Trésors cachés de la Révolution française à Carnavalet Brèves
mardi 1 décembre 2009Par Florence Gauthier, ICT-Université Paris 7-Denis Diderot
Exposition jusqu’au 3 janvier 2010, au Musée Carnavalet, 23 rue de Sévigné 75004, Métro Saint-Paul.
Il ne faut pas manquer ces trésors cachés, parmi lesquels on pourra admirer de nombreuses pièces remarquables. Par exemple, Le Triomphe du peuple français de Jacques Louis David, dessin au crayon, plume et lavis, réalisé sous la Convention montagnarde (et après l’assassinat de Marat comme l’atteste la figure de ce dernier découvrant sa poitrine poignardée), projet qui devait décorer un rideau de scène : hommage du peintre au droit de résistance à l’oppression (Voir Philippe Bordes et Régis Michel éd., Aux armes et aux arts ! Les arts de la Révolution, 1789-1799, Paris, Adam Biro, 1988, p. 117 ; Philippe Bordes, David, Paris, Hazan, 1988, p. 64).
On y verra aussi la très belle esquisse intitulée L’abolition de l’esclavage proclamée par la Convention le 16 pluviôse an II-4 février 1794, plume, lavis et gouache. Dans le catalogue du Musée de la Révolution française à Vizille, Droits de l’homme et conquête des libertés, 1986, p. 44, on apprendra que cette esquisse attribuée à Nicolas Monsiau ne serait pas de lui, mais, d’après les recherches de Philippe Bordes, probablement de Charles Thévenin, membre de la Société populaire et républicaine des arts qui réunissait les artistes de Paris après la dissolution de l’Académie royale. Cette société décida, quelques jours après l’abolition de l’esclavage, de commémorer cette grande avancée des droits de l’homme dans le monde. Comme il s’agit d’un de ces véritables « trésors cachés », ne le manquez pas !
La belle et grande gouache de Naudet représentant la Fête de l’Etre suprême célébrée à Paris, le 20 prairial an II-8 juin 1794, nous montre une partie du dispositif festif conçu par David et son atelier au Champ de Mars, avec la Montagne ayant à son sommet une statue d’Hercule représentant la souveraineté du peuple, sa force et en même temps ses difficiles travaux à accomplir pour conquérir cette liberté représentée à son côté, sous forme d’un « arbre de la liberté ». Le peuple danse et chante au pied de la Montagne en commençant son ascension.
Le très intéressant Triomphe de la République, qui représente en même temps celui de la Montagne et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, retiendra votre attention. Aquatinte attribuée à Alix. La Déclaration des droits est représentée comme les Tables de la loi de Moïse : la « Montagne est le Sinaï des Français », comme la dénommait Chaumette, un de ces amis de la Société des droits de l’homme, bien conscient de la différence. Si les Tables de la loi avaient été données à Moïse par dieu lui-même, la Déclaration des droits était, elle, le fruit de plusieurs siècles d’expériences, qui avaient conduit à concevoir les droits selon une raison humaniste, c’est-à-dire sensible au sentiment de justice sociale, et que l’on pensait pouvoir réaliser sur terre. La gravure met en scène la lumière de la Déclaration qui brille pour les peuples attirés par elle, dans la nuit du despotisme et de la tyrannie qui engendrent des monstres. Tout un travail de déchiffrage de cette esthétique révolutionnaire mériterait d’être fait.
Les forgerons à la Convention lors de la Fête du salpêtre, le 30 ventôse an II-20 février 1794, dessin à la plume et au lavis, attribué à Harriet, nous fait découvrir une nouvelle fête. Celle-ci nous introduit dans le monde du travail, et ici de l’armurerie, et sur ses rapports avec la guerre défensive contre les despotes coalisés qui attaquaient la démocratie naissante.
Un grand panneau expose les allégories des douze mois du calendrier révolutionnaire, gravures de Tresca d’après Laffitte. Par ailleurs, de nombreuses gouaches et gravures nous font pénétrer dans les nouveaux styles qui se sont créés dans la période révolutionnaire pour exprimer les sentiments nouveaux : arbres de la liberté, danses populaires, guirlandes républicaines et les oiseaux de la liberté deviennent de nouveaux ornements dont certains sont des réussites. Un dessin, plume et lavis, de l’atelier de David par Hess retiendra l’attention. On y verra aussi un ensemble de portraits de Montagnards, dont un très beau portrait de jeune femme présentée comme celui d’Eléonore Duplay. Et l’on ne pourra s’empêcher de rire, en fin de parcours, devant Le Nouvel Incroyable ou l’oie à la mode, petite gravure coloriée de la période du Directoire, à ne pas manquer !
Cette belle exposition offre cependant des commentaires qui sont loin d’êtres à la hauteur des œuvres exposées. Il est ainsi malheureux que l’esquisse La Convention abolit l’esclavage les colonies françaises, ait laissé les commentateurs sans voix : rien à ce sujet au-delà de la brève mention donnant un titre et un auteur contestés, sans mentionner la discussion à ce sujet ! Et pourquoi ce commentaire ridicule au sujet du nom Montagnards dans la partie qui leur est réservée, et qui développe une absurdité ? celle-ci : le nom de Montagne aurait été donné à ces députés parce qu’ils « siégeaient sur les plus hauts gradins de la Convention » ! Pourtant, le musée Carnavalet ne manque pas d’images prouvant que la Convention ne se réunissait pas dans une salle à gradins, mais dans une salle horizontale. Le visiteur en aura d’ailleurs une preuve en se retournant après avoir lu ce commentaire fantaisiste vers la gravure La Convention abolit l’esclavage, où il peut « voir » la salle de cette même Convention sans gradin…on voit mal comment le nom de Montagnards viendrait de leur soi-disante place aux plus hauts gradins. Non ! ils siégeaient « au côté gauche », comme on disait alors, par rapport au président de l’assemblée qui leur faisait face. Il est encore curieux que cette exposition de trésors cachés n’ait pas donné lieu à l’édition d’un catalogue, ni de cartes postales…