Face à une vertu aussi exemplaire, ajoute Madame de Staël, les révolutionnaires de 1793 « accordent la vie à la terreur », suscitent des événements « qui ne produisent plus de nouvelles sensations » (p. XXII-XXIII) en cédant à une telle terreur, tout en oubliant la propre nature de la révolution, ses premiers principes. Il convient donc de faire confiance en la reine, et de repousser avec énergie l’idée qu’elle est autrichienne, donc ennemie des Français, d’autant plus qu « un mot égare, un mot rallie l’esprit du peuple, qui ne se passionne jamais que pour les idées qui s’expriment par un seul mot » (p. XI).

Cependant Monique Cottret rappelle fort opportunément, dans sa longue postface, qu’il n’est pas si simple d’opposer une « mère courage » à une « mère coupable ». En s’inscrivant dans le temps court de la passion et de la hantise d’une condamnation probable à mort, Madame de Staël ne risque-t-elle pas de dresser le portrait d’une femme déjà morte dans son idéalisation de mère sous les habits de reine ? Nous pouvons alors mieux comprendre, dans la suite de l’étude déjà citée de Mona Ozouf, en quoi Madame de Staël conjure ici l’image terrifiante de la mort qui peuple ses rêveries, nous parlant en fin de compte plus d’elle-même que de la reine. A défaut de pouvoir montrer la profondeur de sa souffrance personnelle, elle nous plonge dans les infortunes et les souffrances de la reine. A la fatalité d’être abandonnée par des hommes trop occupés par le pouvoir et la vie sociale, elle substitue un temps « les femmes immolées dans une mère si tendre », la reine qu’il convient donc de défendre par « toutes les armes de la nature » (p. XXX).

Aussi il importe de rappeler, comme le fait Monique Cottret, que Marie-Antoinette c’est d’abord, pour les révolutionnaires, Madame Déficit sous l’Ancien Régime, Madame Veto pendant la Révolution, et qu’elle porte donc sa responsabilité propre dans la perte progressive de confiance de l’opinion à son égard jusqu’à devenir l’Autrichienne par sa manière de s’engager dans les affaires publiques. Ainsi d’autant Madame de Staël est consciente de la faiblesse de son argumentation sur les actes de la reine, d’autant elle porte l’attention du public sur son portrait de femme, ce qui donne un tonalité nettement féministe à ce pamphlet dans son sous-titre même et trop souvent négligé, Réflexions sur le procès de la reine, par UNE FEMME.

Ainsi « Sainte ou madone, Marie-Antoinette idéalisée devient l’archétype de l’héroïsme tranquille » jusqu’au point où « la fin du pamphlet retrouve une tonalité chrétienne : c’est le véritable chemin de croix de la reine qui est évoqué en trois étapes : la mort de l’amie (la princesse de Lamballe), la mort de l’époux, l’enlèvement du fils ; un renoncement, un long calvaire » (p. 75).

Dans l’ouvrage collectif sur Le Panthéon des femmes. Figures et représentation des héroïnes (Publisud, 2004), sous la direction de Geneviève Dermenjian, Martine Lapied et nous-même, nous avions déjà noté - page 23 de l’introduction - l’évolution particulièrement sensible de l’image de Marie-Antoinette d’un reine stigmatisée dans sa débauche à une reine valorisée par sa souffrance de mère. Ainsi est-il, au niveau romanesque, du beau texte de Chantal Thomas, Les adieux à la reine (Seuil, 2002). La publication du pamphlet de Madame de Staël donne à voir la source même de cette image positive au regard d’une lecture immédiate de l’événement rendue possible par la rencontre de deux femmes ne pouvant se retrouver que dans le malheur parce que tout oppose, l’origine sociale comme la politique, la bourgeoise genevoise à l’archiduchesse catholique. Faut-il y voir une manifestation de sensibilité rousseauiste, nourrie par ailleurs de tradition chrétienne ?

(1) Voir notre compte-rendu dans ''Actuel Marx'' N°39, 2006, p. 206-207.