Ainsi Mably et Rousseau ont été sollicités par les confédérés de Bar en 1770-1771 pour faire des propositions de réformes destinées à sauver la Pologne menacée de dislocation, mais les deux textes célèbres de Mably et de Rousseau ne sont pas isolés. Ils s’insèrent dans un débat beaucoup plus large qui commence au début des années 1760 et s’achève (provisoirement) vers 1780 et qui fait de l’histoire de la Pologne un élément de l’élaboration de la pensée politique des Lumières. A une moindre échelle, les événements de Pologne jouent un rôle presque équivalent à ceux qui agitent les colonies anglaises en Amérique du Nord dans les mêmes années : ils permettent la cristallisation d’un débat autour de l’idée républicaine (2).

Mon intervention d’aujourd’hui est issue d’une recherche en cours sur le rôle de ce modèle polonais dans la pensée politique des Lumières en France, grosso modo entre 1760 et les années 1780. Dans mes lectures, je me suis rendu compte à quel point que la Pologne n’était pas seulement connue en France ou en Angleterre par son implication dans les conflits militaires de la période, mais aussi comme modèle ou comme contre-modèle républicain. C’est cet aspect que je voudrais évoquer ici. Cette présentation est évidemment générale et incomplète dans la mesure où cette recherche n’est pas achevée. J’indique ici quelques pistes de réflexion et quelques éléments d’une problématique qu’il s’agit d’affiner et de développer. Je me contenterai de vous indiquer les grandes lignes de la manière dont la République polonaise est pensée et intégrée comme modèle ou contre-modèle politique républicain par les philosophes des Lumières et comment les thèmes du débat sur la République polonaise s’articulent avec une critique du républicanisme aristocratique, mais aussi parfois du républicanisme démocratique.

La Pologne comme objet du débat politique dans la France des Lumières

Qu’est-ce que l’opinion éclairée en France connaît de la Reszpospolita et des événements qui s’y déroule ?

Si l’on met à part les quelques individus bénéficiant d’une documentation ou de témoignages exceptionnels, comme c’est le cas de Mably, Rousseau ou Rulhière, les Français des années 1760-1780 n’ont que peu de sources à leur disposition pour se faire une idée sur la République polonaise et de ses « révolutions ». La Pologne n’est pas une étape obligée du Grand Tour et seuls quelques voyageurs téméraires ou particulièrement intéressés se risquent à Varsovie ou au-delà (3). Ce sont ces quelques récits de voyage qui forment la base de ce qu’un quidam éclairé peut connaître. A ces récits s’ajoutent des livres d’histoire relatant celle de la République, de l’élection de ses rois, de son rôle dans la lutte contre les Turcs ou celle de l’éphémère royauté d’Henri d’Anjou à Varsovie. Il semble que l’ouvrage historique le plus lu et le plus influent ait été l’Histoire de Jean Sobieski publié par l’abbé Coyer en 1761. Quelques ouvrages politiques font allusion aux institutions polonaises, c’est le cas de L’Esprit des Lois ou de l’Encyclopédie, mais surtout de la Libre voix du citoyen paru en 1749 et écrit par le beau-père de Louis XV, Stanislas Leczynski (4). Enfin, les gazettes donnent régulièrement des nouvelles de Varsovie et racontent le déroulement mouvementé des diètes et les conflits permanents entre la Prusse, la Russie, l’Autriche et la Pologne.

Jusque dans les années 1760, l’intérêt pour la Pologne relève plutôt de la recherche d’un « ailleurs », européen mais suffisamment lointain pour être exotique. Les liens politiques entre la France et la Pologne sont pourtant anciens : les tentatives pour faire élire un Français sur le trône ont été nombreuses et la Pologne joue depuis longtemps le rôle d’un « allié naturel » avec la Suède et la Porte dans le système d’alliances de revers contre les Habsbourg. La reine de France est elle-même polonaise, la cour polonaise de Lorraine a exercé une certaine influence culturelle : Montesquieu, Fontenelle ont été membres de l’Académie de Lunéville. La noblesse polonaise est elle-même très francophile.

Avec les philosophes des Lumières de la génération encyclopédique et surtout après 1763 et la crise ouverte par la mort du dernier roi saxon Auguste III, la Pologne devient l’objet d’un débat politique spécifique centré sur le problème des institutions de la République. Montesquieu l’avait déjà utilisé dans sa typologie des régimes politiques, Jaucourt lui consacre un article dans l’Encyclopédie inspiré par l’abbé Coyer et largement repris par la suite dans les dictionnaires (5), l’abbé Baudeau et Dupont de Nemours se rendent en Pologne et suscitent l’intérêt de l’ensemble de l’école physiocratique, Voltaire et Grimm écrivent pour soutenir la Prusse et la Russie, Mably et Rousseau font connaître leurs propositions dans des projets de réforme et des réflexions sur les lois polonaises adressés à la confédération de Bar. Mais ne sont là que les textes les plus connus, car il en existe beaucoup d’autres, ceux des voyageurs notamment : le chevalier Pyrrhis de Varille, Caraccioli, l’abbé Joubert, Bernardin de Saint-Pierre, Rulhière, mais aussi les militaires qui ont servi en Pologne, etc. (6) Les monarques impliqués écrivent eux aussi : Frédéric II, Catherine II, Stanislas-Auguste Poniatowski publient ou font publier des mémoires justificatifs. La Pologne figure aussi dans les lettres et l’imaginaire littéraire. Marat écrit Les Aventures du jeune comte Potowski. Louvet situe en Pologne l’un des épisodes les plus célèbres de son roman à succès Les Aventures du comte de Faublas. Sa popularité est telle que Cherubini fera un peu plus tard un opéra des tribulations de Lodoiska, une des héroïnes de Louvet.

A tous ces commentateurs, la Pologne apparaît comme le pays comme le pays des contrastes marqués, des contradictions, celui de la juxtaposition du modernisme et de l’archaïsme, des Lumières et du "gothique", de la liberté et de la servitude. Un seul exemple seulement, mais ils pourraient être multipliés tant le topos de la Pologne comme pays du paradoxe est omniprésent dans les écrits des Lumières. Ainsi, Linguet écrit en 1774 :

« Je ne crois pas qu’il y ait de pays qui réunisse tout à la fois tant de contraste dans le physique et le moral que la Pologne. La dignité royale avec le nom de République, le faste du trône avec l’impuissance de se faire obéir ; le luxe le plus grand avec l’indigence la plus grande ; l’amour outré de la liberté avec les manières rampantes des courtisans ; des lois avec l’anarchie féodale ; la liberté avec l’esclavage ; la fertilité de la terre avec la pauvreté de l’habitant ; du goût pour les arts et pas un art utile et agréable ; les fonctions de magistrature réunies à celle de la guerre ; de braves officiers, pas un chef ; des soldats, point de discipline (7). »

Face à cette litanie de paradoxes, les philosophes tentent d’en expliquer les causes et les mécanismes. Le caractère extrême des contradictions sociales et politiques dans lesquelles se débat la Pologne en fait une sorte de défi pour la pensée rationnelle. Les remarques des voyageurs, des commentateurs, des philosophes ont pour but de rationaliser ce chaos, de rétablir un ordre éclairé, d’où des propositions de réformes sociales, politiques, économiques, diplomatiques et militaires qui font de la littérature consacrée à la Pologne un laboratoire des projets de transformations socio-politiques des Lumières.

Plusieurs grands thèmes peuvent être distingués dans cette production, mais je ne traiterai aujourd’hui ici que celui des institutions républicaines polonaises.

Tout d’abord quelques mots indispensables pour rappeler les grandes lignes du fonctionnement de la République polonaise et du contexte diplomatique des années 1760-1772.

La Pologne est au XVIIIe siècle une république nobiliaire dotée d’un roi élu. Seuls les nobles jouissent de droits politiques. Environ 8 % de la population est noble dont une très large partie est non-propriétaire. Le reste de la population est composée principalement de serfs, de paysans attachés à la terre et sans droits. Quelques villes qui ne regroupent pas plus de 6 à 7 % de la population rassemblent également un embryon de bourgeoisie et des minorités germanophones et juives. Cette population connaît une diversité religieuse marquée avec environ une grosse moitié de catholiques, mais aussi 30 % d’uniates, des groupes de luthériens, d’orthodoxes et de juifs.

L’ensemble des privilèges sociaux et politiques nobiliaires constituent ce qu’ils appellent la « liberté dorée » Les nobles possèdent le droit d’élire le roi et celui de « libre parole ». Cette liberté dorée est théorisée en une conception globale de la République : le sarmatisme. Comme dans toute l’Europe à la même époque, les recherches historiques aboutissent à l’assimilation des peuples contemporains à des ancêtres mythiques. La szlachta est censée descendre des Sarmates, peuple libre et jamais vaincu par les Romains. L’esprit de liberté et d’indépendance absolue caractérise les Sarmates et donc la noblesse polonaise. L’idéologie républicaine « sarmatiste » devient dominante en Pologne aux alentours de 1600 et éclipse toutes les autres vers 1700 (8). Les sources en sont très diverses : républicanisme antique (Tite-Live, Cicéron, Tacite surtout et Salluste), imitation du modèle vénitien et jurisprudence locale.

Le gouvernement polonais est compris comme la forme idéale du gouvernement mixte, avec ses trois éléments : monarchique, aristocratique et démocratique. La conviction que la Pologne et Venise — en tant « qu’États libres » héritiers de la liberté républicaine romaine — sont les deux seules véritables républiques en Europe est largement partagée. Quelles que soient ses erreurs, la liberté de la Pologne est infiniment supérieure au despotisme de ces grandes monarchies. C’est la liberté qui distingue la Pologne des autres états : une liberté « négative » fondée sur les privilèges judiciaires, mais surtout une liberté « positive » permettant la participation égalitaire et directe aux affaires de la République. La condition de la préservation de la liberté est la vertu de la noblesse et le maintien en l’état des institutions parfaites de la République. L’antiquité supposée de sa constitution la distingue, prouve son excellence et la préserve de la corruption. C’est l’équilibre de la « majesté » (c’est-à-dire du pouvoir royal) et de la « liberté » (c’est-à-dire de la « démocratie nobiliaire ») qui garantit le maintien de la République. Or les rois sont toujours les ennemis naturels de la liberté et tendent perpétuellement à l’usurpation, c’est pourquoi il faut soigneusement les empêcher de nuire en multipliant les limites à leur pouvoir. La vertu des individus étant la condition de l’équilibre entre majesté et liberté, c’est l’absence de vertu qui est la cause des malheurs de la Pologne et non les institutions. La majorité de la noblesse ne souhaite donc qu’une seule chose : que ses privilèges et les formes de la liberté politique restent inchangés. Pour cela, il faut que le liberum veto défende la souveraineté des individus, que l’équilibre européen garantisse l’existence de la République et que Dieu reste du côté de la szlachta. La République étant l’incarnation d’un ensemble particulier de privilèges, elle ne peut subsister et se défendre qu’en refusant qu’on y touche de quelque manière que ce soit. Seuls deux dangers menacent cette liberté : les atteintes à la libre parole de la part de la majesté et le pouvoir des magnats sur la petite noblesse (9).

Les privilèges de la petite noblesse sont donc ressentis comme nécessaires pour contrer le pouvoir des magnats sur les nobles moins fortunés. Ce sont des privilèges "défensifs" de la "démocratie" nobiliaire. En théorie, le plus pauvre des nobles était constitutionnellement protégé contre les entreprises des plus puissants que lui. Le mythe de l’égalité nobiliaire est absolument central dans l’idéologie sarmatiste. C’est elle qui crée la cohésion de la noblesse face aux autres groupes sociaux.

Les trois états de la République sont le roi, la sénat et la diète. Les pouvoirs du roi sont soigneusement définis et étroitement limités par les pacta conventa, un ensemble coutumier que le roi doit promettre de respecter à son avènement. Le roi est particulièrement surveillé dans son « pouvoir distributif » puisqu’il nomme à une très grande partie des fonctions administratives et honorifiques de la République. Le Sénat est composé des membres des grandes familles, celles des magnats. La diète est le véritable souverain, elle est convoquée pour six semaines tous les deux ans. Elle peut-être rompue par le fameux liberum veto qui est censé empêcher tout usurpation royale. Les confédérations permettent néanmoins de le contourner. Ce sont des unions nobiliaires destinées à protéger la république d’un péril, extérieur ou intérieur. Elles sont pensées comme une forme légale et légitime de la résistance à l’oppression d’une partie de la noblesse, par l’étranger ou par la « majesté ». Les décisions s’y prennent à la majorité (en fait, elles sont soumises aux maréchaux et aux principaux magnats qui en sont à l’origine) et ne sont pas soumises au veto. La paralysie des diètes entraîne le transfert des tâches effectives de gouvernement aux diétines qui sont les assemblées locales de la noblesse dans les palatinats. Les castellanies et les starosties sont des subdivisions des palatinats.

Au XVIIIe siècle, la crise politique s’accentue en Pologne. Elle subit de plus en plus l’intervention des puissances voisines ambitieuses et en particulier de la Prusse et de la Russie. A la mort d’Auguste III, le dernier roi saxon, en 1763, cette crise connaît une brusque accélération. Stanislas Auguste Poniatowski est élu avec le soutien des Russes et de la puissante famille des Czartorysky qui entend réformer les institutions. Les puissances voisines réagissent à ces velléités réformatrices en 1768 en imposant le statu quo et en satellisant définitivement la Pologne. Une confédération « patriote » contre l’usurpation russe se crée à Bar en février 1768, soutenue par la France et bientôt par la Turquie qui déclenche une guerre générale qui se termine par la défaite de la Turquie, la fin de la confédération de Bar et la catastrophe du premier partage en 1772.

Quelle République ?

La question de la place de la Pologne dans la typologie des régimes politiques est centrale dans le débat français autour du républicanisme. La république « nobiliaire » est-elle une « vraie » république ? Constitue-t-elle un modèle ou une bizarrerie, une survivance d’un état de choses ancien ? Quelle est la nature sociale de la République : peut-elle coexister avec la servitude à l’image des républiques de l’Antiquité ? La liberté républicaine peut-elle ne pas devenir licence ? Une République peut-elle ne pas dégénérer en « anarchie » ? Une démocratie, même limitée à une élite nobiliaire, peut-elle subsister dans l’Europe des rois et des princes ? La monarchie n’est-elle pas le régime « moderne » par excellence ? Voilà quelques-unes des questions posées par cette réflexion.

République ? Monarchie ? Aristocratie ? Démocratie ? Anarchie ? Tous ces termes sont employés pour caractériser la Reszpospolita. Ce qui frappe le plus les contemporains, c’est le fait qu’elle échappe aux catégories tranchées et aux formes des régimes politiques occidentaux. On retrouve ici le topos de la contradiction et du paradoxe appliquée au registre politique. Là où les républicains sarmates voient la matérialisation de l’idéal du gouvernement mixte dans le mélange de tous ces éléments, les philosophes des Lumières voient plutôt une confusion, source de faiblesse et de troubles. Au lieu de cumuler les avantages de tous les régimes, la Pologne présente, comme l’écrit le Marquis d’Argenson, « tous les inconvénients de l’aristocratie et de la multitude » (10). Stanislas Leczynski use d’une formule proche en mettant en valeur l’opposition entre élément monarchique et élément démocratique : « L’État est monarchique car nous avons un roi, l’État est démocratique puisque le Sénat et l’ordre équestre le gouvernent indépendamment du roi ; or rien n’est plus opposé à la monarchie qu’une souveraineté qui réside dans le peuple, où, pour mieux dire, cette union si peu sortable est un assemblage monstrueux. » La survivance des diètes, des élections, des confédérations est analysée à la fois comme un reste de l’antique liberté de la République et un réservoir de vertus perdues ailleurs, mais aussi comme l’indice d’un retard, d’un conservatisme, d’une barbarie « gothique ».

La quasi-totalité des documents ne voit pas dans la Pologne une monarchie malgré le mot de royaume qui lui est accolé. On trouve également très peu de textes contenant un jugement de valeur déniant à la Pologne le titre même de République. La presque totalité des commentateurs ne considèrent pas que son caractère nobiliaire est contradictoire avec cette désignation. Seul l’abbé Raynal est dans ce cas : il écrit que la constitution polonaise « qui s’honore du nom de république » le profane en réalité, car elle n’est qu’une ligue de petits tyrans contre le peuple (11). Les Républiques de Venise ou de Gênes étaient pourtant également des aristocraties, mais leur image était beaucoup moins négative. Rappelons que les républiques aristocratiques étaient très présentes dans l’Europe du XVIIIe siècle, même s’il s’agissait le plus souvent d’États peu importants dans la « balance de l’Europe » : outre Venise et Gênes, Lucques, San Marin, Raguse, Berne, Fribourg, Soleure, Lucerne, Zurich, Schaffhausen, Mulhouse, St Gall, Genève, et dans une certaine mesure, les Provinces-Unies étaient également des républiques aristocratiques.

Dans sa typologie des régimes politiques, Montesquieu utilise peu la référence polonaise (12). La République aristocratique par excellence est Venise et non la Reszpospolita (13). Mais la critique des institutions polonaises peut se lire en négatif dans sa description de la république aristocratique idéale. Ainsi, il écrit : « Lorsque les nobles sont en grand nombre, il faut un sénat qui règle les affaires que le corps des nobles ne saurait décider, et qui prépare celles dont il décide. Dans ce cas, on peut dire que l’aristocratie en quelque sorte dans le sénat, la démocratie dans le corps des nobles ; et que le peuple n’est rien (14). » Cette considération pourrait s’appliquer à la Pologne, mais plus loin il ajoute : « Plus une aristocratie s’approchera de la démocratie, plus elle sera parfaite ; et elle le deviendra moins à mesure qu’elle s’approchera de la monarchie. La plus imparfaite de toutes est celle où la partie du peuple qui obéit est dans l’esclavage civil de celle qui commande, comme l’aristocratie de Pologne, où les paysans sont esclaves de la noblesse (15). » La vertu est nécessaire dans une république aristocratique, mais elle n’a pas le même sens que dans une république démocratique. Pour Montesquieu, l’aristocratie est corrompue quand le pouvoir des nobles est arbitraire. Le mot-clé du fonctionnement d’une république aristocratique est la modération, elle en est « l’âme ». Comme la vertu des Républiques aristocratiques ne peut-être l’amour de l’égalité et de la frugalité, la « modération » — qui en est une forme différente — joue ce rôle. Il est donc absolument nécessaire d’adopter une législation somptuaire stricte imposant l’égalité entre les membres de l’aristocratie. La République polonaise est de ce point de vue un contre-modèle de la république aristocratique, car au lieu d’imposer les règles de la « modération » à l’aristocratie comme elles le devraient, les lois de Pologne ont pour objet « l’indépendance de chaque particulier » et ce qui en résulte est « l’oppression de tous » (16).

Par ailleurs, la « modération » qui est une manière de cacher aux yeux du peuple la prééminence de la noblesse, doit être imposée à l’aristocratie par une magistrature tyrannique (Montesquieu pense à l’Inquisition vénitienne) (17). Une telle institution est absente en Pologne, d’où des comportements individuels rien moins que « modérés » dans les diètes, provoquant l’anarchie dans les délibérations et la République. Pour Montesquieu, le comportement de la noblesse dans les Républiques aristocratiques doit être très différent de celui des noblesses dans les monarchies. L’ostentation, l’esprit courtisan, l’exaltation de l’honneur personnel et familial doit laisser la place à des passions civiques. C’est la modestie des manières qui fait la force des gouvernements aristocratiques. Le but est de donner une impression de faible distance entre les aristocrates et le peuple. Là encore, la Pologne est singulièrement éloignée de ce modèle. Pour maintenir une République aristocratique stable, il faut que l’aristocratie s’autocontrôle et limite les comportements donnant à voir la prééminence (18). De même, pour qu’une aristocratie se maintienne, il faut qu’elle n’empiète pas sur les prérogatives de la bourgeoisie et notamment sur le commerce. Or là encore, la Pologne fait figure de contre-modèle puisque la noblesse est, non seulement marchande, mais elle possède de larges monopoles. L’interdiction du commerce à l’aristocratie doit permettre selon Montesquieu d’éviter la concentration dans les mêmes mains de toute la richesse de la république. Les républiques aristocratiques doivent donc promouvoir toute mesure allant dans le sens de l’égalité entre les nobles. Mais la Pologne ne correspond une fois de plus qu’imparfaitement à ce modèle puisque l’aristocratie y est héréditaire et par ce biais l’inégalité des fortunes ne cesse de s’accroître, et ce malgré la fiction théorique de l’égalité nobiliaire qui s’incarne dans le proverbe « noble sur son lopin, y vaut un palatin ». De ce point de vue, la Pologne est plus une république oligarchique qu’aristocratique, elle est donc plutôt une forme dégénérée d’aristocratie.

Dans l’Encyclopédie Méthodique, Desmeuniers reprend Montesquieu : la corruption de l’aristocratie se produit quand la noblesse ne respecte plus les lois, « dans ce cas, la république ne subsiste qu’à l’égard des nobles, et entr’eux seulement. Elle est dans le corps qui gouverne, et l’état despotique est dans le corps qui est gouverné, ce qui fait les deux corps du monde les plus désunis (19).

Dumouriez pense que l’élément monarchique de la constitution polonaise est essentiellement symbolique et qu’elle ressemble à une « pure aristocratie » mais « sans peuple ». Il fait une intéressante comparaison avec la société coloniale et avec la République spartiate. Le texte mérite d’être cité longuement, car il insiste sur le lien entre l’inégalité sociale et la forme corrompue des institutions aristocratiques :

« Le corps social des Polonais est un monstre composé d’une réunion de têtes et d’estomacs, sans bras ni jambes. Leur régime, leur code légal, ressemble à celui des colonies à sucre qui, par la même raison, ne peuvent pas soutenir l’indépendance. La nation polonaise ne consistait donc, avant le partage, que dans un corps social de huit à neuf cent mille nobles répandus sur une surface qui, avec un autre régime, aurait pu nourrir trente millions d’hommes libres. Les Spartiates avaient bien leurs cultivateur ilotes, comme les Polonais, leurs paysans serfs, mais les Spartiates occupaient un territoire très resserré, ils avaient des mœurs austères, des lois dures et un gouvernement très bien ordonné. Les nobles polonais n’osaient pas mettre les armes à la main à leurs serfs, et ne les élevaient jamais à l’honneur de la noblesse. A Sparte, les biens étaient en commun, les citoyens étaient égaux, les rois étaient toujours indigènes et héréditaires, les éphores modéraient leur autorité, il n’y avait aucun moyen de corruption. En Pologne, les charges héréditaires, les palatinats, castellanies, starosties, mettaient une inégalité immense entre les citoyens, c’est-à-dire les nobles ; chaque élection de roi était un rengrènement (sic) de corruption et de vénalité ; et, dans le courant de l’année, des diètes orageuses, et surtout le liberum veto, achevaient d’affaiblir la république, en la jetant, par ses formes constitutionnelles même, dans le désordre et l’anarchie. »

Si elle n’est pas une forme « pure » d’aristocratie ou d’oligarchie, comment classer cette république nobiliaire ? Comment penser le sens historique de la domination de la noblesse en Pologne ?

Dans leurs analyses des spécificités de la République polonaise, les commentateurs font tous référence à ce qu’ils appellent le « gouvernement féodal » ou à « l’anarchie féodale ». Qu’entend-on par là dans les années 1760-1780 ? Marc Deleplace a montré que le concept « d’anarchie féodale » était identifié comme une forme institutionnelle et comme une forme historique. En tant que forme historique, « l’anarchie féodale » est omniprésente dans les débats sur l’histoire de France et la nature du pouvoir (20). Le terme est aussi souvent utilisé pour caractériser une forme de gouvernement. Le Dictionnaire de l’Académie associe volontiers démocratie et anarchie. Il en est de même pour l’Encyclopédie méthodique de Desmeuniers qui écrit dans l’article « Anarchie » : Toutes les formes de gouvernement peuvent dégénérer en anarchie, mais la démocratie n’est souvent elle-même, qu’une anarchie modifiée ou palliée, qui finit tôt ou tard par une véritable anarchie (21). Mais cette identification est encore plus marquée par le lien avec la féodalité. « L’anarchie féodale » n’est pas seulement une dégénérescence, elle est une forme particulière de gouvernement. Elle n’est rien d’autre qu’une tyrannie multiple fondée sur l’indépendance des seigneurs.

Appliqué aux États de l’Europe moderne, le concept d’anarchie est réservé à la Suède et surtout à la Pologne (22).

Ainsi, en commentant les institutions de la République polonaise, le marquis d’Argenson écrit : « En France, nous tendions à cette anarchie sous notre ancien gouvernement féodal, lorsque peu à peu nos rois de la troisième race ont détruit l’aristocratie pied à pied (23). » Holbach intègre l’exemple polonais dans la définition même du gouvernement féodal développée dans sa Politique Naturelle de 1773 : « Tel est le gouvernement féodal établi jadis dans toute l’Europe, enfanté au milieu du tumulte par des brigands accoutumés à la licence, sous des conquérants dont ils étaient les appuis ; ce gouvernement barbare, ou plutôt ce désordre systématique, s’est conservé en Pologne dans toute sa férocité (24). » Dans L’Éthocratie de 1776, il renchérit : « Ce gouvernement merveilleux subsiste encore dans toute sa folie en Pologne, qui fournit aujourd’hui à toute l’Europe le spectacle déplorable des maux que peut faire à sa patrie une noblesse turbulente, en délire, divisée, que son chef n’a pas la force de réprimer. Le despotisme vient communément pacifier les troubles excités par les nobles ; la tyrannie remplace l’anarchie (25). »

La comparaison avec le « gouvernement féodal » n’est néanmoins pas totalement convaincante pour une partie des commentateurs. En effet, comme le remarque encore d’Argenson, la Pologne ne connaît aucune espèce de hiérarchie féodale entre les nobles. Rulhière fait la même observation : c’est « une erreur de confondre cette constitution comme on le fait communément, avec le gouvernement féodal établi dans l’occident de l’Europe longtemps après la conquête des provinces romaines par les barbares », car tous les nobles sont égaux en droit et aucun n’est vassal d’un autre. En Pologne, les starosties, les castellanies, les palatinats etc. ne sont pas héréditaires. Ce n’est donc pas le système féodal qui y règne mais une forme antérieure de gouvernement (26). Le gouvernement de Pologne est plus près de l’état naturel qu’aucun autre en Europe du fait de la prédominance des campagnes sur les villes. L’égalité primitive de tous les citoyens dans les diétines originelles s’est maintenue à travers les siècles (27),

« Anarchie féodale » ou « anarchie démocratique nobiliaire », la Pologne est pour la totalité des commentateurs le symbole de la dégénérescence de la liberté en licence. Pour Montesquieu, la liberté polonaise est l’envers de la liberté anglaise qui renaît perpétuellement de ses discordes tandis que la liberté polonaise se détruit elle-même par l’anarchie. La Pologne est une « nation asservie par sa propre liberté »(28). Dans les Lettres Persanes, Rica parle ainsi de la Pologne « qui use si mal de sa liberté et du droit qu’elle a d’élire ses rois, qu’il semble qu’elle veuille consoler par là les peuples ses voisins, qui ont perdu l’un et l’autre (29). » La formule devient topos et Jaucourt la reprend telle quelle dans L’Encyclopédie.

Cette liberté polonaise est souvent présentée comme paradoxale puisque accompagnée de la servitude de la majorité de la population. Comme l’écrit Jaucourt : « Le comble de l’esclavage & l’excès de la liberté semblent disputer à qui détruira la Pologne ». C’est cette contradiction entre liberté excessive du petit nombre et esclavage total du plus grand nombre qui est universellement présenté comme la cause fondamentale des malheurs du pays, même chez les plus favorables à la Pologne comme Pyrrhis de Varille. Cette liberté n’est en réalité qu’un mot et une ombre, selon Raynal, car la Pologne « n’ayant qu’un peuple esclave au-dedans, mérite de ne trouver au-dehors que des oppresseurs (30) ». La liberté est donc en elle-même la cause des malheurs de la République et des usurpations de ses voisins, comme l’écrit Voltaire à Hennin en 1761 : « je suis fâché pour la liberté, que j’aime de tout mon cœur, que cette liberté même empêche la Pologne d’être puissante (31). »

Les républicains classiques polonais ne niaient pas l’anarchie, mais la présentait comme une garantie contre l’usurpation despotique. L’idée que l’anarchie avait une fonction positive dans la République se concrétisant dans le proverbe passé en axiome politique : « la Pologne ne se conserve que par l’anarchie ».

Comment la « licence » et « l’anarchie féodale » ont-elle pu s’imposer en Pologne à rebours du mouvement historique dominant en Europe occidentale ? Par quel processus la Pologne brillante du XVIe siècle est-elle tombée en décadence, comment la monarchie s’est-elle transformée en « anarchie » ? Les philosophes et les voyageurs répondent le plus souvent par une analyse historique des « révolutions » de Pologne qui met en valeur l’absence de Tiers état sur lequel une monarchie polonaise aurait pu s’appuyer contre « l’anarchie féodale ». Selon Desmeuniers, l’histoire prouve que les Polonais étaient plus libres, plus indépendants, plus respectés quand leurs rois jouissaient d’une autorité importante et que la misère des serfs s’est accrue avec le pouvoir des nobles puisque aucune justice royale ne pouvait plus les protéger. La conclusion de l’article de l’Encyclopédie Méthodique insiste sur le caractère rétrograde des processus historiques à l’œuvre, faisant de la Pologne un conservatoire de « l’ancien régime » féodal et une image inverse de la « modernité » économique, sociale et politique : Rulhière en fait une toute autre analyse : il voit dans l’évolution des institutions polonaises l’histoire de la chute d’un gouvernement proche de la nature et qui s’est dégradé par l’application du faux principe de l’unanimité.

Cette évolution aboutit donc encore à un paradoxe supplémentaire. Comment un tel État a-t-il pu survivre ? Beaucoup de commentateurs font cette réflexion que l’existence de la République dans l’Europe du XVIIIe siècle est en soi un miracle politique alors que tout aurait dû l’amener à sa destruction (32). Ce qu’écrit par exemple Rousseau en recourant à la métaphore organiciste dans ses Considérations en 1771 :

« On a peine à comprendre, écrit-il, comment un État si bizarrement constitué a pu subsister aussi longtemps. Un grand corps formé d’un grand nombre de membres morts, et d’un petit nombres de membres désunis, dont tous les mouvements presque indépendans les uns des autres, loin d’avoir une fin commune, s’entredétruisent mutuellement, qui s’agite beaucoup pour ne rien faire, qui ne peut faire aucune résistance à qui veut l’entamer, qui tombe en dissolution cinq ou six fois chaque siècle, qui tombe en paralysie à chaque effort qu’il veut faire, à chaque besoin auquel il veut pourvoir, et qui malgré tout cela vit te se conserve en vigueur… (33) »

Diagnostics et cures des médecins éclairés : en finir avec le républicanisme ou l’élargir ?

Les commentateurs qui diagnostiquent les causes des malheurs intérieurs et extérieurs de la Pologne proposent évidemment des cures et des solutions sociales, politiques, militaires et diplomatiques plus ou moins radicales. Dans les réponses des contemporains à l’énigme des « révolutions de Pologne », deux grands courants se détachent : ceux qui voient dans la faiblesse du pouvoir monarchique par rapport à une noblesse républicaine, fanatique et tyrannique la cause essentielle de « l’anarchie » et ceux qui voient dans le sarmatisme un républicanisme inachevé, fondé sur des bases sociales iniques et qui proposent des réformes visant à conserver la République en élargissant sa base par l’extension de la Nation, en la stabilisant et en la renforçant par des lois fondées sur la Raison. On pourrait, en schématisant à l’extrême, voir dans cette opposition une fracture entre « monarchistes » et « républicains » ou entre partisans du « despotisme éclairé » et « réformistes » anti-monarchistes. En somme d’un côté, Voltaire, Grimm, d’Holbach, de l’autre Mably et Rousseau. L’opposition n’est pas fausse, mais elle n’épuise pas la variété des positions réelles.

Voyons tout d’abord le parti des partisans d’une monarchie renforcée, et, à tout seigneur, tout honneur, commençons par Voltaire.

La question polonaise est assez marginale chez Voltaire avant l’avènement de Catherine II en 1762. Il a lu La Voix libre du citoyen de Leczynski dont il fait l’éloge dans une lettre de 1761 (34), mais il n’apprécie guère le « jésuitisme » de l’ancien roi républicain. La position fondamentale de Voltaire, c’est l’assimilation de la République nobiliaire à « l’anarchie » et à « l’ancien gouvernement féodal » qui est le « plus détestable gouvernement dont l’histoire ait jamais fait mention » (35). La République polonaise est un « beau sujet de harangue » et un « gouvernement misérable ». Dans le débat sur la liberté et la licence, Voltaire choisit résolument le camp de ceux pour lesquels la liberté civile négative importe plus que la liberté politique positive.

La polonophobie de Voltaire se renforce progressivement dans sa correspondance avec Frédéric II et surtout Catherine II qui lui présentent la Pologne comme le dernier refuge du « fanatisme » et de la « superstition » en Europe. Le « fanatisme » polonais est pensé par Voltaire comme le fruit de la République nobiliaire elle-même et du gouvernement « gothico-slavonico-romano-sarmatique » (36). Son seul héros polonais est Stanislas-Auguste qui lui apparaît dans un premier temps comme le champion de la « modernité » et des Lumières contre l’archaïsme.

Voltaire écrit une série de brochures, dont certaines à la demande de Catherine II, pour soutenir son action « civilisatrice » en Pologne. Il écrit même une pièce de théâtre intitulé les Lois de Minos et qui transpose dans une Crète antique imaginaire le conflit en cours. Le texte est particulièrement intéressant, car il lie la question des institutions républicaines à celle de la tolérance. Voltaire lui-même donne les clés des personnages de sa pièce dans sa correspondance. Le roi Teucer est Stanislas-Auguste lui-même. Le violent Mérione incarne la mentalité nobiliaire et les confédérés. Astérie, la captive dont on veut faire le sacrifice, représente les minorités religieuses, Dictime est le prince Radziwill qui propose l’union avec la puissance voisine (c’est-à-dire la Russie). Le vieillard Azémon est Voltaire lui-même et l’abominable grand-prêtre Pharès est l’évêque de Cracovie. Les Lois de Minos présentent une apologie a contrario du despotisme éclairé et une dénonciation du républicanisme nobiliaire. Teucer est enchaîné par la noblesse (« ils n’ont choisi des rois que pour les outrager » I, 1) et le liberum veto (« Tout noble dans notre île a le droit respecté/De s’opposer d’un mot à toute nouveauté (37) » II, 4). L’anarchie « crétoise » nécessite un gouvernement royal fort qui doit « subjuguer la fureur inquiète de ce peuple inconstant, orageux, égaré… (38) » Voltaire présente le républicanisme nobiliaire comme une logomachie et fait l’apologie des Cydoniens (les Russes), peuple qui est plus proche de l’état de nature que les « Crétois ». Les Cydoniens sont encore barbares, mais c’est une barbarie qui ne peut manquer de s’estomper par le processus de civilisation, tandis que la barbarie des Crétois est pensée comme décadente. Voltaire donne comme objectif aux « Crétois » de civiliser les Cydoniens et de prospérer sous leur domination. Pharès est tué, la noblesse matée, et Astérie sauvée en épousant Datame. La « Crète » entrevoit un avenir radieux avec ses amis « cydoniens » et sous la direction de Teucer qui détaille son programme dans l’acte V. Il s’agit d’en finir avec la République et ses factions : « Que de leurs factions enfin l’hydre étouffée,/ Sur mon trône avili, sur ma triste maison/Ne distillera plus les flots de son poison./Il faut changer de lois, il faut avoir un maître. (V, 1) » Le peuple « éperdu, consterné, rentre dans son devoir,/ abandonne à son prince un suprême pouvoir. (39) » En bas de page, Voltaire prend tout de même soin de préciser que le pouvoir dont il parle est à l’image de celui de Gustave III qui vient de rétablir la monarchie absolue par un coup d’État soutenu par la France, c’est-à-dire une « autorité raisonnable, fondée sur les lois-mêmes et tempérée par elles ».

Pour Voltaire, le mouvement de l’histoire est un progrès philosophique ininterrompu vers l’ordre et la tolérance, progrès qui se cristallise dans les règnes des grands rois, d’où l’apologie de Pierre le Grand ou de Catherine II. La République est donc une forme dépassée, fragile, tendant naturellement à l’anarchie, surtout quand elle est soutenue par le fanatisme.

Beaucoup d’historiens ont parlé d’aveuglement de Voltaire vis-à-vis de la Prusse et de la Russie, mais peu ont mis en valeur le contenu politique de sa critique de la République polonaise. Pour lui, le « progrès » est du côté des monarchies modernes et non des républiques oligarchiques.

On retrouve une même ligne chez Grimm. La République nobiliaire n’est pas pour lui une démocratie mais une anarchie, d’où la nécessité de la briser par un pouvoir royal fort et héréditaire. Selon Grimm, la Pologne étant un État sans défense naturelle doit nécessairement être l’esclave de l’anarchie ou sous l’autorité de ses voisins, elle ne peut connaître la vraie liberté : « La Pologne, ouverte de tous côtés, sans aucune défense naturelle, entourée de voisins qui devaient empêcher de toutes leurs forces qu’un si puissant royaume ne parvînt à connaître la sienne, soumise à la forme élective, qui, admettant des candidats étrangers, ouvre la porte à des brigues perpétuelles, et met un obstacle peut-être invincible à la fin de l’anarchie ; la Pologne, ainsi située et ainsi constituée, n’a jamais pu avoir les mœurs et le caractère de la liberté (40). » La vraie liberté, c’est celle que connaissent les Suédois depuis le coup d’État de Gustave III, c’est à dire « la soumission pure et simple au pouvoir monarchique ». Il est donc ridicule comme Rousseau de jouer au Lycurgue de Genève et de « donner un code et un esprit républicains à un peuple que ne peut avoir que l’esprit féodal et des lois sans force ».

Pour Voltaire, Grimm, Carra ou Linguet, c’est la République nobiliaire même qui doit être détruite pour permettre la régénération de la Pologne. Celle-ci ne peut avoir lieu que sous l’égide d’un roi héréditaire puissant pouvant briser la noblesse anarchique et turbulente. L’aspect démocratique de la « constitution » polonaise est autant mis en cause que son caractère nobiliaire.

Quels remèdes sont proposées par les républicains de tous horizons ? Le premier des textes réformateurs parus en France est chronologiquement celui de Stanislas Leczyinski.

Dès 1749 et la publication de La Voix libre du citoyen par Stanislas Leczynski, le public éclairé en France peut prendre connaissance des propositions visant à réformer le gouvernement de Pologne. L’influence réelle du texte est évidemment difficile à établir, mais il faut constater qu’une grande partie des remarques de l’ancien roi détrôné se retrouve dans la littérature consacrée à la Pologne.

Leczynski entend tout d’abord convaincre ses compatriotes de la nécessité de la réforme, car l’idée que les institutions antiques de la République étaient parfaites et ne devaient jamais être modifiées sans mettre en péril la liberté était solidement ancrée dans l’idéologie sarmate. Leczynski assimile l’état de la Pologne à une maladie politique qu’il s’agit de soigner par les Lumières (41). L’édifice de la République s’affaisse sous son propre poids, il ne s’agit pas de le détruire mais de le réparer, de l’étayer par les lois. Or le royaume ne croit se soutenir que par « le trouble et la confusion ». La Pologne fait consister la liberté dans le « pouvoir de se perdre ». Leczynski fait ici référence au proverbe passé en axiome politique que « la Pologne ne se conserve que par l’anarchie ». Une république juste se doit de respecter l’équilibre entre majesté et liberté, la liberté empêchant le despotisme, la majesté empêchant la licence (42). Le problème particulier de la Pologne est qu’il est « encore plus malaisé de modérer l’excès de liberté que l’orgueil impérieux du trône ». Leczynski propose de créer une république ordonnée dans laquelle les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire serait organisés au lieu de la confusion actuelle. Il ne s’agit pas de transformer la République en monarchie absolue, Leczynski est bien un républicain qui réaffirme la nécessité de contenir l’ambition des princes dont le despotisme tend toujours vers l’augmentation de leurs moyens et de leurs pouvoirs, et ceci particulièrement dans les républiques où leur « vaine gloire » s’oppose à l’esprit du gouvernement (43). Il faut donc, réaffirme-t-il dans une belle formule, avoir « nos rois en notre puissance pour contenir la leur (44). »

Les grandes lignes du programme de Leczynski consistent à renforcer le pouvoir exécutif collégial en faisant des ministres de véritables adjoints et conseillers du roi, non plus nommés à vie mais élus pour six ans. Il s’agit également de transformer en profondeur la fonction royale puisque Leczynski remplace sa charge de « fontaine des grâces » par un rôle de chef de gouvernement. La République, c’est-à-dire les trois ordres (roi, sénat et ordre équestre) doit elle-même nommer à tous les emplois civils, y compris ministériels, par le biais de l’élection et octroyer les terres de la Couronne. Les biens propres du roi doivent être reversés à la République qui les ferait gérer par le Grand Trésorier. La République doit limiter l’élément démocratique de sa constitution en interdisant l’entrée des diètes et des diétines aux nobles non-propriétaires (qui doivent être dirigés vers le service militaire) et aux trop jeunes hommes qui ne peuvent qu’apporter leur hybris dans des délibérations qu’il s’agit de rendre plus sereines. Le veto doit être strictement limité en empêchant la rupture des diètes. La pluralité des voix doit devenir la norme, au moins dans les diétines de nomination des nonces et des magistrats. Leczynski propose d’en finir avec l’usage des princes étrangers et de faire élire le roi au suffrage secret sur une liste de trois noms proposés par les diétines. Enfin, il insiste particulièrement sur la nécessiter de séparer le pouvoir judiciaire des diètes et de créer une véritable armée, commandée par un général en chef, pour chacune des parties de la République et une diplomatie permanentes.

Enfin, Leczynski n’oublie pas « l’extrême humiliation » du peuple en Pologne. Il faut en finir avec une situation où « des hommes si nécessaires à l’État » sont à peine distingués des bêtes (45). La Pologne est malheureusement « le seul pays où la populace soit comme déchue de tous les droits de l’humanité ». L’ancien roi déchu propose de supprimer au moins la juridiction de la noblesse sur la population et de faire exercer « le droit de glaive » par la République.

Les propositions de Leczynski se rapprochent de celles des réformateurs en Pologne même comme Konarski, et influencent la manière dont les philosophes des Lumières des années 1760 voient la question des institutions de la République polonaise. A partir des années 1760, l’opinion des Lumières se partage en deux camps : l’un faisant de la République de Pologne le parangon du fanatisme rétrograde, l’autre cherchant dans l’exemple polonais un terrain particulier d’application de réformes économiques et sociales éclairées.

Pyrrhis de Varille exprime le point de vue d’un Français favorable à la République, mais convaincu, comme les réformateurs polonais, qu’une évolution des institutions est nécessaire. Pyrrhis de Varille estime que la constitution polonaise contient la plupart des éléments nécessaires à une stabilisation. Il suffirait de leur donner une forme rationnelle. Ainsi, le pouvoir législatif ne doit être exercé que par la diète, d’où l’importance d’améliorer son fonctionnement et en faire un véritable Parlement où régnerait la majesté de l’État et d’où seraient bannies la témérité et la licence. Le veto doit être limité aux lois fondamentales : la défense de la religion catholique, les droits essentiels de l’Église, la conservation de la liberté, la défense des citoyens contre l’oppression royale et le refus des guerres offensives. Comme Leczynski, il propose de restreindre l’accès à la diète en imposant un cens pour être nonce, la création d’un conseil permanent de gouvernement élu par la diète, d’une armée permanente moderne (46).

Les physiocrates ont joué un rôle particulier dans la diffusion d’une image philosophique de la Pologne. L’abbé Baudeau, Dupont de Nemours et Quesnay de Saint-Germain (le petit-fils du fondateur de la « Secte ») se sont rendus sur place à l’invitation des partisans locaux des Économistes, comme l’évêque de Wilno, Ignace Massalski. Mercier de la Rivière a voyagé en Russie et a répondu comme Mably à l’invitation du délégué de la confédération de Bar à Paris, Michal Wielhorski (47).

La Pologne, qui apparaît comme un pays retardataire sur le plan économique, est un cas d’école pour les physiocrates : une nature généreuse, une agriculture en partie tournée vers les marchés européens par le débouché de Dantzig, l’augmentation régulière des prix agricoles à partir de 1730, et surtout une volonté chez les réformateurs de s’inspirer des travaux des Économistes, tout semble réuni pour enclencher le cercle vertueux de la croissance.

Baudeau séjourne dans la République de novembre 1768 à février 1769, puis à nouveau en juillet-août 1769. De retour en France, il rédige Les Lettres sur l’état actuel de la Pologne, publiées dans les Éphémérides du Citoyen, le journal physiocrate.

Les premiers articles de Baudeau sur la Pologne et la Russie dans les Ephémérides sont dans une veine "royaliste" et réformatrice. Encore plus que la plupart des commentateurs, Baudeau relie la question des réformes politiques aux réformes économiques et sociales. La faiblesse de la Pologne vis-à-vis de ses voisins vient avant tout de l’esclavage de la majorité de la population :

« En effet Monsieur, comment voulez-vous qu’un État sans autorité tutélaire quelconque, n’ayant à proprement parler ni trésor, ni armées, ni forteresses, ni tribunaux, ni instruction, ni ports, ni chemins, ni villes, ni aucune de ces grandes propriétés publiques, qui font valoir celles des particuliers ; qu’un État sans agriculture, digne de ce nom, ne possédant à vrai dire que des terres en friche, à peu de chose près, dans une étendue immense du meilleur sol qui soit en Europe, dont la dixième partie grattée par quelques millions d’esclaves qui font peut-être la plus malheureuse portion de l’humanité, entretient deux ou trois cent mille petits despotes arbitraires dans une misère oisive & orgueilleuse ; quelques milliers dans la médiocrité, quelques centaines dans un faste mal entendu ; qu’un État enfin, sans arts, sans commerce, sans industrie, & réduit à l’impossibilité physique de s’en procurer, par un défaut absolu de l’ordre & de toutes les parties qui le composent ; comment voulez-vous, dis-je, qu’un tel État ne devînt pas la proie de son ennemi… ? (48) »

La servitude qu’imposent les Russes aux Polonais n’est que la conséquence de celle du peuple sous la noblesse : « Comment peut-on ignorer que l’esclavage de la glèbe ne saurait jamais subsister dans un territoire, sans que les propriétaires fonciers, tyrans des ouvriers de culture, ne soient eux-mêmes les victimes nécessaires ou du despotisme arbitraire le plus absolu, ou de l’anarchie la plus complète (49) ? »

Dans son mémoire à Massalski sur L’intérêt commun des Polonais, écrit sans doute entre juin 1771 et avril 1772 (50), Mercier de la Rivière insiste évidemment sur la question fondamentale du droit de propriété. Les formes républicaines ou monarchiques de l’État importent moins que le statut de la propriété, car les premières relèvent d’un principe « hypothétique et particulier » alors que le second renvoie au principe fondamental de l’ordre naturel51. C’est la raison pour laquelle tant que la « loi de propriété » n’est pas adoptée et ne constitue pas la base des institutions, la Pologne ne peut avoir un système de gouvernement stable, car tant qu’un noble polonais peut être un despote arbitraire et totalement indépendant des lois de la propriété, il ne peut y avoir de gouvernement. Mercier propose une émancipation très graduelle de la paysannerie et l’octroi progressif aux paysans des droits qui leur donneront le désir de devenir des hommes libres. La bourgeoisie doit pouvoir acquérir des terres et ultérieurement participer à la justice et à la représentation en imposant une certaine étendue de bien-fonds pour pouvoir participer aux diétines. Les bourgeois et la noblesse formeront alors une classe de grands propriétaires fonciers liés par la loi de propriété, la République devenant une sorte d’aristocratie des propriétaires. Mercier insiste particulièrement sur la nécessité d’un programme d’éducation publique et d’une milice citoyenne. Il faut, écrit-il, que les premiers mots bégayés par les enfants soient « propriété, sûreté, liberté » (52) ! Mercier propose un système de signes distinctifs pour donner à voir l’entrée dans la carrière de citoyen ou dans celle de magistrat et un système de fêtes destinées à souder le corps civique.

Avec ceux des physiocrates, les deux textes les plus célèbres des philosophes républicains sont ceux de Mably et de Rousseau. Comment ont-ils été sollicités ?

Dès sa création, la confédération recherche le soutien de la France. Elle envoie le comte Michal Wielhorski à Paris pour tenter d’y rallier une partie de l’opinion française et pour servir de relais avec Choiseul. Arrivé à Paris à la fin de 1770, il rencontre Rulhière qui l’introduit dans le monde parisien à la recherche d’une aide intellectuelle pour contrer les apologistes de la Russie. Claude Carloman de Rulhière est à cette époque un personnage bien connu dans les salons pour son activité comme écrivain du ministère des Affaires étrangères. Membre du Secret du roi, proche de Favier, il participe en tant que gentilhomme d’ambassade à celle de Breteuil en Russie en 1762, puis en Suède en 1763. Embauché au ministère dans le service du chiffre, il devient rapidement un des porte-plume de Choiseul. A la demande du ministre, il commence en décembre 1768 à écrire son ouvrage majeur L’Histoire de l’anarchie de Pologne pour servir d’instruction au Dauphin, le futur Louis XVI.

Rulhière n’est pas en odeur de sainteté chez les voltairiens et les Encyclopédistes, mais il est reçu chez la Duchesse de la Rochefoucauld d’Anville, chez le baron de Breteuil, le marquis de Montesquiou, Madame Necker. C’est surtout un proche de Mably dont il loue particulièrement les Principes de Négociations (53) et il connaît bien Rousseau. Rulhière est donc l’homme tout indiqué pour aider Wielhorski dans sa tâche. L’envoyé de la confédération aide à la rédaction de L’Histoire de l’anarchie de Pologne tandis que Rulhière le met en contact avec Mably pour rédiger le Manifeste de la République Confédérée. Wielhorski sollicite alors Mably, mais aussi Mercier de la Rivière, puis Rousseau pour écrire leurs observations sur la situation polonaise, les institutions de la République et pour proposer les réformes nécessaires à sa régénération. Travaillant à partir d’une documentation donnée par Choiseul et Wielhorski (54), Mably termine Du Gouvernement et des Loix de la Pologne le 31 août 1770. Rousseau lit le texte de Mably et achève ses Considérations sur le gouvernement de Pologne en avril-juin 1771. Les critiques adressées à Mably par Rousseau et par certains confédérés suscitent une réponse du premier sous la forme d’Éclaircissements à Monsieur le Comte de Wielhorski qui est écrite immédiatement et achevée en juillet.

Malgré le secret promis par Wielhorski, les deux ouvrages de Mably et de Rousseau sont rapidement connus. Choiseul, d’Aiguilllon, Hennin, Gérard, Rulhière, Mirabeau père, les physiocrates, en sont les premiers lecteurs. Ils circulent sous forme de manuscrits ou lors de lectures publiques et suscitent des réponses, des critiques, des observations en Pologne même. L’intérêt de Mably pour la Pologne ne s’arrête pas là puisqu’à l’invitation de Wielhorski, il y effectue un long périple (son seul voyage hors de France) en 1776-1777. Deux autres textes inédits à son époque rendent compte de ce qu’il y a vu et entendu : Le Banquet des Politiques et De la situation politique de la Pologne en 1776.

Les ouvrages de Mably et surtout de Rousseau ont donné lieu à une très abondante production historiographique qu’il est impossible de reprendre ici, je me contenterai d’indiquer les grandes lignes des deux textes pour les replacer dans le contexte général du débat sur la Pologne (55).

Quand Mably commence à écrire son premier texte, le contexte militaire et diplomatique est plutôt favorable à la confédération de Bar. La Turquie vient d’entrer en guerre et rien ne présage que les troupes russes vont rapidement liquider la menace ottomane. C’est la raison pour laquelle la première partie du texte de Mably est relativement optimiste sur la situation polonaise. Une réforme politique est possible si on s’en donne les moyens et si l’on prend en compte l’obstacle que représentent le caractère national. Pour Mably, le caractère des peuples, c’est l’ensemble des préjugés et des habitudes, il s’agit donc pour lui de « dénationaliser » pour pouvoir reconstruire des institutions qui assurent la liberté et « refonder » la nation. La méthode de Mably se veut extrêmement prudente et progressive. Le processus de réforme politique doit partir d’une reconstruction de la puissance législative, qui est l’âme d’un gouvernement en tant qu’expression de la souveraineté, c’est la raison pour laquelle il étudie en premier lieu cette question.

L’anarchie polonaise résulte d’abord de la confusion des pouvoirs, il faut séparer nettement la puissance législative et la puissance exécutrice. Vouloir faire concourir les trois ordres à la fabrication de la loi, comme c’est le cas dans la constitution non-écrite, c’est anéantir la puissance législatrice et fonder l’anarchie. Il faut assigner « de la manière la plus claire à l’ordre équestre assemblé légitimement en diète, toute la puissance législative » et laisser au roi et au Sénat la puissance exécutrice56. La diète doit être permanente, formée de nonces élus par tous les citoyens, s’assembler à volonté dans un même lieu et ne plus dépendre des universaux, de la convocation de la diète par le roi, ni de la limite coutumière des six semaines.

Mably sait que les usages admis par la noblesse assemblée en diète polonaise sont assez éloignés du calme et de la gravité nécessaire à l’exercice du pouvoir législatif comme il l’entend. C’est la raison pour laquelle il insiste particulièrement sur la « police » des assemblées et sur la nécessité de contenir les passions nationales qui tendent à permettre l’expression de l’hybris nobiliaire. La szlachta n’a pas besoin d’être encouragée à la liberté, mais au contraire doit être canalisée vers l’ordre. Pour renforcer la fonction des nonces, il faut les déclarer inviolables pendant leur mandat. Seule la diète elle-même doit pouvoir juger ses propres membres. Ceux-ci devront avoir au moins trente ans pour éloigner les jeunes gens trop fougueux, n’avoir jamais été condamnés et surtout être propriétaires dans un palatinat « parce qu’il est naturel qu’un possesseur de fonds prenne plus d’intérêt à la chose publique que celui qui ne possède rien en propre (57). » La police des assemblées doit être le moyen d’apprendre la modération à la noblesse.

Il faut évidemment aller vers la suppression du liberum veto qui fait « de chaque citoyen le despote de tous les autres », mais sans brusquer les choses une fois encore. On pourrait par exemple maintenir le veto au cas où la totalité d’une délégation de palatinat serait d’accord pour le faire. Les confédérations ne sont qu’un palliatif au despotisme, elles doivent elles aussi laisser la place si de bonnes lois s’imposent.

L’étendue de la Pologne et le caractère segmenté de la République font une obligation de donner également une forme déterminée aux diétines et de les incorporer réellement à l’exercice de la puissance législative, mais en supprimant leurs pouvoirs souverains. Mably propose que la forme des diétines soit calquée sur celle des diètes de manière à ce qu’elles soient une école de la politique, mais aussi pour donner un plus grande homogénéité à l’exercice des droits des citoyens. Le mandat impératif doit être supprimé. Après avoir étudié la question de la puissance législative, Mably passe à la puissance exécutive qui doit être soumise à la diète. Si cette subordination du pouvoir exécutif au pouvoir législatif s’impose, le gouvernement s’affermira et l’amour de la patrie donnera des mœurs.

Le pouvoir exécutif est naturellement corrupteur, ici Mably exprime bien entendu sa conviction profonde, mais il rejoint également l’un des topoi les plus importants du discours républicain sarmate : « Tout législateur doit partir de ce principe, que la puissance exécutrice a été, est et sera éternellement l’ennemie de la puissance législative. Nos passions, et surtout l’avarice et l’ambition qui sont devenues l’âme du monde, l’ordonnent ainsi… (58) »

En revanche, il n’hésite pas à jeter un pavé dans la mare en proposant d’en finir avec l’élection du roi. Encore une fois, il s’agit de s’adapter : dans une nation portée à la licence, les interrègnes sont des époques « d’anarchie », il importe donc de les supprimer. Bien évidemment, il ne s’agit pas pour Mably de créer un roi puissant et héréditaire, mais un roi qui doit se borner à représenter l’État « comme un roi de Suède ou un doge de Venise ». Le roi doit être polonais et non étranger, car un prince qui serait absolu dans un autre État ne pourrait se résoudre à n’être qu’un représentant dans une République. Le roi n’aura que des ressources financières faibles et la République doit surtout lui retirer le ius distributivum, par lequel il peut corrompre, pour l’attribuer à la diète qui pourra nommer à tous les emplois.

Le roi ne sera que le président du Sénat en qui résidera la vraie puissance exécutrice. Les sénateurs doivent être élus par la diète pour être revêtus de sa confiance, car une république ne peut être sagement administrée que si la puissance législative nomme les ministres et conserve le droit de les juger. Une véritable intégration de la noblesse aux institutions par le biais du Sénat peut seule créer l’amour de la patrie absent en Pologne, car ce qui en tient lieu, c’est plutôt « l’amour de la licence » (59). Pour faire naître l’amour de la Patrie, il faut d’abord que le législateur fasse disparaître les obstacles à sa création. Le principal de ces obstacles est évidemment la structure sociale de la République et l’état d’arriération du pays. Comment s’étonner que la majorité de la population ne voit pas dans la République une patrie ? La Pologne est « couverte de paysans, de bourgeois et de juifs, qui n’ont rien à gagner en voyant votre prospérité, et rien à perdre en voyant votre ruine ? (60) » La noblesse indigente même n’est rien dans la patrie, elle n’a que des maîtres et ne possède en fait de courage militaire que celui de piller le pays et de commettre des brigandages. Ainsi, la patrie n’existe finalement que pour les magnats.

Mably détaille les grandes lignes d’un programme de réformes sociales à adopter dans les chapitres consacrés aux différents départements administratifs du gouvernement. Toujours prudent, il réaffirme que ces réformes ne pourront se réaliser qu’en cas de victoire et seulement si les lois fondamentales créent les conditions politiques préalables nécessaires, mais il ne renonce jamais à l’idée d’élargir progressivement la base sociale de la République et de faire de la république nobiliaire une république de tous les habitants du pays. Car le vice fondamental de la Pologne est le viol continuel des lois de la nature avec le maintien du servage. Il faut, explique Mably, d’abord intégrer la bourgeoisie dans les institutions judiciaires pour en faire des citoyens et ôter aux seigneurs leurs justices souveraines. Des tribunaux de la République doivent entendre les plaintes particulières des paysans. Des droits civils doivent progressivement être étendus aux juifs et aux serfs émancipés (61). Une première mesure d’émancipation immédiate pourrait être prise envers les serfs s’engageant dans l’armée. Ceux-ci formeraient à leur sortie du service militaire un embryon de paysannerie libre qui devra être renforcée par un tiers-état propriétaire (62). Il est donc indispensable d’abolir au préalable le monopole foncier de la noblesse et de permettre à tous de posséder la terre.

La Pologne, environnée d’ennemis, ne peut compter que sur une armée dépassée, elle doit rapidement mettre sur place une armée citoyenne. La République doit, bien entendu, réaffirmer sa tradition de refus des guerres de conquêtes dans une loi fondamentale. Un tel plan nécessite la constitution d’une diplomatie que Mably place sous l’autorité du chancelier et d’un comité du Sénat (63).

Mably détaille particulièrement le chapitre consacré à l’éducation. Il propose un plan général pour « former le cœur et l’esprit des enfants dans une nation libre », plan dans lequel une place est réservée aux fêtes civiques et aux lois somptuaires pour « rendre les richesses moins nécessaires et l’amour de la gloire plus actif » (64). Il importe de tout faire pour remplacer l’esprit courtisan par l’amour de la patrie. Pour cela, il faut rapporter toute émulation à l’idée de nation : « N’en doutons pas, après que le temps aura effacé les préjugés et détruit peu à peu les habitudes vicieuses qu’une longue anarchie a vu naître, les sénateurs, les ministres, les nonces, les officiers qui s’acquittent aujourd’hui si mollement de leurs fonction, deviendront des hommes nouveaux. Leurs exactitude développera une émulation générale, qui ne laissera parmi vous aucun talent inutile. On sera intéressé à avoir de la vertu, et l’amour de la patrie prendra enfin la place de cet esprit de cour et de flatterie qui déshonore les Grands à Varsovie, et la petite noblesse des provinces (65). » La transformation des mœurs nationales est donc pensée comme l’aboutissement du processus de réforme politique. La refondation de la nation et de ses mœurs passe par le reconstruction d’une République stable.

Les Considérations… de Rousseau ont souvent été présentées comme un texte radicalement opposé à celui de Mably. Il est vrai que le citoyen de Genève n’appréciait pas beaucoup celui de l’abbé, mais sont-ils si différents que cela dans leur diagnostic et dans leurs propositions adressées à Wielhorski et aux Polonais ? En effet, on va le voir, de nombreux points communs se dégagent des deux textes et notamment leur analyse du républicanisme nobiliaire et de ses possibilités d’évolution. Il est vrai qu’entre la rédaction de la première partie du texte de Mably et celui de Rousseau, le contexte militaire et diplomatique s’est radicalement modifié en défaveur de la confédération et de la Pologne. Alors que Mably pouvait entrevoir la possibilité d’une issue positive sur le terrain militaire et institutionnel, Rousseau est plutôt dans la position du conseiller qui doit consoler les perdants et les encourager à ne pas baisser les bras. Mais l’essentiel est ailleurs. Ce qui sépare fondamentalement les deux textes, c’est avant tout une conception différente du « patriotisme », de la « nation » et du cosmopolitisme. Pour Mably, il faut « dénationaliser » la Pologne pour la sauver en refondant la République sur des bases rationnelles, pour Rousseau au contraire, il faut « renationaliser » pour conserver l’existence de la République dans un contexte de défaite. En dernière analyse, on retrouve dans cette opposition deux conceptions du « citoyen » et de son rapport à l’universel. Pour Mably, l’amour exclusif de la patrie est dangereux, c’est une passion qui doit être contrôlée par la raison, les lois et subordonnée à l’amour de l’humanité. Pour Rousseau au contraire, l’amour exclusif de la patrie est ce qui fonde la nation, le citoyen et la République, car le lien entre les citoyens est plus fort et plus important que le lien entre les hommes au sein du genre humain. Rousseau est-il pour autant un « nationaliste » ? Non, car Rousseau n’entend pas refonder la nation polonaise sur l’idée de sa supériorité, de sa force ou de sa puissance, mais sur ses « institutions » républicaines, au sens révolutionnaire du terme. Les Considérations de Rousseau ne sont pas un plan institutionnel comme celui de Mably, mais un plan d’éducation nationale républicaine qui inspirera les projets révolutionnaires de Billaud-Varenne, Barère ou Saint-Just. Alors que Mably considère que tout doit partir de la reconstruction de la puissance souveraine et de son expression, la puissance législative, pour modifier les mœurs nationales incompatibles avec la République, Rousseau fait le chemin opposé et part du principe que tout ce qui renforce le caractère national des mœurs renforce la République. Cela dit, les propositions des deux hommes en matière d’éducation nationale ou de réformes sont très proches, même si les méthodes et la démarche divergent.

Pour faire de bonnes lois, il faut d’abord créer de bonnes « institutions » et faire en sorte que l’amour de la patrie soit l’unique passion nationale. Les grands législateurs — Moïse, Lycurgue et Numa — sont ceux qui ont refondé leur peuple en les distinguant des étrangers par leurs « institutions ». Rousseau donne pour modèle aux Polonais — avec une certaine ironie peut-être ? — le législateur des juifs qui « pour empêcher que son peuple ne se fondit parmi les peuples étrangers » lui donna « des mœurs et des usages inaliénables avec ceux des autres nations ; il le surchargea de rites, de cérémonies particulières… ». Plus les liens internes à une communauté nationale sont forts et plus sa destruction est improbable. Lycurgue a ainsi montré la patrie aux Spartiates dans chacun des gestes de leur vie quotidienne et Numa a fondé les « institutions » romaines. Ce qui doit fonder la nation est donc la trilogie mœurs, amour de la patrie et « institutions ».

Rousseau détaille ainsi un programme de cérémonies religieuses, exclusives et nationales, de jeux tenant les citoyens assemblés qui leur transmettent une saine émulation leur rappelant les vertus de leurs ancêtres. Les Grands, les riches et les pauvres doivent y participer tous ensemble. La loi doit déterminer le contenu, la forme et la matière de l’éducation. L’éducation publique doit être accessible à toute la noblesse, riche et pauvre, et doit se recentrer sur les exercices physiques et les jeux organisés en commun pour éduquer les citoyens à la fraternité, à l’égalité, à l’émulation patriotique. Les prix et des récompenses seront délivrées par acclamation. Les décorations publiques seront nobles, imposantes, et la magnificence sera dans les hommes plutôt que dans les choses, car les fêtes d’un peuple libre « doivent toujours respirer la décence et la gravité, et l’on ne doit y présenter à son admiration que des objets dignes de son estime (66). »

La Pologne est environnée d’États puissants, militaires et offensifs. Face à eux, la République est faible, dépeuplée, elle n’a « aucun ordre économique, peu ou point de troupes, nulle discipline militaire, nul ordre, nulle subordination, toujours divisée au-dedans, toujours menacée au-dehors, elle n’a par elle-même aucune consistance et dépend du caprice de ses voisins67. » La seule solution doit être "d’infuser, pour ainsi dire, dans toute la nation l’âme des confédérés" et « d’établir tellement la République dans le cœur des Polonais, qu’elle y subsiste malgré tous les efforts de ses oppresseurs. » Pour cela, il faut évidemment créer et renforcer les institutions nationales et républicaines « qui forment le génie, le caractère, les goûts, et les mœurs d’un peuple, qui le font être lui, et non pas un autre, qui lui inspirent cet ardent amour de la patrie fondé sur des habitudes impossibles à déraciner, qui le font mourir d’ennui chez les autres peuples au sein des délices dont il est privé dans le sien68. » A la lumière des événements ultérieurs, l’avertissement de Rousseau sonne comme une prophétie pour les Polonais de la fin du XVIIIe siècle : « Vous ne sauriez empêcher qu’ils ne vous engloutissent, faites au moins qu’ils ne puissent vous digérer. »

Rousseau n’oublie pas que le principal obstacle à toute régénération, y compris militaire, est l’extrême inégalité sociale : « L’immense distance des fortunes qui sépare les Seigneurs de la petite noblesse est un grand obstacle aux réformes nécessaires pour faire de l’amour de la patrie la passion dominante. Tant que le luxe régnera chez les Grands, la cupidité régnera dans tous les cœurs (69) ». Le seul luxe tolérable doit être celui des armes. L’éducation est « l’article important », car « c’est l’éducation qui doit donner aux armes la force nationale » (70). Le républicain « suça avec le lait de sa mère l’amour de sa patrie, c’est-à-dire des loix et de la liberté. Cet amour fait seul son existence, il ne voit que la patrie, il ne vit que pour elle, sitôt qu’il est seul, il meurt, sitôt qu’il n’a plus de patrie, il n’est plus et s’il n’est pas mort, il est pis (71). »

Dans tout son texte, Rousseau multiplie les mises en garde contre la création d’un esprit de corps, les citoyens doivent tous être potentiellement soldats, juges, avocats, enseignants. L’organisation d’une sorte de cursus honorum applicable à toute la noblesse, commençant par les fonctions judiciaires subalternes, puis par les diétines, puis à la diète, etc. permettrait d’intégrer tous les citoyens à l’exercice du gouvernement. A chaque niveau correspondrait une série de fonctions civiques et de signes distinctifs.

Afin que cet amour de la patrie ait un sens pour la population, il faut qu’elle soit émancipée et non-asservie. Rousseau ironise sur le lieu commun sarmatiste des « trois ordres » qui composent la République, en réalité la nation polonaise est bien composée de trois ordres, mais ce sont « les nobles qui sont tout, les bourgeois qui ne sont rien, et les paysans, qui sont moins que rien » (72). L’état de faiblesse dans lequel se trouve la Pologne est « l’ouvrage de cette barbarie féodale qui fait retrancher du corps de l’État sa partie la plus nombreuse, et quelquefois la plus saine. » Sans émancipation des paysans, pas de réformes possibles, mais elle doit être progressive pour habituer les serfs à la liberté. Il faut également favoriser les droits civils, judiciaires et politiques de la bourgeoisie. Il est donc possible d’étendre progressivement la démocratie nobiliaire pour la faire évoluer vers une démocratie populaire (73).

Par ailleurs, le vice radical de la République est pour Rousseau l’étendue de son territoire. Or « tous les grands peuples écrasés par leurs propres masses gémissent, ou comme vous dans l’anarchie, ou sous les oppresseurs subalternes qu’une gradation nécessaire force les rois de leur donner. » La Pologne est un exemple unique, car sa taille aurait du la faire évoluer vers le despotisme. Un des plus grands défauts des grands États est pour Rousseau « que la puissance législative ne peut s’y montrer elle-même, et ne peut agir que par députation. Cela a son mal et son bien, mais le mal l’emporte. Le Législateur en corps est impossible à corrompre, mais facile à tromper. Ses représentants sont difficilement trompés, mais aisément corrompus, et il arrive rarement qu’ils ne le soient pas (74). » Pour contourner ce défaut majeur du système représentatif, Rousseau propose un fédéralisme à l’échelle des trois parties de la République ou encore mieux des palatinats : il faut « étendre et perfectionner le système des Gouvernements fédératifs, le seul qui réunisse les avantages des grands et des petits États, et par là, le seul qui puisse vous convenir (75). » La Pologne doit « resserrer ses limites » si elle veut se réformer ! Alors même que la perspective d’une partition semble se concrétiser, Rousseau l’envisage sans inquiétude : « Peut-être vos voisins songent-ils à vous rendre ce service. Ce serait sans doute un grand mal pour les parties démembrées, mais ce serait un grand bien pour le corps de la nation ». A rebours de la plus grande partie de la littérature consacrée à la Pologne, Rousseau prend la défense du liberum veto et des confédérations en les présentant comme des maux nécessaires, détournés de leur fonction.

En dépit de leurs différences, les deux textes de Mably et de Rousseau partagent une approche commune de la République nobiliaire et démocratique polonaise. Tous deux considèrent qu’elle est l’expression déformée de la liberté politique dans une Europe marquée par le despotisme, un reste de véritable républicanisme et qu’elle peut évoluer dans le sens d’une démocratie populaire. De même, ils partagent des positions identiques sur les questions de l’armée permanente, du refus des conquêtes, de l’émancipation nécessaire de la paysannerie, de l’octroi des droits à la bourgeoisie, du refus du luxe et du commerce. Même si leurs réponses ne sont pas tout à fait semblables, ils considèrent tous deux que c’est la question des « institutions » au sens du XVIIIe siècle, et donc de l’éducation nationale (déjà posée par Konarski et Pyrrhis de Varille), qui est fondamentale pour la refondation d’une nation polonaise et pour créer un véritable amour de la patrie. Il est à noter qu’aucun des deux ne pose la question des dissidents et de la religion d’État. Tous deux sont également extrêmement attentifs à tout ce qui peut réduire les risques d’usurpation du pouvoir exécutif ou des représentants. Il s’agit de sauver les éléments de liberté politique présents dans la République menacée par la licence et le despotisme. Les divergences entre les solutions proposés par les deux philosophes — la question de l’élection royale, celle du vote par tête plutôt que par palatinat, l’insistance de Rousseau sur le fédéralisme et surtout la question du rapport des citoyens à l’universel — apparaissent finalement moins importantes que ce que les rapproche.

Conclusion

La République polonaise apparaît donc aux hommes des Lumières comme une république paradoxale : une république « moderne » mais « gothique » ou « féodale », une république égalitaire mais exclusivement nobiliaire, une république aristocratique mais fondée sur une « anarchie » démocratique. Pour une partie de l’opinion des Lumières, les malheurs et les « révolutions » de cet État sont la preuve que la liberté doit être étroitement limitée par un pouvoir royal fort pour éviter de dégénérer en licence. Le régime idéal est donc une monarchie renforcée s’imposant à une aristocratie portée à une démocratie tyrannique. La modernité politique n’est pas portée par l’idéal républicain mais par la monarchie absolue ou constitutionnelle, garante de la liberté du commerce. La Pologne joue dans ce cas comme un repoussoir contre l’idée d’un régime républicain « moderne » : la République est une survivance antique ou « gothique » et non un idéal réalisable. Un autre courant met au contraire en avant le caractère socialement inachevé de la République polonaise, c’est l’exclusion civile et politique, la servitude de la plus grande partie de la nation qui est la cause de l’échec de la République polonaise et non l’idéal républicain dévoyé en Pologne. Les projets de réforme de Mably et de Rousseau, mais aussi d’autres intervenants dans ce débat mettent en valeur la possibilité d’une évolution plus ou moins lente de la république nobiliaire vers la république démocratique.

Notes

(1) Stanislas Leczynski, Anthologie présentée par A. Muratori-Philip, Paris, Robert Laffont, Bouquins, 2005, p. 918.

(2) J. Fabre, Stanislas-Auguste Poniatowski et l’Europe des Lumières (1952), rééd. Paris, Ophrys, 1984, p. 88.

(3) M. Marty, Voyageurs français en Pologne durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2004.

(4) Stanislas Leczynski, Anthologie présentée par A. Muratori-Philip, op. cit.

(5) Par exemple celui de Robinet, Dictionnaire universel des sciences morale, économique, politique et diplomatique ou bibliothèque de l’Homme-d’État et du Citoyen, Londres 1777-1783, 30 vol. L’article Pologne est entièrement repris, mot pour mot sauf les renvois, de l’article de l’Encyclopédie.

(6) Le chevalier Pyrrhys de Varille est un descendant d’une famille noble de Normandie. Il arrive en Pologne en 1755 avec le chef du Secret auquel il est affilié, le comte de Broglie. Il devient précepteur des Sanguszko, écrit plusieurs ouvrages sur les lois polonaises. Il termine ses jours à Varsovie avec un titre de colonel et une pension du roi. Louis Antoine Caraccioli est oratorien, il enseigne au collège de Vendôme, séjourne en Pologne de 1755 à 1756. Il est précepteur des Rzewuski, et obtient un brevet de colonel. Sur Rulhière, voir ci-dessous. Parmi les militaires, citons C. Dumouriez et F. A. Thesby de Belcourt, Journal d’un officier français au service de la confédération de Pologne, pris par les Russes et relégué en Sibérie, Amsterdam, 1776, In-12. IV-287 p.

(7) Cité par M. Deleplace, L’anarchie de Mably à Proudhon, 1750-1850, histoire d’une appropriation polémique, Lyon, ENS Éditions, 2001, p. 35.

(8) A. Grzeskowiak-Krwawicz, "Anti-monarchism in Polish Republicanism in the Seventeenth and Eighteenth Centuries" dans M. van Gelderen, Q. Skinner (dir.), Republicanism : a shared european heritage. Volume I, Republicanism and constitutionalism in early modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 43-59.

(9) J. Fabre, Stanislas-Auguste Poniatowski et l’Europe des Lumières, op. cit., p. 40.

(10) R. L. de Voyer, marquis d’Argenson, Considérations sur le gouvernement de la France, 2e édition, Amsterdam, 1784, chapitre VI, p. 55.

(11) G. T. Raynal, Tableau de l’Europe, pour servir de supplément à l’Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, Maestricht, J.-L. Dufour, 1774, chapitre « du gouvernement », p. 6 et suivantes.

(12) J. Ehrard, « Montesquieu et la Pologne » dans Le siècle de Rousseau et sa postérité : mélanges offerts à Ewa Rzadkowska, Uniwersytet Warszawski, Instytut Romanistyki, 1998, p. 35-46.

(13) D. W. Carrithers, « Not so virtuous Republics : Montesquieu, Venice and the Theory of Aristocratic Republicanism », Journal of the History of Ideas, 52, 2, 1991, p. 245-268.

(14) Montesquieu, L’Esprit des Lois, Paris, GF, 1979, tome 1, livre II, chapitre III, p. 136.

(15) Idem, p. 138.

(16) Ibid. Livre XI, chapitre 5, p. 293.

(17) Ibid. Livre V, chapitre 8

(18) D. W. Carrithers, « Not so virtuous Republics… », art. cit. p. 260.

(19) N. Desmeuniers, Encyclopédie méthodique : économie politique et diplomatique, Paris, 1784-1786, 4 vol., article « aristocratie ».

(20) M. Deleplace, L’anarchie de Mably à Proudhon…, op. cit., p. 35.

(21) N. Desmeuniers, Encyclopédie méthodique…, op. cit., tome 1, p. 150.

(22) Ibid., chapitre 2.

(23) R. L. de Voyer, marquis d’Argenson, Considérations sur le gouvernement de la France, p. 55.

(24) P. H. T d’Holbach, Œuvres philosophiques complètes, tome III, Paris, Alive, 1999, p. 378.

(25) Idem, p. 623.

(26) C. C. de Rulhière, Révolutions de Pologne… 4e édition…, Paris, 1862, 3 vol., tome 1, p. 8.

(27) A. Chevalier, Claude-Carloman de Ruhlière, premier historien de la Pologne, Paris, Domat, 1939, p. 190.

(28) J. Ehrard, "Montesquieu et la Pologne", op. cit., p. 41.

(29) Montesquieu, Lettres persanes, Gallimard, Folio, 1973, lettre 136, p. 304.

(30) G. T. Raynal, Tableau de l’Europe…, op. cit.

(31) Cité par E. Rostworowski, "Le Républicanisme sarmate et les Lumières", op. cit., p. 1417.

(32) Voir par exemple C. F. Pyrrhys de Varille, Lettres sur la constitution actuelle de la Pologne et la tenue de ses diètes, Warsovie, et Paris, Delalain, 1771, In-12, p. 124.

(33) J. J. Rousseau, Considérations sur le gouvernement de Pologne, dans Œuvres complètes, tome III, Paris, Pléiade, 1964, p. 953.

(34) Cité par E. Rostworowski, « Voltaire et la Pologne », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 62, 1968, p. 101-121, "S’il y a un livre dans le monde qui put faire le bonheur d’une nation, c’est assurément celui-là… ce livre devrait être le seul code de la nation polonaise", p. 103.

(35) Idem.

(36) Cité par E. Rostworowski, « Le Républicanisme sarmate et les Lumières », op. cit., p. 1422.

(37) Daniel Beauvois « Voltaire était-il antipolonais ? » dans Voltaire et Rousseau en France et en Pologne : Actes du Colloque organisé par l’Institut de romanistique, l’Institut de polonistique et le Centre de civilisation française de l’Université de Varsovie, Nieborow, octobre 1978, Ed. de l’Université de Varsovie, 1982, p. 41-55, cité p. 47.

(38) Idem, p. 49.

(39) R. Pomeau, « Une tragédie polonaise de Voltaire Les Lois de Minos » dans Le siècle de Rousseau et sa postérité : mélanges offerts à Ewa Rzadkowska, Uniwersytet Warszawski, Instytut Romanistyki, 1998, p. 106

(40) A. F. M. Grimm, Correspondance littéraire, op. cit., janvier 1773, p. 130-131.

(41) La Voix libre du Citoyen ou observations sur le gouvernement de Pologne, sl, 1749, in 8° dans Stanislas Leczynski, Anthologie présentée par A. Muratori-Philip, op. cit., p. 734.

(42) Idem, p. 736.

(43) Ibid., p. 755.

(44) Ibid., p. 758.

(45) Ibid., p. 821.

(46) Idem, p. 110.

(47) Voir notamment A. Jobert, Magnats polonais et physiocrates français, Paris, 1941. A. Guéry, « La Pologne vue de France au XVIIIe siècle », Cahiers du C.R.H., avril 1991, n°7, p. 35 à 53, Marek Blaszke « Projets de réformes pour la Pologne par deux adversaires : Mably et Mercier de la Rivière » dans F. Gauthier et alli (dir.), La politique comme science morale, colloque Mably à Vizille, juin 1991, tome 1, Palomar Bari, 1995.

(48) Idem, tome 3, lettre troisième, p. 48-49.

(49) Cité par A. Jobert, Magnats polonais et physiocrates français, op. cit., p. 24.

(50) Marek Blaszke « Projets de réformes pour la Pologne par deux adversaires : Mably et Mercier de la Rivière » dans F. Gauthier et alli (dir.), La politique comme science morale, op. cit.

(51 A. Jobert, Magnats polonais et physiocrates français, op. cit., p. 46.

(52) Idem, p. 49.

(53) A. Chevalier, Claude-Carloman de Ruhlière, premier historien de la Pologne, op. cit., p. 142.

(54) Comprenant sans doute le Manifeste de la République Confédérée et l’État de la Pologne de Pfeffel (Pfeffel, État de la Pologne, avec un abrégé de son droit public et les nouvelles constitutions. (Par A. S. Dembowski.), Amsterdam, Paris, Hérissart le fils, 1770, In-8˚.

(55) Sur Rousseau, la bibliographie est immense signalons outre l’introduction de l’éditon des Œuvres de Rousseau dans la collection de la Pléiade, R. Derathé, J.J Rousseau et la science politique de son temps, Paris, PUF, 1950. J. Fabre, Lumières et romantisme : énergie et nostalgie, de Rousseau à Mickiewicz, Nouv. éd. rev. et augm, Klincksieck, 1980. Voltaire et Rousseau en France et en Pologne : actes du Colloque organisé par l’Institut de romanistique, l’Institut de polonistique et le Centre de civilisation française de l’Université de Varsovie, Nieborow, octobre 1978, Ed. de l’Univ. de Varsovie, 1982 L. Scher-Zembitska, Considérations sur le gouvernement de Pologne et sur sa reformation projetée : conférence Rousseau et la Pologne, 22 septembre 1995, Université d’été, Bibliothèque polonaise/Lydia Scher-Zembitska, Paris, Ed. Casimir-Le-Grand, 1996. Le siècle de Rousseau et sa postérité : mélanges offerts à Ewa Rzadkowska, Uniwersytet Warszawski, Instytut Romanistyki, 1998. Une excellente biographie récente : M. et B. Cottret, Jean-Jacques Rousseau en son temps, Paris, Perrin, 2005. Sur Mably en revanche, elle est très limitée, voir les contributions réunies dans F. Gauthier et alii (dir), La politique comme science morale. Colloque Mably à Vizille juin 1991, 2 tomes, Palomar Bari 1995-1997, et notamment les contributions de Jacques Lecuru, « Deux consultants au chevet de la Pologne : Mably et Jean-Jacques Rousseau », Marek Blaszke, « Projets de réformes pour la Pologne par deux adversaires : Mably et Mercier de la Rivière » et Marek Tomaszewski, « Les inédits de Mably sur la Pologne ou le constat d’échec d’un législateur ». Voir également J. K. Wrigh, A classical Republican in Eighteenth-Century France : The Political thought of Mably, Stanford University Press, 1997.

(56) Idem, p. 10-11.

(57) Ibid., p. 15.

(58) Ibid., p. 34.

(59) Ibid., p. 80.

(60) Ibid., p. 26.

(61) Ibid., p. 113-114.

(62) Ibid., p. 137.

(63) Ibid., p. 119.

(64) Ibid. p. 129.

(65) Ibid., p. 50.

(66) Ibid., p. 964.

(67) Ibid., p. 959

(68) Ibid., p. 960.

(69) Ibid., p. 964.

(70) Ibid., p. 966.

(71) Ibid., p. 966.

(72) Ibid., p. 972.

(73) « Jacques Lecuru, Deux consultants au chevet de la Pologne : Mably et Jean-Jacques Rousseau », dans F. Gauthier et alii (dir.), La politique comme science morale, op. cit., tome 1, p. 124.

(74) J. J. Rousseau, Considérations sur le gouvernement de Pologne, Ibid., p. 979.

(75) Ibid., p. 971.

Marc Belissa, "La République et le républicanisme polonais, modèles ou contre-modèles des Lumières ?", Révolution Française.net, Etudes, mis en ligne le 15 mars 2007, http://revolution-francaise.net/2007/03/16/117-republique-republicanisme-polonais-modeles-contre-modeles-lumieres.