D'abord de deux ouvrages de Daniel Mornet, La pensée française au XVIIIème siècle (1926) et Les origines intellectuelles de la Révolution française (1933). Puis de l’ouvrage d’Albert Mathiez sur La Révolution française (1922), accompagné des cinq volumes de Hippolyte Taine sur Les origines de la France contemporaine, dans l'édition de 1896. Deux approches de la Révolution française fort différentes comme le montrent les extraits ci-dessous, à propos de la conjoncture révolutionnaire de l'été 1793. Ce site met également à disposition du lecteur de nouveaux textes de David Hume et l’édition française (1773) de l'important Traité des délits et des peines de Beccaria. Notons enfin l’édition numérique de l’ouvrage de Julien Benda, La trahison des clercs (1927), et de divers textes d’Immanuel Wallerstein, dont son rapport de 1996 sur Ouvrir les sciences sociales, toujours de grande actualité

Extraits (Mathiez, Taine) – Sur la levée en masse et l’initiative de la terreur pendant l'été 1793

1- Albert Mathiez, La Révolution française, p. 418-420, sur la demande de levée en masse.

C’est à la demande des fédérés que fut votée la grande mesure de la levée en masse. L’idée fut lancée par un agitateur qui opérait dans la section de l’Unité, Sébastien Lacroix, le 28 juillet : « Que l’heure où le tocsin grondait au palais du tyran, où son trône se brisait en éclats, soit celle où le tocsin sonnera, où la générale battra dans toute la République, que les amis de la patrie s’arment, qu’ils forment de nouveaux bataillons, que ceux qui n’auront pas d’armes conduisent les munitions, que les femmes conduisent les vivres ou pétrissent le pain, que le signal du combat soit donné par le chant de la patrie, et huit jours d’enthousiasme peuvent faire plus pour la patrie que huit ans de combat ! » L’idée obtint un grand succès. La Commune, après les sections, se l’appropria. Elle demanda, le 5 août, de décréter la mobilisation immédiate de tous les citoyens âgés de 16 à 25 ans. Les fédérés s’ébranlèrent deux jours plus tard, mais Robespierre, instruit du piteux résultat des levées tumultuaires de paysans ordonnées dans les départements voisins de la Vendée, leur fit observer que la levée en masse était inutile : « Ce ne sont pas les hommes qui manquent, mais bien les généraux et leur patriotisme. » Les fédérés s’obstinèrent. Leur orateur Royer déclara, le 12 août, à la Convention : « Il faut enfin donner un grand exemple à la terre, une leçon terrible aux tyrans coalisés. Faites un appel au peuple, que le peuple se lève en masse, lui seul peut anéantir tant d’ennemis ! ».

Cette fois Danton et Robespierre appuyèrent la mesure. Danton fit observer que le recrutement des soldats devait s’accompagner d’une mobilisation économique correspondante. Il demanda que les fédérés fussent eux-mêmes chargés dans leurs cantons de présider à l’inventaire des armes, des subsistances, des munitions en même temps qu’à la réquisition des hommes. Robespierre proposa qu’ils fussent en outre chargés de désigner les patriotes actifs, énergiques et sûrs qui remplaceraient les membres suspects des administrations. Comme le Comité de salut public ne se hâtait pas de faire voter le décret qu’ils avaient réclamé, les fédérés reparurent à la barre, accompagnés cette fois des députés des 48 sections, le 16 août. Le Comité s’inclina et, le 23 août, la Convention vota le célèbre décret rédigé par Barère avec la collaboration de Carnot : « Dès ce moment jusqu’à celui où les ennemis auront été chassés du territoire de la République, tous les Français sont en réquisition permanente pour le service des armées. Les jeunes gens iront au combat, les hommes mariés forgeront les armes et transporteront les subsistances, les femmes feront des tentes, des habits et serviront dans les hôpitaux, les vieillards se feront porter sur les places publiques pour exciter le courage des guerriers, prêcher la haine des rois et l’unité de la République. Les maisons nationales seront converties en casernes, les places publiques en ateliers d’armes, le sol des caves sera lessivé pour en extraire le salpêtre, etc. » Tous les jeunes gens de 18 à 25 ans non mariés ou veufs sans enfants formeraient la première classe de la réquisition. Ils se réuniraient sans délai au chef-lieu du district et y seraient formés en bataillons sous une bannière portant ces mots : le peuple français debout contre les tyrans !

2 - H. Taine, Les origines de la France contemporaine, Volume 3, Livre premier, chapitre 1, L’établissement du gouvernement révolutionnaire. La séance du 12 août 1793 à la Convention. - Les délégués prennent l'initiative de la Terreur.

Dès le lendemain. 12 août, avec un zèle de nouveaux convertis, les délégués des assemblées primaires se répandent dans la salle des séances, en si grand nombre que l'Assemblée, ne pouvant plus délibérer, s'entasse à gauche et leur cède tout le côté droit pour qu'ils l'occupent et "le purifient". Tous les matériaux d'incendie accumulés en eux depuis quinze jours prennent feu et font explosion; ils sont plus furieux que les plus outrés Jacobins; ils répètent à la barre les extravagances de Rose Lacombe et des clubs; ils vont au delà du programme que leur a tracé la Montagne. "Il n'est plus temps de délibérer, crie leur orateur, il faut agir. Que le peuple se lève en masse; lui seul peut anéantir ses ennemis.... Nous demandons que tous les hommes suspects soient mis en état d'arrestation, qu'ils soient précipités aux frontières, suivis de la masse terrible des sans-culottes. Là, au premier rang, ils combattront pour la liberté qu'ils outragent depuis quatre ans ou ils seront immolés par le canon des tyrans.... Les femmes, les enfants, les vieillards et les infirmes... seront gardés comme otages par les femmes et les enfants des sans-culottes.".

Danton saisit le moment; avec sa lucidité ordinaire, il trouve le mot qui définit la situation: "Les Députés des assemblées primaires, dit-il, viennent d'exercer parmi nous l'initiative de la Terreur." - De plus, il ramène à des mesures pratiques les motions absurdes des énergumènes: "Se lever en masse, oui, mais avec ordre," en appelant d'abord la première classe de la réquisition, les hommes de dix-huit à vingt-cinq ans; arrêter tous les suspects, oui, mais ne pas les mener à l'ennemi: "ils seraient dans nos armées plus dangereux qu'utiles; enfermons-les, ils seront nos otages". - Enfin il imagine un emploi pour les délégués, qui maintenant sont inutiles à Paris et peuvent servir en province: faisons d'eux "des espèces de représentants chargés d'exciter les citoyens.... Que, de concert avec les bons citoyens et les autorités constituées, ils soient chargés de faire l'inventaire des grains et des armes, la réquisition des hommes, et que le Comité de Salut public dirige ce sublime mouvement.... Ils vont tous jurer de donner, en retournant dans leurs foyers, cette impulsion à leurs concitoyens." - Applaudissements universels; tous les délégués crient: "Nous le jurons!" Toute la salle se lève, tous les hommes des tribunes agitent leurs chapeaux et jurent de même.