Bonnet de 
la liberté

Révolution Française

Négociateurs et consuls en Méditerranée à la fin du XVIIIe siècle   Recensions

Par Marc Belissa, Université Paris X-Nanterre

les oubliés de la liberté / négocier sur un volcan

Deux ouvrages très différents — parus dans la collection Diplomatie et Histoire du Ministère des Affaires étrangères — viennent d’enrichir la bibliographie consacrée à la construction et au fonctionnement des réseaux diplomatiques à la fin du XVIIIe siècle et pendant la Révolution française. Il s"agit d’une part de Négocier sur un volcan. Dominique-Vivant Denon et sa correspondance de Naples avec le comte de Vergennes (1782-1785) et d’autre part Les oubliés de la Liberté. Négociants, consuls et missionnaires français au Levant pendant la Révolution (1784-1798). Le premier livre est l’édition critique intégrale de la correspondance diplomatique de Vivant Denon avec Vergennes lors de sa mission dans le royaume de Naples et des Deux Siciles à la veille de la Révolution. Établie par Françoise Janin, cette édition est dotée d’une copieuse introduction de Jean-Claude Waquet de l’École Pratique des Hautes Études. Le deuxième ouvrage est l’œuvre d’Amaury Faivre d’Arcier, lui-même consul adjoint, docteur en Histoire, helléniste et arabisant. Il s’agit pour ce dernier ouvrage d’un livre de facture très classique décrivant le monde des consuls et des marchands français dans l’Empire ottoman de 1784 à 1798.


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L'intentionnalité historique au 18ème siècle   Recensions

De la conceptualisation de l’histoire aux usages des savoirs de l’histoire

Par Jacques Guilhaumou, UMR « Triangle », ENS-LSH Lyon.

Après avoir publié en 1989 une étude sur les Critiques des droits de l'homme opérées de Burke au jeune Marx (1), Bertrand Binoche explore, dans son ouvrage suivant, la complexité configurationnelle du concept d'histoire chez les Allemands, les Écossais et les Français dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. L'ampleur de son approche peut se mesurer à son souci de ne pas passer d'un auteur à l'autre par la seule énumération de contenus doctrinaux saisis comme des totalités closes, inertes mais par le fait d'appréhender les textes comme « des travaux, des activités voués à l'aporie et à l'invention qu'il faut analyser en tant que telles dynamiquement, et parce qu'elles sont diverses, comparativement ». Ainsi il s'agit moins de reconstruire la cohérence de telle ou telle oeuvre dont on juge rétrospectivement qu'elle relève de la connaissance philosophique de l'histoire que d'évaluer les tensions qui habitent un discours sur l'histoire, et d'y trouver de quoi féconder notre propre réflexion. Claude Gautier s’inscrit, au sein de ses ouvrages, dans la même perspective méthodologique, mais d’une façon plus resserrée dans le choix des auteurs étudiés.

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Les Vengeurs du Nouveau Monde. Histoire de la Révolution haïtienne   Recensions

À propos du livre de Laurent Dubois, Les Vengeurs du Nouveau Monde. Histoire de la Révolution haïtienne, Rennes, Les Perséides, 2005.

Par Fabien Marius-Hatchi, Université Paris VII – Denis Diderot

Couverture Dubois Vengeurs du nouveau monde

Cette histoire oppose, d’une part, l’image que se font de leurs victimes ceux qui leur causent des souffrances indicibles et, d’autre part, les luttes de ces victimes qui, par miracle, se résorbent dans l’invention d’une nation nouvelle et d’une autre nature.

Jean Casimir (Préface, p. 11)

Paru aux États-Unis en 2004 – l’année du bicentenaire de la proclamation de la République d’Haïti, le livre de Laurent Dubois se présente comme une synthèse de l’histoire de la Révolution haïtienne établie à partir d’une lecture croisée de sources primaires et des principaux travaux historiques parus aux États-Unis, en France et en Haïti, essentiellement depuis un quart de siècle.

Héritier des travaux précurseurs des Haïtiens Beaubrun Ardouin et Thomas Madiou pour le 19e siècle, de ceux du Trinidadien C.L.R. James et du Martiniquais Aimé Césaire pour le 20e siècle, l’ouvrage de Laurent Dubois se situe dans la lignée, notamment, d’une historiographie étasunienne qui – tel David Geggus ou John D. Garrigus – cherche à “entrevoir avec plus de clarté ce que les événements de cette période ont pu signifier pour ceux qui les vécurent” (p. 25). À la suite de son premier livre A Colony of Citizens: Revolution and Slave Emancipation in the French Caribbean, 1787-1804 (1) dans lequel il abordait le programme politique révolutionnaire porté par les esclaves insurgés de la Guadeloupe, Laurent Dubois ambitionne donc de reconstituer l’histoire de l’insurrection de Saint-Domingue, de l’abolition de l’esclavage et de l’indépendance de la République d’Haïti à partir des conceptions et des aspirations des esclaves.

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Marie-Antoinette et ses biographes. Mémoire et écriture de la Révolution française   Recensions

Couverture du livre de Cécile Berly

par Jacques Guilhaumou, UMR Triangle, ENS-LSH Lyon

A propos du livre de Cécile Berly, Marie-Antoinette et ses biographes. Histoire d’une écriture de la Révolution française, Paris, L’Harmattan, 2006, avec une préface de Jean-Clément Martin.

L’historienne Cécile Berly nous propose une étude de quelques biographies de Marie-Antoinette particulièrement significatives d’une manière plutôt vulgarisée d’écrire l’histoire de la Révolution française. Comme le souligne Jean-Clément Martin, dans sa préface, Marie-Antoinette est l’une de ses héroïnes de la Révolution française, certes malmenée au départ, mais située désormais au plus haut entre haine et amour dans le discours historiographique. D’abord désignée par l’historiographie progressiste comme une aristocrate débauchée et une mauvaise conseillère politique, Marie-Antoinette tend de plus en plus à incarner, chez ses biographes, l’image douloureuse de la mère confrontée à l’épreuve de la mort de ses proches et d’elle-même. Au-delà cette tendance générale de plus en plus affirmée, comment s’y retrouvait dans les gloses superposées des commentaires multiples à son égard ?

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La Liberté ou la Mort. Essai sur la Terreur et le terrorisme   Recensions

A propos du livre de Sophie Wahnich, La Liberté ou la Mort. Essai sur la Terreur et le terrorisme, Paris, Éditions de la Fabrique, 2003.

Sophie Wahnich Vivre libre Terreur

Par Marc Bélissa, Université Paris X-Nanterre.

L’ouvrage de Sophie Wahnich part d’une constatation : la Révolution française est devenue "une figure de l’intolérable politique" (p. 11). La représentation qui s’impose de l’événement révolutionnaire est marquée par le "dégoût pour les crimes politiques du XXe siècle" et par "l’idéalisation du modèle démocratique actuel". La Révolution française constituerait en somme "l’autre de la démocratie" (p. 16). Au cœur de cette construction : la Terreur. Contre une interprétation qui la considère comme une simple justification "utilitaire" de l’élimination des ennemis de la liberté, Sophie Wahnich interroge l’événement et la notion à l’aide des concepts anthropologiques de "sacré" et de "vengeance" puisés chez R. Verdier et D. Vidal. En quatre courts chapitres, Sophie Wahnich entend répondre à la question "comment l’effroi imprimé aux révolutionnaires par leurs ennemis a-t-il été surmonté et transmuté en demande de terreur" mais aussi pourquoi cette demande a-t-elle été entendue ? et enfin, que s’agissait-il de fonder par la Terreur ?

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Autour de Michelet : l’esprit, le sexe, l'histoire et la Révolution française.   Recensions

Par Jacques Guilhaumou, CNRS, UMR « Triangle », ENS-LSH Lyon

« Les seuls événements de ma vie ont été mes idées » (Michelet)

Au portrait d’un Michelet « malade d’Histoire » dressé par Roland Barthes dans son Michelet publié en 1954, avec l’épisode bien connu de sa migraine « historique » au contact des massacres de septembre 1792, Paul Viallaneix, dans son ouvrage présenté en 1998 sous le titre Michelet, les travaux et les jours (1798-1870) a substitué une approche plus sereine d’un historien pris dans les combinaisons au quotidien de la vie intellectuelle. Dans son récent Jules Michelet. L’homme histoire (Grasset, 2006), Paule Petitier y ajoute plus que de simples considérations sur les fulgurances de l’historien, au titre de son génie propre. Elle apporte une touche personnelle, une lucidité particulière dont Jacques Seebacher, dans sa récente chronique de La Quinzaine littéraire (N°927, 16-31 juillet 2006), se demande si ces qualités ne sont pas issues tout autant d’une « féminité institutrice » que de son expérience textuelle consécutive à une lecture particulièrement minutieuse du Journal et de la Correspondance de Michelet, tout en les resituant avec précision dans leur contexte historique.

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La politique de la langue pendant la Révolution française. L’œuvre de Brigitte Schlieben-Lange (1943-2000).   Recensions

Par Jacques Guilhaumou, UMR « Triangle », ENS-LSH Lyon

Depuis la publication des ouvrages de Renée Balibar et Dominique Laporte sur Le français national (Hachette, 1974) et de Michel de Certeau, Dominique Julia et Jacques Revel sur Une politique de la langue. La Révolution française et les patois (Gallimard, 1975), deux types de travaux se sont multipliés dans le domaine de la politique linguistique pendant la Révolution française: les uns basés sur un relecture minutieuse des matériaux réunis dans la monumentale Histoire de la langue française de Ferdinand Brunot, les autres à partir de documents des Archives nationales revisités à la lumière d'interprétations nouvelles. La multiplication de ces travaux depuis vingt ans permet actuellement d'avoir une vue d'ensemble du trajet de la pensée linguistique pendant la Révolution française.

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Grégoire, un philosophe chrétien d’obédience républicaine.   Recensions

Par Jacques Guilhaumou, UMR Triangle, ENS-LSH Lyon

Dans un article récent, intitulé «De la littérature des nègres de l’abbé Grégoire: un plaidoyer manqué ? », Cromohs, 10 (2005): 1-6, disponible en ligne, Carminella Bondi rappelle que, lorsqu’en 1819, le Département de l’Isère élut l’abbé Grégoire à la Chambre des Députés, la polémique s’enfla. On tenta de le convaincre de démissionner, il refusa. Mais en fin de compte son élection est invalidée. Et Carminella Bondi d’ajouter : « A l’un des députés (d’Argenton) qui s'efforçait de lui faire comprendre que les temps avaient changé, il répondit: ‘J’ai traversé vingt-cinq ans de Révolution. J’ai vu autour de moi les circonstances changer mille fois et je suis resté le même’ ». Cette réplique caractérise bien le personnage qui, à un moment aussi difficile que celui du rétablissement de l'esclavage dans les colonies et l'établissement d'un ordre raciste, au départ sous l’égide napoléonienne comme le rappelle Florence Gauthier sur le présent site, donc dans un contexte de rupture avec la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, publie un ouvrage intitulé De la littérature des Nègres, où il continue à plaider, comme pendant la Révolution, la cause des Noirs et des métissés discriminés par le préjugé de couleur. Son Apologie de Las Casas (1800), analysée par Jean Daniel Piquet dans un article de la Revue d’histoire et de philosophie religieuses de 2002, participe de la même dimension émancipatrice jamais démentie de sa pensée. La philosophie de Grégoire, au plus près de ses écrits, de ses engagements, tout particulièrement pendant la Révolution française, et de ses liens privilégiés avec d’autres révolutionnaires, mérite donc un attention particulière, présentement sur la base de trois récents ouvrages à son propos.

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Où Marie-Antoinette est Madame de Staël ?   Recensions

StaelMadame de Staël, Réflexions sur le procès de la reine par une femme (1793), présenté et annoté par Monique Cottret, Les Editions de Paris, 2006, 126 pages.

Par Jacques Guilhaumou, UMR Triangle, CNRS-ENS LSH Lyon.

Monique Cottret - dont nous avons pu déjà apprécier la récente biographie intellectuelle sur Jean-Jacques Rousseau en son temps (Perrin, 2005) écrite de concert avec Bernard Cottret (1) - présente longuement ce court texte de Madame de Staël qui vise à défendre la reine dans l’opinion, et plus particulièrement auprès des femmes par un usage intensif d’un registre sensible sur le ton du passage introductif suivant : « Oh ! vous, femmes de tous les pays, de toutes les classes de la société, écoutez-moi avec l’émotion que j’éprouve ; la destinée de Marie-Antoinette contient tout ce qui peut toucher votre cœur » (page V). Au premier abord, un tel accent sur le registre naturel de la morale et du sensible, et plus spécifiquement sur le portrait de Marie-Antoinette en tant que mère, peut sembler tendre à l’absoudre des crimes que les révolutionnaires lui imputent tant dans sa conduite sous l’Ancien Régime qu’au cours de la Révolution française. Si, comme le souligne Mona Ozouf dans Les mots des femmes (Fayard, 1995), « c’est être réactionnaire que de croire à une féminité inscrite dans la nature, à une ‘vocation naturelle’, alors Madame de Staël l’est à l’évidence » (p. 138), précise-t-elle dans le portrait qu’elle exhibe de sa perpétuelle inquiétude. Et elle l’est ici tout particulièrement parce qu’elle dresse le portrait d’une reine dotée de « « vertus maternelles », de « l’austérité de la morale et de la raison », de « piété religieuse », de « tendresse dévouée », voire d’héroïsme alors que l’on porte atteinte à la vie de ses proches, puis d’elle-même, toutes vertus choyées par la nature. Plus la reine s’approche de sa fin, plus elle tend de toutes ses forces vers le retour à une telle nature, abandonnant par là même toute défense contre la calomnie.

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Une « révolution » coloniale ?   Recensions

Par Fabien Marius-Hatchi, Université Paris VII-Denis Diderot

Tirée de sa thèse de doctorat Entre esclavage et liberté : esclaves, libres et citoyens de couleur en Guadeloupe, une population en Révolution (1789-1802), l’ouvrage de Frédéric Régent porte sur l’histoire de l’archipel guadeloupéen entre le déclenchement de la Révolution française, qui entraîna un processus révolutionnaire dans les colonies des Amériques, et la politique de reprise en main et de rétablissement de l’esclavage conclue sous Bonaparte. Presque totalement ignoré en France – y compris par un certain nombre de ceux qui sont chargés d’enseigner l’Histoire - le cycle révolutionnaire qui couvre les années 1789 à 1802 se situe, depuis les revendications indépendantistes des décennies 1960-1980 puis les commémorations historiques successives programmées entre 1989 et 2004 (1), au centre de la mémoire populaire guadeloupéenne. En s’intéressant à cette période de l’histoire de la colonie, le livre de Frédéric Régent prend donc place dans ce double contexte totalement opposé sur chacune des rives de la mer océane. C’est à la mesure de ce contexte que se révèle ainsi le double positionnement adopté ici par l’historien : la volonté affirmée de révéler un passé inconnu ou méconnu de ses contemporains, accolée à la silencieuse ambition de remplacer les mythes d’une mémoire brûlante par la froide connaissance scientifique.

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Philosophie allemande et Révolution française   Recensions

Revue critique

Par Jacques Guilhaumou, CNRS/UMR « Triangle. Action, discours, pensée politique et économique », ENS-LSH Lyon

De l'étude désormais classique de Joachim Ritter sur Hegel et la Révolution française (1957) aux travaux sans cesse approfondis de Lucien Calvié depuis son ouvrage de 1989 sur la Révolution française et les intellectuels allemands, en passant par les considérations de Manfred Buhr et Domenico Losurdo sur Fichte et la Révolution française et bien d'autres études, l'analyse de la relation entre la philosophie classique allemande et la Révolution française constitue un aspect majeur de la littérature critique sur l'idéalisme allemand qui n’a jamais cessé de s’amplifier. Nous commencerons par l'apport de Domenico Losurdo dans la mesure où il a coordonné, au début des années 1990, un débat entre chercheurs sur ce thème. Il a ainsi réuni 21 chercheurs allemands, français et italiens autour de deux voies de recherche à la fois distinctes et complémentaires.

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Lire Saint Just   Recensions

Par Yannick Bosc, IUFM de Créteil

En tête des Oeuvres complètes de Saint-Just publiées en 2004 chez Folio-Gallimard, l’essai introductif de Miguel Abensour, « Lire Saint-Just », s’ouvre sur deux questions : « lit-on Saint-Just ? avez-vous lu Saint-Just ? » ; et s’articule sur une troisième : « est-il possible de lire Saint-Just aujourd’hui ? ». Miguel Abensour aurait pu ajouter : pourquoi le lire ? et certainement répondre, pour au moins échapper aux lieux communs des gloses à charge, agrémentées de vagues citations. Saluons donc ici le double effort des éditeurs : proposer des oeuvres complètes accessibles, dotées d’un appareil critique consistant, mais aussi d’un commentaire qui rompt avec l’air du temps. Lire Saint-Just nous éloignera de la légende noire, celle de « l’archange de la mort », du politique satanique dont certains passages des Institutions républicaines préfigureraient l’organisation des jeunesses hitlériennes (suivant Norman Hampson). Comme le note Miguel Abensour, « la présupposition que la révolution est nécessairement totalitaire a produit des dégâts intellectuels ».

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