Histoire et subjectivation Annonces
mercredi 16 avril 2008Extrait de l’introduction de l’ouvrage collectif, Histoire et subjectivation, sous la direction d’Augustin Giovannoni et Jacques Guilhaumou, avec des textes de Hourya Benthouami, Augustin Giovannoni, Sophie Guérard de Latour, Jacques Guilhaumou, Laurence Kaufmann, Jérôme Maucourant, Enmmanuel Renault, Krysztof Skuka, Olivier Voirol, de Paris, Kimé, 2008.
La notion de subjectivation semble être, à première vue, particulièrement vulnérable à la critique en raison de son manque apparent de clarté et de distinction, voire de sa surdétermination. Mais du fait des acquis des sciences sociales, des théories de l’action ainsi que de la philosophie du langage et de l’esprit, c’est désormais l’une des plus bouleversées et il n’est plus possible, aujourd’hui, de penser la question dans les termes des vieux dualismes : l’explication causale ou l’intelligibilité rationnelle, le sujet ou l’individu, l’histoire individuelle ou l’histoire collective. Il n'est donc pas étonnant que cette notion épouse les enjeux épistémologiques et méthodologiques abordés par les historiens, les philosophes et les sociologues contemporains.
On notera d’abord la promotion progressive de ces nouveaux « objets » dont les recherches actuelles font grand cas et qui renouvellent profondément les rapports entre macro- ou microhistoire. Les concepts de singularité, de témoignage interne, d’individuation, de récit de soi, de reconnaissance, de visibilité élargissent la sphère de l’enquête historique et définissent de nouveaux lieux d’intelligibilité, par exemple au sein des espaces de marginalité et de subalternité, grâce à la médiation de la figure du porte-parole. Qui plus est, au titre d’une approche généalogique de la relation de l’individu à la société, l’histoire des savoirs et des concepts accorde à ces objets une part de plus en plus importante dans ses descriptions discursives.
Les tentatives récentes qui tentent de cerner dans sa complexité le va-et-vient allant de la condition historique aux représentations et aux conduites des agents permettent aussi d’apporter un éclairage nouveau sur les relations qu'entretiennent les individus avec les figures de la domination, de l'exclusion, et celles, tragiques, de la persécution et de l'univers concentrationnaire, tout en évitant les représentations simplistes, univoques ou figées.
L’intérêt grandissant des chercheurs pour l’intersubjectivité ouvre également une perspective nouvelle, là où George H. Mead affirme l’importance du Moi, de l’individu empirique, dans la construction sociale des autres Moi. Il est donc désormais possible d’inscrire la construction sociale de soi dans une genèse sociale à dimension multiple, par l’apport de données à la fois psychiques, communicationnelles et temporelles.
Ce travail interdisciplinaire sur la généalogie du moi dans les formes de l'individuation souhaite ainsi retracer différentes facettes du concept de subjectivation, à mi-chemin entre individu et société civile, temporalité du sujet et formes du pouvoir politique. Nous proposons aussi d’élucider comment et pourquoi certains auteurs modernes, la considérant comme un accès propre au monde par la parole et l'écriture, en font le centre de la réflexion littéraire, philosophique, sociologique et anthropologique.
Ce livre a cependant une histoire singulière, celle d’une rencontre entre université et enseignement secondaire. L’enjeu qui a mobilisé de nombreux collègues du supérieur a consisté à offrir, de manière accessible et concrète, une alternative éducative originale et à dispenser un savoir rigoureux aux élèves du Lycée Saint-Exupéry à Marseille. Ce projet, intitulé Carrefour des savoirs et des cultures, préfigurant la création d’une Université populaire dans l’un des quartiers les plus défavorisés de Marseille, avait pour finalité de favoriser l’accès à la culture et à la réussite pour tous. Ce livre est né de la volonté de créer un outil original dans un établissement scolaire « en difficulté » des quartiers Nord de Marseille, permettant à chaque élève, progressivement, de trouver sa place et des responsabilités dans une configuration collective inédite, montrant ainsi la fonction pratique de la philosophie et le rôle qui est le sien, à la manière dont l’analyse Spinoza dans la proposition LXVII de l’Ethique : « désirer agir, vivre, conserver son être selon le principe qu’il faut chercher l’utile qui nous est propre ».
Table des matières
Augustin Giovannoni
Se reconnaître soi-même
__
Laurence Kaufmann et Krzysztof Skuza
Esquisse d’une sociologie de la première personne
__
Olivier Voirol
L’invisibilité comme désubjectivation.
__
Emmanuel Renault
Subalternité, prise de parole et reconnaissance
__
Hourya Benthouami
Gandhi et les Subaltern Studies. La désobéissance civile en question.
__
Sophie Guérard de Latour
La France perd-elle la mémoire ? Pour une défense républicaine des luttes mémorielles.
__
Jérôme Maucourant
Le nazisme comme « fascisme radical »
__
Jacques Guilhaumou
La temporalité historique des formes d’individuation. Les figures du moi
__