Socialistes français et allemands face à la Révolution de 1905 ou la tentation de l’analogie avec 1789 Etudes
Par Jean-Numa Ducange, GRHIS, Université de Rouen
« Avant tout mon attention était concentrée sur un grand événement, la Révolution russe. Pendant que les révisionnistes attendaient un improbable socialisme, j’étais de plus en plus convaincu que la révolution en Russie était imminente et qu’elle devait entraîner une révolution politique en Autriche et en Allemagne» (1).
Ces mots de Karl Kautsky, rédigés plus de vingt-cinq ans après les événements, évoquent la Révolution russe de 1905. À l’époque de celle-ci, il était considéré comme l’un des théoriciens majeurs du SPD et ses analyses, tant sur le plan syndical que politique, lui ont valu la renommée de « pape » du marxisme (2). Dans le cadre d’une vue d’ensemble sur le socialisme et le syndicalisme des années 1905-1906, il apparaît nécessaire de revenir sur l’événement de 1905, dont on a perdu de vue aujourd’hui l’impact profond qu’il avait eu à l’époque. Il est en effet un tournant essentiel pour les partis de la Deuxième Internationale, au premier rang desquels le parti allemand, alors dominant tant numériquement que théoriquement en raison de l’influence de ses analyses. Longtemps perçue à la lumière d’octobre 1917 - « répétition générale », selon la formule de Lénine - et retenue pour l’apparition des conseils ouvriers, la Révolution de 1905 entraine d’abord un bouleversement majeur des équations stratégiques des socialistes français et sociaux-démocrates allemands de l’époque. Plusieurs études ont montré combien ce choc eut des conséquences sur le socialisme international (3). L’usage de la grève de masse, en écho à celle intervenue en Russie, est depuis lors âprement débattu et revendiqué par l’aile gauche de la social-démocratie et plus particulièrement par Rosa Luxemburg (4). Plus généralement cette révolution entraîna la réactualisation de la possibilité d’une voie révolutionnaire, en Russie comme dans les pays occidentaux, à une époque où de nombreux socialistes la considéraient comme caduque, dans le sillage du révisionnisme d’Edouard Bernstein en Allemagne et de la participation de Millerand à un gouvernement en France (5).