La longue patience du peuple Annonces
mardi 12 février 2008Par Sophie Wahnich, LAIOS, CNRS-EHESS
Introduction de l'ouvrage de Sophie Wahnich, La longue patience du peuple. 1792. Naissance de la République, Paris, Payot, 2008.
Un désir de république, l’insu manifeste
Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize
Qui, pâles du baiser fort de la liberté,
Calmes sous vos sabots brisiez le joug qui pèse
Sur l’âme et sur le front de toute humanité ;
Hommes extasiés et grands dans la tourmente,
Vous dont les cœurs sautaient d’amour sous les haillons,
O Soldats que la Mort a semés, noble Amante,
Pour les régénérer, dans tous les vieux sillons ;
Vous dont le sang lavait toute grandeur salie,
Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d’Italie,
O millions de Christs aux yeux sombres et doux ;
Nous vous laissions dormir avec la République
Nous courbés sous les rois comme sous une trique.
Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous !
Ouverture
Rimbaud a seize ans quand il écrit ce poème, tombeau des révolutionnaires du peuple et ode à la République qui vient. L’adolescent rencontre l’histoire à venir et fabrique de quoi raviver un morceau d’histoire enfouie, une expérience recouverte, une expérience qu’il faudrait dégager en ciselant les mots capables, dans l’événement, de la transmettre. L’événement appelle ce travail poétique qui est l’écho d’une parole politique. Paul de Cassagnac, bonapartiste au journal Le pays s’était adressé aux « Français de 1870 » en leur demandant, qu’ils soient bonapartistes ou républicains, de se souvenir de leurs « pères en 92 ». Il semait en fait la confusion en appelant à la Concorde entre frères ennemis et c’est sur ce malentendu que le poète prend la plume. L’émotion filiale du rappel des pères de 92 ne peut produire l’oubli des écarts politiques. Le poème ne confond pas la tyrannie et la liberté, les rois et la République, et rend hommage à des morts en retrouvant les mots de la Marseillaise. Mais ce poème n’en a pas les accents, il est moins épique que mystique. Il faut faire revenir les morts, les faire se lever dans leur pâleur pour retrouver les émotions de ceux qui fondèrent l’expérience républicaine. L’amour, l’extase, l’âme de l’humanité, les cœurs, la souillure lavée par le sang versé, la mort comme amante : l’expérience à raviver est indissociable du registre du sacré quasiment martelé, affirmé dans chaque vers. C’est finalement la figure d’une multitude de christs qui surgit comme s’il était impossible alors de transmettre l’expérience révolutionnaire sans faire appel à une sacralité connue, figurée et collective. Ils ont souffert pour fonder la République, ces christs morts qu’Arthur Rimbaud cherche à faire ressusciter, prolongeant ainsi le projet de Michelet de réveiller les morts.
Les morts ne se réveillent plus et ce poème qui reste esthétiquement puissant est devenu lui-même, malgré les émotions qu’il peut encore susciter, un objet d’histoire érudite, antiquaire, un poème non contemporain dans une œuvre réputée hors de l’usure du temps. Il intrigue et transmet la part d’étrangeté que recèle une expérience esthétique arc-boutée à une histoire qu’on ne raconte plus ainsi, une histoire, non seulement parfaitement laïcisée dans l’esprit supposé du projet révolutionnaire, mais une histoire désacralisée et ainsi « refroidie ». L’histoire de 1792 a été noyée dans les eaux glacées des périodes qu’on ne commémore que chronologiquement selon un calendrier d’anniversaires homogènes et vides, anniversaires sans piété filiale qui ne visent plus à se donner le courage d’agir ni même de penser, encore moins de décider. Le geste est patrimonial, comme chez un bon notaire, on gère l’héritage car on ne peut pas prédire ce que l’avenir nous réserve.
L’héritage de 1792 commémoré en 1992 n’a pas permis de raviver une expérience ; la commémoration a produit une somme de savoirs (2). Savoirs sur le moment républicain une fois la république déclarée, sur les racines de cette République du côté des habits antiques et modernes, mais peu de choses sur la conquête de ce qui devait faire vivre la patrie dans un déplacement des investissements sacrés de la chose politique. La chute de la monarchie et les multiples morts qui l’ont accompagnée n’ont pas trouvé preneur dans le temps présent de la discipline historienne. L’évidence de vivre sous un régime républicain aurait éteint un tel désir (3). Mais que faire alors aujourd’hui du désir de ceux qui ont voulu la première République en France, pourquoi en faire l’histoire ? Peut-être pour saisir en contraste une absence non pas de tradition républicaine en France mais une absence de désir républicain. Peut-être encore pour repérer en quoi, lorsque ce désir se manifeste comme désir républicain, il apparaît non contemporain ou formel. Ce qui n’était pas le cas en 1870. Peut-être enfin, pour pouvoir repérer que ce désir de République ne se manifeste sans doute pas là où on est habitué à le nommer. Ce ne sont sans doute pas aujourd’hui les institutions républicaines qui manifestent le désir de république, mais des irruptions populaires, qui ne pensent pas souvent à 1792 mais répètent, à leur insu, des gestes qui ont partie liée à une expérience sacrée où la voix du peuple se manifeste pour dire ce qui se joue ici-bas dans la politique, la vie, la mort, l’amour, comme dans ce poème devenu non contemporain.
1792, un opéra révolutionnaire en actes
La Révolution française n’est pas faite d’un seul bloc. Elle est faite de séquences qui s’ouvrent et se referment. L’historien tente de les repérer et de les saisir dans leur singularité. Étudier une séquence plutôt qu’une période, c’est affirmer qu’il n’y a pas de lien de causalité entre ce qui précède la séquence et ce qui la suit. La séquence joue une partition qui est bien sûr habitée par ce qui l’a précédé mais dans une articulation entièrement imprévisible, entièrement neuve. La nouveauté peut être fidèle à des gestes, à des idéaux, être forte d’une expérience, elle n’en est pas moins neuve. Cette nouveauté réside dans le désir de ne pas répéter justement la même histoire, de ne pas répéter les erreurs passées, de ne pas se laisser prendre aux mêmes pièges. Elle s’ancre dans la volonté de puiser « dans ce qu’elle veut détruire l’image même qu’elle veut posséder »(4) . Comme l’art moderne, comme l’écriture littéraire, une séquence révolutionnaire « porte à la fois l’aliénation de l’Histoire et le rêve de l’Histoire : comme Nécessité, elle atteste le déchirement des langages, inséparablement du déchirement des classes : comme Liberté elle est la conscience de ce déchirement et l’effort même qui veut le dépasser » (5) .
Cette séquence historique s’ouvre par l’acceptation par le roi de la Constitution de 1791 (14 septembre 1791) et se referme sur la mort du roi dont la voix a été couverte le jour de l’exécution par des roulements de tambour (21 janvier 1793).
Robespierre appelle à l’automne 1791 à travailler avec cette constitution, malgré ses imperfections. Il rédige immédiatement un journal intitulé Le défenseur de la Constitution. Un an plus tard, à l’automne 1792, il est favorable avec Saint-Just à l’anéantissement de Louis XVI sans procès.
Cette séquence historique est celle, non pas du surgissement du peuple, mais de son insistance décisive à obtenir des lois qui consacrent sa souveraineté. Or cette insistance n’est pas abstraite, inscrite dans le ciel des idées. La demande de loi est esthétique, c’est-à-dire qu’elle témoigne d’un rapport sensible au monde où les corps et les voix sont engagés et habités d’émotions. Un opéra donc plutôt qu’une scène théâtrale, car ce qui se joue passe autant par ces corps et ces voix que par le livret. Ce qui se joue articule un livret et des voix, un livret et des corps qui se meuvent, qui naissent, qui dansent, qui chantent et qui meurent.
Cette insistance s’exprime par des gestes comme le don patriotique, des pétitions qui parlent du droit à l’existence indissociable du droit à l’existence politique, des manifestations publiques qui se déroulent tantôt dans les rues des villes, tantôt au sein même de l’Assemblée nationale législative. Il s’agit à chaque fois de faire connaître les sentiments et les émotions populaires, de faire entendre la voix du peuple afin qu’elle soit transmutée en lois justes.
L’insistance est d’abord calme et majestueuse ; elle rappelle les principes, propose des solutions, explicite ses valeurs, dénonce la cruauté. Mais les nœuds de ce premier acte ne sont pas tranchés. L’acte deux saisit cette insistance populaire, soutenue par des porte-parole mais aussi par des interventions spécifiques, qui se heurte à un autre monde auquel elle doit résister. Elle puise dans une colère assumée l’énergie nécessaire pour faire face à l’adversaire dans des luttes de représentations qui déclarent que la perception sensible du monde n’est plus universelle. La politique devient partage du sensible dans l’événement même et se dit par le surgissement des émotions populaires. Non pas des émotions comme un déchaînement d’une animalité enfouie mais comme une faculté de juger dans l’événement, l’événement lui-même. Émotions et événement en 1792, il y a là une expérience à mettre en œuvre ou une expérience à l’œuvre pour que tout ce qui a été fait puisse être refait sans renoncement et sans réversibilité cette fois. Les révolutionnaires de 1792 sont forts de 1789 et minés par 1791. Il s’agit pour un sujet politique à l’état encore naissant de se ressaisir, sans l’innocence des premiers pas, mais avec la détermination d’une fidélité à la vie libre. Lorsque la communauté des affections est en danger, la voix du peuple est celle du salut public. L’acte trois décrit comment la surdité des représentants a lassé « la longue patience du peuple ». L’insurrection ouvre un quatrième acte dramatique. L’insistance du sujet conduit malgré lui, à un impossible dénouement.
Rendre justice au peuple
La justice est devenue de fait l’objet du débat révolutionnaire qui traverse la nation comme l’Assemblée. Si les lois sont injustes, elles deviennent inopérantes, silencieuses. Dans ce silence s’ouvre une sphère sacrée où les gestes ne sont plus contraints par les lois humaines ou les lois positives et ne peuvent pourtant pas accéder à un véritable caractère divin. Les gestes restent humains, mais ils brûlent tous les acteurs de cette sphère sacrée où la violence devient souveraine. Elle envahit l’espace, elle affirme que le peuple a repris le glaive de la loi. « C’est le silence des lois qui fait le peuple bourreau. »
Mais qu’on ne s’y trompe pas, le politique n’est pas, pendant la période révolutionnaire, un théologico-politique ancré dans la reconnaissance d’un Dieu qui justifierait même l’arbitraire. La sphère sacrée est celle où la valeur des actes est normée par le droit naturel et au premier chef la notion de « salut public ». Il faut se sauver soi-même lorsque des représentants élus ou héréditaires vous exposent à être anéanti. C’est ce qu’affirme le peuple en réclamant des lois qui le protègeront : déclarer la patrie en danger, ouvrir ainsi la garde nationale à tous les citoyens actifs et passifs ; au nom même de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme, résistance à l’oppression, changer de constitution.
Se noue alors un débat pour savoir qui doit prendre l’initiative de ce changement. Le peuple attend de ses représentants une révolution de velours face aux dangers que la guerre et les traîtres font courir à la patrie. Les législateurs se font sourds, incriminent le peuple qui se sent abandonné. Le silence des lois l’abandonne sans retenue à la sphère sacrée. Il doit alors inventer ses rituels d’ardeur et d’apaisement, chanter la Marseillaise et planter des arbres de la liberté. Faire comprendre que la mort donnée n’est pas toujours un meurtre intolérable mais la conséquence insupportable de ce retrait de la loi positive juste. Il faut apprendre à retenir cette violence, ne pas la laisser détruire l’espérance révolutionnaire dans un bain de sang. C’est là le propre de l’insurrection d’un peuple libre, changer de constitution sans faire couler le sang. La prise des Tuileries est rêvée aux Jacobins comme le déploiement d’une puissance souveraine qui pourrait rester en puissance.
Il n’en est rien, les Suisses ont tiré sur un peuple encore confiant. Il enterre ses morts dans des pompes funèbres qui expriment son sentiment de trahison et son désir de vengeance publique. Les porte-parole réclament des institutions spécifiques pour apaiser ce désir déclaré plus sacré désormais que l’insurrection elle-même ». Venger les lois, venger le peuple. Le tribunal du 17 août n’est pas l’outil capable de répondre de tant de trahisons accumulées. Celle du roi d’abord, puis des représentants qui, la veille du 10 août, ont choisi d’acquitter La Fayette qui avait, après le 20 juin 1792, voulu prendre le pouvoir et incriminer la pétition des Piques. Acquitter une tentation césariste, quand on reprochait au peuple d’avoir déposé ses plaintes, ses alarmes et ses menaces auprès de ses représentants dans l’attente d’une réponse enfin digne de sa majesté. Trahison par cette assemblée de l’événement révolutionnaire puisqu’elle ne voulait pas prendre la mesure de l’insurrection victorieuse et déclarer immédiatement la déchéance du roi qui scellerait enfin la victoire. Comment faire entendre au peuple que la révolution ne pourra plus rétrograder si ses représentants ne prennent pas les mesures symboliques et effectives qui pourraient la protéger ? La République est attendue depuis l’été 1791 où ce même La Fayette avait fait tirer sur le peuple chantant et dansant sous la pluie d’été parce qu’il était venu déclarer sous la forme d’une pétition son désir de République. On a tiré à nouveau inutilement sur le peuple venu réclamer les armes à la main la déchéance du roi. Réprimera-t-on encore les révolutionnaires victorieux ? L’expérience de la trahison fabrique une ferveur à agir vite, avant que l’autre, l’ennemi, ne dégaine ses armes. La fièvre est celle de cette nécessité vécue, impossible à démontrer, mais qui traverse les corps, les fait se tétaniser d’effroi ou s’échauffer de colère. La fièvre d’une prise d’armes qui s’effectue comme un pari où il faut risquer plus que l’on a. Risquer sa vie, risquer le sens qu’on pourra bientôt lui accorder, risquer le sens que l’on veut donner à cette révolution des droits de l’homme et du citoyen. Le conflit vécu est celui d’intolérables qui s’entrechoquent au sein même de chacun des citoyens révolutionnaires. La nécessité vécue du salut public n’emporte pas la mauvaise conscience comme un fétu de paille, elle la contraint, et cette contrainte est une brûlure glaciale.
D’autres temps, d’autres moments terribles résonnent alors par le témoignage du texte poétique. « Je veux n’oublier jamais que l’on m’a contraint à devenir – pour combien de temps – un monstre de justice et d’intolérance, un simplificateur claquemuré, un personnage arctique qui se désintéresse de quiconque ne se ligue pas avec lui pour abattre les chiens de l’enfer » écrit René Char à Francis Curel en 1943.
Les massacres de septembre 1792, soleil noir et arctique de la révolution. Restif de la Bretonne le 11 mai 1793 revient sur l’événement : « que dire de cet événement affreux ? Qu’il est affreux. Mais ce qui nous fait frémir d’horreur aujourd’hui, (…) c’est que nous voyons que ce massacre… horrible était nécessaire et qu’il ne fut pas assez général, assez complet. »
Restif est convaincu que le massacre visait à anéantir les prêtres réfractaires. Or, explique-t-il, on souffre de voir des femmes porter de l’argent aux prêtres destinés à la déportation. Elles se mettent à genoux devant eux et reçoivent leur bénédiction. La garde nationale laisse faire en disant « c’est assez de la loi ». Et de conclure « la conduite de ces gens-là (les prêtres réfractaires et leurs ouailles, ceux qui les laissent agir dans l’espace public) est telle aujourd’hui, qu’ils ne laissent dans le cœur des patriotes que la rage et le regret de ne pas avoir exercé une plus grande barbarie… » (6)
« C’est assez de la loi… vous en gémirez… » (7)
Une longue lamentation s’enfle de la contrainte comme de son absence. Personne ne sait comment traiter les massacres de septembre. Robespierre et Marat les expliquent puis appellent à les couvrir d’un voile religieux, le voile du tabou. Dans la proximité de l’événement, nombreux sont ceux qui plaignent le peuple d’avoir eu à se faire justice lui-même, puis les détracteurs l’emportent et le conflit d’intolérables est oublié dans l’accusation qui est faite à Robespierre et Marat d’avoir fomenté cet événement affreux.
Le procès du roi est alors un exercice de recouvrement du sens de l’événement insurrectionnel et de la vengeance qui l’a suivie : une autre fusillade symbolique. C’est ce que craignent ceux qui ne veulent pas de procès. Mais le procès a lieu et le roi est déclaré brigand, étranger à la cité et à l’humanité. La fusillade symbolique s’est bel et bien retournée contre le roi, elle achève la monarchie française. Louis meurt et la patrie veut vivre. Les dangers l’environnent pourtant d’une manière aussi exaspérante qu’à la veille du 10 août. Un mois et vingt jours séparent la mort du roi et la création du tribunal révolutionnaire, créé pour répondre de la vengeance des lois. Le dénouement apparaît impossible. Monsieur Veto n’est plus là pour empêcher les mesures de salut public d’avoir force de loi ; il ne peut plus protéger les prêtres réfractaires et les émigrés mais la contre-révolution ne désarme pas. La peur reste nouée à l’espérance. L’ardeur reste fragile, sensible au découragement. L’insistance épuise les corps. Éclairer intensément certains détails de ce tableau, c’est tenter de comprendre ce qui se joue dans cette insistance populaire à vouloir déjouer les faux-semblants d’une concorde qui renonçait à reconnaître en chacun des hommes un citoyen à part entière.
Adresse au lecteur
1. Cher Jacques…
Diderot dans Jacques le fataliste interpelle régulièrement son lecteur pour le louer, le moquer ou lui expliquer son projet littéraire. Il répond à ses questions supposées, à ses désirs contrariés, à ses a priori imaginés. Le maître et le lecteur sont alors logés à la même enseigne et lorsque Diderot décrit le maître questionnant Jacques, il décrit son lecteur imaginaire. « Il était homme—homme passionné comme vous lecteur, homme curieux comme vous lecteur ; homme questionneur comme vous lecteur ; homme importun comme vous lecteur.-- Et pourquoi questionnait-il ?—Belle question ! Il questionnait pour apprendre et pour redire comme vous lecteur… » (8)
La tentation est grande de répondre d’entrée de jeu aux surprises du maître comme du lecteur décrit par Diderot.
D’abord, à quel registre de l’entendement prétend s’adresser un livre d’histoire qui débute par une ouverture qui raconte déjà tout ? Cette histoire, le lecteur la connaît déjà sûrement. Assez bien même, s’il est spécialiste de ce moment révolutionnaire, et s’il ne l’est pas, cette première narration permet de rafraîchir la mémoire. Je le reconnais volontiers, nul n’ignore plus comment finit ou ne finit pas cette histoire. Le peuple s’insurge le 10 août 1792, des massacres sont perpétrés à Paris et dans d’autres villes en septembre, le roi meurt sur l’échafaud le 21 janvier 1793. La quête à laquelle est convié le lecteur n’est pas celle du dénouement de l’intrigue mais bien de son interprétation.
« Lecteur, vous me permettrez de filer la métaphore. Vous l’avez compris, cette notion d’ouverture, je l’ai empruntée à l’opéra. Selon la boutade, l’intrigue est connue puisque c’est toujours la même. « Comment la voix de basse cherche à empêcher le ténor d’épouser la soprano ». Mais les variantes de l’intrigue sont infinies, ce ne sont pas toujours les mêmes qui en meurent ou qui en sortent grandis et vivants. Ils rencontrent des obstacles ou des bonnes fées sur leur chemin. Ils le font entendre par l’association d’un texte appelé livret, de voix et de mises en scènes. Les variations de l’intrigue épousent ainsi celle des corps qui se meuvent, des voix qui s’élèvent et se mêlent, des récitatifs qui racontent. L’interprétation des chanteurs, celle du chef d’orchestre et celle du metteur en scène se nouent, se font écho et permettent au spectateur de saisir d’une manière sensible, ce qui se joue. L’opéra baroque met en valeur les « affetti ». Ils ne sont pas de simples ornements, mais ce qui donne sens aux positions des différents personnages qui indissociablement peuvent, grâce à eux, faire entendre ce qu’ils pensent et ce qu’ils ressentent.
Vous conviendrez, lecteur, que cette compétence est aussi celle que Saint-Just valorise dans le portrait de l’homme révolutionnaire qu’il dresse le 26 germinal an II. Cet homme, lecteur, pense, juge, décide, agit avec son coeur autant qu'avec son esprit. Et l’entendement, ce que nous appelons « raison » n’est que la réunion des deux. Cette réunion n’oppose donc pas comme aujourd’hui raison et émotion mais les hiérarchisent. Le cœur est alors au fondement. S’il convient « d'honorer l'esprit », il faut « s'appuyer sur le cœur.»(9)
La répression des affects imposée par l’étiquette de la cour avait cédé au XVIIIe siècle face à la valorisation des émotions authentiques. La joie et la douleur devaient désormais être exprimées pour dire son humanité. La lecture des romans prépare le cœur et le corps à cette capacité expressive (10). Les âmes sensibles versent des torrents de larmes (11).
Dans le même temps, les procès du XVIIIe siècle politisent la compassion. La figure de l'avocat est alors celle de l'homme sensible et engagé. L'homme révolutionnaire généralise ce rôle social. Sur la place publique, il doit être celui qui « dit la vérité afin qu'elle instruise, poursuit les coupables et défend l'innocence » (12). L'émotion politique est de ce fait affaire de justice pendant la Révolution française. Une justice qui ne s'exerce plus simplement dans des procès, mais au tribunal d'une opinion publique (13) qui structure et légitime, au niveau local comme au niveau national, les identités sociales et politiques. Cette opinion publique associe désormais les caractéristiques de l'opinion publique d'Ancien régime, l'usage public de la raison grâce à la multiplication des imprimés, et les caractéristiques de l'opinion populaire où la délibération en commun fonde l'expérience physiquement (14) et émotivement éprouvée sinon de l'unité, du moins de la connivence, de la complicité ou de la réciprocité. S’unir ce n’est pas toujours fusionner et les sons se mêlent et se séparent dans un mouvement où la quête de l’harmonie est toujours suspendue et fragile. L’unisson n’est qu’une des figures de l’union politique et les formes recherchées ou simplement vécues sont souvent plus complexes, plus subtiles, ne serait-ce que pour faire sa place à l’alliance des voix des hommes et des femmes. Les espaces de délibération disséminés où la culture orale domine sont les espaces privilégiés de la citoyenneté promue par l'événement révolutionnaire, les espaces privilégiés du déploiement des émotions politiques et de la voix du peuple.
Oui lecteur, j’y viens, il s’agit bien de raconter la voix du peuple, de tenter de la restituer, de montrer comment elle advient et comment elle s’efface ou ressurgit pour laisser sa place au texte d’un livret où il faut faire parler la loi.
La voix du peuple. L’expression peut paraître métaphorique. Personne ne l’a jamais rencontrée. Certes, mais qui ne l’invoque encore dans l’adage du « vox populi vox dei ? » (15) L’expression mérite un détour par la Révolution française et ses racines jansénistes.
2. à corps et à cri
La voix constitue pendant la Révolution française un élément clé du lien politique qui s'institue par la lecture à haute voix, le vote à main levée, la décision sur le vif. On est alors dans le registre du corps parlant, et c'est sur un mode éminemment physique que l'opinion publique populaire s'éprouve comme peuple ou comme voix du peuple. Cette épreuve physique propre aux manières dont le peuple se représente à lui-même en cette fin du XVIIIe siècle, conduit à mettre en relation le sens propre du mot « voix » et son sens figuré d'opinion publique. Il s'agit alors d'interroger ce qui dans ce sens figuré d'opinion publique peut renvoyer au réel corporel de la voix, en gardant présent à l'esprit que les représentations ordinaires de l'opinion publique populaire, au XVIIIe siècle, sont celles où le peuple, le populaire, la populace, donne de la voix lorsque les lettrés lisent ou conversent. Cependant avec la Révolution française, cette voix du peuple est devenue une voix sacrée. C'est donc à une double oscillation que nous sommes invités avec cette « voix » du peuple, oscillation entre l'évocation du corps et l'évocation du sens, oscillation entre abjection et sublimation.
Cette « voix » prise dans une polysémie, qu'il convient ici de ne pas réduire, ne peut pas être cernée d'une manière aisée et ordinaire. Aucun lieu, aucun nom propre, aucun discours ne peut prétendre l'incarner et la rendre parfaitement présente. La voix du peuple ne laisse pas de traces immédiates, elle n'apparaît qu'à travers des mises en récits, des traductions langagières qui sont autant de porte-voix.
Ce sont ces récits et ces traductions langagières qui fournissent la matière de notre récit. Cette matière est conservée aux archives nationales dans la série C, celle des papiers d'assemblée qui recueille l'ensemble des documents envoyés à l'assemblée par des citoyens, ou des groupements de citoyens, des sociétés populaires, des sections, des députations étrangères, des municipalités, des directoires de département, des tribunaux. Ces documents prennent la forme de pétitions, de lettres, d'adresses, de chansons, de comptes rendus de séance d'assemblée d'administration locale. Cette matière est encore celle des textes lus par les députations de l’assemblée qui viennent les lire à la barre pour faire entendre leurs voix et leurs arguments, dans une éloquence spécifique, que j’appellerai volontiers « l’éloquence de la souveraineté populaire ».
Michelet lorsqu'il présente le lien d'amour fédératif (16) invente la figure du témoin muet (17). Il n'ouvre pas de guillemets pour donner la parole au peuple qui envoie les récits de fédérations. Il les donne à voir. Ce procédé rendrait le peuple visible là où ses paroles le laisseraient dans l'ombre. Sans doute le discours amoureux du peuple, que ce soit en 1790 ou en 1792, ressort-il effectivement de ce traitement. Il est discours, c'est-à-dire ensemble de motifs constitués avant même d'être pris en charge par des locuteurs.
Cependant l’éloquence de la souveraineté populaire intervient justement lorsque ce procédé du témoin muet ferait perdre au lecteur ce qui fonde l'expérience subjective et sensible de la parole révolutionnaire. L'éloquence révolutionnaire est celle où le discours fait place à des actes de langages spécifiques, qu'il convient de décrire pour entendre le mouvement même de la puissance du souverain. L’éloquence de la souveraineté populaire est celle qui fait entendre « le tort constitutif qui constitue la communauté en communauté du litige et transforme la logique égalitaire en logique politique »(18).
Porter la voix du peuple dans cette matière langagière, ce serait alors inventer la langue qui, loin d'effacer la voix comme objet réel, proposerait les motifs capables de la rendre plus présente, de la faire entendre et de faire sentir ce que le peuple a senti. C'est l'invention de cette langue dans son surgissement et sa réception qui sera ici décrite pour un moment politique d'importance dans la Révolution française. Ce moment est justement celui où le peuple reprend voix. Il avait été sidéré et silencieux lorsque le roi était rentré dans Paris après sa fuite à Varennes (19). La fusillade du Champ de Mars lui avait intimé silence alors qu’il avait déployé sa voix en pétition, chants et danses, un 17 juillet 1791 d’été orageux.
Pour rendre à nouveau présente cette voix, les porte-parole doivent évoquer ou convoquer ce qui conduit le peuple à prendre voix, produire le livret d'une puissance dont le savoir est vécu d'abord dans la chair : l'émotion.
On retrouve ici Jean-Jacques Rousseau déclarant dans l'Essai sur l'origine des langues « que les passions arrachèrent les premières voix (…) qu'on ne commençât pas par raisonner mais par sentir (…). Toutes les passions rapprochent les hommes que la nécessité de chercher à vivre force à se fuir. Ce n'est ni la faim, ni la soif, mais l'amour, la haine, la pitié, la colère qui leur ont arraché les premières voix. » (20) Dans ce même chapitre, il associe les passions aux besoins moraux, et à ce titre semble affirmer qu'elles occupent une fonction d'évaluation morale des situations où elles émergent. La notion moderne d'émotion telle qu'elle a été travaillée par l'ethnométhodologie (21) nous paraît de ce fait adéquate à cette notion de passions des philosophes du XVIIIe siècle. C'est donc elle que nous privilégierons tout en affirmant avec ces philosophes, qu'il ne s'agit pas tant d'opposer passion et raison que de saisir le fondement de tout argument dans la sensation qui produit le sens à élaborer et permet de produire « l'action qui convient. » (22).
Cette voix du peuple devenue sacrée, on l'imagine assez bien grondante comme le tonnerre du commandeur, voix souveraine qui exprime la puissance souveraine du peuple. Sans doute le moment le plus propice à une telle expressivité est le moment 1792, celui où la figure du monarque est congédiée et où la notion de citoyenneté passive devient un non-sens. Mais le tonnerre de la voix du peuple n'advient pas comme par magie le 10 août 1792 et c'est en amont de cet événement majeur que nous voudrions cerner ces émotions comme voix du peuple et l'enjeu qu'elles représentent dans l'avènement de sa souveraineté pleine et entière.
Cette métaphore de l’opéra et donc de la voix est discutable. Il s’agit de proposer une variation sur la question de la métaphore de la scène de spectacle, annonciatrice de la répartition des tâches politiques dans la perspective de la représentation. Pour Lynn Hunt, l’évolution de l’ordre au parterre et sur la scène théâtrale marque l’avènement de l’individu. « Occuper un siège sur la scène fut interdit en 1759, et en 1782 la Comédie française réussit à établir l’ordre au parterre en y plaçant des bancs. L’évolution était claire, les déchaînements collectifs allaient faire place à des expériences individuelles. »(23) Paul Friedland (24) va plus loin puisqu’il affirme que cette manière de congédier l’exubérance des spectateurs témoigne d’une transformation fondatrice de la représentation. Alors que le corps de la nation était un corps vivant mais invisible et que le corps du roi l’incorporait, au XVIIIe siècle, le corps de la nation n’est plus incorporé mais représenté. Or cette représentation donne aux membres de la nation une place de spectateurs qui jugent, évaluent ce qui est dit en leur nom. Soit ils applaudissent comme les tribunes à l’Assemblée, soit ils se plaignent dans des pétitions, mais n’ont pas autorité pour agir. Paul Friedland déplore cette évolution qui ne fabrique que des citoyens de fiction rhétorique. Or ce modèle qui se radicalise en thermidor an II puisque les citoyens sont explicitement congédiés au profit d’une professionnalisation de la sphère politique, ne me paraît pas pouvoir rendre compte de ce qui se joue en 1792. Les citoyens révolutionnaires s’élèvent alors contre cette position de spectateurs représentés, la fameuse liberté des modernes telle que Benjamin Constant la théorise dans son fameux texte « de la Liberté chez les modernes »(25). François Hartog a longuement commenté la rupture opérée par ce texte qui rejette l’influence des Anciens et leur liberté politique (la participation collective des citoyens à l’exercice effectif de la souveraineté) au profit de la liberté civile, individuelle (26). Il associe alors à Benjamin Constant, Volney et ses Leçons d’histoire (27) qui, lui, rejetait la lecture des Anciens, car elle avait produit trop « d’enthousiasme ». Nous sommes au cœur de la question de la place des émotions dans la conception et le régime d’action de la politique.
Comment les citoyens s’y prennent-ils pour rejeter ce modèle de citoyenneté fictionnelle ou passive ? Ce sera bien sûr l’objet de ce récit, mais sans aller plus avant pour le moment, je crois qu’ils commencent par politiser la plainte et plus radicalement qu’ils finissent par affirmer que la représentation n’est légitime que si elle entend et retraduit cette plainte. Pour des citoyens forts de l’expérience de 1789, la représentation n’est pas légitime en soi et les réserves empiriques de sa légitimité sont justement cette voix du peuple qui doit être retraduite dans la loi. Le peuple n’avait pas été au parterre en 1789 lors de la prise de la Bastille, de la Grande peur ou des journées d’octobre pour faire ratifier les décrets d’août sur l’abolition des privilèges et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il n’était pas au parterre en 1790 lorsqu’il œuvrait pour obtenir une fédération nationale qu’il obtint. Il ne l’est pas encore en juillet 1791, lorsqu’il pétitionne au Champ de Mars pour obtenir une constitution républicaine. Il est par contre effectivement congédié par la Constitution de 1791 et par des pratiques d’Assemblée où des législateurs refusent le plus souvent d’entendre et de retraduire ses émotions, ses plaintes, ses douleurs. Le moment 1792 offre ainsi un conflit de modèles qui s’ajuste alors à un conflit d’acteurs, et non à un conflit entre acteurs et spectateurs. C’est pourquoi ce n’est pas la seule voix du peuple que ce récit met en scène, mais bien l’expérience dialogique de la voix du peuple et de ses représentants à l’Assemblée législative. Ce dialogue est disponible dans une version quasi intégrale dans les Archives parlementaires, dans une version considérée comme représentative de la réception journalistique de sens commun par Le Moniteur Universel. C’est la raison pour laquelle les acteurs révolutionnaires comme plus tard les historiens ont voulu voir dans ce Moniteur, l’ancêtre de notre journal officiel. C’est certes aller vite en besogne. En effet, Le Moniteur n’est pas neutre. Dans sa manière de sélectionner les informations, de rendre compte et de rapporter des éléments de savoir extérieurs au débat parlementaire, de citer ses confrères- Le Patriote français, la Sentinelle de Jean-Baptiste Louvet, de mettre face à face des pétitions de citoyens et des adresses de directoires de départements après le 20 juin 1792, de donner la parole au maire de Paris, Pétion, de mettre en récit ce qui se passe en province et à l’étranger, il adopte un point de vue révolutionnaire, qu’on pourrait croire moyen ou conformiste et qui de fait, met souvent en valeur en 1792, le point de vue des proches de Brissot. Faudrait-il pour autant refuser les services de cet outil remarquable ? Je crois que ce serait une erreur. Comme la lettre volée, le Moniteur continue de constituer une véritable source capable de renouveler notre regard sur la Révolution par-delà les biais de son orientation. La source est riche, dense, compacte. On n’y entend guère Robespierre, Marat, Danton pourtant porte-parole fondamentaux du mouvement populaire. C’est vrai, il faut donc ne pas hésiter à puiser dans les œuvres complètes de ces trois commentateurs remarquables de ce qui se noue entre le peuple souverain et ses représentants. Enfin certains imprimés ou objets insolites offrent des ressources singulières. Un jeu de l’oie, une pique des citoyennes de Lyon, une pétition locale, des archives municipales sont autant de points d’appui ou de contrepoints pour saisir comment dans ce moment 1792, le mouvement populaire réussit à démontrer que les a priori politiques classiques peuvent être retournés.
En effet, la tradition classique (28) oppose la voix du peuple « gros animal populaire » au logos des gouvernants, renvoyant le premier à une animalité incontrôlable et menaçante, les seconds à leur responsabilité de juges du juste et de l'injuste. Le couple voix / parole est ainsi devenu une figure rhétorique de la critique de la démocratie. Selon Platon, « la démocratie est le régime où la voix (…) usurpe les privilèges du logos »(29). Or en 1792, une démocratie s’invente comme régime où la voix surgit pour faire émerger un logos conforme à la justice. Cette démocratie ferraille avec le modèle des gouvernants, comme toujours dans l’histoire erratique de l’invention politique (30). Cette démocratie doit en passer finalement par le corps à corps violent pour faire valoir ses droits face à la surdité des représentants. Malgré ces écueils, l’affirmation d’un peuple acteur est impossible à évacuer. Certes, ce peuple acteur est alors taxé de barbare puisqu’il agit avec violence. Le projet ici encore est de retourner cette perception en montrant que le peuple démocrate a été acculé à la violence, que cette violence, il n’en veut pas, qu’il la redoute. Il souhaite très longtemps en faire l’économie et accepte de ce fait de nouer des alliances ambiguës avec les girondins, de donner sa confiance au maire Pétion, de différer l’insurrection et de répéter sa plainte inlassablement d’avril à août 1792 dans une longue patience.
Ce projet renoue alors avec celui d’une lignée prestigieuse d’historiens de la Révolution française qui ont lutté contre une lecture dépréciative des foules.
3. Une histoire des émotions, une histoire de l’expérience, une histoire du répétitif
Lucien Febvre dans Combat pour l'histoire (31) invitait déjà les historiens à s'intéresser aux émotions comme fondement de la soudure des groupes. Michelet, Taine, Georges Lefebvre ont planté le décor qu’il s’agit ici de remettre à l’honneur. Jacques Revel chargé de présenter la réédition de La Grande Peur (32), rappelle les conditions de réception d'un ouvrage mal compris, sinon par Marc Bloch. La volonté de l'auteur d'articuler le psychologique et le social, de lutter contre la lecture dépréciative des comportements de foules diffusée par Taine et Lebon, à savoir d'une part une lecture qui insiste sur le retour à la barbarie de l'instinct, d'autre part une lecture en termes de soumission aux suggestions d'un meneur manipulateur, n'a pas été perçue d'emblée. Pourtant Georges Lefebvre opérait la critique de la vague « interpsychologie » des Tarde et Lebon qui repose sur un instinct social non questionné, un rapport entre foule et individu non pensé, une contagion de l'émotion non expliquée. Certes, Freud lorsqu’il avait repris dans Psychologie des foules et analyse du moi (33) les passages de Lebon qui les avaient lui-même repris à Taine, proposait bien une explication rationnelle de cette contagion en termes d’identification. Les membres d’une foule s’identifiaient d’une manière verticale à la personne et aux idées d’un meneur manipulateur et d’une manière horizontale les unes avec les autres dans le même processus d’identification amoureuse. Si cette explication a, à notre sens, le défaut d’être anhistorique et d’évacuer, en particulier dans la réception de l’œuvre de Freud, l’ambivalence des émotions et leurs effets sur le plan des valeurs qu’elles engendrent, elle demeure encore aujourd’hui le fondement théorique le plus fréquent des interprétations des soubassements psychiques individuels de cette soudure du groupe.
Serge Tchakotine (34) qui s’appuie aussi sur Taine, peut ainsi confondre les processus émotifs de propagande révolutionnaire et ceux des nazis. Cette mise en équivalence aura longue vie dans la perception d’une Révolution française matrice des totalitarismes.
Mais, plus classiquement Luc de Heusch caractérise la Révolution française en termes de changement d’imago, de la figure du roi-père à celle de la république (35). Il revient sur la question de la suggestibilité des foules en évoquant d’abord les travaux de Serge Moscovici (36), puis un Freud « aventurier de la psychologie sociale » pour interroger la question de la suggestion ou de la séduction, qui malgré tout, pour lui reste entière. (37) Son objectif est alors de naturaliser le domaine social selon l’ambition de Dan Sperber (38), de ne plus oublier que l’homme est aussi un animal.(39)
Ce raisonnement reconduit l’idée que les hommes en groupes ou en foules perdent leur humanité, cette humanité étant caractérisée par le libre usage de la raison.
Chez Freud, dire que les individus fusionnent dans des processus d’identification ne dit pas quelles conséquences a cette fusion. S’il prend appui sur les descriptions de Lebon qui le plus souvent déprécie la foule en la comparant à un être primitif et sauvage, capable des pires cruautés et férocités, Freud n’est pas uniquement dans un jugement dépréciatif. Il souligne l’ambivalence des émotions liées à la vie sociale. « Pour juger équitablement de la moralité des foules, on doit prendre en considération que dans un rassemblement d’individus en foules, toutes les inhibitions individuelles tombent (…) rendant possible la libre satisfaction des pulsions. Mais les foules sont également capables, sous l’influence de la suggestion de grands accès de renoncement, de désintéressement, de dévouement à un idéal. Alors que chez l’individu isolé, l’intérêt personnel est le mobile à peu près exclusif, c’est très rarement lui qui prédomine chez les foules. On peut parler d’une moralisation de l’individu par la foule. (pp. 29-30)» (40). Après cette longue citation de Lebon, Freud poursuit : « alors que l’activité intellectuelle de la foule se situe toujours très au-dessous de celle de l’individu isolé, son comportement éthique peut tout aussi bien s’élever très au-dessus de ce niveau, que descendre très au-dessous. » (41).
En soulignant ce caractère double de la dimension éthique des foules, Freud offre une nouvelle compréhension de la dimension morale des foules ou des groupes constitués par identification à des idées, des valeurs, ou des personnes. Freud offre ainsi des outils qui permettent de réviser le point de vue de Lebon, de lui faire subir tout au moins cette double perspective de l’ambivalence. Les foules peuvent être très au-dessus, ou très en dessous de l’individu isolé sur le plan éthique, même si cette dimension éthique ne relève pas chez Freud d’un jugement singulier et intellectuel, mais bien d’une adhésion émotionnelle.
Freud va jusqu’à considérer que « de même chez l’individu de même dans le développement de l’humanité tout entière, c’est l’amour seul qui a agi comme facteur de civilisation, dans le sens d’un passage de l’égoïsme à l’altruisme »(42), mais il approfondit son questionnement sur un amour qui peut aussi devenir « décivilisateur ».
L’identification avec un objet aimé, que ce soit une idée abstraite ou une personne qui l’incarne, peut conduire à l’idéalisation de l’objet qui prend la place du moi propre de l’individu. Il y a « abandon du moi à l’objet, abandon qui ne se distingue plus de l’abandon sublimé à une idée abstraite. »(43) Or, affirme Freud dans une telle situation, « les fonctions imparties à l’idéal du moi (ou surmoi) sont totalement défaillantes. (…) Tout ce que fait et exige l’objet est bon et irréprochable (…) dans l’aveuglement de l’amour, on devient criminel sans remords. »(44) Ici ce n’est ni l’état amoureux en soi qui est dangereux, ni le fait d’aimer une idée abstraite et de perdre ainsi en particulier en foule sa faculté singulière de juger, mais la qualité de l’objet aimé qui peut introduire ou non des contraintes fortes sur l’usage de la violence. Pour juger de la valeur morale des foules révolutionnaires, il s’agirait de saisir la valeur morale de leurs idéaux et les moyens qu’elles adoptent pour les atteindre. Les foules dépendent des moyens qu’elles se donnent pour contrôler les effets dangereux ou néfastes de l’idéalisation, sans se passer pour autant d’un projet idéal. En bref c’estt dans le contenu des objets aimés que peut être introduite la conscience morale qui peut faire défaut à l’amoureux.
Il s’agirait ainsi pour juger de la valeur éthique de la foule ou du groupe de juger de la valeur éthique de son objet identificateur, ou pour le dire autrement de son projet, de sa formulation et des actions qui lui sont associées.
Le texte de Walter Benjamin, « l’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique » (45), est contemporain de la réflexion de Freud sur l’effet « décivilisateur » de l’amour par identification. Ils appartiennent l’un et l’autre à l’ère des masses. La guerre de 14-18, l’après guerre et les phénomènes de fascisme sont en surplomb. La fusion est déplorée et n’est que marginalement appréhendée comme pouvant relever de ce qui est souhaitable. Pour Walter Benjamin, l’esthétisation du politique est une procédure de mise en scène des masses qui grâce à « une perception sensible modifiée par la technique » leur permet de jouir de leur propre spectacle. « Le culte (…) qui rassemble des masses entières, les grands cortèges de fête, les meetings monstrueux, les manifestations sportives, la guerre enfin, c’est-à-dire toutes ces occasions où intervient l’appareil de prise de vue, et qui permettent à la masse de se voir elle même face à face » sont les lieux de l’esthétisation du politique. Esthétiser la politique, c’est donc transformer la politique en un spectacle émotionnel qui empêche de maintenir une position individuelle subjective et conduit à l’identification à la masse. Esthétiser la politique, ce serait la délier des usages de la raison au profit de cette manipulation des émotions humaines irrépressibles, des émotions les moins gouvernables.
Pour autant la politique, sans subir ces procédures d’esthétisation, peut-elle être un pur ouvrage rationnel dénué d’émotions? Jacques Rancière opérant la critique de Walter Benjamin affirme que « la politique n’est pas esthétique parce qu’elle use de tel art ou de tel medium pour se faire accepter. Elle l’est parce qu’elle suppose un découpage du sensible qui indique si et comment des corps font communauté, quelles positions respectives ils occupent, ce qu’ils doivent faire à cette place. »(46) Il s’appuie alors sur un argument et deux propositions : « l’existence d’un domaine esthétique spécifique dont la politique viendrait contester l’autonomie n’est qu’une configuration récente de l’univers des discours et des pratiques »(47), de ce fait il faut ramener le terme d’esthétique à son sens premier : ce qui concerne le sensible. Or, dernière proposition, la politique concerne toujours le sensible, elle n’est pas antécédence ni conséquence de l’esthétique, elle serait « l’inscription du commun dans le sensible » et aurait pour cœur « le partage du sensible dans lequel une communauté instaure son ordre et ses exclusions. »(48)
Les émotions politiques constituent ainsi une modalité spécifique de jugement, d'évaluation politique des conduites. Elles seraient de « la politique à l’état naissant »(49).
Les émotions qui ne seraient vécues que par sympathie immédiate ne constituent donc qu’une des modalités du partage des émotions, celle de la contagion émotive liée à la situation de foule ou encore à l’esthétisation de la réunion d’assemblée. Dans une circonstance telle, l’émotion ne dit rien d’autre que du présent vécu comme pure jouissance de cette contagion abolissant les contraintes. Pour que les émotions deviennent prescriptives et figurent la dimension morale de la réalité commune(50), ou encore sa dimension symbolique, il faut que la communauté d’opinion constituée dans la simultanéité du partage de l'émotion soit aussi une communauté d’interprétation. En bref, qu’il soit possible aux individus qui crient, de transformer cette voix en arguments politiques rationnels et convaincants, ce qui revient à dire leurs raisons d’acquiescer à leur meneur ou d’expliciter la place qu’ils occupent dans la scène politique, d’expliciter de quelle communauté relève leur corps, comment leurs corps font communauté et avec qui. C’est justement ce que Georges Lefebvre dans son article sur les foules révolutionnaires indique avec précision pour prendre ses distances d’avec Taine et Lebon. « Quand on se trouve en présence d’un rassemblement, on ne peut pas le considérer comme une simple réunion d’hommes dont les idées ou les passions se seraient éveillées, en toute autonomie, dans la conscience de chacun d’eux ; s’ils se groupent pour agir, c’est qu’il y a eu entre eux, au préalable, action intermentale et formation d’une mentalité collective. »(51) En d’autres termes, les émotions sont toujours liées à une expérience vécue ou transmise en commun et fondatrice de ce qui est alors nommée « mentalité ». « La mentalité n’est pas un retour à l’animalité même si on concèdera bien volontiers à Lebon qu’elle tend à étouffer dans l’individu l’esprit critique qui est le propre de l’homme. »(52) La mentalité est constituée de toutes les expériences passées, lointaines ou proches qui ont laissé des traces mémorielles significatives auxquelles les individus peuvent s’identifier. Georges Lefebvre parle « d’impressions sentimentales ». S’il ne cite pas Freud, Georges Lefebvre évoque la question de l’inconscient et du refoulement du moins en termes de vocabulaire. Mais plus que d’inconscient, il s’agit plutôt de différents plans de la conscience : « Les éléments de mentalité collective antécédente se trouvant simplement refoulés à l’arrière plan de la conscience chez les membres d’un agrégat, il suffit qu’un événement extérieur les rappelle au premier plan pour que brusquement, ces hommes retrouvent le sentiment très vif de leur solidarité. Le réveil subit de la conscience de groupe provoqué par une émotion violente donne à l’agrégat un caractère nouveau qu’on pourrait peut-être appeler l’état de foule. Il faut et il suffit qu’une mentalité collective révolutionnaire se soit antérieurement développée dans la population et qu’un fait vienne à se produire qui la rappelle au premier plan de la conscience dont elle avait été momentanément évincée par les causes qui avaient déterminé le formation de l’agrégat »(53) pour qu’un état de foule surgisse.
Cependant malgré l’émergence de cette notion de mentalité, à la fin de son texte et comme à regret, Georges Lefebvre concède à ceux qu’il critique des pans entiers de leur raisonnement. Il explique ainsi que la foule produit une forme de contrainte sur l’individu. « La mentalité collective se développe sous l’influence que la collectivité exerce sur l’individu ; elle est surtout morale et le sentiment de quiétude et d’irresponsabilité que procure le conformisme lui vient puissamment en aide. »(54) « Ce sentiment de force collective qui impose la mentalité collective aux hésitants, encourage en même temps tous les présents (… exerce une) action particulièrement forte sur les individus les plus émotifs. (…) Au sein de l’agrégat, le sentiment de la responsabilité individuelle s’affaiblit ou disparaît. Le phénomène est en partie inconscient, à mesure que l’individu s’assimile plus exactement la mentalité collective, il en devient l’instrument et son action cesse d’être autonome. »(55)
George Lefebvre écrit en 1934. Il s’agit de saisir si toutes les foules se valent, ou s’il convient de saisir un au-delà ou un en deçà de ce qui leur est commun pour pouvoir prendre position face aux mouvements politiques de l’ère des masses. Quelles responsabilités doivent endosser les individus qui s’agrègent en foule ? Sont-ils vraiment inconscients et manipulables ou bien articulent-t-ils des raisons d’agir ? Georges Lefebvre refuse finalement de délier la raison d’agir et les émotions qui les étayent. à ce titre, il prend position pour une responsabilité individuelle non pas au sein des foules agissantes, c’est-à-dire déjà contraignantes par effet, mais dans la décision de participer à une foule, à un groupe et d’y vivre cette prise de décision articulée à un mode collectif d’être au monde, mode collectif et social qui, comme la raison, fait l’humanité de l’homme. « Le rassemblement est déjà un acte car il implique invinciblement la résolution de réaliser la société nouvelle. Quand ils se réunissent pour livrer combat, de propos délibéré, on tient le rassemblement révolutionnaire dans la forme la plus caractérisée et la plus pure. » (56)
C’est pourquoi il ne s'agit pas de saisir la simple coalescence émotive mais d'enquêter sur le sens des émotions en aval et en amont de l'événement, de considérer les émotions non comme des instincts anhistoriques mais comme des variables historiques qui s'articulent à une histoire sociale des croyances, des attentes, des espérances (57).
Les journées révolutionnaires, les fêtes, les insurrections, les commémorations sont les objets privilégiés d’une enquête désormais renouvelée. Elles constitueront des scènes propices pour notre analyse du moment 1792 du point de vue des émotions. Mais ces événements préparés ne suffisent pas à prendre la mesure de ce qui se joue dans une dynamique émotive de la Révolution qui n’a pas seulement à voir avec sa dynamique narrative ou discursive (58).
Le discours révolutionnaire connaît des moments de radicalisation ponctuels mais ce qui le caractérise c’est une extrême radicalité immédiate dès 1789 dont certains acteurs ne mesurent pas la portée et qui, peu à peu prennent peur. Ils se désolidarisent, édulcorent les principes. Ce discours n’est pas univoque et des conflits de théorie politique sont immédiatement présents, dès 1789 (59). Le contenu des discours ne se radicalise donc pas vraiment, mais les acteurs qui portent cette radicalité changent au cours de la période révolutionnaire et ils sont de moins en moins nombreux. La fonction du langagier révolutionnaire n’est donc pas une fonction de radicalisation cumulative (60) mais une fonction symbolique d’élaboration et de contrôle des émotions.
Selon Georges Lefebvre, la Révolution serait caractérisée par deux ressorts psychiques fondamentaux, cette espérance et la peur : peur de la répression, peur que la Révolution rétrograde, peur des débordements incontrôlables.
Or pour contrôler ces deux forces psychiques contradictoires, contrôler les effets de l’action et de la réaction, des attentes déçues, les révolutionnaires usent du langage aussi bien comme effet d’accélération que de décélération, d’intensification ou d’apaisement. L’effervescence s’exprime dans toutes sortes d’écrits : les journaux, la multitude de pamphlets, les pétitions qui instituent le passage du corps souffrant au logos, ou si l’on préfère transmutent la voix gémissante en parole revendicatrice. Mais cette effervescence langagière est aussi orale, tribunicienne et délibérative dans les lieux d’institutionnalisation de la parole, telles que les sociétés politiques, les assemblées de district, l’Assemblée. C’est pourquoi elle conditionne l’élaboration des attentes et des expériences immédiates, ce qui rend le projet révolutionnaire particulièrement mobile.
Comment rendre compte de cette dynamique, la saisir dans ses facettes sociales, psychiques, langagières : en croisant les sources mais surtout en ne renonçant pas à la chronologie fine, seule à même de saisir les effets d’accélération, des actions et des réactions, la fluidité des situations. La méthode ne peut donc être extensive, elle doit être intensive. Est-ce alors un simple retour à l’histoire politique positiviste ? Non. Car le temps n’est pas « un temps homogène et vide »(61) mais un temps densifié par cette intensification cumulative des expériences vécues. Il appelle d’une part ce qu’Antoine de Baecque avait qualifié de source touffue (62) et d’autre part un travail sur la source artificiellement raréfiée mais intensément scrutée. Une telle source phare doit pouvoir être appréhendée comme une photographie dont tous les plans seraient nets, car il s’agit de saisir un temps court subverti par une connaissance approfondie de la culture politique et de la mentalité politique de ceux qui vivent ce temps court, rapide et dense. En effet, ces acteurs sont forts d’expériences et d’attentes accumulées et incorporées sur un temps beaucoup plus long.
De fait, ce n’est donc pas le discours et sa théorie qui permettent seuls de comprendre la dynamique révolutionnaire. Cette dynamique est bien nouée aux expériences accumulées des années 1770 à 1792, bonnes et mauvaises, articulée au sentiment intime que la vie ne vaut pas s’il s’agit de ne plus vivre libre. La Révolution se joue ainsi dans des motifs qui se répètent mais dans une temporalité qui est désormais ouverte, complexe, incertaine et fondamentalement vectorisée par une attente démesurée. La Révolution française est ainsi un moment où les expériences et les attentes sont immédiatement nouées dans un carambolage des temps extrêmement difficile à contrôler par les acteurs. C’est en ce sens qu’on peut parler de 1792 comme année de mutations politiques extrêmes.
S’il s’agit de décrire ces mutations dans le présent de l’histoire des acteurs (63), ce présent est bien saturé des attentes et des expériences cumulées. Ces formations idéologiques ont souvent été appréhendées comme se succédant les unes aux autres ; or il me semble que bien souvent elles sont plus cumulatives que successives. On apprend des choses nouvelles parfois contradictoires avec les anciennes, mais, se débarrasse-t-on pour autant des anciennes ? Ainsi Révolution et résistance à la Révolution sont conjointes chez nombre d’acteurs révolutionnaires qui restent attachés à des manières de penser, de sentir, de voir, qui peuvent paraître obsolètes ou simplement dépassées à certains de leurs contemporains. Je pense à Marat qui déplore en 1792, l’adhésion des patriotes à la guerre. Ces derniers partent au combat, animés par le sentiment de l’honneur forgé dans l’attente de l’égalité, animés par l’amour de la patrie forgé dans l’expérience révolutionnaire de lois qui protègent une vie bonne. Faire la guerre en patriote, c’est ainsi déclarer doublement l’avènement de l’égalité, celle promue par la loi, celle effective dans le partage de l’honneur à combattre pour ces lois. Or pour Marat, ces patriotes devraient se méfier du pouvoir exécutif traître à ses promesses et à ses serments et refuser un combat qui les mène à la mort. Leur adhésion à la guerre repose de son point de vue, sur des représentations de l’honneur qui sans être celles de l’Ancien régime restent arrimés à cet Ancien régime, empêchant les citoyens d’accéder à la vérité de leur situation.
Parler d’expériences cumulatives, c’est révoquer en doute le changement brutal de régime d’historicité du vécu des acteurs tel qu’il a été décrit dans le concept de révolution des temps modernes.(64)Tout un chacun nage entre plusieurs rivages (65). Les expériences forgées avant et pendant la Révolution deviennent obsolètes, mais sont encore vécues comme pertinentes par nombre d’acteurs. Ils y perdent leur capacité à avoir prise sur ce qu’ils font au nom de l’expérience, mais font l’histoire malgré tout. Ainsi ce membre du directoire de Limoges qui croit qu’il est encore possible de menacer et de dégrader un peuple qui, s’il agit avec violence en tuant un prêtre réfractaire, le fait au nom de la patrie en danger en juillet 1792. En souhaitant installer une pierre angulaire portant des mots qui flétrissent les acteurs de ce drame politique, il subit les conséquences de ce décalage d’expérience : des insultes répliques à domicile. Son point de vue n’est déjà plus contemporain
A contrario, pour ceux qui sont déjà sur l’autre rive, c’est parfois la puissance des attentes qui leur font perdre le sens des situations, leur font prendre comme on dit, leurs désirs pour des réalités. Ainsi à Lyon, dès l’annonce de la réunion des trois ordres en assemblée nationale le petit peuple croit avoir obtenu ce qu’il attendait de cette victoire : la fin des octrois. Des hommes et des femmes font entrer du vin pour faire la fête sans payer les octrois et détruisent les registres jetés dans le Rhône. Ils subissent une répression féroce car ils n’avaient pas compris que le décalage spatial était aussi un décalage temporel du pouvoir révolutionnaire. Le pouvoir révolutionnaire attendu n’était pas encore arrivé jusqu’à Lyon. La répression sanglante des émeutes, début juillet 1789, exprime ce « pas encore ». Ce « pas encore » comme le « déjà plus » désignent l’une des difficultés politiques des acteurs révolutionnaires. Ils doivent constamment reconfigurer leurs expériences dans le bougé des situations. La brusquerie du vécu naît ainsi de ces décalages constants.
Cependant, il existe bien une perte des repères temporels plus intense, plus extrême, où ni l’expérience ni l’attente ne sont des ressources pour les acteurs, quelque soit leur mode d’articulation. Ce temps est celui de l’emballement révolutionnaire où des décisions radicales sont prises. Certains y perdent la raison, tel ce constituant qui ne se remet pas de son audace d’avoir prêté le serment du jeu de paume.(66) Ce temps de la décision sans garde fou est le temps qui troue même l’horizon d’attente. Faut-il parler « d’un temps hors de ses gonds » ?
L’expression est de Nicole Loraux, elle l’emprunte à Jean Max Gaudillière qui s’inspire lui-même du Hamlet de Shakespeare. Jacques Rancière parle quant à lui « d’achronie ». Dans tous les cas il s’agit d’un suspens de la temporalité historique classique au profit d’un autre temps. Nicole Loraux évoque un temps qui ne « relève pas du temps vectorisé de l’histoire » celui « qu’il faut postuler, ne serait-ce que pour donner un statut à tout ce qui dans une époque se pense en avant d’elle, sur le mode de l'anticipation. »(67) Or ce temps qui donnerait une place à l’utopie et peut-être une place à ce type de décision « nous ramène (dit-elle)(…) à tout ce qui est enkysté d’oubli de ce que la politique est, par soi, conflit. »(68)
Pour Nicole Loraux, ce temps non vectorisé qui est aussi celui de l’oubli et du répétitif, met à l’œuvre une « mémoire barrée » de la conflictualité politique et le « sourd travail d’une instance désirante »(69). Temps de l’inconscient et des passions. Cette mémoire barrée de la conflictualité est celle de l’amnistie qu’elle a tant étudiée pour comprendre comment la démocratie pouvait s’oublier elle même après avoir été victorieuse sur la tyrannie des Trente. Or, l’année 1792 s’ouvre sur cette mémoire barrée de l’amnistie du 14 septembre 1791 obtenue par le roi en échange de l’acceptation de la constitution. À ce titre, plus qu’aucune autre séquence de la Révolution française, le moment 1792 est celui où le travail des émotions est celui d’une lutte contre la mémoire barrée de la conflictualité politique. Plus que dans aucune autre période de la Révolution, les émotions sont à la fois opératrices de répétitions et travail de la rupture avec cette mémoire barrée.
Nicole Loraux, lorsqu’elle plaide pour une histoire du répétitif, de l’analogique, désigne les passions comme des « opérateurs de la répétition. »(70) Je plaiderai de mon côté sur des émotions opérateurs de la décision et donc aussi de la rupture. Si certains acteurs tel Lamourette jouent effectivement sur le rejet viscéral et tenace de la division, afin par exemple de différer la reconnaissance de la patrie en danger, d’autres acteurs sont porteurs d’émotions disruptives comme faculté de juger des situations et d’assumer que face à ce jugement, des clivages ou des divisions se constituent dans l’événement même. Il y aurait donc d’une part des émotions qui répéteraient le pur désir d’unité, de fusion, de rejet du conflit et des émotions qui affirmeraient la possibilité de subjectiver une nouvelle collectivité politique, la sédition, l’émeute, l’insurrection. Ce sont alors les formes articulées à ces décisions qui sont répétitives. Le processus de subjectivation esthétique des émotions vécues qui s’oppose au processus de manipulation esthétisé des émotions suggérées, ne réinvente pas constamment ses formes et ses institutions. Les sujets répètent des gestes qui prennent de nouvelles significations dans l’événement même.
4. Short cuts, cerner l’événement
Robert Altmann dans Short cuts, cerne une société par bribes. Elles constituent peu à peu « un riche tableau »(71) cohérent et intelligible en donnant à voir différents points de vue d’un même moment. L’éclatement est d’abord spatial et l’unité temporelle. Ce récit procède parfois ainsi, en s’éloignant volontairement du centre parisien pour visiter Lyon, Limoges, Bourg-en Bresse, Blois, Rennes, Grenoble, la Somme… Le récit est de ce fait relativement discontinu, il propose d’éclairer intensément certains points du tableau puis de les relier dans une trame qui ne serait pas seulement celle du fil du temps. Il délaisse certains moments attendus comme Valmy, et fait de la veille du 10 août le point d’équilibre suspendu de la composition. Les grands événements seront traités comme des après-coups, l’insurrection, les massacres de septembre, le procès du roi, sa mort.
Cependant, ce qui est ainsi cerné n’est pas un éclatement spatial, mais le faisceau d’événements qui se situent pour certains à Paris au plus près de l’Assemblée, pour d’autres en Province, et, qui donnent dans leur multiplicité peu à peu sens, à une séquence politique (72), à sa découpe temporelle. 1792 n’est plus une année révolutionnaire ordinaire, coincée dans le déroulé de 1789 à 1799, entre les belles années fondatrices et heureuses, et la terrible année 1793 qui ouvrirait le gouffre de la terreur. Elle devient une séquence véritable qui n’a pas seulement pour caractéristique d’avoir été relativement délaissée par l’historiographie, mais d’avoir constitué un moment subjectif révolutionnaire spécifique, une séquence donc avec un début et une fin.
Ce début, je l’ai situé dans l’après-coup de la fusillade du champ de mars, qui comme après-coup fait à son tour événement, fut-il ténu, peut-être d’abord invisible, imperceptible mais ouvrant une faille historique dans l’élaboration de la conflictualité démocratique propre à l’insistance du sujet de liberté révolutionnaire. Il s’agit de l’amnistie du 14 septembre 1791. Un événement de déni. La fin de cette séquence est celle de la radicalité de la conflictualité affirmée par la mort du roi suite à un procès qui exprime l’impossibilité de rejouer l’amnistie après cette séquence.
Une séquence politique comme une faille qui s’ouvre et qu’il n’est plus possible de refermer.
NOTES :
(1) Arthur Rimbaud, Poésies complètes, présenté par Paul Claudel, éditions Gallimard, 1929, réédition le Livre de poche, 1963, p.35.
(2) Michel Vovelle (dir.), Révolution et République, l’exception française, Paris, Kimé, 1994. Actes du colloque tenu en Sorbonne en septembre 1992, publication non exhaustive puisque les communications concernant les républiques sœurs ont été publiées à part dans un numéro spécial des Annales historiques de la Révolution française.
(3) Ce n’est cependant pas le cas dans d’autres disciplines et sous d’autres cieux où la question du républicanisme est devenue un enjeu majeur du renouvellement de la théorie politique. Il est notable alors de constater que cette réflexion comme cette théorie sont présentées comme étrangères à la France. Ainsi la quatrième de couverture de l’ouvrage de Philip Petit (Républicanisme. Une théorie de la liberté et du gouvernement. Paris, Gallimard, 2004) affirme d’entrée de jeu : « le républicanisme n’est pas français » et s’achève en déclarant que « l’Hexagone n’est pas le meilleur héritier de cette tradition ». Si nous sommes d’accord avec cette dernière assertion, l’histoire revisitée de 1792 pourrait permettre de mettre en doute la première.
(4) Roland Barthes, Le degré zéro de l’écriture. L’utopie du langage, Paris, Seuil, 1953 et 1972, pp. 63-64
(5) Ibid.
(6) Restif de la Bretonne, Les nuits de Paris : « Paris le jour, Paris la nuit », introduction de Daniel Baruch, Bouquins, Robert Laffont, p. 1193.
(7) Ibid.
(8) Diderot, Jacques le fataliste, Paris, Le Livre de Poche, présentation de Jacques Proust, 1972, p. 53.
(9) Saint-Just, 26 germinal an II, Œuvres complètes, présentées par Miguel Abensour et Anne Kupiec, Paris, Gallimard, 2004, pp. 742-769.
(10) Lynn Hunt, « Le corps au XVIIIe siècle. Les origines des droits de l’homme », Diogène, n°203, juillet-septembre 2003.
(11) Sur l’histoire des larmes, nous renvoyons à Anne Vincent Buffault, Histoire des larmes, Paris, Rivages, 1986, Petite bibliothèque Payot, 2001.
(12) Saint-Just, 26 germinal an II, Op. cit.
(13) Keith M.Baker, Au tribunal de l’opinion, Paris, Payot, 1993.
(14) Sur ce point, on consultera l'intervention de Roger Chartier dans L’image de la Révolution française, volume IV, en synthèse de l'Atelier Opinion Publique, Paris, Oxford, New York, Pergamon Press, 1990.
(15) Michel Poizat, Vox populi vox dei. Voix et pouvoir, Paris, Métailié, 2001.
(16) C'est-à-dire la fraternité naissante dans les mouvements de promesses de secours réciproques scellés dans des serments entre villages fédérés au printemps 1790.
(17) « En substituant à l'écriture prolixe des savants de village ce tableau d'un peuple silencieux, Michelet invente une solution neuve à l'excès des mots, à la révolution paperassière. Il invente l'art de faire parler les pauvres en les faisant taire, de les faire parler comme muets. La vanité des humbles “acharnés à écrire, à se raconter, à parler des autres” est ici soumise à une opération bien précise : l'historien les fait taire en les rendant visibles », Jacques Rancière, Les mots de l’histoire, Paris, Seuil, 1992, p. 96.
(18) Jacques Rancière, La Mésentente, Politique et philosophie, Paris, Galilée, 1995, p. 59.
(19) Michelet souligne le silence de mort qui accompagne l’entrée du roi, en contraste avec la tradition des joyeuses entrées.
(20) Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l'origine des langues, Chapitre II. pp. 66-67. Il faudrait bien évidemment évoquer également toute la tradition sensualiste du XVIIIe siècle mais ici, Jean-Jacques Rousseau ferraille avec Condillac sur la primauté des gestes ou des voix. C'est l'accent mis par Rousseau sur cette notion de voix, de cri, qui nous l'a fait choisir pour indiquer le contexte théorique de l'émergence d'une langue portant la voix du peuple.
(21) On consultera en particulier le numéro de Raisons pratiques consacré à l'analyse des émotions réalisé sous la direction de Patricia Paperman, La couleur des pensées, sentiments, émotions, intentions, et plus particulièrement les articles suivants : Martha Nussbaum : « Les émotions comme jugement de valeur », Jon Elster : « Rationalité, émotions et normes sociales », Patricia Paperman : « L'absence d'émotion comme offense », 1995.
(22) On consultera Jacques Guilhaumou, L'avènement des porte-parole de la république, 1789-1792, Villeneuve d'Asq, Presses universitaires du Septentrion, 1998.
(23) Lynn Hunt, Le corps au XVIIIème siècle, Op. cit., p. 51.
(24) Paul Friedland, Political Actors: Representative Bodies and Theatricality in the Age of the French Revolution, Ithaca, Cornell University Press, 2002.
(25) Benjamin Constant, Ecrits politiques, édité par Marcel Gauchet, Paris, Le Livre de poche, 1980.
(26) François Hartog, Anciens, Modernes, Sauvages, Paris, Galaade Éditions, 2005, p. 207.
(27) Volney, Leçons d’histoire, Paris, édité par J. Gaulmier, 1980, cité par François Hartog, Anciens, Modernes, Sauvages, Op. cit., p. 47.
(28) Platon, République, IV et Aristote, Politique, I, cités par Jacques Rancière dans La Mésentente, Op. cit.
(29) Jacques Rancière, La Mésentente, Op. cit., pp. 43-44.
(30) Moses I Finley, Démocratie ancienne et démocratie moderne, Paris, Payot, 1976.
(31) Lucien Febvre, « Psychologie et Histoire », dans « La vie mentale », Encyclopédie française, tome VIII, Paris, Société de gestion de l'encyclopédie française, 1938. Cet article a été reproduit dans Combats pour l'histoire, Paris, Armand Colin, 1953.
(32) Jacques Revel, présentation à la réédition de Georges Lefebvre, La Grande Peur, Paris, Armand Colin, 1988.
(33) Nous consultons ce texte de 1921 dans la version parue en français en 1981 sous la direction d’André Bourguignon, Paris, Petite Bibliothèque Payot.
(34) Serge Tchakhotine, Le viol des foules par la propagande politique, Paris, Tel Gallimard, 1952, pp. 315-324.
(35) Conférence donnée par Luc de Heusch le 22 mai 2002, Charisme et royauté, Nanterre, Société d’Ethnologie 2003, p. 22.
(36) Serge Moscovici, L’âge des foules. Un traité historique de psychologie des masses, Bruxelles, Éditions Complexes, 1991.
(37) Luc de Heusch, Charisme et royauté, Op. cit., p. 37.
(38) Dan Sperber, La contagion des idées, Paris, Odile Jacob, 1996.
(39) Luc de Heusch, Charisme et royauté, Op. cit., p. 38.
(40) Sigmund Freud, Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, (nouvelle traduction), 1981, p. 134.
(41) Ibid., p. 135
(42) Ibid., p. 165.
(43) Ibid., p. 178.
(44) Ibid.
(45) Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique », Poésie et Révolution, Paris, Denoël, 1971.
(46) Jacques Rancière, « Esthétique de la politique et poétique du savoir », Espacetemps, n°55-56, pp. 80-87.
(47) Ibid., p. 81.
(48) Ibid.
(49) Jacques Revel, présentation à la réédition de Georges Lefebvre, La Grande Peur, Paris, Armand Colin, 1988, p. 21.
(50) Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne, Paris, Minuit, 1973 ; Les rites d'interaction, Paris, Minuit, 1974 ; Patricia Paperman, « Le fantastique social. Goffman et la sociologie des émotions », Colloque de Cerisy : Lectures de Goffman en France. 1987, « Les émotions et l'espace public », Quaderni, n° 18, Les espaces publics, Paris, automne 1992. On consultera également le numéro de la revue Raisons pratiques consacrée aux émotions, Op. cit.
(51) Georges Lefebvre, « Foules historiques. Les foules révolutionnaires », La Foule, Paris, Centre international de synthèse, 1934, pp. 79-107, repris dans le volume La Grande Peur, présentée par Jacques Revel, Op. cit., p. 245.
(52) Ibid., p. 264.
(53) Ibid., pp. 251-252.
(54) Ibid., p. 254.
(55) Ibid., pp. 262-263.
(56) Ibid., p. 259.
(57) Le travail effectué par E.P. Thompson sur « L'économie morale de la foule anglaise au XVIIIème siècle » remplit ce contrat puisque l'auteur identifie derrière les émeutes sporadiques de la faim la logique d'un système de représentations politiques, et dans la violence l'affirmation de valeurs légitimes. E.P.Thompson, “The Moral Economy of the English Crowd in the 18th Century”, Past and Present, n°50, 1971, pp. 76-136. Alain Corbin propose également un parcours exemplaire lorsqu'il analyse le meurtre commis à Hautefaye, dans une tension entre horreur et rationalité politique. Alain Corbin, Le village des cannibales, Paris, Aubier, 1990. Sur la question des attentes, nous renvoyons à Reinhardt Koselleck, Le futur-passé. Pour une sémantique des temps historiques, Paris, Éditions EHESS, 1990.
(58) Nous prenons ainsi position dans un débat important sur le rôle de la radicalisation des discours comme facteur explicatif de la violence révolutionnaire. Patrice Guéniffey, La Politique de la Terreur, Fayard, 2000 (réédition en poche, 2003).Sans nier le rôle du discursif, nous souhaitons insister sur le rôle des émotions dans le déclenchement de la violence. Certes, les discours jouent un rôle important quant à la gestion des émotions, soit pour les apaiser, soit pour les intensifier. Cette gestion est de notre point de vue au cœur de la question d’une retenue de la violence, même si le contenu doctrinal des discours est radical.
(59) Avec Yannick Bosc, nous avions montré cette conflictualité de projets dans Les voix de la révolution. Projets pour la démocratie, Paris, la Documentation Française, 1990. Chaque chapitre avait été construit pour la mettre en valeur.
(60) Patrice Guéniffey, La politique de la terreur, Op. cit.
(61) L’expression est de Walter Benjamin dans Thèses sur le concept d’histoire. Walter Benjamin, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 2000, volume III.
(62) Antoine De Baecque, Le corps de l’histoire. Métaphores et politique, Paris, Calman-Lévy, 1993.
(63) Tel que Bernard Lepetit nous a appris à le faire, Bernard Lepetit, Les formes de l’expérience, Paris, Albin Michel, 1995, et plus particulièrement son article « Le présent de l’histoire ».
(64) Reinhart Koselleck, Le futur passé. Pour une sémantique des temps historiques, Op. cit..
(65) Selon la métaphore de Chateaubriand analysée par François Hartog. Régimes d’historicité. Présentismes et expérience du temps, Paris, Seuil, 2003.
(66) Albert Mathiez, Les grandes journées de la Constituante, Paris, Les éditions de la passion, 1989, p.12, (1ère édition Librairie Hachette, 1913).
(67) Nicole Loraux, « éloge de l’anachronisme en histoire », Le genre humain, 1993, réédition Clio espace temps, 2005, p. 128.
(68) Nicole Loraux, « éloge de l’anachronisme en histoire », Op. cit., p. 137.
(69) Ibid., p. 138.
(70) Ibid.
(71) J.G.Fichte, Considérations destinées à rectifier les jugements du public sur la Révolution française, (1793), traduction Paris, Payot, 1974, p. 79.
(72) Nous empruntons cette notion de « séquence » à Sylvain Lazarus, Anthropologie du nom, Paris, Seuil, 1998.