Maignet et l'établissement du gouvernement révolutionnaire Textes
samedi 11 août 2007INSTRUCTION du Représentant du Peuple Français envoyé dans les départements des Bouches du Rhône et du Vaucluse, SUR LE GOUVERNEMENT REVOLUTIONNAIRE
Présentation
Dans une lettre du 19 pluviôse an II (7 février 1794), Maignet rend compte à ses collègues du Comité de Salut Public de ses premières initiatives, une fois installé à Marseille après avoir été nommé à son poste le 9 nivôse (29 décembre 1793), et confirmé par une lettre du 19 nivôse (8 janvier 1794), comme l’indique le relevé minutieux de sa correspondance, que nous avons conservée.
En premier lieu, ne pouvant prendre son poste avant le départ de son prédécesseur Fréron, il s’informe sur la situation :
« En attendant j’ai écouté attentivement tous ceux qui se sont présentés, j’ai cherché à connaître et les hommes et les choses, mais ce que l’on me rapportait était si vague, tout était si contradictoire que pour mieux fixer mes idées, j’ai pris le parti d’écrire à toutes les autorités constituées qui existent dans cette commune ».
Maignet se heurte donc d’emblée à une situation complexe, suite à la mise en échec du fédéralisme jacobin par Fréron, y compris le changement de nom de Marseille, devenue Ville sans nom, qu’il va rétablir en accord avec le Comité de Salut Public. Prenant appui sur les autorités constituées, il lui importe de leur tracer la voie à suivre dans le cadre de la mise en œuvre du gouvernement révolutionnaire, alors que le Comité de Salut Public vient de lui envoyer le décret du 14 frimaire « Sur un mode de gouvernement provisoire et révolutionnaire ».
C’est pourquoi il termine sa lettre du 19 pluviôse par ce qui le préoccupe principalement, l’instauration des conditions de mise en acte du gouvernement révolutionnaire en appui sur une Instruction largement diffusée. Il précise en effet que « Le gouvernement révolutionnaire occupe le surplus des moments que me laisse cette commune ; j’ai fait une instruction sur la loi du 14 frimaire. Je vous en ferai passer des exemplaires aussitôt qu’elle sera imprimée ».
Un tel lien avec les membres du Comité de Salut Public, - et tout particulièrement avec Billaud-Varenne, l’auteur de cette instruction parisienne - prend toute sa signification si l’on constate que, pour sa part, l’Instruction de Maignet se trouve, dans ses papiers conservés aux Archives Nationales (F7 4774/29), sur le dessus d’une liasse d’arrêtés envoyés à Robespierre. Maignet appartient bien au groupe des « montagnards maximalistes » : il en applique le projet dans « une science des localités » qui lui permet de réfléchir conjointement sur les personnes et les choses dans un « état révolutionnaire ».
A ce titre, alors que la mise à l’ordre du jour de la Terreur, par Barras et Fréron, ne constitue pour lui qu’un fait de circonstances, l’établissement du gouvernement révolutionnaire, de son esprit - longuement présenté dans ce document - et de ses institutions - tout aussi présentes en particulier avec les comités de surveillance - constitue une tâche véritablement performative. Ainsi précise-t-il, dans une lettre du 18 pluviôse, « il entre dans mes fonctions de donner au gouvernement révolutionnaire, dans les départements où je suis envoyé, une activité telle qu’elle puisse en abréger la durée et nous ramener le plus vite possible aux douceurs du gouvernement constitutionnel ».
Faut-il alors souligner plus avant l’importance de ce document ? De fait sa lecture vient en appui de notre analyse du « discours en acte » de Maignet qui situe certaines formulations de l’Instruction au centre de son parcours communicationnel. Dans la même perspective actionnelle, l’Instruction constitue un témoignage exceptionnel de l’effort pour mettre en œuvre le décret du 14 frimaire, avec, à la fois, des formulations proches et des développements inédits qui donne à ce texte une dimension prononcée de projet en acte.
Précisons donc seulement, avant sa lecture, que l’Instruction commence par analyser les origines (la lutte des Montagnards contre les Girondins pour parler dans les termes de l’historiographie) du « système de fédéralisme » qui a plongé la France dans « la guerre civile » en 1793. Puis, une fois circonscrit ce qu’il doit en être de l’administrateur vertueux face une telle traîtrise, Maignet détaille la fonction de chaque autorité dans le cadre de « l’état révolutionnaire », du département au comité de surveillance, en passant par le district. Il accorde une importance toute particulières aux comités de surveillance, dont nous avons étudié l'activité par ailleurs, dans la mesure où il leur revient d'examiner l'ensemble de la conduite des citoyens, donc de recevoir et d'examiner les Conduites politiques écrites par les citoyens suspectés (Jacques Guilhaumou).
N. B. En lisant la correspondance de Maignet, il apparaît que cette Instruction n’est pas du 19 nivôse an II, comme il a été imprimé par erreur à la fin du document, mais plutôt du 19 pluviôse an II, comme il a été indiqué, de manière manuscrite, sur la page de garde de ce document composé de 11 pages imprimées, dont 10 numérotées, dans sa version conservée aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône (100 E 27).
Texte
INSTRUCTION du Représentant du Peuple Français envoyé dans les départements des Bouches du Rhône et du Vaucluse, SUR LE GOUVERNEMENT REVOLUTIONNAIRE
LA CONVENTION NATIONALE appelée dans les moments les plus difficiles de la révolution, avait de grands devoirs à remplir ; elle contractait l’obligation de rendre au peuple la liberté toute entière que l’assemblée constituante ne lui avait laissé qu’entrevoir, et de lui donner le gouvernement le plus propre à la lui assurer d’une manière inébranlable : pour y parvenir, elle avait tout à la fois à déjouer les complots des tyrans de l’Europe, tous ligués pour anéantir cette insurrection sublime contre la royauté, à punir les crimes de leurs complices, et à fonder la République.
Cette tâche, quelque délicate qu’elle fût, eut été facile à remplir, si tous les mandataires du peuple eussent été bien pénétrés de leurs devoirs, et résolus à rendre à la Nation Française sa dignité et des droits.
Mais vils adorateurs d’un régime qui présentait à leur ambition une vaste carrière, tourmentés comme des esclaves de la soif de l’or, ne voyant qu’eux et leurs passions, plusieurs de ces mandataires devinrent les défenseurs du tyran, parce que son existence assurait le retour de la monarchie, et avec elle la jouissance de tout ce qu’ils recherchaient avec tant d’avidité.
La guerre civile fut mise par eux à l’ordre du jour, et sans l’énergie de ces députés que l’on ne vous peignait néanmoins qu’avec les couleurs les plus noires, c’en était fait de la souveraineté du peuple ; ceux que la nation avait appelées pour la proclamer la faisaient oublier pour des siècles.
Mais, fidèles à leurs devoirs, ceux-ci jurèrent de périr pour sauver le peuple, et ce serment fut l’arrêt de mort du dernier de nos tyrans.
Cependant l’intrigue continua ses projets : Louis Capet avait subi son supplice, mais la race des rois n’était pas effacée de dessus la surface de la terre ; le but des conspirateurs était rempli, s’ils pouvaient retenir en France la monarchie ; heureusement le peuple l’avait jugée ; instruit à l’école de ses malheurs, et guidé par cette philosophe naturelle à l’homme qui s’est préservé de la corruption, son nom est devenu pour lui une injure.
Les traîtres l’avaient bien compris ; aussi s’attachèrent-ils à rétablir le trône en ne cessant de parler de la République ; c’est avec ce talisman grossi par l’idée des talents et de quelques anciens services rendus pas ceux qui l’employaient, c’est en faisant tourner contre lui les vertus même du peuple, qu’ils allaient à grand pas à la contre-révolution.
Un système de calomnie s’était établi contre les patriotes les plus purs ; il fallait égarer l’opinion publique, ôter la confiance à ceux qui ne devaient s’en servir que pour sauver la liberté, les trésors de la nation s’ouvrirent pour salarier les les monstres qui furent chargé de cette œuvre d’iniquité. Un Ministre que le crime encensa, parce qu’il le protégeait, employa le produit des sueurs du peuple à payer les chaînes qu’il lui préparait.
L’erreur faisait de grand progrès, mais ce fut de l’excès des maux même qu’elle produisit, que sortit le remède.
Dans un état où les hommes sentent vivement le besoin d’être libres, le passage des ténèbres à la lumière est rapide : en quelques jours, l’atmosphère s’éclaircit, la Convention se purge ; l’échafaud reçoit les traîtres qu’il réclamait depuis trop longtemps.
Rendue à toutes ses vertus, l’Assemblée Nationale présente alors une Constitution d’autant plus admirable qu’elle est l’ouvrage de quelques jours, tant ils étaient fortement imprimés dans le cœur des montagnards, les principes qui fondent la liberté des peuples !
Créée pour assurer le bonheur des Français, la douceur des ses lois présentait à tous la même sûreté : la mettre subitement en action, au milieu des crises où nous nous trouvions, c’eut été exposé son enfance à des déchirements qui l’eussent bientôt anéantie. Un code qui s’est fait pour un peuple d’amis, ne doit paraître que quand il n’existe plus de faux frères, qu’on s’est défait de tous les traîtres ; qu’on a enchaîné tous les malveillants qui ont demeuré au sein de la famille, et qu’il n’y a plus qu’une même volonté, un même désir pour le soutenir et le défendre.
Combien était différente notre position lorsque ce ouvrage immortel parut, combien elle l’est encore !
Les traîtres qui avaient siégé au Sénat étaient bien enchaînés, mais ils n’étaient pas punis ; plus l’instant du châtiment approchait, plus leurs complices devaient s’agiter pour les y soustraire : le système du fédéralisme qu’ils avaient voulu mettre en honneur, parce qu’il était le plus sûr moyen d’arriver au royalisme, allait crouler avec eux. George et Pitt, Bruswick et Guillaume, Pie et Catherine, les brigands de la Vendée, et ceux qui entouraient nos frontières perdaient leurs soutiens ; les fers des peuples étaient brisés, si tous ces hommes d’état ne pouvaient plus agiter, au sein de la Convention, leurs torelies incendiaires. Il fallut tout hasarder pour tout conserver ; de là tous ces mouvements qui se firent sentir de Bordeaux à Marseille, de Marseille à Toulon, de Toulon à Caen, et qui venant réagir des frontières dans l’intérieur, embrasèrent Lyon comme le point central qui devait communiquer partout l’incendie : de là les trahisons des généraux qui amenèrent jusque dans nos places fortes les cohortes ennemies, et firent craindre de voir bientôt tomber en leur pouvoir celles qui nous restaient ; de là tous ces mouvements contre-révolutionnaires qui agitent si fortement encore le vaisseau de la République.
Quelle terreur aurait apporté dans l’âme de ces hommes que le crime avait endurcis, les lois bienfaisantes et philanthropiques de la Constitution ! Pour les scélérats qui conspirent contre la patrie, il faut que la mort soit continuellement à l’ordre du jour ; qu’ils soient convaincus que partout l’œil vigilant du patriotisme les suit, que la loi les surveille, et qu’ils ne peuvent échapper au supplice.
Il faut qu’à la sévérité des mesures employées pour arrêter le crime, l’on ajoute la célérité de l’exécution : des formes lentes peuvent convenir dans un état où l’on n’a plus à s’occuper de la liberté civile ; mais elles compromettraient la liberté publique dans un instant où il ne faut voir qu’elle seule, parce qu’elle seule consolide la liberté individuelle.
Quel est donc le patriote qui ne sent pas qu’il doit à sa patrie le sacrifice de ce qui peut le sauver d’une arrestation momentanée, qu’il lui doit même le sacrifice de sa vie, plutôt que de fournir aux traîtres les moyens de conspirer impunément. Pour sauver la Constitution elle-même, il fallait donc la voiler jusqu’au moment où elle ne devait plus rencontrer que des yeux également avides de la voir et de la respecter.
Mais pour franchir ce passage de l’état de guerre où nous nous trouvions à celui de paix que nous voulions amener, il nous fallait une boussole : la Convention vient vous l’offrir.
L’état révolutionnaire a aussi ses règles et ses lois ; elles seules doivent gouverner tant que la crise dure ; leur but est d’amener promptement la fin ; mais pour qu’elles aient ce succès, il faut que tous ceux qui sont appelés à l’administrer soient également propres à ce grand ouvrage ; il faut qu’au civisme, ils joignent l’énergie républicaine ; cette vertu doit signaler tous ceux qui sont employés dans ce gouvernement.
Chaque citoyen exerce sans doute dans un état libre le droit de surveillance… Malheur aux peuples dont les individus regardent comme étrangères les affaires de la République ! Mais, dans une grande nation, il ne peut pas plus administrer qu’il ne peut travailler lui-même à la confection de ses lois ; de même qu’il se nomme des Réprésentants pour les lui proposer, il se choisit des administrateurs à qui il confie l’exécution de celles qu’il a approuvées formellement ou tacitement.
Tous ceux qu’il honore de sa confiance doivent scrupuleusement examiner s’ils n’ont pas été jugés trop favorablement, et s’ils peuvent soutenir le fardeau qu’on leur confie, c’est un acte de vertu, c’est un véritable devoir pour eux de proclamer hautement leur insuffisance, comme c’est un acte de lâcheté, d’incivisme, de se refuser au vœu du peuple, uniquement parce que les circonstances sont difficiles.
Mais, une fois qu’ils ont accepté, ils deviennent comptables à leurs concitoyens, de l’emploi de tous leurs moments ; ils doivent toujours être prêts à apprendre à ceux qui les interrogent, ce qu’ils ont fait dans la journée pour le bonheur public.
Cette obligation, que chaque fonctionnaire contracte personnellement, l’administration entière la contracte aussi ; tous ses membres doivent bien se pénétrer qu’il se forme entre eux une véritable solidarité qui, rendant communs le bien et le mal qui va se faire dans le cours de leur session, doit les porter à se surveiller mutuellement, pour que tous leurs travaux soient sans cesse dirigés vers le bonheur du peuple, et dans le cercle que la loi leur trace.
Celle du 14 frimaire détermine, d’une manière précise, les fonctions qui sont confiées à chaque autorité ; elle trace la ligne que chacun doit parcourir ; elle détermine les relations qui doivent exister entre elles. Toute entreprise des unes sur les autres serait un véritable crime, parce qu’elle entraverait la machine politique, ralentirait son mouvement, et souvent risquerait de le briser.
Chaque administration doit donc commencer par bien connaître les fonctions qui lui sont attribuées ; elle doit continuellement se dire qu’il serait tout aussi dangereux pour la chose publique qu’elle restât en deçà, que si elle allait au-delà de ses devoirs.
Mais elle doit aussi se convaincre que, dans un gouvernement dont l’activité est l’âme, le tâtonnement, enfant de l’ignorance ou de la pusillanimité, en est la mort.
L’œil de l’administrateur doit être exercé ; son jugement doit être sain ; il doit saisir avec vivacité ce qui est de sa compétence et l’exécuter avec promptitude.
Cependant, s’il voyait des difficultés qu’il ne peut vaincre lui-même, qu’il se rappelle que le Représentant du peuple est là pour lever des doutes ; qu’il vienne avec confiance ; mais qu’il se présente promptement ; que cette communication ne fasse qu’imprimer plus de célérité au mouvement révolutionnaire, au lieu de le retarder.
Sous le despotisme, l’on avait regardé comme une institution heureuse l’établissement de grands corps qui, luttant, pour ainsi dire, d’autorité avec le tyran, pouvait présenter aux citoyens un rempart contre l’arbitraire d’un seul homme.
Cette idée de propagea dans l’assemblée constituante, et cela ne doit pas étonner, quand on réfléchit que ces hommes ne faisaient que légaliser le pouvoir royal, et perpétuer les mêmes abus, puisqu’ils en maintenaient la cause ; ils remplacèrent ces colosses qu’ils faisaient disparaître par d’autres autorités tout aussi colossales (les administrations départementales), sans s’inquiéter de l’appui qu’elles pouvaient fournir au trône, si elles venaient à pactiser avec lui.
Une expérience de deux années, pendant lesquelles on a vu une partie de ces autorités sans cesse coalisées pour soutenir ou relever la monarchie, a fait sentir le danger. Celles qui sont demeuré fidèles au peuple ont été les premières à dévoiler le vice de leur institution, elles en ont elles-mêmes demandé la réforme. Il résidait ce vice, d’un côté, dans une trop grande étendue de pouvoirs, de l’autre dans une subordination trop illimitée.
La Convention a divisé, d’une manière plus sage, ces mêmes fonctions ; elle a donné aux administrations les plus rapprochées des citoyens, tout ce qui est relatif aux personnes, parce que, vivant au milieu d'eux, les ayant pour ainsi dire toujours à leur côté, elles peuvent exercer sur eux une surveillance plus active et mieux raisonnée.
Siégant à une trop grande distance des administrés, le mouvement révolutionnaire, que les administrations départementales auraient été chargées d'imprimer, eut perdu de son activité, en raison de l'éloignement du point de départ. Frappé par ceux qui vivent au milieu du peuple, le coup se fait sentir dans toutes les parties de la machine politique; également rapprochées du centre, il les anime toutes dans le même instant. C'est donc avec un sage discernement que la Convention n'a laissé aux départements que des objets qu'ils puissent traiter avec une égale sagacité et le même succès, à quelque distance qu'ils se trouvent, objets qui, souvent même, sont mieux aperçus quand on est dans un certain éloignement des personnes, et que l'on ne voit plus les choses à travers le prisme des considérations individuelles. Ainsi les administrations départementales doivent sans cesse s’occuper de tout ce qui peut honorer l’agriculture, vivifier le commerce, encourager les arts ; de tout ce qui peut soutenir la fortune publique et enrichir le trésor national ; c’est sous ce double intérêt que la répartition des contributions entre les districts, et la surveillance des domaines nationaux, leur a été attribuée.
Borné à ces fonctions, l’administrateur, qui n’a d’autre ambition que de rendre heureux ses concitoyens, trouvera sa tâche encore assez grande, assez difficile à remplir ; celui qui oserait jeter un regard en arrière, pour ne voir, dans cette réforme salutaire, qu’une diminution d’autorité, serait un intrigant dont il faudrait délivrer la société.
Les administrations de district ont acquis, dès ce moment, la surveillance immédiate sur les municipalités et les comités de sûreté, pour toutes les lois révolutionnaires, les mesures de gouvernement et de salut public.
Ces administrations doivent ne perdre jamais de vue, que plus la Nation a cru trouver en elles de facilité pour exercer dans ces moments critiques une surveillance active, plus le compte qu’elles auront à lui rendre deviendra terrible ; ce qui, dans les temps calmes, ne sera regardé que comme une négligence pardonnable, devient aujourd’hui un véritable délit, parce que cette négligence doit compromettre le salut de la patrie. C’est pour ces temps de crise que la roche Tarpeienne doit se trouver à côté su Capitole ; il faut que le fonctionnaire public ait l’un et l’autre sans cesse devant les yeux, afin qu’il veille continuellement.
Pour exercer utilement cette surveillance, les administrateurs de district doivent sans cesse fixer la marche des municipalités et des contre-révolutionnaires. Aperçoivent-elles que le mouvement se ralentit, qu’elles examinent attentivement qu’elles sont les causes de ce retard ? Les ont-elles aperçues qu’elles les dénonceront aux Représentants du peuple, chargés de les faire disparaître ? Pour le simple Citoyen, la dénonciation, dans un état libre, est une vertu ; pour le fonctionnaire public, elle est un devoir rigoureux ; il devient complice du crime quand il connaît le coupable, et qu’il garde le silence.
Qu’elles ne se dissimulent pas que les plus grandes entraves qu’ éprouvées la Révolution sont venues des personnes même que le peuple avait choisies pour les briser. L’intrigant a été un des premiers à prendre le masque du patriotisme ; c’est aux surveillants que la loi s’est choisie, à les montrer à nu ; et à les réunir avec les aristocrates dont ils sont les agents secrets.
L’épuration qui va s’opérer ne doit pas endormir les administrations sur un article aussi important : le règne de l’astuce n’est pas fini, il peut se glisser encore parmi les hommes qui vont être choisis, quelques-uns de ces êtres qui, abusant de leurs talents ou de la crédulité des hommes simples, auront usurpé la confiance publique, et auront préparé de loin le triomphe qu’ils veulent obtenir. Si un pareil malheur arrivait, que les sentinelles de la loi nous signale ces hypocrites, pour que nous en fassions une justice éclatante. Qu’elles se réunissent toutes autour de nous pour ne laisser à la manœuvre que des pilotes également sûrs et intéressés à sauver le vaisseau de la République, qu’elles ne perdent jamais de vue qu’ici leurs propres intérêts, sont ceux de la patrie, que plus le civisme et la probité domineront dans les Municipalités et les comités révolutionnaires, plus leur responsabilité diminuera, parce que ces autorités seront toujours alors à la hauteur des circonstances.
C’est à ces autorités que l’application des lois révolutionnaires et des mesures de sûreté générale a été accordée ; plus la nation leur a donné de marques de confiance, plus elles doivent s’attacher à la justifier. Qu’elles se pénètrent de l’importance de leurs fonctions, qu’elles pèsent les services qu’elles doivent rendre à la République ; et s’il est un de leurs membres qui ose prendre du repos tant qu’il restera quelque chose à faire pour consolider l’édifice de la liberté, qu’il fuit loin du territoire français, il ne mérite pas de vivre parmi des hommes libres !
Magistrats du peuple, les Officiers Municipaux lui doivent l’instruction ; ils l’a lui assurent en lui faisant connaître les lois dans les vingt-quatre heures de leur réception, et en les leur expliquant chaque jour de décade. Eut-il jamais de ministère plus respectable, en fut il jamais de plus utile ! Qu’ils s’attachent à établir partout le culte de la loi, qu’ils le substituent à celui de la superstition, et bientôt la raison faisant partout des progrès rapides amènera la paix et le bonheur.
Enfants du gouvernement révolutionnaire, les comités de surveillance lui doivent tout leurs soins ; ce sont eux principalement qui doivent débarrasser le corps politique de toutes ces humeurs morbifiques qui, pendant si longtemps, l’ont tenu dans cet état de langueur et de consomption qui a fait craindre pour son existence. Que sous leurs mains il reprenne toute sa vigueur ; qu’ils le rendent à la nature, qu’ils le délivrent de tous ces malveillants qui, sous des apparences d’intérêt et de dévouement, ne s’étaient empressés de l’entourer que pour le perdre.
Leur surveillance ne doit pas se borner à ces hommes que la loi met sous la main de la justice, à ceux même qu’elle désigne comme suspects ; ceux là portent avec eux le sceau de la réprobation ; chaque Citoyen a le droit, en les voyant paraître, de les traduire devant leurs juges ou dans les maisons d’arrêt qui les attendent ; il est pour les comités une tâche tout aussi importante, mais bien plus difficile, c’est celle de saisir tous ces hommes qui ont jusqu’ici échappés à la loi, à l’aide de l’obscurité dans laquelle ils se sont enveloppés, ou de l’art avec lequel ils ont su se cacher, sous quelques traits éclatants, mais inutiles pour la République, leurs inclinations contre-révolutionnaires. Remontez pour chacun de ses hommes à l’instant où la révolution parut ; suivez en tous les développements, examinez en les différentes périodes, attachez-vous non pas à celles ou elle a eu du succès, mais à celles où la trahison a failli la renverser : demandez à ces hommes ce que, dans ces instants de péril, ils ont fait pour elle ; gardez-vous bien, pour les juger, de vous en tenir à quelques traits isolés, c’est l’ensemble seul de leur conduite, dans tout le cours de la révolution, qui peut garantir leurs sentiments. S’il est quelques époque où ils aient vu la liberté en péril, et qu’ils aient demeurés tranquilles et froids spectateurs au milieu du déchirement de leur patrie, dites que ces hommes sont des fourbes, que les actes de civisme qu’ils ont fait quelque fois ne sont que des moyens qu’ils ont voulu se ménager pour tromper l’opinion publique et pour se donner un brevet, afin de conspirer plus tranquillement, assurez vous de leurs personnes, que leur détention donne à la République la garantie pleine et entière que leur conduite ne peut lui offrir.
La loi, en établissant entre les municipalités et les comités de surveillance, une concurrence pour les mesures révolutionnaires, leur ouvre une belle carrière. Que ces deux autorités disputent de zèle et de dévouement ! Qu’il s’établisse entre elles une rivalité civique, mais qu’elles évitent avec soin tout ce qui pourrait troubler cette harmonie qui seule peut assurer le succès. Egales e pouvoirs, elles ne doivent en faire usage, que pour donner à la machine politique, plus d’activité, plus d’aplomb.
Et vous, sociétés populaires, vous qui, nées avec la révolution même, en avez été les plus fermes appuis ; vous qui êtes l’œil de la Nation, exercez toujours cette censure salutaire qui a sauvé la chose publique. Arrachez tous les masques ; déjouez tous les projets liberticides qui peuvent se tramer contre notre sainte liberté ; surveillez tout, depuis l’homme, qui siège au sénat, jusqu’au citoyen qui croît échapper à votre vigilance, en s’enveloppant dans l’obscurité. Connaissez votre force, mais n’en faites usage que pour servir toujours la cause du peuple ; soyez les sentinelles de la patrie, et jamais les instruments de l’intrigue ; quand vous verrez parmi vous un hypocrite, que votre premier besoin soit de le chasser ; quand vous apercevez un traître, ne cesser de crier jusqu’à ce qu’il ait tombé sous la hache de la loi.
Magistrats, dans les mains desquels ce glaive a été mis, que votre aspect seul devienne l’effroi de celui qui médite la ruine de la patrie ; mais qu’il réjouisse, qu’il console le malheureux patriote que la calomnie poursuivrait. Soyez implacables, mais soyez toujours justes. Ne vous reposez que quand le dernier des conspirateurs sera tombé, et que vous aurez embrassé le dernier opprimé. Rappelez vous que vous assassinez la liberté, soit que vous relâchiez celui qui a voulu la perdre, soit que vous condamniez celui qui ne vivait que pour la défendre.
Agents nationaux, la lampe du fonctionnaire public doit s’éteindre la dernière, mais la vôtre doit toujours brûler ; vous tenez les premiers anneaux de cette chaîne dont les derniers viennent aboutir à la Convention ; prenez garde d’en briser le plus petit lien, vous désorganisez tout. Vous ne vous garantirez de ce malheur qu’en marchant tous d’un même pas. Vos fonctions sont sublimes, mais difficiles. C’est à vous surtout que s’applique cette vérité terrible, dont la tribune nationale a retentit : le jour où le gouvernement révolutionnaire tombera dans des mains impures ou perfides, la liberté sera perdue.
Le choix du peuple vous honore ; la confirmation que votre conduite civique vous fera accorder sera sans doute le titre le plus flatteur que vous pourrez obtenir. Mais voyez toujours à côté de la gloire qui vous est réservée, la responsabilité qui pèse sur vos têtes. Cependant, rappelez vous que la responsabilité n’est un objet de terreur que pour le mal attentionné, ou l’homme faible, ni l’un ni l’autre ne conviennent au poste que vous occupez. Voyez à côté de la vôtre, celle qui est imposée à nos Représentants ; et quand elle fait qu’enflammer leur zèle, comment le vôtre pourrait-il s’attiédir ?
Citoyens de tous les départements, ne formez qu’un même faisceau ; vous n’avez pas trop de toutes vos forces pour déjouer les complots de l’aristocratie : pourquoi donc, Patriotes des départements des Bouches-du-Rhône et du Vaucluse, vous enlever une partie des vôtres, pour les employer à vous déchirer vous-mêmes. Laissons aux états monarchiques les haines et les discordes ; le despotisme ne pouvait se soutenir qu’au milieu d’elles. Les attiser pour les rendre éternelles, tel est l’art des despotes, c’était le seul moyen de détourner les yeux de dessus de lui, ou de rendre nuls les efforts qu’on aurait voulu faire pour briser ses chaînes, mais une République ne jouit que dans l’union de ses membres.
Le Représentant du peuple envoyé dans le Département des Bouches-du-Rhône et du Vaucluse Ordonne que la présente Instruction sera imprimée, lue et affichée dans l’étendue des deux Départements, et qu’à cet effet, elle sera envoyé au Commandant de la Place pour ce qui concerne cette Commune et aux Agents nationaux des districts chargés de la transmettre à toutes les Municipalités.
Fait le 19 nivôse /raturé et écrit à la main au-dessus : pluviôse/, seconde année de la République française, une et indivisible.