La propriété de la Terre Annonces
Introduction de l'ouvrage de Sarah Vanuxem, La propriété de la Terre, Marseille, Editions Wildproject, 2018, 103 p.
S’approprier à la terre
Évoquant « l’appropriation au/du milieu naturel (1) » par les berbères des Seksawa, le sociologue Jacques Berque suggère que les habitants du Haut-Atlas marocain s’adaptent au milieu dans lequel ils vivent, autant qu’ils s’en emparent. Dans les douars chleus montagneux, s’approprier un lieu consiste à le conformer à soi comme à se conformer à lui ; s’approprier une terre revient à se l’attribuer comme à se rendre propre à elle. De même, les Kanaks de la Nouvelle-Calédonie investissent les « hommes-lieux » d’un devoir de défendre la tellus mater et affirment « l’appartenance réciproque » des humains et de la terre (2). La propriété de la terre ne saurait avoir une signification pour eux qu’à la condition de renvoyer au double sens pronominal du verbe approprier (3).
Nous pourrions avoir perdu ce double sens aujourd’hui. Du moins les juristes civilistes semblent-ils employer le verbe approprier pour désigner un pouvoir de soumettre, d’assujettir ou de dominer. Être propriétaire, ce serait bénéficier d’un pouvoir souverain absolu. Et une telle acception de la propriété aurait partie liée avec la réduction de la terre à un matériau corvéable à merci et, par suite, avec les actuels maux environnementaux. Le droit civil français véhiculerait dès lors une définition coupable de la propriété, qui autoriserait la destruction de l’environnement.
Mais quelle valeur accorder à cette opinion selon laquelle la propriété foncière confère univoquement, en droit français, un plein pouvoir sur une terre ? Est-il vrai que la doctrine du droit privé des biens français abandonne uniment la terre au bon vouloir de son propriétaire ? Les auteurs ignorent-ils réellement le devoir du propriétaire foncier de s’ajuster et de se plier aux spécificités et aux usages de la terre ?