Barnave rapporteur du comité des colonies Editions
mercredi 5 septembre 2007Par Souad Degachi, ICT-Université Paris 7 Denis Diderot
Introduction de l'ouvrage de Souad Degachi, Barnave, rapporteur du comité des colonies (1789-1791), Révolution Française.net Editions, 2007, 154 pages, l'ouvrage est en ligne à lire en intégralité en pdf.
En mars 1790, le député dauphinois Antoine Pierre Joseph Marie Barnave est nommé rapporteur du Comité des colonies au sein de l’Assemblée nationale constituante. Le débat sur les colonies s’ouvrait enfin, il allait révéler le clivage définitif entre le côté gauche et le côté droit de l’Assemblée sur la question de la traite, de l’esclavage et des droits politiques des hommes de couleur. Cet affrontement sur la question coloniale semble déterminant pour appréhender autrement la politique générale de la Constituante. En effet, un tel glissement de perspective permet de poser un regard « en négatif » sur la dimension extérieure de la Révolution française, d’en creuser un aspect contrarié, en quelque sorte. Il s’agit en somme de se demander pourquoi la Constituante n’a pas tiré les conséquences de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen à l’égard de ses colonies, leur refusant l’application des principes qu’elle venait de déclarer.
On peut évoquer la surimportance accordée alors au facteur économique – en particulier dans le cas des villes portuaires et maritimes – ou encore aux théories différentialistes du type théorie des climats, qui prétendaient, par exemple, la liberté bonne pour la métropole, mais pas pour les Tropiques. Ces arguments furent portés par des personnalités à l’Assemblée, notamment par des députés constituants, à chaque fois que la question coloniale fut abordée, principalement à l’occasion des débats de mars et octobre 1790, puis de mai et septembre 1791. Le nom d’Antoine Barnave est systématiquement lié à chacun de ces débats.
En mars 1790, le député dauphinois Antoine Pierre Joseph Marie Barnave est nommé rapporteur du Comité des colonies au sein de l’Assemblée nationale constituante. Le débat sur les colonies s’ouvrait enfin, il allait révéler le clivage définitif entre le côté gauche et le côté droit de l’Assemblée sur la question de la traite, de l’esclavage et des droits politiques des hommes de couleur. Cet affrontement sur la question coloniale semble déterminant pour appréhender autrement la politique générale de la Constituante. En effet, un tel glissement de perspective permet de poser un regard « en négatif » sur la dimension extérieure de la Révolution française, d’en creuser un aspect contrarié, en quelque sorte. Il s’agit en somme de se demander pourquoi la Constituante n’a pas tiré les conséquences de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen à l’égard de ses colonies, leur refusant l’application des principes qu’elle venait de déclarer.
On peut évoquer la surimportance accordée alors au facteur économique – en particulier dans le cas des villes portuaires et maritimes – ou encore aux théories différentialistes du type théorie des climats, qui prétendaient, par exemple, la liberté bonne pour la métropole, mais pas pour les Tropiques. Ces arguments furent portés par des personnalités à l’Assemblée, notamment par des députés constituants, à chaque fois que la question coloniale fut abordée, principalement à l’occasion des débats de mars et octobre 1790, puis de mai et septembre 1791. Le nom d’Antoine Barnave est systématiquement lié à chacun de ces débats.
Barnave, l’un des députés prépondérants de l’Assemblée nationale Constituante, présente un parcours politique de prime abord déroutant. Actif lors des événements de 1788 dans le Dauphiné, ce jeune avocat grenoblois de 27 ans est élu représentant du Tiers Etat aux Etats généraux de 1789. Membre de la Société des amis de la Constitution, il se distingue par ses qualités d’orateur et défend l’idée d’une Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Le 23 juillet 1789, il se fait remarquer pour l’une de ses apostrophes en pleine séance de l’Assemblée ; il s’exclame, à propos de l’assassinat de Foulon, contrôleur des Finances, et de son gendre Berthier : « ce sang était-il donc si pur ? ». Cette intervention alimentera, bien sûr, tant auprès des contemporains que de l’historiographie, le mythe du révolutionnaire sanguinaire. C’est également Barnave qui, en janvier 1791, réclama avec virulence l’imposition aux prêtres d’un serment immédiat à la Constitution civile du clergé et la vente des biens du clergé.
Mais quelques mois plus tard, en juillet de la même année, Barnave et ses amis furent à l’initiative de la scission au sein des Jacobins, qui aboutit à la création d’un club rival, celui des Feuillants. Par ailleurs, son rapprochement, à partir de 1791, avec la cour et le couple royal suscite des interrogations quant à la véritable nature de ses positions politiques. Le parcours du député dauphinois se révèle alors plus trouble qu’il n’y paraissait. Ses interventions répétées dans le débat sur les colonies à l’Assemblée, à partir de 1790, laissent entrevoir les limites d’une catégorisation politique de type classique.
D’abord rattaché au côté gauche, au début de la Révolution, Barnave rallia, dès mars 1790, les théories du côté droit sur la question des colonies. Or, il se trouva être justement celui qui, accompagné de quelques autres, orienta définitivement la politique suivie par l’Assemblée dans ce domaine. D’où la nécessité de nous interroger sur certains aspects biographiques concernant Barnave, et tout particulièrement sur les conditions dans lesquelles il exerça ses fonctions de rapporteur du Comité des colonies.
L’historiographie est quelque peu lacunaire quant à la prise en compte et l’étude de la question coloniale au cours de la Révolution française. De nombreux travaux historiques présentent, de façon quelque peu superficielle, le rôle joué par Barnave à l’Assemblée nationale à cet égard. Barnave y est surtout dépeint comme l’un des héros révolutionnaires de 1789, membre du parti des « patriotes ». Mais sa politique au sein du Comité des colonies est rarement approfondie et l’explication la plus fréquemment rencontrée quant à ses positions particulières réside dans la défense par Barnave de « l’intérêt national ». L’historiographie n’est donc pas suffisante pour l’appréhension de ce sujet.
Les sources se sont révélées plus riches en informations. Nous nous sommes ainsi penchée sur les archives contenant les papiers de Barnave, manuscrits pour la plupart. A l’étude de ces documents, nous avons rencontré de nombreuses pièces provenant du club Massiac, vitrine officielle du lobby colonialiste esclavagiste à Paris. Comment et pourquoi Barnave les avait-il en sa possession ? Cette question reste sans réponse. En revanche, la détention de tels documents nous éclaire sur les positions qu’il adopta dans le débat colonial.
Ainsi sommes-nous parvenue à une hypothèse qui posait l’existence de relations suivies entre Barnave et le cercle des planteurs esclavagistes. Il était donc primordial d’étudier les relations qu’entretint ce député avec le parti colonial pendant toute la durée de la Constituante, afin de déterminer jusqu’à quel point elles purent influer sur la politique coloniale de l’Assemblée. Ces travaux nous ont permis de dévoiler le contrôle exercé par le lobby colonialiste sur la politique coloniale de la Constituante, grâce à la mise en œuvre de tout un réseau de solidarités et de fréquentations politiques.
C’est pourquoi il nous a d’abord semblé nécessaire de déterminer la nature des rapports de Barnave avec le milieu colonial, et surtout celui de l’île de Saint-Domingue, et ce avant même qu’il n’intervienne à l’Assemblée en tant que rapporteur du Comité des colonies. Cela nous permettra, dans un premier temps, d’estimer l’ampleur de l’implication de Barnave auprès du réseau colonial susmentionné, incluant jusqu’à son entourage familial et amical. A la lumière de ces éléments, nous pourrons ensuite nous pencher sur l’action politique de Barnave lorsqu’il fut chargé de la fonction de rapporteur du Comité des colonies. Enfin, nous analyserons la participation de Barnave au grand débat sur la question coloniale de mai 1791, puis lors de son ultime rebondissement en septembre 1791, période au cours de laquelle se dévoilait officiellement la politique colonialiste, esclavagiste et ségrégationniste qu’il avait défendue. Ce travail nous fournira des clefs pour comprendre les constructions historiographiques qui ont abouti à la fabrication de l’image d’un Barnave idéalisé.