Condorcet, Sieyès, Saint-Simon et Comte. Retour sur une anamorphose En ligne
lundi 4 juin 2007par Jean-Louis Morgenthaler
"La tradition sociologique attribue à Auguste Comte la paternité du terme de « sociologie ». De récents travaux en linguistique, en histoire, et en philosophie, ont mis en évidence que c’est, en fait, Sieyès qui a, le premier, inventé ce néologisme et lui a donné un contenu (1). En réalité, Saint-Simon et Auguste Comte sont partis d’une lecture déconstructive de l’œuvre la plus connue de Condorcet, « l’Esquisse pour un tableau historique des progrès de l’esprit humain », en lui donnant une interprétation historiciste. Pourtant, celle-ci ne tient guère si on étudie plus complètement l’œuvre de Condorcet. Condorcet est un pionnier des théories de la décision et du choix rationnel, à l’opposé de la lecture pré-positiviste trop généralement admise. Condorcet avait, sur l’ensemble de son œuvre, une vision de la société plus proche de celle de Tocqueville que de celle de Saint-Simon.
Mais il y a plus. La conception de Condorcet évolue en se rapprochant des conceptions de l’abbé Sieyès avec lequel il coopère à plusieurs occasions. Leur but commun est l’élaboration et la diffusion d’une science sociale qui s’avère, finalement, bien plus élaborée que Saint-Simon et Comte ne l’ont laissé entendre. Condorcet y apportait le calcul probabiliste, qui était pour lui la langue par excellence de la science sociale. Sieyès allait plus loin encore avec une philosophie de la société en action qui, déjà, et de façon très claire, articule l’acteur, la structure sociale et le système social dans un paradigme nouveau, dont les clés sont la liberté et l’égalité, et dont l’objet est la construction collective d’une société de bien-être général. Loin d’être un donné antérieur et extérieur à l’individu, la société pour Sieyès est une combinaison permanente entre une construction dont le droit est l’outil conceptuel, et un donné, l’organisme social, dont la sociologie est la science. Droit, sociologie, économie et sciences politiques, constituent un « art social », une science appliquée destinée à construire et à réguler une société apte à satisfaire le bien-être de tous."
Une fois ainsi résumé par l'auteur sociologue, l'article, publié dans la rubrique Débats, du N°2 de la revue électronique Socio-logos, cherche à répondre aux trois questions suivantes :
"1) Comment et pourquoi le positivisme naissant produit , à l’initiative de Saint-Simon, une anamorphose des sciences sociales conçues et produites par la philosophie des Lumières à la veille et dans le premier cours de la Révolution Française ?
2) Que faut-il retenir des lectures plus récentes de Condorcet sur ses conceptions théoriques et pratiques ?
3) Que faut-il retenir de la mise à jour et de l’analyse des textes inédits de Sieyès ?"
Au sein de trois parties :
Saint-Simon et Auguste Comte, lecteurs de Condorcet
Les lectures récentes de Condorcet: réouverture du chantier
La lecture des Manuscrits de Sieyès: l'événement
Note
(1) Voir, au plan philologique, l'article de Jacques Guilhaumou sur "Sieyès et le non-dit de la sociologie : du mot à la chose", Revue d'histoire des sciences humaines, N°15, 2006 Lire la version auteur de l'article, et dans une approche sociologique d'un contexte nominaliste d'invention de la sociologie, l'article de Laurence Kaufmann, "Le Dieu Social. Vers une Socio-logie du nominalisme en Révolution" dans L'invention de la société. Nominalisme politique et science sociale au XVIIIème siècle, sous la dir. de L. Kaufmann et J. Guilhaumou, Raisons pratiques, N°14, 2003. Le contexte historique et philosophique de l'inventivité sieyèsienne est également traité, au sein du même ouvrage, par Jacques Guilhaumou dans son étude sur "L'avènement de la métaphysique politique: Sieyès et le nominalisme politique" Lire l'introduction de cet ouvrage collectif (Note de la rédaction).