En revanche, au pays de la Révolution française, il ne vint à l’idée d'aucun professionnel de l’édition d’acquérir les droits de l’ouvrage et d’en publier une version en français. La réaction du milieu éditorial face à ce livre a de quoi surprendre. D’un point de vue commercial, il est fort probable que la conjoncture ne favorisait pas la publication d’un énième essai sur la Révolution : des centaines de livres sur le sujet avaient envahi les présentoirs des libraires au cours des cinq années précédant le bicentenaire et le marché arrivait à saturation. Mais l’ouvrage n’aurait-il pu être présenté comme une mise en perspective historique du « moment historiographique » qui venait d’aboutir au couronnement par la presse de François Furet « Roi du bicentenaire » ? A vrai dire, il aurait fallu de l’audace pour lancer en 1990 le débat qui n’avait pas eu lieu en 1989. Cette audace ne manqua pourtant pas aux éditions Fayard qui publièrent deux ans plus tard la somme consacrée par l’historien américain Steven Kaplan à l’histoire de la commémoration (4). Est-ce à dire que le sort éditorial d’Eric Hobsbawm en France était à l’époque déjà scellé ? (5).

Si les récentes polémiques autour des difficultés rencontrées par Hobsbawm à partir de 1994 pour publier son Age des extrêmes (6) en français et les explications peu convaincantes des grands éditeurs – notamment par la voix de Pierre Nora (7) – ont mis en lumière la véritable crispation de l’édition française face à des pensées ou des travaux ouvertement situés à contre-courant de l’idéologie dominante, elles n’ont fait en réalité qu’éclairer un problème déjà ancien dont le livre qui nous préoccupe aujourd’hui faisait les frais en 1990. Sa publication aujourd’hui indique néanmoins que les choses sont en train de changer.

Ecrit à chaud au cours de l’année 1989, Echoes of the Marseillaise se voulait autant une défense qu’une explication critique de la tradition historiographique jacobine et républicaine de la Révolution française, face aux lectures libérales voire contre-révolutionnaires qui déniaient l’importance et la nécessité des nouvelles idées et des nouveaux droits nés dans la dynamique révolutionnaire ou qui faisaient de 1789 la révolution-mère des totalitarismes du XXe siècle. En octobre 2007, on ne peut que constater l’effacement des perspectives proposées par François Furet. Ses disciples sur le terrain des études révolutionnaires sont plutôt rares et les spécialistes semblent s’accorder sur l’importance de réinvestir le champ du social, abandonné pendant deux décennies au profit de l’étude de la culture politique. Les conditions semblent donc réunies pour entreprendre l’analyse des profondes mutations qui ont marqué les études sur la Révolution française au cours de la deuxième moitié du XXe siècle. Aux armes, historiens qui paraît aujourd’hui constitue assurément un jalon incontournable de cette réflexion complexe.

Notes

(1) Eric J. Hobsbawm, Echoes of the Marseillaise. Two Centuries Look Back on the French Revolution, London, Verso, 1990, 144p.

(2) Echi della Marsigliese : due secoli giudicano la rivoluzione francese, traduzione di Paola Mazzarelli, Milano, Rizzoli, 1991, 182p.

(3) Los ecos de la Marsellesa, traducción castellana de Borja Folch, Barcelona, Crítica, 1992, 174p.

(4) Steven Kaplan, Adieu 89, Paris, Fayard, 1993, 903p.

(5) Sur le sort réservé aux travaux d’Eric Hobsbawm par les éditeurs français, voir les analyses de Philippe Minard, «Eric J. Hobsbawm, un parcours d’historien dans le siècle. Lectures transmanche », in Revue d'Histoire Moderne et Contemporaine, 2006/5, p.5-12, et celles de Christophe Charle, « Images décalées », in Revue d'Histoire Moderne et Contemporaine, 2006/5, p.93-99.

(6) Eric J. Hobsbawm, L’Age des extrêmes. Histoire du court XXe siècle, Bruxelles, Éditions Complexe / Le Monde Diplomatique, 807p. 1999.

(7) Pierre Nora, «Traduire: nécessité et difficultés », Le Débat, n°93, janvier-février 1997. La réponse d’Eric Hobsbawm, « Préface à l’édition française », in L’Age des extrêmes, op.cit, p.7-11. voir également Perry Anderson, La pensée tiède. Un regard critique sur la culture française, suivi de La pensée réchauffée, réponse de Pierre Nora, Paris, Le Seuil, 2005, 137p.