Edition critique présentée et annotée par Agnès Steuckardt, Université de Provence

Editions Lambert-Lucas, Limoges, 2009, 220 pages.

chantreau

Pierre-Nicolas Chantreau part enseigner le français à Avila, en 1767, l’année où les jésuites sont expulsés d’Espagne : il a vingt-six ans. Il revient à Paris quinze ans après, auteur d’un Arte de hablar bien francés, qui deviendra en Espagne la grammaire française de référence. En 1789, le professeur de grammaire court les assemblées, dévore les « papiers-nouvelles », et publie, début 1790, le premier dictionnaire de la Révolution française. Par ordre alphabétique, c’est le bouleversement d’un univers mental que décrit Chantreau. Il faut apprendre des mots dont on n’avait guère l’usage sous l’Ancien Régime, comme élire, district, motion, scrutin. Même les mots courants réservent des surprises : dans le Nouveau Régime, journal, lanterne ou maire ne désignent plus les mêmes référents. Et puis, il y a l’enfer du dictionnaire. Dans l’« Appendice contenant les mots qui vont cesser d’être en usage » sont relégués les noms de pratiques abolies par la Révolution : champart, gabelle, lettres de cachet, servage et bien d’autres. Conscient de l’inscription de la langue dans son temps, Chantreau s’orientera par la suite vers l’histoire.

On trouvera dans l’annotation de ce texte, réédité deux cents ans après la mort, en 1808, du citoyen Chantreau, professeur d’histoire à Saint Cyr, les informations historiques et linguistiques nécessaires pour y lire le basculement d’une société et de sa langue. La présentation de l’ouvrage éclaire les enjeux culturels de ce dictionnaire. « L’auteur n’est point un triste lexicographe », écrit un de ses premiers lecteurs, Camille Desmoulins : « Il a choisi ce cadre heureux pour égayer ses lecteurs, & se jouer avec eux des ridicules du jour ». Dans la bataille du rire qui se livre pendant les premiers mois de la Révolution, Chantreau refuse de laisser le champ aux écrits aristocrates : maniant persiflage et autodérision, il revendique pour le discours patriote un trait que l’on croyait, en 1790, caractéristique du génie national : la gaieté française.

Ci-après la conclusion de cette édition de textes

Voir aussi le commentaire de Raveline, et la réponse de l'auteure

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