Ce travail de reconstitution s’appuie également sur l’organisation rhétorique d’un discours de facture très classique en la matière, dont nous présentons les principales articulations dans une étude publiée par ailleurs (1). Sur la pensée politique d'Hébert, voir notre compte-rendu du livre d'Antoine Agostini sur http://ahrf.revues.org/document1020.html

(1) « Le discours de salut public d’Hébert au club des Jacobins le 21 juillet 1793. Rhétorique d’une minorité politique », in Minorités politiques en Révolution, sous la dir. de Christine Peyrard, Aix-en-Provence, PUP, 2007, p. 43-63.



Au nom du salut public (1)

« Hébert s’élance à la tribune et réclame la parole au nom du salut public.

Ce n’est pas sans étonnement que je vois qu’on veut détourner la vue de la société, par une dénonciation contre Byron, de dessus un homme qui ne respira jamais que le crime, qui ne vit que pour le malheur de la patrie. Un scélérat consommé, un homme qui n’était connu dans l’assemblée constituante que par ses principes aristocratiques, un homme qui tient la plus belle armée de la république dans une oisiveté criminelle, un homme qui est le plus intime ami de Dumouriez, vient d’arriver à Paris (2) pour consommer son crime, en achevant de vous tromper par ses mensonges. Il est un homme dangereux et qui peut perdre facilement la république, cet homme a succédé aussi à ses projets perfides. Son nom nous est que trop connu, ses crimes vous l’ont rendu odieux ; et à ce portrait fidèle, il n’est aucun de vous qui ne reconnaisse Custine. L’homme qui réunit tous les vices, l’homme qui perd insensiblement la république, c’est Custine !

(Hébert, après fait entrevoir, par cette exorde, une dénonciation importante, cherche à se concilier l’attention et la croyance de ses auditeurs (3))

Hélas ! Je n’oublierai jamais les dernières paroles que Marat prononçait dans les derniers jours de son illustre vie… Je suis, disait-il, le Cassandre de la révolution. Ces paroles mémorables ont été pour nous comme le dernier chant du cygne. On a fait trop peu de cas des dénonciations de ce grand homme (4). Reconnaissons notre faute enfin, et soyons plus authentique désormais. Marat composait un ouvrage qui dévoilait les crimes de Custine (5) ; il succombe au moment où il achevait la première partie de cet important travail : puisque nous lui survivons, mettons la dernière main à l’œuvre, à ce sublime ouvrage qui aurait sauvé la république. Je suis à la tête… Et moi aussi, je veux dévoiler les intrigues et faire tomber la tête des grands scélérats. O Marat ! Tu m’as tracé le sentier. Je marcherai sur tes pas (6). Si Marat, après avoir consacré sa vie et ses travaux à la liberté, n’eut pas toute la croyance qu’il méritait, accordons à ceux qui veulent vivre et mourir comme lui la justice qui lui a été refusée, et que ceux qui veulent dénoncer les ennemis du peuple soient plus heureux que lui.

Un homme né dans une caste qui a précipité la république dans tous les malheurs actuels, un homme qui s’était démasqué il y a déjà longtemps, Custine, a été appelé par le Comité de Salut Public pour rendre compte de sa conduite. Questionné, dit-on ; trouvé innocent et renvoyé (7). S’il est vrai, il est bien incroyable ; sont-ce les faits qui ont manqués ? Et certes, il n’était pas besoin d’un compte pour le connaître, il ne fallait que comparer sa conduite, ses propos, sa correspondance et ses moyens avec ceux de Dumouriez pour le juger digne d’un décret d’accusation.

Cet ex-noble qui a brillé sur le théâtre politique (8), suivons le pas à pas dans sa vie publique et privée. Je l’ai vu à l’assemblée constituante en 1790 défendant l’aristocratie, toujours vendu à la royauté ou au parti feuillant dont il était souvent l’organe (9) ; il savait se ménager un asile auprès des uns et des autres, se réservant un appui jusque parmi vous, et il comptait sur tous en cas de besoin. Si quelqu’un pouvait le nier, les journaux du temps à la main, je confondrais Custine lui-même. Après cela, il est incroyable que Custine ait pu être à la tête des armées de la république. Qu’on se rappelle le temps qui précéda la chute de Dumouriez, qu’on se rappelle le temps où je dénonçais ce général à cette tribune et que j’avertis le peuple de sa défection prochaine (10) ; des écrivains stipendiés dirent fort haut que je voulais désorganiser l’armée, pendant ce temps là Dumouriez trahissait et projetait de livrer nos magasins. On nous accusait alors de perdre l’Etat, de poursuivre les meilleurs patriotes, eûmes-nous raison contre ceux qui nous appelaient anarchistes ?

Si j’examine la conduite de Custine par comparaison avec celle de Dumouriez, je la trouve exactement semblable (11). Dumouriez ayant un rival en tête se mit à la tête des patriotes pour le supplanter ; Custine ayant Dumouriez pour rival sembla se réunir aux patriotes pour terrasser ce traître. Général en chef de toutes les troupes sur la frontière, à la tête de la plus belle armée de la république, d’une armée de jacobins qui ne demande qu’à vaincre, qu’a-t-il fait ? Rien du tout ou le mal. Custine reste dans l’inaction, il ne songe pas à porter des secours à Mayence qui renferme nos magasins, il laisse prendre Condé et se flatte que Valenciennes sera prise. Revêtu de la toute puissance, il laisse une garnison de vingt-deux mille hommes dans Mayence qu’il voulait faire périr ; à la merci des ennemis, faute de secours, de munitions ou de vivres, ils seront obligés de capituler (12). Il a surtout tenté de perdre la république en attirant toutes les subsistances, les munitions du peuple depuis la frontière jusqu’à Compiègne, au-delà de ces mêmes frontières, afin de les livrer à l’ennemi, comme avait fait Dumouriez dans la Belgique, son prédécesseur et son modèle (13). Custine commet à son armée des actes de rigueur dont les plus grands despotes n’ont pas eu idée, il persécute les sociétés populaires de la république…. Quant il envoie des lettres à la Convention où il prêche d’égalité, chez lui, à l’armée, oubliant la dignité de républicain, il conserve tout l’orgueil et le faste du courtisan. Il vit splendidement comme un pacha. Je ne lui reprocherai pas de faire servir sa table comme un lâche, au milieu d’une armée qui, souvent, n’a que le pain qui lui est strictement nécessaire ; mais je lui reprocherai d’avoir une nombreuse argenterie, encore armoiriée, et qui pourtant n’est pas vieille, car elle date de 92. C’est donc en ce temps que Custine ose faire apposer ses armes sur de la vaisselle, ce qui prouve qu’il s’attend à une contre-révolution. Et c’est le patriote au civisme duquel on fait semblant de faire croire !

Ces traits ne sont rien en comparaison de plus d’un trait d’insolence et de rébellion qu’offre sa correspondance avec les ministres. Tantôt il ne veut plus correspondre avec un ministre ignorant (je cite ses expressions), tantôt il a l’audace de dire que, quand un décret de la convention ne lui plaisait pas, il en faisait des papillotes.

Citoyens, Custine est un scélérat. Depuis qu’il est à Paris, la Chronique et autres feuilles à la dévotion de l’aristocratie (14) n’ont pas manqué de répandre que Custine avait cru devoir répondre enfin à toutes les calomnies qu’on n’a cessé de diriger contre lui, mais qu’il rendrait un compte éclatant de sa conduite, et ressortirait plus brillant du creuset de l’examen et vainqueur de la lutte dans laquelle on l’engage. Aujourd’hui cette même Chronique dit positivement qu’il retourne à son armée avec des pouvoirs plus étendus que dans le passé, et que le Comité de salut public, indigné, avait rendu un témoignage éclatant à son innocence (15).

(Plusieurs voix ; « Non, non, cela n’est pas »)

Citoyens, je n’ai pas dit que cela fût, mais que cela a été dit et écrit et qu’on ne répandait ce bruit que pour endormir les citoyens sur le compte de ce traître (16). Je n’attendais, en montant à cette tribune, à l’attention que vous prêtez à une dénonciation aussi grave, et j’en prévois l’effet. Je m’attendais à cet élan sublime de la société, et si je n’en eusse pas été persuadé, si je n’eus pas trouvé la société ainsi disposée, rien n’eut pu m’arrêter, j’aurai couru dans les rues, dans les places publiques, dénoncer ce traître au peuple lui-même. Je lui aurai dit qu’il sera vendu tant qu’il y aura des nobles à la tête des armées

(Vivement applaudi)

Custine est un traître. Il se sentait si peu sûr de sa conscience, en venant à Paris, qu’il a cru devoir s’entourer des hommes de son état-major, qui ont servi Dumouriez, et de ses satellites ordinaires. Hier, aujourd’hui, je n’ai pu faire un pas sans en rencontrer sous tous les costumes. Ces coquins sont disséminés dans tous les lieux publics pour y faire l’éloge de leur général. Ils se répandent dans les rues, les cafés, les groupes et se mêlent dans le peuple pour accréditer cette assertion des gazettes brissotines (17) que Custine est innocent, et connu hautement tel par le comité de salut public, tandis qu’il ne fut jamais suspect. Tandis que si on lui rendait justice, alors qu’il est convaincu même des crimes les plus graves, je vois déjà sa tête sous la guillotine.

IL n’y a pas de moyens que le crime n’emploie pour assassiner la vertu. Le peuple, depuis deux jours, se presse à la porte des boulangers pour avoir du pain (18) ; on rejette la faute sur la municipalité, cette disette factice est encore un tour de Custine. Citoyens, ne vous y trompez pas, j’ai de fortes raisons de croire que c’est à ses amis, à ses adhérents que nous devons la disette qui se fait entendre depuis quelques jours à Paris, qui désole la capitale. C’est une de leurs ruses pour détourner l’attention du peuple, occupé de ses moyens de subsistance, de dessus de Custine qu’on se propose d’innocenter.

(On murmure et quelques signes d’improbation donnent à entendre à l’orateur que ses conjectures portent à faux, puisqu’il n’y a plus de trois semaines que la disette de pain factice ou réelle désole la ville de Paris, Hébert, sans se déconcerter prouve ce qu’il avance).

La capitale est abondamment fournie en vivres, mais les ennemis du peuple font tout ce qu’ils peuvent pour les faire disparaître. Vous en doutez, et on a trouvé à l’arche Marion des voitures de pain qui avaient été jetées à l’eau.

(A ces mots, il se fait un grand bruit et tous les auditeurs entrent en colère)

Ce sont les moyens qu’on emploie pour nous faire perdre le fruit de nos soins. C’est ainsi qu’on veut amener le peuple au dégoût de la liberté. C’est comme cela qu’on imagine qu’on fatiguera le peuple, c’est comme cela que les amis de Custine sont les amis de Cobourg, parce que partout les scélérats se tiennent par la main.

Citoyens, laissons toute discussion pour nous occuper que de ce serpent tellement insidieux que, si nous ne coupons pas la tête, nous périrons certainement de ses piqûres, et de nos blessures.

(Applaudi)

Jamais, je ne sentis plus vivement la perte de l’Ami du Peuple que dans cette circonstance. Marat, lorsqu’il est tombé sous le fer des aristocrates, s’occupait d’un travail qui eût infailliblement conduit Custine à la guillotine. il avait sur ce brigand les notions les plus claires ; il avait recueilli sur ce monstre un grand nombre de faits qui démontraient sa trahison ; il se proposait enfin d’en rajouter beaucoup d’autres. Ses découvertes, fruit d’un travail immense, lui avait procuré tous les renseignements qui pouvaient le démasquer. La première partie de ce travail est faite, il ne reste plus que la seconde. Il faut que ce travail soit achevé (19). Je demande que la société supplée Marat et qu’elle nomme une commission chargée de terminer ce travail, que la discussion s’engage sur Custine, et que tous ceux qui auront des dénonciations à faire contre lui soient entendus (Applaudi).

Quand il y a dans la campagne un loup enragé, une bête féroce et scélérate qui dévaste les troupeaux, sur le champ on sonne le tocsin de toutes parts, on se jette sur la bête enragé et l’on ne lâche point prise qu’un n’en ait délivré le pays. C’est là l’exemple de notre conduite envers un conspirateur.

Eh bien ! Levons-nous et demandons à la Convention l’acte d’accusation contre Custine.

(Oui ! Oui ! s’écrie unanimement toute l’assemblée)

Si Custine nous échappe, nous sommes perdus ; il ne faut rien ménager ici et j’ose le dire avec franchise, s’il y avait plus d’énergie dans la convention, nous n’aurions pas besoin de pérorer ici pour échauffer les esprits. Custine serait destitué, arrêté et décrété d’accusation. Je ne dissimule pas que des hommes, amis secrets de Custine dans la Convention, chercheront à soustraire cet illustre scélérat à la vengeance des lois, à la juste punition qu’il a encourue. Il se trouvera peut-être dans la montagne quelques hommes assez lâches pour le défendre (20). Mais s’ils sont susceptibles de quelques sentiments, d’honneur et de probité, qu’ils tremblent ! Ils le croient ou veulent le croire innocent ; qu’ils se souviennent que Danton et Lacroix, en élevant la voix pour Dumouriez, nous ont plongé le couteau dans le sein. Cet exemple ne doit-il pas effrayer tous ceux qui défendent un homme généralement suspect. Quoi ! des hommes qui furent si constamment dupes de Dumouriez, que je crus égaré, comme je le crois encore, ne prouvent-ils pas combien il faut être réservé sur le compte de ceux dont on répond ? C’est ainsi que ces législateurs égarés, s’ils ne furent vraiment qu’égarés, sont responsables à la république de tous les maux que lui a fait leur protégé (21) (Très applaudi).

Je veux croire que ces deux hommes se sont trompés. Mais aujourd’hui, il ne faut plus être dupes. Rappelez aux députés cet exemple terrible, qu’ils frémissent d’une responsabilité si effrayante : les temps ne sont plus les mêmes, il faut être vrai, il faut dévoiler enfin de grandes vérités.

Citoyens, ne vous y trompez pas, quand Dumouriez nous a trahi, la somme de nos ressources était si grande encore. De toutes parts, des dons offerts à la patrie, des citoyens courant se ranger sous ses drapeaux nous assurraient la victoire. Mais si Custine trahissait dans la crise où nous nous trouvons aujourd’hui, la république ne pourrait peut-être plus s’en relever. Nos ressources sont épuisées et, je le dis, non tristement mais avec confiance, que c’est de là que nous tirerons notre salut s’aujourd’hui ; pour me servir d’une expression populaire (22), nous jouons de notre reste, il faut triompher ou périr. La liberté est perdue si Custine nous échappe. Il faut le conduire à l’échafaud.

(Oui, oui s’écrièrent plusieurs voix)

Oui, Custine est un scélérat, dont il faut avant tout punir les crimes. Nous serons tous anéantis si nous le renvoyons à son poste. Mais fut-il un homme vertueux, la loi de l’ostracisme lui sera applicable en ce moment, et se serait surtout celui de sauver la patrie, dont il a perdu la confiance aux dépens d’un seul homme. La prudence veut que nous ne remettions pas nos destinées entre ses mains ; il est suspect, cela doit suffire. Je me résume et je demande que la société nomme dans son sein une commission composée de douze membres intelligents, patriotes qui, après la levée des scellées (23), s’emparent du travail de Marat et le continuent pour nous servir en cas de besoin.

2° Qu’on prenne toutes les précautions pour s’assurer de lui, et qu’on ne lâche point ce scélérat qu’on ne l’ait conduit) la guillotine

(Vifs applaudissements)

(Le cordelier Vincent (24) intervient à la suite d’Hébert et soumet aux jacobins des preuves écrites de la scélératesse de Custine depuis qu’il a pris le commandement de l’armée du Rhin. Il promet de les communiquer soit à la commission que la société nommera, soit à la tribune. Hébert prend alors de nouveau la parole)

Citoyens, il reste encore un abus à détruire. Ce n’est plus seulement Custine qu’il faut bannir et destituer, ce ne serait qu’un remède imparfait au mal, ce sont tous les nobles qui figurent dans nos armées, dans la magistrature, partout !, que nous devons proscrire. Le temps est venu de nous débarrasser des traîtres qui ont surpris notre confiance, et nous ont toujours si cruellement abusé. Votons leur destitution générale, leur nullité absolue. Que le peuple la demande, le peuple lui-même ; il l’obtiendra à coup sûr. Qu’il se rende en foule à la Convention, et qu’après avoir exposé tous leurs attentats, il se borne à demander leur expulsion. Qu’il se tienne en permanence jusqu’à ce qu’il l’obtienne. Il faut que le peuple encore une fois reprenne son caractère.

( Tout le monde : « Oui, oui, nous irons tous »).

S’il faut un successeur à Marat (25), s’il faut une seconde victime à l’aristocratie, elle est toute prête et bien résignée : c’est moi. Pourvu que j’emporte au tombeau la certitude d’avoir sauvé ma patrie, je suis trop heureux. Mais obtenons justice, réunissons nous tous et crions : plus de nobles… plus de nobles, les nobles nous assassinent.

Tout le monde se lève, et par un mouvement unanime promet d’appuyer cette juste demande.

Jacobins, peuple qui m’entendez, je m’attendais à ce sublime élan. Je savais bien qu’il existe parmi vous d’excellents patriotes, de zélés défenseurs de la liberté, aussi je ne désespérai point de ma patrie, tant qu’il existera des Jacobins. Je prédis que la république sera sauvée. Courage, union pour tous ! Guerre ouverte aux intrigants, aux aristocrates ! Destitution des nobles ! et nous aurons triomphé, tous les ennemis de la liberté seront vaincus.

(Vifs applaudissements)

Je demande donc que douze ou six de vos membres soient nommés pour aller sur le champ au comité de salut public demander la destitution des nobles des emplois civils et militaire.

Je demande que tout le peuple se porte à la Convention pour demander la destitution de Custine et celle de tous les nobles.

(A ces mots, chacun se lève et promet d’appuyer la pétition proposée par Hébert (26))

Je demande donc que Custine soit mis en état d’arrestation, qu’il soit traduit devant le tribunal révolutionnaire et que sa tête tombe ; qu’à l’instant on nomme une commission pour recueillir tous les faits qui sont contre ce scélérat ; que des commissaires aillent sur le champ au comité de salut public pour lui faire part des sollicitudes qui agitent le peuple et que sur le champ Custine soit mis en état d’arrestation afin qu’il ne puisse échapper (27).

Les trois propositions suivantes sont adoptées :

- que le peuple en masse aille à la Convention demander la destitution de tous les nobles ;

- qu’une commission de six membres soit nommée pour continuer l’ouvrage de Marat sur Custine ;

- que toutes les précautions possibles pour s’assurer, dans le jour même, de Custine, soient assurées (28). »




NOTES

1 La version « longue » de ce discours a été établie principalement à l’aide des comptes-rendus du Journal des débats des Jacobins, du Journal de la Montagne, du Journal de Sablier et de la Correspondance politique de Paris et des départements. Mais nous avons également pris en compte des apports, plus ponctuels, d’autres comptes-rendus journalistiques. Cet apostrophe, "au nom du salut public" indique bien que nous entrons là dans un genre très spécifique de la rhétorique révolutionnaire, le discours de salut public, relayé par de nombreux organes de presse. Voir à ce sujet notre étude, "Les journaux parisiens dans les luttes révolutionnaires en 1793. Presse d’opinion, presse de salut public et presse pamphlétaire" in La Révolution du journal (1788-1794), Paris, Editions du CNRS, 1989, p. 275-284

2 D’après la presse, Custine arrive à Paris vers la mi-juillet.

3 Voilà un bel exemple de conscience rhétorique de la part du Journal de Sablier. Elle justifie pleinement notre commentaire rhétorique, en préalable à l’édition de ce discours tout emprunt d’une éloquence de salut public.

4 Le portrait de Marat en dénonciateur est repris par d’autres jacobins, puis amplifié par Etienne Barry dans son Essai sur la dénonciation politique rédigé dans la semaine qui suit. , Voir sur ce point notre étude « Fragments of a Discourse of Denunciation (1789-1794) », The Terror, The French Revolution and the creation of modern political culture, volume 4, K. M. Baker ed. Pergamon, Nex-York-Oxford, 1994, p. 139-156.

5 Dans le dernier numéro du Publiciste de la République française, le N°242 du dimanche 14 juillet 1793, donc diffusé avec son assassinat le 13 juillet, Marat fournit une preuve de la trahison de Custine et de son état-major. Il précise également que Custine est en train de prendre la place de Dumouriez, préparant ainsi l’argumentaire d’Hébert. Voir le tome X des Œuvres politiques de Marat, éd. J. de Cock et C. Goetz, Bruxelles, Pôle Nord, 1995.

6 Une telle invocation à Marat est traduite de manière fictionnelle par Hébert, quelques jours plus tard, dans une prosopopée (« figure par laquelle l’orateur prête de l’action, des sentiments et un langage » présentement à Marat mort) durant laquelle Marat s’adresse en songe au Père Duchesne (N°264) pour l’adouber son successeur. Ce numéro du Père Duchesne est diffusé dans les rues de Paris pendant plusieurs jours – entre le 30 juillet et le 2 août -, preuve de sa forte diffusion. Sur la datation du Père Duchesne, non daté sur le pamphlet lui-même, par son écho majeur dans la presse, voir notre étude, « Dater le Père Duchesne (juillet 1793 - mars 1794), Annales Historiques de la Révolution française, 1996, N°1, p. 68-75.

7 De fait, les partisans de Custine font circuler des Observations pour servir de réponse aux inculpations faites contre Custine, Archives Nationales, AD I 51.

8 Custine, député noble libéral à l’Assemblée constituante a fait une brillante carrière parlementaire entre 1789 et 1791. Il est l’un des 53 députés qui parlent le plus souvent. Ses interventions, plutôt modérées, portent sur la nécessaire « conservation de la société », tout particulièrement en matière de « respect des propriétés ». Il se présente également comme l’un des grands spécialistes des affaires de défense nationale. Voir sa biographie dans le Dictionnaire des Constituants d’E. H. Lemay, Paris, Universitas, 1991, p. 254-257.

9 Dans le numéro 266 du Père Duchesne, diffusé dans les rues de Paris le 31 juillet, Hébert écrit : « J’avais vu ce fanfaron à l’assemblée constituante faisant toujours chorus avec les aboyeurs de la liste civile pour écraser le peuple et donner au conard Capet tous les pouvoirs et l’autorité possible, afin d’écraser la liberté ». Sur le Père Duchesne, voir notre étude http://www.cavi.univ-paris3.fr/lexicometrica/article/numero0/jgadlex.htm.

10 Nous l’avons vu, Hébert avait déjà prononcé, le 8 mars 1793, « un éloquent discours » à la tribune des Jacobins « pour rappeler les Dumouriez, les Dillon, les Custine et tous les généraux qui trahissent la liberté » (Annales de la République française). Et il ajoute en direction du peuple : « Il est temps de s’occuper du bonheur public ; il faut que le peuple, qui a fait la révolution, jouisse des fruits de cette révolution ; il est temps que les intrigants rentrent dans le néant ; il faut les exterminer » (Journal des débats des Jacobins).

11 Cette comparaison a valeur de lieu commun, ce qui explique la vigueur de la réponse des partisans de Custine à ce parallèle : « Quand on répond aux détracteurs de Custine, en citant une foule de faits qui établissent avec évidence les sentiments purs et la conduite irréprochable de ce Général, ils ont l’audace et la mauvaise foi de répondre que Dumouriez se conduisait ainsi avant d’avoir manifesté sa trahison », Observations…, op.cit.

12 La presse parle de la capitulation de Mayence. L’événement est donc dans tous les esprits.

13 Hébert développe de nouveau cette comparaison dans le Père Duchesne diffusé le 31 juillet dans les rues de Paris, en y ajoutant une nouvelle preuve : « Revenons à ce garnement de Custine et prouvons aux incrédules (puisqu’il faut des preuves) que ce viédase est le second tome de Dumouriez Il existe un billet signé de la main du traître Custine dans lequel il engageait le général Doiré à négocier la reddition de Mayence avec nos ennemis » (N°266).

14 Après la dénonciation des journalistes qui ont dressé un portrait flatteur de Charlotte Corday, leur bienveillance à l’égard de Custine les désigne comme modérés, et entame une campagne politique contre une partie de la presse parisienne pendant l’été 1793. Sur le cas de Charlotte Corday, voir G. Dermenjian et J. Guilhaumou, « le ‘crime héroïque’ de Charlotte Corday », Le Panthéon des femmes. Figures et représentation des héroïnes, sous la dir. de G. Dermenjian, J. Guilhaumou et M. Lapied, Paris, Publisud, 2004.

15 Le texte de la Chronique de Paris du 21 juillet, incriminé par Hébert, est le suivant : « Il paraît que l’annonce de la destitution du Général Custine n’était nullement fondée, ou qu’il a su se disculper entièrement des reproches dirigés contre lui. On assure qu’il retourne à son poste avec un pouvoir assez étendu pour ne pas craindre d’être contrarié dans les mesures qu’il croire devoir prendre ».

16 L’effet de cette dénonciation du journaliste de la Chronique de Paris est perceptible dès le lendemain dans la presse. Ainsi, le journaliste de L’Abréviateur Universel écrit le 23 juillet : « Nous disions hier que Custine était parti avec carte blanche pour repousser hors de nos frontières du Nord les satellites des tyrans. Mais cette nouvelle, répandue la veille avec affectation, ne se confirme pas », tout en faisant référence « au patriotisme qui dévoile les traîtres », en l’occurrence Hébert et le Père Duchesne. 17 Là encore, Hébert s’en prend à la presse modérée, à vrai dire une presse d’opinion prise sous l’emprise grandissante de la presse de salut public comme nous le montrons dans notre étude déjà citée « Les journaux parisiens dans les luttes révolutionnaires en 1793... »

18 Le journaliste des Annales de la République Française, note, à la date du 21 juillet : « Hier, la foule était si grande auprès de quelques boutiques de boulangers, l’empressement pour se procurer du pain était tel que plusieurs personnes furent frappés et renversées, et que l’on craignait pour ces boulangers ».

19 Quelques jours plus tard, dans le Père Duchesne N°264, Hébert légitime cette exigence de la bouche même de Marat par les termes suivants : « Il faut que tu fasses ce que je n’ai pu faire ».

20 Hébert revient sur ce point dans le Père Duchesne N°266, diffusé le 31 juillet, dans les termes suivants : « Ainsi donc, foutre tandis que cet infâme brigand jetait de la poudre aux yeux de la Convention, et que certains badauds de la Montagne, dupes de ses singeries patriotiques, l’élevaient au-dessus des nous, il travaillait sourdement la ruine de la France. »

21 Hébert entame ici une campagne contre les montagnards modérés qui se précise dans le Père Duchesne N°264, par les propos de Marat en songe (« Il en est encore dans la convention, il en est de même à la Montagne quelques-uns que je démasquerai ») et culmine dans son Père Duchesne N°275 (22 août) à propos de « l’accaparement de savon que l’on fait pour blanchir Custine ». Hébert s’en prend non seulement aux montagnards qui « mitonnent la contre-révolution », en particulier « le bateleur Lacroix », mais aussi aux comités de la Convention, usurpateurs de « tous les pouvoirs ». La dénonciation contre Custine marque ainsi le point de départ d’une campagne pour la réorganisation du pouvoir exécutif à l’horizon de la mise à l’ordre du jour de la terreur.

22 Expression populaire, familière qu’Hébert utilise, avec d’autres, dans le Père Duchesne. Ainsi il se réjouit, suite à son intervention que Custine soit en prison, et donc « siffle la linotte » sans plus pouvoir « mettre les Sans-culottes à chien et à chat » (N°266, 31 juillet).

23 A vrai dire, les scellés sur les papiers de Marat seront levés le 26 juillet (Archives de la Seine, D 12 U (1) 6).

24 Autre dirigeant important du club des Cordeliers admis aux Jacobins, Vincent répercute le mot d’ordre énoncé ci-après par Hébert de destitution des nobles dès le 23 juillet aux Cordeliers dans les termes suivants : « Un des premiers commis de Bouchotte le ministre de la guerre, Vincent s’engage à demander à tout individu qui se présentera pour demander une place, s’il est noble et à le faire exclure de tous les emplois de la république, quand il tiendra à cette infâme caste qu’il faut anéantir » (Nouvelles politiques).

25 De fait, la presse soulignera fortement, dans les jours suivants, l’identification d’Hébert et du Père Duchesne à Marat : « Le Père Duchesne, qui s’est chargé du rôle pénible de dénonciateur public, au lieu et place de Marat, dénonce les généraux » (Thermomètre du jour du 30 juillet).

26 Plus largement, les Annales de la République française du 27 juillet précise « qu’on est disposé à suivre les moyens proposés par le Père Duchesne : tous les orateurs des groupes parlent dans ce sens », en particulier au sein du Club des Cordeliers.

27 Custine est arrêté le lendemain du réquisitoire d’Hébert. Il devient l’objet de toutes les conversations comme le note Dugas, l’agent du ministère de l’intérieur (Archives Nationales, F 1c III Seine 27) : « On ne cesse de s’entretenir de Custine. Partout il est accusé d’avoir trahi les intérêts de la chose publique. Les aristocrates seuls font semblant d’en douter. Aux Jacobins, on demande que sa tête tombe, et les tribunes applaudissent ». Il passera devant le Tribunal révolutionnaire et sera exécuté le 25 août à la grande joie du Père Duchesne : « Enfin le traître Custine joue à la main chaude » (N°278 diffusé dans les rues de Paris le 29 août). La campagne hébertiste de dénonciation contre Custine se termine donc le jour même de la mise à l’ordre du jour de la terreur au club des Jacobins. Elle s’avère ainsi exemplaire de mise à l’ordre du jour de la dénonciation, puis de la terreur pendant l’été 1793.

28 Précautions nécessaires si l’on en croît le récit d’Hébert au club des Jacobins le 24 juillet : « Hébert prend ensuite la parole sur Custine, et reproduit la motion qu’il avait fait dimanche. Nous avons gagné une grande victoire, dit le Père Duchesne, cas Custine était prévenu par des Jacobins, et si nous n’eussions pas été au Comité de Salut Public, il allait nous échapper. Des chevaux étaient préparés et l’on conduisait Custine à son armée, à laquelle, se prétendant innocenté aux yeux de la Convention, il aurait parlé en maître et régné par la terreur » (Journal historique et littéraire, Journal de la Montagne)