La Révolution française dans le débat politique : un enjeu Actuel
samedi 17 juin 2006Depuis quelques semaines, à la une du Monde, Plantu dessine les socialistes en sans-culottes avec bonnets phrygiens et piques. Mais si l'on suit Jean-Luc Mélenchon, la référence à la Révolution française chez les socialistes pourrait se réduire à la crainte du « royalisme » (de Ségolène).
Dans sa critique du projet socialiste, Jean-Luc Mélenchon positionne la Révolution française, dans la partie intitulée « Moderniser l’existant plutôt que construire une alternative », comme une expérience alternative - du moins dans la tradition radicale qu’elle incarne - à la stratégie « moderniste » du PS. Il note ainsi que « le projet manifeste l’ambition de se démarquer de la stratégie de rupture qui caractérise l’action de la gauche dans notre pays depuis la Révolution française ». Il s’agit, dans son propos, de dénoncer la logique « moderniste » qui vise à interdire « la recherche d’une alternative politique globale, expérimentée sous la Révolution française, poursuivie notamment en 1848, ou sous le Front populaire et relancée avec la stratégie d’Epinay ».
De manière plus indirecte, Max Gallo prend l’exemple de la ville de Nice, qu’il connaît bien, pour stigmatiser le caractère clanique et clientéliste du « gouvernement moderne », du temps de Jacques Médecin, au titre d’« une ébauche grossière de Berlusconi, dans une ville qui, au contraire des villes françaises de vieille souche, n’a pas connu l’épisode fondateur de 1789 et des luttes républicaines » (''Libération'' du 9 juin 2006). En intitulant son article, « Il lui a manqué 1789 », Max Gallo marque d’autant plus l’importance de la volonté de gommer la référence à la Révolution française dans les tentatives actuelles de modernisation du programme de la gauche réformiste.
De ce côté-là de la gauche, Roger-Gérard Schwartzenberg analyse la Cinquième République à l'issue des deux mandats de Jacques Chirac en établissant un parallèle avec 1788 : ''1788, essai sur la maldémocratie'', Fayard, 2006. Il dénonce le mépris d'une nouvelle aristocratie pour le peuple, la république confisquée par les privilègiés et souligne l'urgence : en 2006 comme en 1788 tout est encore possible, la réforme, qu'il appelle de ses voeux, ou la révolution dont il voit le spectre.
La réflexion sur l’expérience de la Révolution française comme source d’une alternative politique radicale peut se préciser dans l’analyse de Stathis Kouvélakis intitulée « De la révolte à l’alternative », même s’il n’est pas ici fait directement référence à la Révolution française, abordée plus précisément dans son ouvrage sur Philosophie et révolution. De Kant à Marx (PUF, 2003). Dans cette analyse, Kouvélakis fournit de précieuses réflexions sur « la situation inédite, porteuse de rupture » en conséquence des trois secousses de grande ampleur qui ont touché récemment la France ; le « non » au référendum sur la constitution européenne, les « émeutes des banlieues » de l’automne 2005 et le mouvement anti-CPE de mars-avril 2006. Il en conclut que « Penser l’alternative signifie un effort collectif d’élucidation des conditions politiques d’une rupture effective avec le cours libéral ».
La tradition de la Révolution française occupe, nous semble-t-il, une place singulière dans cette manière de penser l’alternative : il convient donc d’en suivre avec attention la présence dans le débat politique en cours.