1842-1844. La rencontre de Babeuf et de Fichte chez Moses Hess et la naissance du marxisme. I - La philosophie hessienne de l'action Annonces
dimanche 1 janvier 2006Par Jean-Christophe Goddard, Université de Poitiers
En 1842, Moses Hess soutenait, dans un article qui servira à Marx pour la rédaction des Manuscrits de 1844, que seul Fichte avait su faire progresser la philosophie jusqu’à « l’Action », et ce faisant, était allé « plus loin » que les « Jeunes-Hégéliens ». Reprenant une thèse centrale de la philosophie sociale de Fichte, qui rapporte l’institution de la propriété au préjugé ontologique qui regarde l’être comme chose, Hess écrit cette page remarquable, d’où Marx tirera en 1844 sa théorie de l’aliénation : « Chez (les Jeunes-Hégéliens) la vie sociale n’a pas encore dépassé le point de vue de la réflexion, le stade de l’être-pour-soi. L’objet de l’activité y apparaît encore comme un autre réel et le sujet, pour parvenir à la jouissance de soi, de sa vie, de son activité, doit retenir l’objet séparé de lui comme sa propriété car il est en outre menacé de se perdre soi-même. Ce n’est que dans la propriété matérielle que le sujet qui en reste au stade de la réflexion prend conscience qu’il est – ou plutôt qu’il était – actif pour soi. (…) Il est constamment dépossédé de sa propriété réelle, de son action présente (…). De sa propriété, de son activité, de sa vie, il ne retient que l’apparence, le reflet, comme si ce reflet était sa vraie vie, sa propriété réelle, sa véritable action ! Voilà bien la malédiction qui, au cours de toute l’histoire passée, a pesé sur l’homme : il n’a pas considéré l’activité comme but se suffisant à lui-même et il a constamment saisi la jouissance comme étant coupée de l’activité (…) ».
La philosophie de la « réflexion » se trouve pour Hess du côté de Schelling et de Hegel (« le philosophe de la Restauration »), qui, après avoir été « saisis d’effroi » par l’anarchie révolutionnaire dont Fichte fut un « héros » en Allemagne, s’étaient demandés « comment restaurer le monde objectif nié ». Seul l’idéalisme radical de Fichte pouvait servir la cause du socialisme, car « le but du socialisme n’est pas différent de celui de l’idéalisme, à savoir ne rien laisser subsister de l’ancien fatras que l’activité ». L’un des apports considérable de Hess fut, en outre, de mettre à jour le spinozisme de Fichte. Considérant que Fichte et Babeuf (« le Fichte français ») devaient être regardés comme les deux héros de la Révolution, il leur attribuait le mérite d’avoir été les deux premiers « bourgeons » de l’Ethique après que celle-ci fut restée plusieurs siècles « sans féconder la terre dans laquelle elle gisait ». C’est alors à une nouvelle représentation de l’histoire de la philosophie sociale allemande qu’on est obligé : ce n’est pas dans la continuité (polémique) avec Hegel que s’est proprement formée la pensée sociale et communiste de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, mais plutôt par la mobilisation des perspectives offertes au spinozisme par la Doctrine de la science âprement combattue par Schelling et Hegel. C’est donc par Fichte qu’il faut commencer, afin – pour reprendre une expression appliquée par Moses Hess à Fichte et à Babeuf –, « de commencer par le commencement et de progresser sans faire de bonds ».
Résumé d'une des interventions dans le cadre du séminaire commun aux universités de Bordeaux, Poitiers et Toulouse 2005-2006, « Philosophies sociales françaises et allemandes », sous la responsabilité de J.-Ch. Goddard, Université de Poitiers, Département de philosophie, Master mention « philosophie » du Sud-Ouest de la France.
Séance du 20 janvier 2006
Salle Jacques D’Hondt
Matin :
9h30-11h00 : Franck Fischbach (université deToulouse) :
« Introduction aux concepts de la philosophie sociale ».
11h15-12h30 : Emmanuelle Paré (université de Poitiers) :
« Le socialisme comme production. Jaurès lecteur fichtéen de Marx ».
Après-midi :
14h00-16h30 : Jean-Christophe Goddard (université de Poitiers) :
« 1842-1844. La rencontre de Babeuf et de Fichte chez Moses Hess et la naissance du marxisme. I. la philosophie hessienne de l'action ».
Séances de 9h30 à 12h30 et de 14h à 16h30, salle Jacques D’Hondt, les vendredis 20 janvier, 10 février, 3 mars, 17 mars, 31 mars.