Alors pourquoi enfourcher Rossinante encore une fois, bonne vieille bourrique, s’armer de son ordinateur pour abattre quelques moulins à vent, comme si le progrès pouvait changer les choses alors que la bêtise va elle aussi à la vitesse de l’électronique ? Peut-être par habitude, peut-être aussi par secret espoir, que quelques lecteurs, quand même, puis d’autres, et encore d’autres… finiront par propager LA vérité. Plus simplement, parce qu’il faut bien le faire. L’histoire n’existe que dans la réécriture permanente des événements importants du passé. L’historien ne diffère pas de ce point de vue du concertiste qui reprend, une fois de plus, la sonate déjà jouée des milliers de fois et qui la donne pendant quelques minutes devant quelques personnes. Du moins, a-t-il assuré la pérennité de la chaîne du savoir et renforcé le lien social fondé sur la mémoire.

C’est dans cet esprit que les pages suivantes ont été écrites. Elles participent de cet appel au lecteur qui est le propre du livre et de la lecture. A chacun de s’approprier le savoir et de se forger lui-même son idée à partir des morceaux qui lui sont livrés et qu’il pourra découper à sa guise. L’histoire n’est pas autre chose que ce « charcutage » continu, selon les besoins immédiats, de la « chair » laissée par les générations précédentes et que l’ogre historien sert à ses convives. Le cas de la Révolution française est évidemment exceptionnel en France. Il est, qu’on le veuille ou non, le moment clé de l’histoire nationale. Que les idées et les principes, les faits et les personnages soient peu ou mal connus, que nos mœurs et nos politiques se soient éloignées définitivement des horizons ouverts entre 1789 et 1799, est assuré ; reste que nos imaginations sont marquées par des mots, comme les fossiles marquent le couches géologiques, ou mieux comme les routes et les villes de l’antiquité continuent d’orienter nos pas. Le sol a été remanié et les ruines empilées les unes sous les autres, il est pourtant facile de repérer le cardo et le decumanus qui se croisent encore dans les centres de nos principales villes ; celles-ci se sont le plus souvent développées dans les nœuds de communication les plus fréquentés et les identités régionales suivent encore les délimitations des provinces romaines. N’importe quel « radio-trottoir » montrerait que « l’homme de la rue » serait incapable de vérifier ces évidences. L’ignorance n’enlève rien à la permanence du passé. Il serait facile de montrer que l’ignorance même consacre le passé, surtout lorsque celui-ci est fondateur et relève véritablement du sacré. Il s’agit bien de cela à propos de la Révolution française. Rupture éclatante dans les temps historiques, réservoir d’exemples glorieux ou regrettables, source de méditations et réservoir inépuisable de fantasmes, les clichés relatifs à la période sont bien plus vivants que les connaissances scientifiques.

Ce que ces pages veulent faire c’est simplement gratter un peu des palimpsestes, graffitis, colles, recouvrant quelques événements et quelques processus appartenant à la Révolution française, pour raviver des couleurs, inciter à regarder de près ce qui semble si banal qu’on ne le voit qu’à peine. Ensuite chacun pensera ce que bon lui semble.