Des historiens, des sociologues, des littéraires, des historiens de l’art sont convoqués, comme témoins des représentations contemporaines d’une Révolution affranchie des références et du devoir d’histoire scientifique de colloques traditionnels, telles que ces représentations se manifestent dans les écrits, les supports, les objets de consommation d’une culture de masse au quotidien, d’une « opinion commune stéréotypée », d’une « conscience collective » diffuse, de phénomènes de mode sans commune mesure avec les expressions d’une « culture savante » de cette Révolution. De ce choc inédit entre deux cultures, des sélections mémorielles et instrumentalisées autour des mythes révolutionnaires, les organisateurs espèrent mettre en lumière des enjeux idéologiques et économiques majeurs de notre époque et fonder la légitimité scientifique de l’analyse d’imaginaires collectifs, quelles que soient les « idées fausses » que ceux-ci véhiculent en s’affranchissant de « l’histoire officielle ». On peut imaginer d’emblée les tensions et les clivages susceptibles d’être générés par ces relectures « populaires » d’une Révolution qui « a fécondé l’Histoire » (3) chez ses historiens « classiques ». Le moins que l’on puisse écrire, au terme de ces journées studieuses, est que le choc espéré a bien eu lieu, et que le pari initial a suscité des révélations et des débats passionnés, d’une acuité intellectuelle impressionnante. L’auteur de ces lignes propose un essai de synthèse « à chaud », qui ne rendra compte que partiellement de la richesse et de la qualité d’une trentaine de communications, dont la publication est prévue dans moins d’un an, comme accompagnement de l’exposition sur le même thème au musée de Vizille, à l’été 2013.

Une Révolution française détournée, fantasmée, stéréotypée

Entrant, par touches successives, dans les « cultures populaires » et leurs médiations, les historiens professionnels risquent de sortir désorientés, frustrés et accablés d’un constat implacable, que l’on peut résumer par deux conclusions. D’une part, la Révolution française devient tellement perçue comme une époque de violence et de « Terreur » qu’elle finit par se confondre avec son « livre noir ». De l’autre, elle revet une dimension de plus en plus manichéenne, opposant la « populace-bourreaux » aux « aristocrates-victimes », dont « l’icône » inconstable serait Marie-Antoinette, vedette de l’écran, de la littérature et des produits dérivés. Jamais, autant que depuis les années 2000, les distorsions entre l’univers reférentiel et contextualisé des historiens et celui des médias de masse des pays « libéraux » n’auront été aussi spectaculaires.

Michel Delon, étudiant deux romans « populaires » de Daniel Picouly (1999, L’enfant léopard, prix Renaudot) et de Chantal Thomas (2002, Les adieux à la reine, prix Femina), avait pourtant préparé les esprits. La compassion pour la reine assassinée, pour son enfant-métis dans le polar noir de Picouly, surgie des images Mokarex de son enfance, n’a d’autres similitudes avec « la reine du peuple » de Chantal Thomas, et ses derniers jours à Versailles que l’empathie du lectorat avec un personnage victime du cataclysme, de l’apocalypse révolutionnaire, symbole malgré elle d’une civilisation condamnée par les révolutionnaires de 1789. Ce rapprochement n’était nullement fortuit. Un panorama poussé des romans historiques contemporains (4) et des romans historiques policiers (5), vus de France, montre une révision du « moment Révolution » dans l’imaginaire des auteurs et des lecteurs des années 2000. Il n’y a plus de place pour les visions progressistes et positives d’une Révolution dont les acquis et l’utopie vitale (les droits de l’homme, la démocratie entre autres) sont évacués au bénéfice d’une période où les individus sont broyés dans une tourmente assimilée à « terreur de masse, massacres, génocide et fanatisme ». L’enfant-martyr du Temple, les « mariages forcés » de Nantes, les affres de la Conciergerie, la revanche des Merveilleuses, ces fictions matinées d’histoire plongent dans les attentes d’un public dont la relecture de la Révolution passe par des stéréotypes condamnant les « bourreaux », la populace, les « onze » (du Comité de salut public », les « tricoteuses » et l’univers de la guillotine. La mémoire romanesque n’a conservé des fondamentaux du XIXe siècle (Dickens, Hugo, Dumas, Balzac, Taine) que la vision de la foule « tripale », dans la plus pure tradition d’une légende noire qui condamne les « terroristes » et encense les « victimes », ne laissant aucun espace pour de possibles héros de la geste révolutionnaire.

La preuve en est apportée, s’il le fallait encore, par l’incroyable popularité de Marie-Antoinette, et ce retournement spectaculaire des représentations, de la reine coupable des journées d’octobre 1789, de Madame Veto, de « l’autrichienne », l’ennemie du peuple « sans-culotte » à la figure de fiction construite dans les films, les romans et la « pop-culture du XXIe siècle ». Le chemin parcouru entre le film-culte de Sofia Coppola (2006) et Les adieux à la reine de Benoît Jacquot (2012) révèle des basculements dans l’inconscient collectif dont le déferlement des produits dérivés de la reine dans le monde anglo-saxon (les USA essentiellement) démonte certains mécanismes. Le point de départ est pourtant historique (le monde de la Cour, les affaires, les portraits, les journées, Stephan Zweig, Evelyne Lever) pour forger de nouveaux stéréotypes, entre sensualité, frivolité, luxe et victimisation. De la fiction on passe insensiblement à la marchandisation (6) de la reine sous forme d’éventails, produits de beauté, argenterie, poupées, perruques, parfums, couleurs, macarons. D’aucuns comparent l’image de Marie-Antoinette à celle de Marylin Monroe, mais il s’agit bien de médias de masse et de culture matérielle, identifiée à une « révolution haïssable », pour un large public qui a définitivement rompu avec les caricatures de « Madame Déficit » et de la « veuve Capet » !

D’autres aspects, moins spectaculaires, des représentations mythologiques de la Révolution française, renvoient aux mêmes tendances lourdes, celles d’un divorce entre ce qui fut considéré en son temps comme la rupture fondant un monde nouveau autour des droits de l’homme, de la démocratie et de la nation en armes et l’époque de Terreur et de violence aveugle que cette Révolution incarnerait aujourd'hui pour un large public sensible aux médiations modernes et aux relectures contemporaines. Les contre-révolutions suscitent de nos jours des représentations qui sacrifient aux modes touristiques (7) et aux produits dérivés, en perdant le fond historique qui était le leur, il y a moins d’un demi-siècle. L’iconographie sacrificielle des « bienheureux martyrs » de la foi (prêtres, religieuses) continue de nourrir les rancoeurs de certains milieux catholiques à l’égard d’une révolution dont l’aspect antichrétien et le « vandalisme » sont amplifiés (8).

Au terme de ces analyses, toutes fondées sur des supports dont il serait illusoire de contester la légitimité et la diffusion, l’historien « classique » se sent désemparé. Comment en est-on arrivé à ce degré d’identification du « peuple » à la « populace », du monde des « aristocrates » et des privilégiés » condamné par les doléances et les journées insurrectionnelles devenu celui des « victimes » de la Terreur aveugle que dénonçaient Dickens dans les années 1850 (A Tale of Two Cities) ou Anthony Mann en 1949 (The Black Book) ? Les modes néo-libérales venues d’Outre Atlantique et les clichés des romans français suffiraient-ils à discréditer la Révolution française, à en évacuer tout contenu progressiste et positif, avec toutes les conséquences politiques, sociales et idéologiques qui en découleraient ? La puissance de contestation de l’ordre établi aurait-elle déserté les antichambres de la Révolution pour s’affirmer dans d’autres révoltes, celles de l’imaginaire de la piraterie (9), ou celle des réseaux sociaux de manifestants, « Anonymous », si éloignés des pratiques des institutions de la révolution de 1789 ? L’absence quasi-totale de la révolution dans l’univers des jeux vidéo à caractère historique sonne-t-elle le glas de la signification de la Prise de la Bastille, de Valmy et de la geste des soldats de l’an II (10) ? L’offensive historiographique des rédacteurs du « Livre noir de la Révolution française » (2008) est-elle en mesure de mettre à l’ordre du jour une loi mémorielle sur le « génocide vendéen » et étouffer les acquis que deux siècles d’historiographie républicaine (de Michelet à Vovelle, de Jaurès à Soboul) avaient mis en lumière ? Le mérite du colloque a été de poser avec brutalité ces questions, et de susciter en retour des réponses, des explications et des amorces de « résistances » chez ceux qui pensent que la Révolution reste présente dans les cultures populaires, dans d’autres milieux, d’autres espaces et d’autres utopies vitales.

Une Révolution toujours présente et positivée

Vue du Japon, par exemple, les représentations de la Révolution française sont très différentes de celles qui dominent aux Etats-Unis. En témoigne l’incroyable succès de La Rose de Versailles, un manga de Riyoko Ikeda, publié en feuilleton en 1972-1973, à destination des jeunes filles de six à quinze ans, puis diffusé en France sur le petit écran à travers la version animée de Lady Oscar dans les années 1980 (11). Inspiré initialement de la biographie de Marie-Antoinette par Stephan Zweig, l’histoire déplace l’intérêt vers le personnage d’Oscar, fille « travestie » d’un aristocrate, un moment chargée de la sécurité de la Reine. Mais le sugissement de la Révolution est l’occasion pour Oscar de prendre conscience des injustices de sa caste à l’égard du peuple, et de prendre fait et cause pour ce dernier, incarné par son ami roturier. Le manga, produit culturel de consommation de masse au Japon, est inspiré en partie de la culture savante (manuels scientifiques et scolaires) et de la connaissance de l’iconographie de la Révolution (12), de ses tableaux historiques. Les nombreuses distinctions obtenues par Ikeda en France témoignent de la rencontre possible entre un récit positif de la Révolution française (la lutte contre les privilèges et les inégalités) et l’imaginaire collectif d’une partie importante de la jeunesse japonaise, alors que Marie Antoinette s’efface devant Lady Oscar et la double prise de conscience de celle-ci, en tant que femme et que révoltée. Les produits dérivés de Lady Oscar ne revêtent plus la même signification, alors même que le film réalisé par Jacques Demy pour une société japonaise (1978), gomme en partie l’engagement politique de Lady Oscar et l’évocation directe de la révolution populaire.

Les représentations théâtrales ou filmées de la Révolution sont probablement plus respectueuses du récit événementiel que les fictions romanesques. L’insuccès des pièces jouées à la Comédie française entre 1831 et 1931, centrées sur des figures aussi « tragiques » que Théroigne de Méricourt (13) (par Sarah Bernhardt), Charlotte Corday ou Danton (14) ne peut occulter les tentatives de théâtre populaire de la révolution, de Romain Rolland à Ariane Mnouchkine (1789 et 1793 à la Cartoucherie de Vincennes), quand les acteurs se mêlaient au public pour expliquer les mobiles de leurs soulèvement. Le succès d’estime d’une pièce jouée en 2009-2010 (Notre Terreur) où le huis clos du Comité de salut public expose les problèmes de la marche de la Révolution dans la période de tous les dangers prouve, s’il le fallait encore, l’acuité des engagements de ses acteurs et leurs résonances contemporaines.

Les valeurs et les symboles de la Révolution française conservent leurs vertus et leur pouvoir d’exemple et de contagion, voire d’invitation à la polémique dans certains films cultes, en particulier des années 1920-30, quand la Marseillaise de Jean Renoir fait écho au Napoléon d’Abel Gance. Ce dernier chef-d’œuvre est modifié pendant près d’un demi-siècle entre la version muette de 1925, la version parlante de 1935 (avec les acteurs encore en vie), et les versions des années 1980 (15). On sent dans cette passion selon Gance, combien les « dieux » de la Révolution (Danton, Marat, Robespierre) représentent les voies contrariées du pouvoir des individus et des destins collectifs. La Marseillaise entonnée devant les députés par Rouget de Lisle a parcouru le monde, à l’image du drapeau tricolore, portant dans ses accents et dans ses plis la liberté des peuples. Reprise par le Front populaire dans les années 1930, remise en cause par des gestes « iconoclastes » dans les années 1980 et par les contestataires du net (16), l’hymne national comme le Chant du départ peut être revendiqué comme un marqueur de l’appartenance à la communauté nationale ou réinterprété au gré de révoltes contemporaines. Le débat sur la violence de certaines paroles (« le sang impur ») qui deviennent vertueuses quand elles sont contextualisées (Valmy, la levée en masse contre l’Europe des rois coalisés) n’est pas près de s’éteindre, quitte à opposer dans les stades des publics incontestablement populaires. Il paraît évident que la musique et la poésie contemporaines puisent largement dans les systèmes de référence, même biaisés, à la décennie révolutionnaire (17), ce qui ne peut surprendre quand on évoque la puissance émotive des chants et de l’éloquence révolutionnaires, dans les années 1790. L’histoire devient le levier de l’évocation des problèmes sociaux actuels, des inégalités, des injustices, du refus des privilèges et du racisme…

L’actualité de la Révolution française a resurgi avec force et émotion dans l’analyse des liens entre ses idéaux et les contenus des révolutions arabes de 2011, qu’il s'agisse de l’Égypte ou de la Tunisie. Dans les deux cas on voit progressivement l’usage du mot peuple supplanter celui de « populace » lors des grandes manifestations de la place Tarhir. Quand des millions de Cairotes rejoignent la contestation du régime autour des mots d’ordre « Dégage ! » et « le peuple veut la chute du régime », les conseils de Voltaire s’éloignent, et un mouvement de masse, sans « héros charismatiques » renoue avec les idéaux de 1792 pour renverser un régime défini comme tyrannique (18). La révolution tunisienne s’écrit en termes de droits de l’homme, de lutte pour la liberté et l’égalité, d’assimilation de principes hérités de la Révolution française, de sa langue et de sa culture, mais selon des priorités spécifiques. Les termes de citoyenneté, de dignité, d’indépendance de la justice, de droit à l’insurrection rassemblent, alors que les notions de laïcité et d’occidentalisation divisent (19). Les « printemps arabes » de janvier 2011 restituent aux contenus de la Révolution française la valeur universaliste qui semblait proscrite, dans les romans et la culture matérielle de son pays d’origine (la France) et des espaces culturels dominants (l’Amérique du Nord (20)). L’ambivalence de ces références est tragique dans l’histoire de l’indépendance de l’Algérie (21), tant les chefs historiques (Messali Hadj et Ferhat Abbas) ont été marqués par l’idéologie, la mythologie révolutionnaire, avant de condamner le politique colonialiste et impérialiste de l’occupant français.

Loin d’être un « objet froid », la perception de la Révolution est en continuelle adaptation aux mentalités et aux modes de pensée. Les portraits de révolutionnaires parus à l’été 2009 dans les dernières pages du quotidien l’Humanité traduisent les relectures et les découvertes d’auteurs pluralistes (22), dans l’émergence de héros de l’abolition de l’esclavage (Delgrès, Sonthonax, Polverel, Toussaint-Louverture), de la Marianne noire, le drapeau rouge en main qui illustre l’affiche de la fête du journal clôturant en septembre ces « Portraits de la révolution ». Le niveau de telles pages s’élève bien au dessus des noms d’oiseaux inspirés des personnages de la révolution échangés dans les joutes parlementaires (23) entre les tenants de la droite « libérale » et ceux de la gauche « égalitaire » dans les années 2000, ce qui est logique pour des sensibilités et des clivages nés de la politisation des années 1790 !

Marat et Charlotte Corday symbolisent deux visions de la Révolution qui continuent de s’affronter par médiations interposées. D’un côté, la figure charismatique du Marat assassiné de David (juillet 1793) resurgit de manière impromtue dans une toile d’un peintre contestataire en 2008, représentant un contestataire dans une favela, nu dans une baignoire bordée de détritus, deux siècles après (24). Le culte du martyr de la liberté, célébré en l’an II, panthéonisé un moment conserve sa force révolutionnaire, celle de l’Ami du peuple. Mais de l’autre, Charlotte Corday peut incarner la haine du tyran, le refus de la terreur et un sacrifice tragique, susceptible d’accélerer le cours de l’histoire. Ces mémoires antagonistes prouvent que la révolution continue à se jouer sur des espaces éclatés, au rythme des mutations et des révolutions contemporaines.

Devoir d’histoire et devoir de mémoire

La découverte progressive des formes et des représentations de la Révolution française dans les cultures populaires contemporaines a été une véritable révélation pour nombre d’historiens « spécialistes » participant à l’ensemble du colloque. Elle les a conduit naturellement à envisager l’ampleur de ces mutations et à tenter, dans la mesure du possible, d’élaborer des réponses alternatives aux dérives les plus marquées et aux « idées fausses » les plus répandues.

La première, à l’évidence, est de reconquérir l’espace de l’enseignement, qui n’a plus les moyens de peser sur les représentations et les cultures comme il le fit dans le passé, au temps des hussards noirs de la République, du Front Populaire ou des années 1950. Le divorce entre culture savante et culture populaire n’est pas une fatalité. Le moment du bicentenaire de la Révolution, dans les écoles primaires, les collèges et les lycées a, par exemple, profondément marqué les équipes pluridisciplinaires des enseignants et les milliers d’élèves qui ont commémoré 1789, en bonnets phrygiens et carmagnoles, sur fond d’histoire locale, de relecture des droits de l’homme en regard des luttes contemporaines, de redécouverte des temps forts, des valeurs et des symboles d’une Révolution redevenue familière, entre septembre 1988 et juin 1989 (25). Adossée à un quasi consensus institutionnel et militant, la commémoration scolaire a influencé une génération 1989, ces jeunes enseignants-chercheurs qui s’investissent, vingt ans après dans les colloques, les collèges et les universités.

Des initiatives ayant pour objectif « Enseigner la Révolution française » se développent, autour de la Société des études robespierristes, de l’Institut d’histoire de la Révolution française (une centaine de participants à Ivry-sur-Seine en mars 2011), de l’Association des Historiens et Géographes (le centenaire de 2010 à Grenoble), de collègues conscients d’une crise de cet enseignement, révélée aux États généraux de l’histoire et géographie de janvier 2012. À partir des classes de quatrième et de seconde, il s’agit de renouer avec un ensemble de références, d’exemples, de concepts, de valeurs susceptibles d’ancrer à nouveau l’histoire de la Révolution et de la Première République dans l’enseignement et l’éducation civique de masse. La tache est rendue ardue par l’incohérence de certains programmes, le recul dramatique des enseignants-chercheurs qui permettaient le passage de l’histoire universitaire et de ses acquis essentiels dans le milieu scolaire. Mais le devoir d’histoire n’est plus négociable. Il devrait déboucher à terme sur la rédaction de nouveaux manuels, sur une vigilance plus grande à l’égard des médias qui influencent les cultures populaires, sur la réhabilitation d’une histoire sociale et du politique qui a profondément régressé dans les dernières décennies. Le colloque de Vizille-Grenoble a eu l’immense mérite de mesurer le chemin à parcourir et l’ampleur d'une refondation scolaire indispensable. Certes, la lutte n’est pas égale, entre l’école de la Cinquième République et les médiations pesant aujourd’hui sur l’imaginaire collectif et les cultures populaires. Mais ne pas l’engager serait une démission, un renoncement à des journées et des valeurs qui ont « changé la face du monde » et pesé sur le destin des nations.

Le deuxième devoir est celui de l’érudition, de la contextualisation des références à la Révolution française. La prise de conscience des falsifications de l’histoire, des stéréotypes qui pèsent sur l’imaginaire révolutionnaire contemporain doit déboucher sur des initiatives éditoriales ciblées, débordant du seul milieu universitaire, érigeant des ponts entre culture savante et cultures populaires. Elles devront s’appuyer sur les réseaux des institutions et des associations républicaines se réclamant de l’héritage et des valeurs de la Révolution, et qui avaient permis, dans les années 1900, 1930, 1950 et 1980 de les diffuser dans un public très large.

Enfin, s’appuyant sur l’influence de la Révolution française dans les processus de révolutions contemporaines et dans la conscience de peuples en lutte pour leurs droits politiques et sociaux, pratiquant le devoir « sacré » de l’insurrection face aux gouvernements qui violent ces droits, il paraît indispensable d’occuper les milieux et les médias qui ont consommé un divorce certain entre cultures populaires et patrimoine historique de la Révolution : le théâtre populaire, comme au temps de l’an II, de Romain Rolland, du TNP et de la Cartoucherie ; le roman populaire, à l’image du Quatre vingt treize de Victor Hugo en 1874 ou des Dieux ont soif d'Anatole France en 1912 ; le cinéma populaire de Napoléon (1925-, de la Marseillaise (1932), de 1788 (1978), de La Caméra explore le temps (1964). Même si les tendances du marché et la nature des médias influençant les représentations de l’histoire dans le monde contemporain rendaient cette occupation et cette « reconquête » dérisoires, elles ne s’en imposent pas moins aux historiens, aux littéraires, aus sociologues, aux historiens de l’art comme un devoir d’histoire, le plus « desespéré », mais le « plus beau » !

Voici quelques réflexions nées d’un colloque qui a mobilisé pendant trois jours des enseignants et des chercheurs dont la rencontre et la synergie n’étaient pas évidentes, au départ (26). Le cadre exceptionnel du musée-château de Vizille et la qualité de l’accueil ont facilité la réception des communications et la passion des débats. Des moments culturels forts ont agrémenté la tenue du colloque, tels une visioconférence avec les collègues américains de San Antonio, la lecture d’une pièce inédite Le procès de Charlotte Corday (27) (opposant Corday à Fouquier-Tinville au nom des « grands principes »), et la projection à la Cinémathèque de Grenoble du 6e épisode des Nuits révolutionnaires, quand le « Hibou » Restif de la Bretonne assiste aux massacres de septembre, pèse sur la loi du divorce et contemple sa déchéance paternelle au moment de l’exécution du roi.

La séparation des participants au colloque a été rendue plus sensible par l’évocation de révolutions contemporaines (les « printemps arabes »), les réflexions collectives nées du choc des cultures et des représentations. Sortir d’une telle rencontre conscients d’enjeux devenus dramatiques, avec la volonté de peser sur la transmission dans les cultures populaires des références et des valeurs fondamentales de la Révolution française au miroir des luttes contemporaines, voilà de quoi saluer une manifestation qui honore ses organisateurs, légitimant au final leur pari et leurs efforts !

Notes

(1) Maître de conférence en Lettres et Arts à l'Université Stendhal-Grenoble 3.

(2) Directeur du Musée de la Révolution française de Vizille.

(3) Toutes les citations qui précèdent sont tirées de la présentation du colloque par les organisateurs.

(4) De Gérard Gengembre, professeur à l'Université de Caen et New York University et Nathalie Alzas, Université d'Aix-en-Provence.

(5) Isabelle Durand-Le Guern, Université de Lorient.

(6) Communications de Guy Spielmann, Georgetown University et de Dorothée Polanz, Univesrsity of Maryland.



(7) Jean-Clément Martin, professeur à l'Université de Paris I.

(8) Paul Chopelin, Université Lyon 3.



(9) Sarah Harvey, Université de Paris 10.

(10) Joël Mak dit Mack, Lycée François Mansart.



(11) Tomoko Takase, Université Meiji, Christophe Cave, Université Grenoble 3 et Norio Mihara, Insa Lyon.



(12) Cyril Triolaire, Université Clermont-Ferrand 2.

(13) Jacqueline Razgonnikov, bibliothécaire à la Comédie-Française.

(14) Agathe Sanjouan, Bibliothèque Musée de la Comédie Française et Olivia Voisin, Université Paris 4.



(15) Jean-Claude Bonnet, Cnrs, Université Paris 4.



(16) Nathalie-Barbara Robisco, Lycée Paul Vincensini.



(17) Pascal Dupuy, Université de Rouen.

(18) Sadek Neaimi, Université de Mounofeyeh.



(19) Amel Ben Amor, Faculté de Sciences Humaines et Sociales de Tunis.



(20) Daniel Smith, University of Illinois at Chicago, en visioconférence depuis San Antonio.



(21) Pascale Pellerin, Cnrs.



(22) Stéphanie Loncle, Université de Caen.



(23) Michel Biard, professur Université de Rouen



(24) Julia Douthwaite, University of Notre Dame, en visioconférece depuis San Antonio (Usa)



(25) Serge Bianchi, professeur Université de Rennes 2.



(26) On doit souligner les apports des présidents et animateurs des dix sessions, Jean Sgard, Université Grenoble 3 ; Daniel Lançon, Université Grenoble 3 ; Isabelle Paillart, Université Grenoble 3 ; Yves Citton, Université Grenoble 3 ; Chantal Massol, Université Grenoble 3 ; Géraldine Guérin, MC2 Grenoble ; Gilles Bertrand, Université Grenoble 3 ; Florent Gaudez, Université Grenoble 2 ; Isabelle Krzywkowski, Université Grenoble 3 ; François Genton, Université Grenoble 3 ; Jean Serroy, Université Grenoble 3 ; Stéphanie Genand, Université de Rouen (visioconférence).

(27) Benoît Lepecq, comédien, auteur et Jeanne-Marie Garcia, comédienne.