souvent négligée, en particulier dans ses répercussions allemandes et européennes.
On connaît l’exemple classique, en France (2), de la contradiction entre le germaniste Charles Andler – le véritable fondateur des études germaniques françaises, très méfiant à l’égard de toutes les manifestations du nationalisme allemand, y compris et surtout dans la social-démocratie d’avant 1914 – et l’historien de la philosophie Xavier Léon. Le premier, en 1917 – la date a certes son importance –, range Fichte du côté des précurseurs intellectuels du pangermanisme et souligne son côté exalté, voire mystique en politique (Andler, 1917). Le second, quelques années plus tard seulement, ne veut voir en Fichte, de 1793 à sa mort, qu’un partisan conséquent – malgré quelques concessions tactiques au national-romantisme ambiant – des idéaux de la Révolution, désireux de voir l’Allemagne emprunter enfin, au nom de l’humanité entière, la voie de la nation « révolutionnée » et républicanisée (Léon, 1922).
Derrière cette première question – pour simplifier, celle du choix entre deux positions extrêmes, celles de Xavier Léon et d’Andler – s’en profile une deuxième, plus riche et plus complexe : y a-t-il continuité ou rupture, et dans quelle mesure, entre le « jacobinisme » supposé des débuts et l’évident nationalisme des Discours ? Dans l’hypothèse de la continuité, avancée dès les années 1920 par Xavier Léon, les Discours intègrent et élargissent le « jacobinisme » initial à un patriotisme allemand (3) fidèle à l’essentiel des idéaux de 1789, voire de 1793, idéaux que la France, au tournant du XVIIIe au XIXe siècle, avec le Directoire, déjà, puis Bonaparte et Napoléon 1er, aurait, en partie au moins, abandonnés et trahis.
La thèse de Xavier Léon a puissamment fait souche et a même parfois été amplifiée et élargie. Près de quarante ans après, on pouvait lire dans une brève introduction universitaire à Fichte, à propos de La Théorie de l’État de 1813, six ans après les Discours, que « la voix de Fichte, dans La Théorie de l’État, répond à l’Appel du roi (de Prusse en 1813) à son peuple » et que, selon Fichte, « il serait fou de combattre (…) pour être les valets de son roi (…), la seule guerre légitime » étant « celle du peuple pour sa liberté ». Dans cette perspective, la guerre patriotique de 1813 poserait les « prémisses de l’instauration d’un régime démocratique en Allemagne » (4).
Plus récemment, un spécialiste italien de la philosophie classique allemande, dont les travaux se réfèrent à la tradition marxiste, a réaffirmé que, malgré certains « accents ambigus et parfois même troubles », les Discours de 1807 et les textes du dernier Fichte, en 1813, témoignent de la persistance, chez lui, du « jacobinisme » initial, la lutte antinapoléonienne et antifrançaise « pour l’indépendance nationale » étant inséparable d’une « lutte antiféodale » en Allemagne même, l’ensemble débouchant sur la « théorie d’une sorte de processus révolutionnaire ininterrompu (…) de la libération nationale à la libération socio-politique » : bref, la théorie d’une révolution permanente – tout à la fois nationale, politique et sociale – avant la lettre (Losurdo, 2001).
De même, un chercheur français a, plus récemment encore, indiqué des documents – la publication en 1831 par l’éditeur lyonnais Louis-Pierre Babeuf, petit-fils de Gracchus, d’une traduction d’une partie de la Théorie de l’État de Fichte – en faveur de la thèse de la « proximité de la pensée politique et économique de Fichte avec les thèses babouvistes (…), déjà soulignée par Xavier Léon ». Proximité corroborée par la « réception socialiste du fichtéanisme » chez Moses Hess en 1842-1843, avec des suites chez le jeune Marx des Manuscrits de 1844. L’option révolutionnaire de Fichte irait même radicalement au-delà des oppositions traditionnelles entre « révolution » et « réaction », ou entre « gauche » et « droite » ou même entre « prolétaire » et « propriétaire » – qui restent des opposition à l’intérieur de la « machine du pouvoir » –, dans le sens d’une « guerre révolutionnaire pour l’indépendance nationale » et pour le « peuple » qui serait une « machine de guerre révolutionnaire », une « machine anthropologique » à proprement parler « anarchique », au-delà des affrontements politiques et sociaux classiques (Goddard, 2007).
Malgré cette forte postérité sous la forme d’une interprétation radicale, voire « révolutionnariste » de la politique de Fichte, la thèse de Xavier Léon ne fait cependant pas l’unanimité. Un éminent spécialiste des études fichtéennes estimait ainsi, voici plus de trente ans, que la thèse centrale du « grand ouvrage » de Xavier Léon, malgré son incontestable ingéniosité, n’était pas vraiment acceptable, les Discours ne présentant en réalité aucune véritable théorie démocratique – ou jacobine – du pouvoir du peuple. Les doctrines de Fichte, porteuses d’« une Weltanschauung tragique (…) quelque peu liée aux ténèbres de la civilisation », auraient donc malheureusement pu servir d’appui, au XXe siècle, selon ce même spécialiste, aux « doctrines les plus funestes » (5), jusqu’au nazisme inclus.
La référence antique : une hypothèse de recherche
Saisir le Fichte politique à son origine et dans toute sa complexité suppose de ne pas perdre de vue son rapport à la réflexion et à l’action politiques de ses contemporains. En effet, le souhait de Fichte, dans les Discours, de voir l’Allemagne patriotique reprendre à son propre compte les idéaux révolutionnaires trahis par une France perçue comme corrompue et immorale, rejoint dans une large mesure l’opinion de certains « jacobins » allemands comme Joseph Görres (6) ou G.F. Rebmann (7) sur une France directoriale, puis napoléonienne, infidèle à ses idéaux révolutionnaires, et sur une Allemagne désormais appelée à fonder son propre patriotisme en prenant appui sur une supériorité supposée, d’ordre moral et intellectuel, à travers le kantisme et,plus généralement, l’idéalisme philosophique.
Pareille idée se découvre déjà en partie chez Schiller, lecteur actif de Kant au milieu des années 1790, autour d’une « grandeur allemande » (« Deutsche Größe ») – c’est le titre d’une très riche ébauche de poème datée de 1797 – d’ordre à la fois intellectuel, moral et artistique, indépendamment, pour un temps du moins, d’une grandeur politique en quelque sorte aliénée, car confisquée par les princes.
Et les premiers romantiques, quoique par des biais et sur des fondements intellectuels en partie différents, ne disent au fond pas autre chose, structurellement, en effectuant, au tournant du XVIIIe au XIXe siècle, leur « conversion » fondamentale de la Révolution française à son antithèse, c’est-à-dire de références intellectuelles, esthétiques et politiques encore « éclairées », antiquisantes et « jacobines », à des références catholicisantes, médiévisantes et impériales, autour de la nostalgie – parfois présentée, à l’époque et par la suite, comme une utopie d’avenir – du Saint-Empire et de ses hiérarchies. Les deux signaux majeurs de cette « conversion »,on le sait, ce sont la rédaction de La Chrétienté ou l’Europe de Novalis en 1799-1800 et le glissement réactionnaire beaucoup plus progressif, ou plus diplomatique, de 1797 à 1804, puis jusqu’à la Restauration, de Friedrich Schlegel, très marqué par le texte fondateur de son ami Novalis, d’abord prévu pour la revue des frères Schlegel Athenäum, mais resté inédit jusqu’à une première publication partielle par Tieck en 1826. L’essentiel du grand virage à la fois esthétique et politique du romantisme allemand est ici présent, déjà, sur des bases qui n’ont désormais que peu à voir, sauf par antithèse, avec le libéralisme et le jacobinisme démocratique de 1789 et de 1793 (8).
À l’arrière-plan des deux questions fondamentales sur la politique de Fichte – celle de la contradiction entre un Fichte « jacobin » et un Fichte nationaliste, voire ethniciste, et celle de la continuité ou de la rupture entre ces deux positions successives – s’en profile une troisième, plus générale, mais difficile et inquiétante, celle de la corrélation, voire du lien éventuel de cause à effet entre 1789 et 1793 – et les Lumières qui les précèdent chronologiquement et, à certains égards, peuvent paraître les engendrer — et ce que l’on appelle, d’un terme très imprécis et discutable, les « totalitarismes » du XXe siècle, à travers les divers nationalismes, voire ethnicismes du XIXe, particulièrement, en l’occurrence, en Allemagne.
En présence de telles questions, dont les enjeux engendrent encore bien des discussions, nous voudrions émettre ici une hypothèse de recherche, esquisser son application et apporter quelques éléments de réflexion susceptibles, peut-être, d’éclairer la question de la corrélation entre la Révolution, les nationalismes du XIXe siècle et les « totalitarismes » du XXe. Voici cette hypothèse : l’étude de l’importance quantitative et qualitative – trop peu souvent perçue et signalée – des références antiques et antiquisantes, dans les textes de l’époque, est un élément de la compréhension de la genèse et des différenciations politiques internes de la vie intellectuelle en Allemagne de la dernière décennie du XVIIIe siècle au début du XIXe, avec des prolongements jusqu’en 1830 et même parfois bien au-delà. Il s’agirait au fond ici de revenir sur une réflexion formulée par Lucien Goldmann dès 1952, réflexion très suggestive comme bien souvent chez ce penseur :
« Si (…) l’Antiquité a continué si longtemps à avoir, pour l’Allemagne, une importance existentielle (il suffit de penser à Goethe, Hegel, Hölderlin, Nietzsche), c’est précisément parce que la faiblesse de la bourgeoisie, le faible développement du capitalisme, l’absence d’une révolution bourgeoise, n’ont pas permis aux penseurs allemands d’abandonner l’Antiquité pour parler leur propre langue comme l’ont fait les idéologues du Tiers État en France ou en Angleterre » (9).
Cette hypothèse doit être précisée par un double corollaire. D’une part, en effet, le caractère central de la référence antiquisante paraît aller de pair avec une orientation philosophique de type moniste et une attitude politique marquée par une forme de fidélité plus ou moins discrète au « jacobinisme » juvénile : c’est là surtout le cas de Hegel, du jeune Hegel en particulier, mais avec de forts retours ultérieurs, et bien sûr, plus nettement peut-être, de son ami Hölderlin. D’autre part, à l’inverse, la discrétion relative ou l’évanescence de cette même référence antiquisante, son caractère problématique et sa mise en concurrence avec des références différentes, essentiellement médiévales, mais aussi national-germaniques, semblent s’accompagner d’une philosophie de type dualiste et idéaliste et d’une position politique dans laquelle le national-allemand, tenu pour globalement opposable aux références intellectuelles et politiques françaises, supplante un certain universalisme révolutionnaire, parfois jusqu’au conservatisme, voire à la réaction subtile, à partir des premières années du XIXe siècle et jusqu’en 1830, voire 1848.
En position, comme souvent, à la fois centrale – par son statut de « plus grand écrivain » allemand – et marginale dans cette vaste « querelle d’Allemands », Goethe a ceci de particulier que la référence antiquisante et le monisme philosophique ne débouchent guère, chez lui, sur une attitude politique explicite et immédiatement perceptible, mais plutôt sur une prudente retenue, même s’il lui est arrivé d’indiquer, par exemple en mars 1830 encore (10), que même au moment du paroxysme national-allemand et francophobe des guerres de 1813-1815, il lui avait été parfaitement impossible de haïr des Français et un France auxquels sa propre formation devait tant, de Voltaire au journal Le Globe sous la Restauration (Hamm, 1998).
De Kant au « jacobinisme »
La vie d’adulte de Fichte, né en Saxe en 1762 dans un milieu villageois à la limite de la pauvreté et mort en 1814 à Berlin, coïncide à peu près avec la période révolutionnaire et napoléonienne. Dans cette vie toute d’études et de combats, la carrière du penseur fut longtemps incertaine et menacée. Après le collège de Pforta, d’où il fait une fugue – marque possible de son attachement précoce à la cause de la liberté –, puis la théologie à Iéna, Wittenberg et Leipzig, il renonce en 1784, en raison de la contradiction qu’il pense apercevoir entre libre-arbitre humain et Providence divine, à être pasteur luthérien.
Comme, après lui, au sortir du Stift de Tubingue, les jeunes Hegel et Hölderlin, eux aussi d’abord destinés au pastorat, il occupe divers emplois de précepteur privé. En juillet 1791, il s’établit à Königsberg, en Prusse orientale, où, plus désargenté que jamais, il cherche à attirer la bienveillance de Kant, dont la philosophie lui semble fournir une démonstration de la liberté humaine. S’il ne parvient pas à obtenir le soutien financier de ce prudent penseur, le manuscrit de la Critique de toute révélation, qu’il lui a confié, attire son attention favorable. Mais, dans une Prusse qui n’est plus celle, autoritaire et conquérante, mais « éclairée » de Frédéric II, mais celle, réactionnaire et bigote, de Frédéric-Guillaume II, des édits répressifs de religion et de censure de 1788 et des premières craintes éveillées par la Révolution (11), l’ imprimatur est refusé à l’ouvrage, comme aussi, en 1792, sur un sujet proche, à la deuxième partie de La Religion dans les limites de la simple raison de Kant.
C’est contre cette censure que Fichte publie anonymement, en 1793, une Revendication de la liberté de penser auprès des princes de l’Europe qui l’ont opprimée jusqu’ici (12) qui lui vaut une durable réputation de « jacobin » et même de « terroriste ». La parution enfin possible, en 1793 également, de la Critique de toute révélation, sans nom d’auteur – le texte, paru chez l’éditeur habituel du philosophe, est d’abord attribué à Kant –, donne à Fichte la célébrité. Célébrité d’emblée marquée du scandale « jacobin » de la Revendication. Et scandale amplifié, la même « terrible » année 1793, par sa Contribution destinée à rectifier les jugements du public sur la Révolution française (13). Dans ce texte, Fichte oppose les arguments du droit rationnel ou naturel au sujet du droit d’un peuple à se donner une constitution ou à en changer, à ceux des nombreux et influents tenants allemands d’un droit historique lentement constitué par une lente stratification, à partir d’une tradition supposée spécifique et nationale. Les partisans de ce traditionalisme, si important dans l’histoire des idées politiques en Allemagne, se recrutaient principalement parmi les juristes et historiens de l’université de Goettingue, dans un royaume de Hanovre lié à la Couronne d’Angleterre, autour d’un Brandes et d’un Rehberg dont les ouvrages sont marqués, dès 1790, par les Réflexions sur la Révolution française de Burke, un libéral (whig) – et non un conservateur (tory) – britannique, défenseur des droits historiques du Parlement nobiliaire contre les empiétements de la Couronne et du pouvoir central.
Après son voyage de noces à l’automne 1793 en Suisse, au cours duquel il ne perd pas de vue ses préoccupations intellectuelles et politiques – en compagnie du poète Baggesen, il fait visite au pédagogue rousseauiste Pestalozzi dont on retrouvera une partie des idées novatrices, en 1807, dans les Discours à la nation allemande – Fichte, en 1794, remplace le kantien Reinhold comme professeur à la prestigieuse université d’Iéna, dans un Grand-Duché de Saxe-Weimar où Goethe exerçait d’importantes fonctions de type ministériel.
Lorsque, à peu près assuré de la stabilité, Fichte fait paraître en 1795 une deuxième édition de sa Contribution de 1793 sur la Révolution, le scandale de son « jacobinisme » redouble. L’influente revue réactionnaire Eudämonia publie en 1796 un compte rendu très hostile, qui souligne la parenté entre les conceptions de Fichte et celles de « l’infâme » Robespierre. Le recenseur est d’avis que le baron de Knigge (14), pourtant régulièrement tenu pour « jacobin », est, par comparaison avec Fichte, « un révolutionnaire très modéré » (15). Et d’énumérer les inquiétants points d’accord entre Fichte et Robespierre : Fichte, lui aussi, estime que l’individu et l’humanité ont le droit, pour vivre, de s’approprier les biens d’autrui ; il oppose au christianisme le projet de temples de la raison ; et il propose le renversement de l’ordre existant au nom d’un droit au changement, ou à la révolution, fallacieusement qualifié de légal. La recension s’achève avec brutalité sur un appel au meurtre : « Robespierre est mort de sa mort infâme et notre rectificateur (Fichte), lui, parcourt l’Allemagne sans être inquiété » (16).
Dans un numéro suivant, toujours à propos de sa Contribution, Fichte est une fois encore ironiquement appelé le « rectificateur » – allusion au titre complet de la Contribution – et son « jacobinisme » mis en cause. Esquissant une comparaison entre, d’une part, d’aussi dangereux révolutionnaires qu’Anacharsis Cloots, Marat et le général Jourdan et, d’autre part, Fichte, le recenseur estime ce dernier plus coupable que les premiers, car, philosophe, il prétend prendre appui sur le libre usage de la raison, alors que les premiers n’étaient mus que « par une passion sauvage » (17). Et de qualifier Fichte de « Jourdan philosophique » prêchant un « évangile de coupeur de têtes » (18). En conclusion, le critique, par une manière de « jacobinisme » retourné, propose aux Allemands d’exercer sur la personne physique de Fichte « le droit naturel de tous les hommes » (19), c’est-à-dire de le tuer en lui appliquant préventivement, pour leur propre sécurité, son propre principe, celui de la Révolution française : nouvel appel au meurtre, plus explicite encore que le précédent.
Le « premier système de la liberté » comme philosophie de la Révolution
La réputation de « jacobin » diffusée par la polémique réactionnaire suffit-elle à faire de Fichte un partisan de la Révolution dans ses composantes libérale (1789) et radicale (1793) ? Par-delà la difficulté d’une définition du « jacobinisme allemand », la question mérite réflexion. À la suite des deux textes de 1793, le fondement – de l’avis du philosophe lui-même – de la philosophie de Fichte se trouve, un an plus tard environ, en 1794, dans une brève introduction à la Doctrine de la science. Le caractère fondateur de cet écrit se lit dans ses multiples rééditions, Fichte le complétant et l’enrichissant en fonction de ses réflexions et du mouvement intellectuel contemporain. Se succèdent ainsi de nombreuses versions, de 1794 déjà, avec un premier exposé plus développé, à 1812, en passant par 1795, 1797, 1801, 1804 – l’exposé le plus complet, selon les spécialistes –, 1807 et 1810.
Dans sa Doctrine, Fichte pousse à l’extrême l’idéalisme, le subjectivisme et le criticisme kantiens. Ceux-ci reposaient, d’une part, sur l’affirmation du caractère inconnaissable de la « chose en soi », par opposition au « phénomène », d’autre part, sur l’idée que la question centrale de la philosophie n’est pas celle de la connaissance du monde objectif – c’était là encore une préoccupation des Lumières –, mais celle, épistémologique, des conditions de possibilité de toute connaissance. Fichte, plus radicalement que Kant, fait d’emblée du Moi le principe de toute réalité, le Moi « posant » en quelque sorte le monde objectif. Kant et Fichte rompent ainsi avec une tradition philosophique allant de l’Antiquité aux Lumières, en passant par Descartes. Le cogito cartésien, en effet, ne « posait » que l’existence du Moi individuel pensant et non celle du monde objectif lui-même : « je suis (le Moi est) une chose qui pense », et non une chose qui « pose », en dehors d’elle-même, l’existence du monde objectif.
L’idéalisme « transcendantal » de Kant et, dans son sillage, mais plus abruptement, le subjectivisme fichtéen, interrompent la longue chaîne du rationalisme classique. Celui-ci postulait l’existence d’un ordre rationnel du monde, ordre voulu par Dieu ou établi par la Nature – au choix – et que la raison humaine pouvait seulement mettre à jour. Cette hypertrophie idéaliste du sujet ou du Moi, mais aussi cette « humiliation de la raison » (20) par la méticuleuse mise en évidence de ses limites, c’était là l’essentiel de cette révolution dans la pensée introduite par la philosophie allemande de Kant à Fichte, révolution contemporaine de la Révolution française. Et ce sont précisément les connexions diverses entre ces deux révolutions, l’une intellectuelle et l’autre politique, qui intéresseront longuement Hegel, puis, à sa suite, jusqu’à l’obsession parfois, Heine, Marx et quelques autres hégéliens de moindre renommée.
Dès 1794 et 1795, peu après le scandale de ses écrits « jacobins », Fichte affirme que sa philosophie est une philosophie, et même « la » philosophie, la « première » philosophie de la Révolution française ou, comme il l’écrit au printemps 1795 à Baggesen – dans « une lettre justement célèbre » (21) et citée par à peu près tous les commentateurs, tant elle est éclairante –, « le premier système de la liberté » (22).
Et cela, non seulement parce que, comme ses écrits de 1793, elle a pour arrière-fond, ou en quelque sorte pour support matériel la France « révolutionnée » et le modèle politique qu’elle représente, mais aussi parce que son argumentation, autour de l’affirmation du Moi « posant » le monde objectif, est dans une relation d’homologie structurelle profonde avec la Révolution et tire sa raison d’être du phénomène révolutionnaire inauguré en France en 1789. De même, en effet, que le Moi fichtéen « pose » souverainement le monde, de même la souveraineté des citoyens, et aussi celle de la nation qu’ensemble ils constituent, « posent » le monde politique nouveau, l’amène à l’existence.
Lorsque Fichte, en 1799, à l’université d’Iéna, est accusé d’athéisme par les autorités, il écrit à Reinhold, dans une lettre longuement citée par Heine dans De l’Allemagne, que cette accusation vise en fait le « démocrate » qu’il a été en 1793 et estime être resté, c’est-à-dire le « jacobin » qui aimerait voir la nation allemande se placer dans le sillage de la française :
« En somme, rien n’est plus sûr que le plus certain, c’est-à-dire que si les Français ne conquièrent pas une immense suprématie et s’ils n’introduisent pas des changements en Allemagne (…), d’ici à quelques années, un homme connu pour avoir pensé une fois librement ne trouvera plus en Allemagne un coin pour y reposer sa tête (…) Je n’ai jamais cru qu’ils (les autorités) poursuivissent mon soi-disant athéisme : ce qu’ils poursuivent en moi, c’est le penseur libre (…), ce qu’ils poursuivent en moi, c’est le démocrate. » (23).
Tout semble donc se passer – a-t-on pu noter au sujet du rapport entre la pensée de Fichte et la Révolution – « comme si celle-ci (la Révolution) s’était faite philosophie dans le discours fichtéen » (24) : Fichte n’a-t-il pas lui-même écrit, dans la lettre de 1795 déjà citée, que le fondement de sa philosophie – la Doctrine de 1794 – se trouvait déjà dans ses écrits « jacobins » de 1793, ceux-ci n’étant donc pas de simples écrits polémiques de circonstance, mais des éléments préparatoires au système lui-même (25) ?
Un « jacobinisme » antiquisant : Hölderlin
Mais le rapport positif de l’intellectualité allemande à la Révolution ne se réduit pas, loin de là, à la suite de la « révolution » kantienne, au subjectivisme radical et « jacobin » de Fichte. Au vaste courant des « Lumières tardives » (Spätaufklärung) radicalisées et politisées, du baron de Knigge à Georg Forster et au « cisrhénan » Görres, il convient en effet d’ajouter, comme composante d’un « jacobinisme allemand » entendu au sens large d’une approbation globale – par-delà telle ou telle réserve d’ordre théorique ou pratique – des idéaux et des objectifs de la Révolution, un courant plus discret dans ses manifestations, mais incontestable, représenté en particulier par Hölderlin et par son ami Hegel, courant caractérisé par la prédominance de la référence antiquisante et par une orientation philosophique de type moniste.
Ce courant-là, contre la rupture subjectiviste de l’idéalisme kantien, puis fichtéen, réaffirme la validité des sources antiques du rationalisme classique et en propose la réactivation. Après l’impulsion donnée par Winckelmann dès le milieu des années 1750 et à la suite de Schiller, son aîné wurtembergeois, en particulier dans le long poème « Les Dieux de la Grèce », en 1788, puis dans Lettres sur l’Éducation esthétique de 1795, Hölderlin oppose, en particulier dans son roman Hypérion de 1797-1799, l’Antiquité grecque, avec son bonheur et son harmonie supposés, fondés sur l’absence de scission entre l’homme, la cité, la nature et les dieux, au malheureux déchirement des temps modernes et chrétiens, particulièrement dans leur occurrence allemande.
Le « jacobinisme » (26) de Hölderlin, dans Hypérion, est proche des sources philosophiques antiques comme spinozistes – Hölderlin a lu Spinoza dès le séminaire protestant de Tubingue – et soucieux d’un retour à l’unité de l’Être, par-delà les scissions de la conscience chrétienne et moderne déjà diagnostiquées par Schiller (Calvié, 2005). Cette orientation s’oppose au dualisme fichtéen, fondé, d’une part, sur une différenciation radicale, voire un affrontement entre le Moi et le monde et, d’autre part, sur une apologie de la volonté et l’action.
Hypérion s’ouvre d’ailleurs sur une critique de l’idéalisme philosophique allemand, incapable d’apporter une réponse au malheur humain et politique. En effet, le sort malheureux d’Hypérion et de sa patrie, la Grèce moderne, s’étend — au prix d’un léger décalage chronologique entre 1770, année de la première révolte grecque contre la domination ottomane, et la fin des années 1790 — à la patrie de son lointain correspondant, plus précisément à cette philosophie qui est pourtant la gloire et l’illustration de l’Allemagne. Hypérion décrit à Bellarmin la situation misérable de sa Grèce soumise au joug ottoman :
« Heureux celui dont le cœur tire joie et force de la prospérité de sa patrie ! Pour moi, quand on me parle de la mienne, c’est comme si on m’avait (…) refermé sur la tête le couvercle d’un cercueil ; et de m’entendre appeler « Grec », je me crois le chien auquel on passe son collier … » (27).
Et il ajoute :
« Or (…), chaque fois que de tels propos m’ont échappé (…) j’ai vu venir à moi les sentencieux personnages qui hantent votre Allemagne, ces malheureux qui n’aiment tant les âmes souffrantes que pour leur appliquer leurs maximes : (…) et de me dire (…) : « Plutôt que de gémir, si tu agissais ? » (28).
Beaucoup plus qu’à Kant, dont l’éloge de la « bonne volonté » n’a pas pour conséquence nécessaire un éloge de l’action volontaire, cette critique de l’apologie de l’action fait penser à Fichte dont Hölderlin a suivi en 1794-1795 le prestigieux enseignement à Iéna (29) , alors « le centre des études kantiennes », mais aussi « la ville où habitait Schiller, l’inspirateur de toujours (de Hölderlin) » (30).
Dans le roman, le dépassement possible de la contradiction entre la position contemplative, panthéiste ou spinoziste, figurée par Diotima, femme intelligente et sensible liée à Hypérion par l’amour, et la position activiste et fichtéenne, représentée par Alabanda, l’organisateur dogmatique de la guerre de libération des Grecs, se trouve dans une référence explicite à la pensée antique. Hölderlin avait d’ailleurs noté dès 1795 dans un projet de préface :
« Nous nous arrachons au paisible én kai pan (31) (…) Nous avons rompu avec la nature, et ce qui était naguère (…) un (…) s’est fait contradiction (…) Souvent il nous semble que le monde est tout et que nous ne sommes rien, mais souvent aussi que nous sommes tout, et le monde rien. Hypérion a connu aussi cet écartèlement entre les deux extrêmes (…). » (32).
La référence antique permet d’envisager le dépassement de la contradiction entre les « deux extrêmes » de la position contemplative (Diotima) – le monde comme « tout » et le Moi comme « rien » – et de la position activiste (Alabanda) – le monde comme « rien » et le Moi comme « tout ». Et c’est autour de la tradition héraclitéenne que Hölderlin propose ce dépassement. C’est là du moins ce qui paraît ressortir d’une discussion entre Hypérion, Diotima et leurs amis sur « l’excellence des anciens Athéniens ». (33). Hypérion, en effet, conclut sa démonstration sur l’unité du Beau chez les anciens Grecs par une citation du Banquet attribuée à Héraclite (34) : « Seul un Grec pouvait inventer la grande parole d’Héraclite, én diaféron éauto, l’Un distinct en soi-même (35) ». Il ne s’agit donc pas de faire un choix non-dialectique et réducteur entre monisme contemplatif et dualisme activiste, mais de concevoir, puis de tenter de vivre l’unité de ces deux attitudes, unité probablement exprimée dans la formule héraclitéenne.
La retraite érémitique finale d’Hypérion au sein de la Nature et de son « immuable et silencieuse beauté » (36) peut certes être comprise comme une victoire de la contemplation sur l’activisme. Hölderlin n’a-t-il pas, dès 1795, appelé son ami Schelling, son condisciple avec Hegel au Stift de Tubingue, à rompre avec le dualisme fichtéen et à lui opposer une philosophie moniste de la nature (37) ? Mais cette victoire ne semble pas définitive. La dernière formule du roman, en effet, l’énigmatique et souvent commenté « nächstens mehr » – que l’on pourrait proposer de traduire par « nous en reparlerons » (38) – n’a pas le sens d’un inachèvement du roman, ainsi qu’on a parfois pu le penser, mais d’un inachèvement et d’une ouverture de l’Histoire. Cette formule laisse sans doute ouverte la possibilité d’un retour à l’action politique, mais d’une action qui, enrichie par l’expérience des échecs, serait, cette fois, vraiment émancipatrice, car libérée, à la fois, des excès de l’attitude contemplative comme des erreurs dualistes et des crimes « idéalistes » du très fichtéen Alabanda et de son groupe de partisans-brigands.
Hegel, Constant et Marx : Antiquité, Révolution et liberté
Au tournant du XVIIIe au XIXe siècle, les textes dits « théologiques » – très politiques, en fait – de Hegel présentent des références analogues, d’une part, au dépassement du dualisme philosophique, et, d’autre part, à un « jacobinisme » antiquisant, autour de la notion de « belle totalité » et de l’idée rousseauiste de « religion populaire ». Et même en pleine Restauration, dans ses cours berlinois des années 1820, alors même qu’il semble prendre son parti du monde comme il est et comme il va, ressurgit chez Hegel cette nostalgie de la « belle totalité grecque » (Eyssidieux-Vaissermann, 2000) dont parlait de façon si juste, voici près d’un demi-siècle, Kostas Papaioannou (39).
Ce qui ressurgit ainsi avec force dans la réflexion de Hegel, ce n’est pas seulement la nostalgie de cette éternelle beauté de l’art grec sur laquelle Marx, lui aussi, s’interrogera en 1857 dans l’ Introduction à la critique de l’économie politique. C’est aussi celle d’une démocratie athénienne très idéalisée, la nostalgie d’un monde supposé harmonieux, antérieur à la scission chrétienne entre l’âme et le corps, entre l’homme et le monde, entre l’homme et le divin, comme aussi entre l’homme, ou le citoyen, et la cité.
Le système hégélien ne pourrait-il pas, dès lors, être interprété comme la réponse du philosophe – différente, par sa visée « théorique », c’est-à-dire aussi exhaustivement descriptive que possible, de celle de Fichte, nettement plus normative, ou moralisante, et tendue vers l’action – à son propre déchirement face à l’impossible mise en œuvre, en Allemagne, de l’idéal « jacobin » de sa jeunesse wurtembergeoise proche de celle de Hölderlin, cette heureuse harmonie antique dont la Révolution française a pu paraître, un temps, renouveler la promesse et amorcer la renaissance ?
En Allemagne, mais aussi en France, le débat autour de l’idéal antiquisant de l’harmonie et de la réalité post-chrétienne des scissions est long et complexe. De l’Empire à la Restauration, Benjamin Constant, de cinq ans seulement le cadet de Fichte et plutôt bon connaisseur des lettres et de la pensée allemandes, a développé une critique du jacobinisme – sans les prudents guillemets réservés au « jacobinisme » allemand, puisque c’est du jacobinisme français qu’il s’agit ici – qu’il tenait pour une dangereuse utopie, source de la Terreur : l’utopie de la reviviscence forcée, dans le monde moderne, d’une Antiquité supposée vertueuse, belle et libre. Il tenait pour impossible tout retour volontariste, ou révolutionnaire, à la « liberté des Anciens », définie comme à la fois politique, collective et héroïque, à laquelle il opposait la « liberté des Modernes », présentée, à l’inverse, comme civile, individuelle et jouisseuse.
Un quart de siècle plus tard, en 1845, dans La Sainte Famille, Marx, qui a lu Constant et les historiens libéraux français – Mignet et Guizot en particulier –, reprend, mais en le retournant, l’argument développé par Constant. Robespierre, Saint-Just et leurs partisans, selon Marx, ont succombé à une « illusion héroïque » : confondre la liberté des républiques antiques avec celle de l’État moderne, Napoléon Ier, à leur suite, transformant la « révolution permanente » en une « guerre permanente ». À « l’illusion héroïque » du jacobinisme, puis du bonapartisme, mais aussi au libéralisme bourgeois, celui de la « liberté des Modernes » selon Constant, individuelle et jouisseuse – ou exploiteuse –, Marx oppose les intérêts du prolétariat et la perspective d’une révolution sociale, différente de la révolution politique inaugurée en 1789, tenue pour « illusoire ». Mais, chez Marx comme déjà chez Constant, c’est tout de même la division de la société moderne en intérêts matériels contradictoires qui s’oppose à l’unité idéale de la cité antique, héroïquement et brièvement remise en scène en France de 1789 à 1815.
Quant à Heine, dont Marx fut proche à Paris en 1843-1844, il a à plusieurs reprises explicitement opposé Napoléon Ier, présenté comme un héros marmoréen à l’antique, à l’esprit bourgeois et « boutiquier » de ses ennemis les plus tenaces et les plus efficaces, les Anglais, parfaits représentants de la « liberté des Modernes » décrite par Constant (40).
National-romantisme et antiquités germaniques : « organicisme » gréco-germanique contre « mécanisme » latin
La figure de Kant n’est guère « romantique » et Fichte, bien qu’installé à Berlin en 1799, après Iéna – ce sont là les deux foyers du premier romantisme –, a vu les jeunes romantiques se détourner de sa pensée au profit de Schelling et de sa philosophie de la Nature. C’est pourtant de l’idéalisme kantien et, plus directement encore, fichtéen que procède intellectuellement, pour partie, le premier romantisme, autour de Novalis et des frères Schlegel. Cette filiation se lit en particulier dans l’accent mis sur l’inconnaissable « chose en soi » et dans « l’humiliation de la raison », selon la formule déjà citée, qui en résulte ; dans l’opposition entre la nuit et le jour, aussi, ou entre le rêve et le monde réel ; et, plus encore, surtout chez Friedrich Schlegel, dans l’affirmation du jeu libre et arbitraire du Moi absolu ou souverain avec la réalité objective, sous la forme du « cynisme » supérieur, de l’ironie et du trait d’esprit (Witz). C’est cette ironie romantique que Hegel a critiquée, de la Phénoménologie aux cours de Berlin sur l’esthétique, ironie bien différente de la sérieuse douceur de son ami Hölderlin, d’ailleurs négligé et rejeté – probablement comme un concurrent possible – par les premiers romantiques et leur activisme clanique (Ayrault, 1977).
De ce « libre jeu » de l’ironie romantique, souvent admiré, aujourd’hui encore, par ceux pour qui le romantisme est toujours quelque peu « allemand », Vladimir Jankélévitch écrivait de façon très pénétrante voici plus de quarante ans :
« Cette ironie n’est pas un humour au sens de Sterne et de Voltaire, cette ironie est une ivresse de la subjectivité transcendantale. Du Sujet de Kant au Moi de Fichte et de l’Imagination de Novalis au Génie de Schlegel, l’esprit ne cesse de se gonfler, de s’enivrer de lui-même (…) L’ironie romantique n’exténue le monde que pour se prendre elle-même plus au sérieux » (41).
Après la défaite prussienne d’Iéna, Fichte, dans ses Discours à la nation allemande de 1807, va à la rencontre de la composante antinapoléonienne, antifrançaise et nationaliste du romantisme allemand (42). Il opère à ce moment-là un transfert de la souveraineté absolue du Moi individuel, fondement de son « jacobinisme » initial, à un Moi collectif et national, irréductible à ceux des autres nations – la française surtout – et les affrontant. Mais ce Moi collectif, ce n’est plus seulement celui du demos, le peuple souverain de la Révolution française et du Chant du départ, c’est d’abord celui de l’ ethnos, la nation définie prioritairement par sa langue (43) supposée « pure », « vivante » et naturellement poétique, par opposition aux langues « abâtardies », presque « mortes » et prosaïques que sont, selon lui, les langues romanes issues du latin, le français tout particulièrement.
Au-delà de Fichte lui-même, le passage est aisé, de la « pureté » et de la supériorité supposées de la langue à celle du sang et de la race. Cette opposition entre langue française et langue allemande, entre Français prosaïques et Allemands poétiques, mais aussi, parfois, entre deux « races » différentes – les Français n’étant, selon Fichte, que des Germains romanisés ou latinisés, donc tout aussi « abâtardis » que leur malheureuse langue –, on la trouve également dès la fin des années 1790 chez un Friedrich Schlegel. Mais ce thème de la différence hiérarchique entre langues différentes, comme entre nations ou races différentes, n’est pas circonscrit au romantisme et à Fichte. On le rencontre également, au fil des années 1820, sous une forme certes plus nuancée et plus « savante », chez le très « humaniste », libéral et classicisant Wilhelm von Humboldt, le premier organisateur de l’université de Berlin. La différence hiérarchique, pour Humboldt, n’oppose pas seulement le grec ancien aux langues dites « primitives », mais aussi l’allemand aux langues romanes issues du latin et donc atteintes de « dégénérescence » (« Ausartung ») (44).
Même si Fichte est assurément moins imprégné de culture classique qu’un Hölderlin, un Hegel ou un Humboldt – il ne figure d’ailleurs pas, symptomatiquement, au sommaire d’un numéro de revue consacré à « la Grèce au miroir de l’Allemagne » (45) –, la référence antique n’est pas absente des Discours. Mais elle est seulement allusive et d’emblée instrumentalisée, car directement intégrée à l’argumentation politique. Du côté positif, pour Fichte, se trouve la Grèce, avec sa pensée originale « authentique » et son unité ethnique « organique », en dépit de la division en cités nombreuses et rivales, une Grèce explicitement mise en parallèle avec une Allemagne présentant le même caractère d’une division apparente recouvrant une profonde unité « organique ». Du côté négatif se situe Rome, avec sa culture d’emprunt, à la Grèce surtout, et son empire « mécanique » et composite, une Rome par ailleurs devenue le siège central d’un catholicisme antipathique au luthérien Fichte et clairement rapprochée d’une France tout aussi « mécanique » et composite, ou « métissée ». Les termes « mécanique » et « organique », utilisés par Fichte, reprennent le vocabulaire des romantiques, déjà présent chez Kant et chez Schiller. À l’éloge de la Grèce et de son authenticité nationale « organique » supposée, Fichte ajoute logiquement, dans la perspective qui est celle de son argumentation, celui des anciens Germains, supposés « purs » et libres comme l’étaient aussi les Grecs : thème récurrent, du début du XVIIIe siècle au milieu du XIXe, de l’ancienne « liberté germanique » (46); et thème déjà présent chez Fichte dans les Considérations de 1793 à travers de longues références à la Germanie de Tacite, à Montesquieu et même à l’abbé Dubos (47).
À travers l’opposition entre une Grèce et une Allemagne perçues comme positives, d’une part, et une Rome et une France présentées comme négatives, d’autre part, les Discours réactivent, en leur conférant un semblant de dignité conceptuelle nouvelle, deux éléments indissociables et déjà présents dans le débat public : d’une part, le thème, déjà signalé, de la supériorité intellectuelle et morale d’une nation allemande « pure » sur une nation française « corrompue », et, d’autre part, l’essai de captation intellectuelle de l’héritage grec antique au profit de l’Allemagne. De l’essai allemand de captation de l’héritage grec antique au profit de la grandeur nationale allemande, autour du thème central d’une Grèce et d’une Allemagne vivantes et « organiques » supérieures à une Rome et à une France à moitié mortes et « mécaniques », on trouverait un autre exemple chez Friedrich August Wolf, l’illustre fondateur de la philologie classique, dont la Description de la science de l’Antiquité paraît en 1807, la même année, précisément, que les Discours de Fichte (Leghissa, 2007).
Jusqu’au nazisme inclus (Chapoutot, 2008), et même parfois au-delà, en particulier autour de l’opposition entre Sémites et Aryens – Grecs et Allemands en tête – , la position antiquisante classique, celle d’un Schiller ou d’un Hölderlin, cède progressivement la place à ce que Lukács appellera, en 1935, une « hystérie bestiale » introduite par « Nietzsche et l’impérialisme (…) dans l’image de la Grèce » (48), élément d’une plus générale et politiquement plus catastrophique « destruction de la raison » dans l’idéologie allemande. Un audacieux et faussement savant « raccourci germano-grec » (49) a ainsi permis à la germanité, en particulier à partir des Discours de Fichte, d’affronter la romanité, la française en particulier, en prenant appui sur une prétendue supériorité germanique d’ordre à la fois linguistique, intellectuel, moral, politique et même racial ou biologique.
La « grande science de la liberté »
La querelle française à propos de la politique de Fichte – schématisée dans l’écart entre la position d’Andler, en 1917, et celle de Xavier Léon, moins de dix ans plus tard – a déjà été rappelée. Mais le rapport de la pensée de Fichte à la France intellectuelle et politique a été abordé par Henri Heine dès les années 1830 et 1840. Heine fut – en concurrence parfois, jusqu’aux années 1840, avec Edgar Quinet (50) – un des introducteurs de la philosophie allemande en France dans les premières années de la monarchie de Juillet, en particulier dans ses articles des années 1830 réunis sous le titre De l’Allemagne.
Quelques années plus tard, dans un article de Lutèce daté du 2 juin 1842, Heine évoque l’éloge par son ami l’historien Mignet, devant l’Académie des sciences morales et politiques, de Destutt de Tracy, mort en 1836 et qui fut un des chefs de file des Idéologues. Heine qualifie Destutt de Tracy de « Fichte du matérialisme », poussant celui-ci « à son apogée », de même que Fichte l’a fait pour l’idéalisme. Il note alors une attitude étrange chez Napoléon : celui-ci, en effet, se montra hostile au matérialisme des Idéologues en raison de leur libéralisme politique oppositionnel, alors que cette opposition ne présentait en fait aucun danger véritable pour son régime ; par contre, il demeura aveugle au danger bien plus pressant représenté par « la doctrine opposée », l’idéalisme de Fichte, « qui plus tard contribua au renversement de la domination française » (51) : c’est bien sûr des Discours de 1807 qu’il s’agit ici. On sait en effet que ceux-ci ne furent signalés par le Moniteur de l’Empire français que comme d’inoffensives leçons « faites à Berlin par un célèbre professeur allemand sur les moyens d’améliorer l’éducation » (52). Ce qui, soit dit en passant, relativise les affirmations de certains historiens – dans la défunte RDA en particulier – sur le caractère inquisitorial et dictatorial, voire pré-fasciste du système napoléonien.
La remarque de Heine s’éclaire si l’on prend en considération trois éléments. D’une part, pour lui, la Révolution française prend appui « sur les principes du matérialisme français » (53) du XVIIIe siècle et est donc, selon la formule courante, « fille des Lumières », y compris dans leur phase la plus radicale. D’autre part, les Idéologues se situent dans le sillage de ce matérialisme des Lumières ainsi que du sensualisme de Condillac. Et enfin, Napoléon est considéré en général par Heine, malgré quelques réserves occasionnelles, comme l’héritier et le stabilisateur des idéaux et des acquis principaux de la Révolution.
C’est donc, du point de vue de Heine, à des éléments constitutifs essentiels de la France intellectuelle et politique – des Lumières et de leur composante radicale et matérialiste à Napoléon Ier, en passant par 1789 et les Idéologues –, constitués en une admirable, efficace et « grande science de la liberté », selon l’expression qu’il utilise à plusieurs reprises (54), que s’oppose l’idéalisme radical de Fichte. Cette « science de la liberté » a été mise en pratique, selon Heine, par de nombreux et « éminents organisateurs de la liberté (…) qui transformaient la belle parole en acte salutaire » (55). Parmi ces « organisateurs de la liberté », Heine signale longuement Daunou, ancien Conventionnel proche des Idéologues sous le Directoire, membre du Tribunat et opposant libéral sous l’Empire, puis professeur au Collège de France sous la Restauration. Heine, dans un article de Lutèce daté du 21 juin 1843, évoque sa longue carrière à partir de l’éloge qu’en a prononcé, une fois encore, son ami très admiré l’historien Mignet (56).
Chose curieuse, et sur laquelle il serait certainement intéressant de revenir de façon détaillée, l’expression « science de la liberté » a été récemment utilisée par un spécialiste français de Fichte dans un ouvrage (Tilliette, 2004) réunissant des comptes rendus, d’abord parus dans la revue Archives de Philosophie, de travaux allemands et français – en particulier de Julia et Philonenko (57) – sur le philosophe. L’auteur de cet ouvrage a proposé de « traduire » ainsi la formule « premier système de la liberté » employée par Fichte lui-même, on l’a vu, pour caractériser le rapport à la fois conjoncturel et structurel de sa pensée à la Révolution. La quatrième de couverture de cet ouvrage récent présente Fichte comme un philosophe voulant établir le « règne du Sollen (le devoir-être, par opposition à l’Être) » dans le monde et y faire triompher « l’éthique ». C’est bien là, en effet, un élément caractéristique d’une pensée dualiste, par opposition à une pensée moniste, opposition dont nous avons essayé de montrer l’importance dans le développement différencié du « jacobinisme » allemand et, plus généralement, de la réception intellectuelle de la Révolution en Allemagne.
L’opposition, soulignée par Heine, entre la pensée de Fichte et cette « science de la liberté » qui, depuis les Lumières et 1789, a contribué à constituer la France à la fois, et inséparablement, comme nation et comme république, se lit aussi, d’une autre façon, dans la coupure qui traverse la réception savante de Fichte en France – entre les positions extrêmes d’Andler et de Xavier Léon –, en particulier sous une Troisième république qui, face à l’Allemagne, est dramatiquement passée de la défaite de 1871 à la guerre, puis à la victoire de1914 à 1918, puis encore à la défaite en 1940.
Au début des années 1830, dans De l’Allemagne, Heine, on l’a vu, avait fait fortement souligné le côté « jacobin » et démocratique de Fichte, victime exemplaire, en 1799, de la répression politique en Allemagne, en l’occurrence en Saxe-Weimar. Une dizaine d’années plus tard, en 1842, il oppose l’idéalisme fichtéen, avec sa traduction nationaliste dans les Discours de 1807, à la « science de la liberté » développée selon lui en France à partir des Lumières et de la Révolution. Mais la contradiction est-elle vraiment chez Heine ? N’est-elle pas plutôt chez Fichte lui-même, dans le passage d’un démocratisme adossé à la Révolution française à un démocratisme – ou à un « populisme », comme on dirait aujourd’hui – appuyé sur le mouvement antinapoléonien et antifrançais qui a saisi une part importante de l’Allemagne et de sa classe intellectuelle de 1806 à 1813 ?
Conclusion : contradiction dans les textes ou dans la réalité politique ?
En fait, la contradiction, au moins apparente, de l’opinion de Heine sur Fichte, du début des années 1830 au début des années 1840, comme aussi celle de Fichte lui-même, de 1793-1799 à 1807-1813, comme enfin, peut-être, les contradictions perceptibles dans la réception française de Fichte, condensées dans l’opposition fondatrice entre Andler et Xavier Léon, ont pour cause principale un phénomène politique évident, mais parfois perdu de vue, peut-être en raison de son évidence même. Ce phénomène majeur, c’est celui du profond changement de sens de la politisation de l’esprit public, en d’autres termes du « patriotisme », en Allemagne, entre la dernière décennie, révolutionnaire, du XVIIIe siècle et les années 1806-1813.
Entre ces deux phases assez nettement caractérisées, se situe, au tournant du XVIIIe au XIXe siècle, de la toute fin des années 1790 au tout début des années 1800, une transition très complexe, moment décisif de la genèse du premier romantisme allemand autour des frères Schlegel et de Novalis, en partie appuyés, on l’a vu, sur l’idéalisme extrême de la philosophie de Fichte. Ce moment décisif, c’est essentiellement celui du passage d’un modèle antiquisant et « jacobin », encore dominant, à un modèle largement médiévisant et réactionnaire. De ce moment décisif témoignerait également, dans les lettres et la pensée françaises, mais de manière bien plus nuancée et moins radicale qu’en Allemagne, sur un mode que l’on pourrait qualifier de mineur, le passage de Chateaubriand, de 1797 à 1802, de l’ Essai sur les révolutions, encore marqué d’esprit « éclairé », révolutionnaire et antiquisant, au Génie du christianisme, désormais plus fortement marqué par la référence médiévale. Ce changement de sens étend ses conséquences le plus souvent funestes, en Allemagne, mais aussi pour la France, au moins jusqu’aux entrechats esquissés par Hitler en 1940, à ce que l’on rapporte, à la nouvelle de la capitulation française et aux paroles qu’il aurait alors prononcées : « Enfin, nous, les Allemands, avons réussi à vaincre 1789 ! ».
Dans un premier temps, la revendication de la liberté et de l’égalité, voire de l’unité nationale, en Allemagne, s’adosse à l’événement révolutionnaire français et s’adresse de façon critique à l’Ancien régime allemand et à ses dynasties régnantes. Mais, dans un deuxième temps, avec la fin du Saint-Empire en 1806 et, plus encore, avec les guerres à la fois dynastiques et populaires de 1813, ces mêmes revendications se détournent du possible modèle français, désormais généralement perçu comme négatif à travers son avatar napoléonien, et s’orientent vers un nationalisme unitaire globalement mis au service, dans les faits, et malgré des réticences, des dynasties d’Ancien régime. C’est du reste de ce dévoiement précoce de l’élément révolutionnaire en germe dans l’idée nationale et dans le mouvement national allemands que Heine, du début des années 1820 à sa mort en 1856, fera le procès avec une remarquable constance.
Il resterait encore à dire ceci, qui n’est certainement pas sans rapport avec ce qui précède : entre un Fichte perçu comme immuablement et radicalement « jacobin » et démocrate, de 1793 à 1813, et un Fichte envisagé comme un précurseur plus ou moins exalté, voire mystique, du pangermanisme, de l’idéologie völkisch et du nazisme, il n’y a de toute manière pas place pour un Fichte libéral, comme le notait en 1932 le très classique Émile Bréhier :
« Fichte n’a jamais envisagé la possibilité d’un mouvement populaire et démocratique spontané ; il n’a jamais été un libéral au sens anglais ou français du mot, laissant au peuple le soin de sa propre conduite » (58).
Par le jeu de cette proximité entre deux extrêmes, écrasant entre eux un éventuel « juste-milieu » libéral, paraît se poser, une fois encore, la douloureuse question d’un possible lien de cause à effet entre, d’une part, les Lumières et la Révolution, et, d’autre part, les divers totalitarismes du XXe siècle. Mais accepter trop aisément, sans examen critique, la validité de cette mise en question reviendrait à oublier que 1789 est aussi, ce que l’on néglige souvent dans les définitions trop exclusivement et sommairement économiques du libéralisme actuellement avancées, une source importante et toujours vivante du libéralisme politique : « libéralisme égalitaire » et jacobin (59), certes, mais d’abord libéralisme, c’est-à-dire règne de la liberté et de l’autonomie des individus et des citoyens, mais aussi de la liberté et de l’autonomie des nations et des États que ceux-ci, ensemble et volontairement, peuvent constituer.
Liste des abréviations et des références bibliographiques
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- Losurdo = Domenico Losurdo : « Fichte et la question nationale allemande », in : Revue française d’histoire des idées politiques, 14, 2e semestre 2001, p. 297-319.
- Lukács = Georg Lukács : « Hölderlins Hyperion », in : Internationale Literatur, 6, 1935, trad. française in : Id., Goethe et son époque, traduit par Lucien Goldmann et Frank, Paris, 1949, p. 177-204.
- Macor = Laura Anna Macor, Friedrich Hölderlin. Tra illuminismo e rivoluzione, Pise, 2006.
- Montet-Fischbach = Danièle Montet/Franck Fischbach (dir.), La Grèce au miroir de l’Allemagne (Kairos, 16, 2000).
- Nicolet = Claude Nicolet, La Fabrique d’une nation. La France entre Rome et les Germains, Paris, 2003.
- Papaioannou = Kostas Papaioannou, Hegel, Paris, 1987 (1ère éd.1962).
- Philonenko 1966 =Alexis Philonenko, La Liberté humaine dans la philosophie de Fichte, Paris, 1966.
- Philonenko 1968 = Id., Théorie et praxis dans la pensée morale et politique de Kant et de Fichte en 1793, Paris, 1968.
- Philonenko 1973 = Id. : « Fichte », in : Yvon Belaval (dir.), Histoire de la philosophie, t. II, Paris, 1973, p. 900-946.
- Philonenko 1975 = Id. : « J.G. Fichte », in : François Chatelet (dir.), Histoire de la philosophie, t. V, La Philosophie de l’histoire. 1780-1880, Paris, 1975.
- Platon = Platon, Le Banquet, trad. Chambry, Paris, 1964.
- Rivelaygue = Jacques Rivelaygue, Leçons de métaphysique allemande, t. I, De Leibniz à Hegel, Paris, 2003 (1ère éd.1990).
- Rouché = Max Rouché : ”Introduction“, in : Fichte, Discours à la nation allemande, trad. S. Jankélévitch, Paris, 1981 (1ère éd. 1952).
- Simonnot = Philippe Simonnot, Juifs et Allemands, Paris, 1999.
- Taminiaux = Jacques Taminiaux : « Hölderlin à Iéna », in : Montet/Fischbach.
- Tilliette = Xavier Tilliette, Fichte. La Science de la liberté, préface de Reinhard Lauth, Paris, 2004.
- Vaysse = Jean-Marie Vaysse : « La Grèce impensée », in : Montet-Fischbach.
- Wackwitz = Stephan Wackwitz, Friedrich Hölderlin, Stuttgart, 1985.
Notes
(1) Sur la définition malaisée du « jacobinisme » allemand, voir Calvié 1979, p. 46-65 et Calvié 1989, p. 20-27.
(2) Sur la réception française de Fichte, voir Lauth.
(3) Sur le patriotisme en Allemagne, voir Calvié 2006 a. Dans ce travail, Fichte avait été volontairement laissé de côté en vue de la présente contribution.
(4) Julia 1964 a, p. 11 et 34.
(5) Philonenko 1973, p. 939-944.
(6) Sur Görres, voir Calvié 1979, p. 144-174, Calvié 1989, p. 41-44, Calvié 1990 et Calvié 1998.
(7) Sur Rebmann, voir Calvié 1993.
(8) Sur ce « virage » du romantisme allemand, voir Calvié 1999, Calvié 2006 c et Calvié 2007.
(9) Goldmann, p. 100.
(10) Voir Eckermann, p. 542.
(11) Voir Goubet, p. 9-13.
(12) Fichte, p. 5-36.
(13) Ibid., p. 37-270.
(14) Sur Knigge, voir Calvié 1979, p. 77-90 et Calvié 1989, p. 37-41.
(15) Cité in : Buhr, p. 360.
(16) Ibid.
(17) Ibid. p. 360 sq.
(18) Ibid. p. 361.
(19) Ibid.
(20) Vaysse, p. 44.
(21) Philonenko 1968, p. 78.
(22) « Mon système est le premier système de la liberté. De même que cette nation (la France) délivra l’humanité des chaînes matérielles, mon système la délivra du joug de la chose en soi (…) et ses premiers principes font de l’homme un être autonome. » (Lettre citée in : Guéroult, p. 226).
(23) Heine, XVI, p. 97.
(24) Bourgeois, p. 84.
(25) « La Doctrine de la science est née durant les années où la nation française faisait (…) triompher la liberté politique (…) Pendant que j’écrivais un ouvrage sur la Révolution (les Considérations de 1793), les premiers signes, les pressentiments de mon système surgirent en moi (…) » (Guéroult, p. 226). Voir aussi Philonenko 1975, p. 71.
(26) Sur la vaste question du « jacobinisme » de Hölderlin, voir Lukács, Delorme, Bertaux et Macor.
(27) Hölderlin, p. 136.
(28) Ibid., p. 136-137.
(29) Voir Wackwitz, p. 21 et 72-77 et Macor, p. 144-149. Sur le rapport critique de Hölderlin à Fichte, voir Rivelaygue, p. 199-228 et Bozzetti, p. 27-42.
(30) Taminiaux, p. 29.
(31) « (L’)Un et (est le) Tout ». Hölderlin a d’abord rencontré cette formule classique du panthéisme antique chez Lessing (voir Taminiaux, p. 33-34).
(32) Hölderlin, p. 1150.
(33) Ibid., p. 199.
(34) « C’est peut-être ce qu’Héraclite voulait dire (…) quand il affirmait que l’unité s’opposant à elle-même (nous soulignons, L.C.) produit l’accord. » (Platon, p. 46).
(35) Hölderlin, p. 203.
(36) Ibid., p. 137.
(37) Voir Rivelaygue, p. 202.
(38) Philippe Jaccottet traduit par : « J’en dirai plus une autre fois » (Hölderlin, p. 273).
(39) Voir Papaioannou, p. 30-38.
(40) Sur la figure de Napoléon chez Heine, voir Calvié 2006 b, p. 241-257.
(41) Jankélévitch, p. 16-17.
(42) Sur cet aspect du romantisme politique, voir Calvié 2008.
(43) Sur la conception de la langue chez Fichte, voir Cattin, en particulier p. 102-105.
(44) Voir Humboldt, par exemple p. 14, 61 et 235 (en note). Le commentaire de Jürgen Trabant tente de dégager Humboldt du soupçon de racisme : voir p. 259, sur l’usage par Humboldt, et aujourd’hui encore en Allemagne, de l’expression « langues indo-germaniques » pour « indo-européennes ».
(45) Montet/Fischbach.
(46) Sur la question complexe de la « liberté germanique » en France et en Allemagne, voir Nicolet, Calvié 1988 et Calvié 1989, p. 88-98.
(47) Fichte, p. 185-191.
(48) D’après Lukacs, p. 177
(49) Expression de Simonnot, 137.
(50) Voir Calvié 2006 b, p. 186-199.
(51) Heine, XIX, p. 149-150.
(52) Cité in : Rouché, p. 30.
(53) Heine, XVI, p. 57.
(54) Voir Calvié 2006 b, p. 171-177 et 248-249.
(55) Heine, XIX, p. 205.
(56) Voir Calvié 2006 b, p. 173-175.
(57) Julia 1964 b et Philonenko 1966.
(58) Bréhier, p. 603.
(59) Le « libéralisme égalitaire » peut être défini comme un « idéal jacobin (…/), à la fois consécration de l’individualisme bourgeois, critiqué par Marx mais prôné par Tocqueville, et validation du préalable social, critiqué par Tocqueville mais prôné par Jaurès : seul l’amalgame de ces deux conditions pouvant assurer le bonheur de la société. » (Gross).
Lucien Calvié, "Politique de Fichte : « jacobinisme », nation allemande et Antiquité", Etudes, Révolution Française.net, mis en ligne le 22 novembre 2008, URL:http://revolution-francaise.net/2008/11/22/272-politique-fichte-jacobinisme-nation-allemande-antiquite