On peut s’interroger sur le choix de ce document qui place le 20 juin comme l'évènement majeur de ce mois de l’année 1789. En effet, les 17 et 23 juin ne sont documentés dans aucun manuel. Toutefois, l’enseignement des évènements révolutionnaires ne pouvant être exhaustif, le choix du 20 juin ne choque pas. L’imminence temporelle et substantielle de ces trois serments et décrets ne pose pas de problème dans le traitement de cette « révolution juridique »(3). L'historiographie elle-même les associe. Selon Timothy Tackett, le serment du 20 juin par l'Assemblée nationale, en dehors des circonstances liées à l'évènement, prolonge en le complétant juridiquement celui du 17, permettant la proclamation par l'Assemblée de « son ultime souveraineté »(4) ; le 23 juin étant l'aboutissement des deux premiers décrets, où le roi et les derniers députés réticents des ordres privilégiés cèdent devant la volonté du tiers. Philippe Bordes dans son ouvrage Le Serment du Jeu de Paume de Jacques-Louis David, spécifie que les peintres contemporains de la révolution préfèrent, dans un premier temps, dessiner le serment du 17 juin et non celui du 20 juin ; ils sont orientés par des choix politiques, notamment celui de Romme, qui retient la date du 17 juin pour commémorer le premier anniversaire de la révolution. D’après Philippe Bordes « le « culte » du Jeu de Paume ne se développe qu’au cours de l’hiver 1789-1790 ; la raison et la loi consacrent immédiatement la journée du 17 juin, mais en moins d’un an, le cœur et la légende font triompher le serment du 20 juin. »(5) Ainsi, le serment du 20 est caractérisé par l’engouement et la ferveur que l’on n’accorde pas à celui du 17. En effet, celui-ci n’a pas le caractère d’immédiateté et de spontanéité qui fait la particularité du serment du Jeu de Paume. Il est l’aboutissement de longues séances de débats au sein du tiers depuis le 10 sur les procédures concernant la nature de la future Assemblée ; le 17 achevant une discussion de deux jours sur le seul nom à lui donner.(6) Il est difficile de représenter ce long processus, d’autant plus que le serment prononcé jour-là là ne fait pas l’unanimité.(7) Il apparaît donc que les serments des 17 et 23 juin pêchent par l’absence de document aussi spectaculaire, vivant et symbolique que cette interprétation du 20 juin par David. Cependant, suivant les manuels, on trouve des reproductions différentes du Serment du Jeu de Paume. Rares sont ceux qui laissent place au tableau entier. La plupart d’entre eux le présentent avec des suppressions dans la composition. (8)

Jeu de Paume manuel 4e Bordas

Manuel d'histoire-géographie 4è, Bordas, 2006, p.65.

En effet, plusieurs ont amputé le haut du tableau avec les deux espaces à droite et à gauche où était placé le peuple. De même, le côté droit est souvent absent. Si on peut aisément concevoir des impératifs de mise en pages, il n’en demeure pas moins qu’une reproduction incomplète peut être à l’origine de mauvaises interprétations, voire d’une partialité dans le traitement et la compréhension de l’événement.

Philippe Bordes livre une interprétation du tableau basée sur les carnets du peintre. On constate que chaque partie confère à l’ensemble une interprétation plus complexe que le seul serment fait par les députés. Les parties périphériques du tableau sont aussi importantes que la scène centrale. Ainsi, la présence de la foule dans la travée à gauche et aux fenêtres n’a rien d’anodin. La suppression de ces parties ôte un caractère essentiel à l’événement, celui de l’assentiment populaire d’un peuple qui par sa présence « transmet l’esprit du serment à la nation entière »(9) et dont le futur est représenté par des enfants détail serment du jeu de paume enfants ceux-la même qui « jouiront des fruits de la révolution. »(10). La foule a donc un rôle de témoin, mais aussi de vecteur de l’évènement révolutionnaire. Ce deuxième serment de la révolution, après celui du 17 juin, marque un nouveau type de souveraineté qui perd de son essence par l’absence du peuple dans la reproduction ; ce peuple symboliquement représenté dans une position dominante à celle de ces mandataires. La suppression de ces parties ne permet également pas d’appréhender le rôle du peuple en tant qu’entité actrice. Les députés qui cherchent une salle pour se réunir après la fermeture de celle des Menus-Plaisirs sur ordre du roi, sont accompagnés d’une foule nombreuse qui s’introduit avec eux dans la salle du Jeu de Paume et que l’on retrouve dessinée par David. La présence populaire auprès des députés est bien figurée dans la partie gauche du tableau : une travée emplie de la foule enthousiaste.

Serment du Jeu de Paume detail fenetre

D’autres suppressions dérangent encore comme celle de la fenêtre en haut à gauche où vole un rideau et éclate l’orage, qui effraie les spectateurs ; ici transparaît le danger de la menace royale (11). Cette interprétation est, certes postérieure à l'évènement, mais permet de le contextualiser au regard des éléments que les députés ne découvriront que le 23 juin. L’omission de cette partie ne permet pas donc de replacer l’évènement dans le contexte tendu entre le roi et l’Assemblée autoproclamée depuis le 17 juin. De même, la suppression du côté droit de l’œuvre ne prend pas en compte le seul député réfractaire au serment, Martin d'Auch. Serment du Jeu de Paume detail Martin d'Auch Même s'il semble exclu de l'action, il se trouve pourtant au premier plan. Pour David, les hommes font l’évènement et dans la composition picturale, les figures importantes doivent être placées au premier plan.(12) La présence de Martin Dauch relève donc d’une volonté du peintre de le mettre en exergue. Selon Jean Starobinski, cette représentation de ce député n'a rien de réprobateur, mais plutôt « accentue la référence à la conscience individuelle ; le grand élan collectif est d'abord la décision de chaque volonté particulière »(13) C'est aussi ce qui ressort de l'étude de Timothy Tackett qui montre bien, que les députés tout en représentant la Nation, agissent individuellement. La présence d'une dissonance à côté de l'union des individualités montre que les évènements révolutionnaires en cours sont loin d'être consensuels, preuve en est l'absence de la noblesse et de la majorité du clergé. Supprimer arbitrairement cette partie du tableau empêche de faire la liaison nécessaire avec l'étude préalable de l'esprit de tolérance des Lumières, qui est également mise en scène par l'accolade du prêtre Grégoire au centre, du protestant Rabaut Saint-Etienne à droite et du moine Dom Gerle à gauche. Un tel traitement iconographique du document risque aussi d’évacuer la complexité de la période révolutionnaire. Ainsi, les reproductions partielles du tableau de David donnent aux enseignants non spécialistes de la période révolutionnaire et donc à leurs élèves, une lecture non problématisée et peu rigoureuse du document, et donc une vision tronquée de l'évènement.

Dans le cadre de l’étude des évènements de juin 1789, il conviendrait également de réfléchir sur l'absence quasi systématique de documents écrits (Mémoires ou journaux). Mais aussi envisager une réflexion plus globale sur l'analyse des documents, quelle que soit leur nature, dans le cadre d'un cours d'histoire du secondaire. En effet, le traitement partiel d'un document remet en cause la rigueur scientifique propre à l’étude historique, qui doit normalement aboutir à la problématisation, mais qui finalement laisse place à une juxtaposition d'évènements simplifiés.

NOTES :

(1) Programmes et Accompagnement – Histoire Géographie Education civique, Enseigner au collège, CNDP, 2001. Voir l’article de Marc Deleplace sur ce même site en juin 2006.

(2) Op. cit., p.84. Cette première phase serait suivie « de la tentative d’une monarchie constitutionnelle (1790-1792) qui échoue avec la chute de la monarchie et la proclamation de la République, un troisième temps (1793-1794), celui d’une République menacée qui adopte des mesures d’exception et met en place la Terreur, puis (1794-1799), la recherche d’une stabilisation et les dérives de la guerre, et enfin (1799-1815) le Consulat et l’Empire. »

(3) Albert Soboul, La révolution française , Paris, 1984.

(4) Timothy Tackett, Par la volonté du peuple -Comment les députés sont devenus révolutionnaires, Albin Michel, Paris, 1997, p.147.

(5) Philippe Bordes, Le Serment du jeu de Paume de Jacques-Louis David, Musée national du Château de Versailles, éditions de la Réunion des musées nationaux, Paris, 1983, p.36.

(6) Timothy Tackett, op.cit., pp.139-140.

(7) Op. cit., p.141.

(8) Manuels d’histoire géographie 4è des éditions Magnard, Nathan, Belin et Bordas, 2006. Seul le manuel Hatier ,2006, le reproduit en entier.

(9) Timothy Tackett, op.cit., p.65.

(10) D’après les Carnets de Versailles de David, figures 65r, repris in Philippe Bordes, op.cit., p.62.

(11) Philippe Bordes, op.cit., p.60.

(12) op.cit., p.42.

(13) Jean Starobinski, 1789. Les emblèmes de la raison, Paris, 1973. Repris par Philippe Bordes, op.cit, p.59.

Sandrine Bouché, "Le Serment du Jeu de Paume dans les manuels de quatrième", Révolution Française.net, Enseignement, mis en ligne le 25 mars 2007, http://revolution-francaise.net/2007/03/25/92-le-serment-du-jeu-de-paume-dans-les-manuels-de-quatrieme.