Au titre du moment humaniste et réformateur inaugural des Temps modernes, l’historien Quentin Skinner a retracé les premières étapes, dans la théorie et la pratique de la politique, d’un cheminement progressif vers le concept moderne d’Etat, au plus près donc de ses fondements (1). Au terme de ce processus, la Révolution française se focalise plutôt, au titre de l’invention d’un Etat de droit naturel, sur la reconnaissance de la dignité humaine à l’horizon de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et ouvre ainsi de nouvelles expérimentations historiques à l'horizon d'une perspective forte d’émancipation. Entre ce temps de la première modernité et le moment révolutionnaire français, le temps des Lumières classiques s’élargit en aval au moment des Lumières radicales sous l’égide du républicanisme hollandais et des Lumières parlementaires associées au contexte de la Révolution anglaise, et en amont au moment des Lumières tardives qui instaurent dans les années 1770 et 1780 un nouvel espace de civilité avant même la période classique de la décennie révolutionnaire française. Chaque moment est alors notifié, comme nous allons, le voir par une formulation spécifique de la science de l’action, tant au plan social que politique, par le fait du (re)jeu particulier de diverses traditions discursives.

Il importe cependant de préciser qu’Immanuel Wallerstein a élargi cette approche organique des ruptures modernes à un questionnement sur la mise en place d’un système-monde jusque dans la période contemporaine (2). Dans le cadre de son analyse du système capitaliste à partir du 16ème siècle, et en tant que système intégral, unique et historique, ce célèbre sociologue montre dans quelle mesure la Révolution française met alors en place le dispositif de la modernité politique en normalisant l’idée de changement politique. Une telle légitimation forte du changement est associée conjointement aux figures de l’individu et de l’Etat ; elle s’investit dans des programmes d’action politique permettant la construction d’un système-monde libéral. Au regard de l’indéniable apport d’une telle analyse systémique, nous nous posons la question suivante, tout en conservant une perspective d’histoire des concepts étendue aux seuls Temps modernes: le dispositif de la modernité politique issu de la Révolution française est-il épuisé ? En d’autres termes, a-t-il vraiment consumé toutes ses potentialités ? Participe-t-il encore de « la bifurcation majeure » que prend la tentative actuelle de réinventer un système-monde dans la diversité des libéralismes ? Nous y associons alors une interrogation sur le fait que la modernité révolutionnaire fait rupture non seulement dans l’événement même, mais aussi en amont dans l'émergence progressive tout au long des Temps modernes de figures diversifiées du citoyen libre et respectueux d’autrui, et en aval dans la figure antimoderne de l'écrivain par contraste avec la figure fonctionnelle de l’élite politique.

Certes les seuls événements de la Révolution française, et leur signification propre, auraient pu nous occuper tout au long de cette réflexion sur ce moment fort de l’avènement de la science politique. D’autant qu’il convient de considérer, avec les philosophes allemands contemporains de la Révolution française, principalement Kant et Fichte, et dans la même lignée avec l’historien allemand Reinhart Koselleck que cet événement a une forte valeur prospective : en effet il inscrit un nouveau champ d’expérience à l’horizon d’un droit naturel déclaré, et un temps réalisé (3). Mais il n’en reste pas moins qu’une telle radicalité politique puise ses origines dans une métaphysique pratique de l’individu d’orientation fortement nominaliste et donc formulée et mise en oeuvre bien antérieurement, au moins dès la fin du Moyen-Âge, et qui se prolonge, s’approfondit dans une métaphysique politique construite sur un savoir social.



D’un point de vue méthodologique, notre démarche relève bien de l’histoire des concepts socio-politiques, dont nous considérons les auteurs les plus connus, essentiellement des auteurs étrangers (anglais, allemands, américains, italiens, espagnols): Paolo Chignola, Reinhardt Koselleck, Jörn Leonhard, Antonio Negri, Javier Fernandez Sebastian, John Pocock, Quentin Skinner et bien d’autres. Précisons enfin que la part de la sémantique historique, c’est-à-dire de l’analyse des conditions langagières d’émergence des concepts révélateurs de la modernité politique, est fort importante dans la plupart de ces travaux: elle fait partie intégrante de l’approche historique, même si nous n’avons pas la possibilité de développer cet aspect méthodologique dans la présente étude (4).

La première modernité de la (science) politique : de l’humanisme civique aux libéralismes (XVIème-XVIIIème siècle).

Le temps de l’humanisme civique : la science de l’action délibérée

Sur le temps long, mais sans « descendre » jusqu’à la cité antique, la première rupture significative de l’avènement de la modernité politique est introduite par l’apparition de l’humanisme civique dans la république florentine du début du XVIème siècle. Ainsi se met en place ce que l’historien politiste américain John Pocock appelle le « moment machiavélien », titre d’un ouvrage publié en 1975, et tardivement traduit en français (5). Il apparaît en effet, dans la pensée et la pratique républicaine florentine, un « être politique » basé sur un modèle d’idéal civique de la personnalité. Alors que la philosophie médiévale, nourrie d’Aristote, valorise des universaux au détriment des circonstances, donc de l’appréhension du sens de l’événement singulier, la pensée florentine de l’humanisme civique oppose à la « fortuna » comme simple providence l’action propre à la « vita activa » et au « vivere civile », donc l’aptitude humaine à produire de l’universel sans aller pourtant jusqu’à l’affirmation de la dimension universelle de la singularité événementielle, propre à la Révolution française. Ainsi se mettent très tôt en place les premières figures innovantes du sujet politique: d’abord le citoyen et le rhétoricien dont la présence est attestée par leur volonté de participer à l’action entre particuliers, à des relations politiques spécifiques entre hommes particuliers. Puis le Prince et le législateur-prophète qui innovent, au sein même de la relation entre « virtu » et la « fortuna »: le Prince impose ses qualités vertueuses à la matière de la « fortuna » par un comportement stratégique adéquat aux circonstances, le « le législateur naturel » fait advenir une communauté politique stabilisée par « la virtu ». Pocock montre également que des éléments de cette pensée civique s’introduisent au sein même de la pensée monarchique anglaise pour l’amener jusqu’à une position de rupture, le contexte de la guerre civile s’y prêtant, avec le mouvement d’anglicisation de la république poussée à son terme. Il revient à Harrington et à sa pensée de l’individu politique, défenseur de la vertu civique, de mener ce mouvement à son terme.

Une des conséquences majeures d’une telle ouverture de l’espace civique à la singularité réside dans la possibilité de faire accéder, dès la Renaissance, l’art du mécanicien à la dignité d’une « science pratique ». Il s’agit ici de développer une science de l’action délibérée qui s’élabore et s’exerce dans l’échange entre des hommes, une « science de l’artificiel » en quelque sorte dont le lien à la future « science politique » passe par l’action des hommes dans la Cité. Il convient donc de ne pas négliger la perpétuelle « réduction en art » qui s’opère aux abords de toute opération scientifique. Nous entendons par là, avec Hélène Vérin (6), l’ensemble des prescriptions et procédés qui permettent de résoudre les difficultés circonstancielles par la réduction de cas singuliers à du général, du commun, au moyen de combinaisons de figures réglées. L’art n’est alors qu’une augmentation des effets par une dépense moindre de moyens, une manière de ménager les moyens pour diversifier et multiplier les effets. Les figures de l’ingénieur et de l’entrepreneur ne peuvent donc être dissociées de la construction progressive de « l’intelligence politique » sous la figure enfin advenue de l’individu. L’art de la politique saura, jusqu’à Sieyès, associé à l’exigence de vérité dans la recherche de la meilleure société possible une réflexion propre sur l’efficacité des combinaisons politiques, donc sur l’ordre pratique.

Le philosophe et la science des vertus naturelles (égalité/liberté)

Cependant la réflexion la plus adéquate à notre propos réside ici dans la manière dont l’opérativité du paradigme civique ainsi mis en valeur introduit une rupture de dimension scientifique au sein même de la politique: la découverte, avec Hobbes, de la « science des vertus » comme « science civile », dans le contexte de la « guerre civile » anglaise du 17ème siècle. L’avènement d’une politique citoyenne est désormais rapporté à la conceptualisation d’un programme d’actions au sein d’une communauté citoyenne donnant à chaque acte particulier une signification politique universelle. Désormais l’intelligibilité du politique passe par la description d’une organisation conceptuelle qualifiée de « science », et de ses conditions langagières, donc située dans le mouvement même de la langue.

Ainsi, le mérite principal de Quentin Skinner dans son ouvrage récent sur Reason and Rhetoric in the Philosophy of Hobbes (7) est d’avoir montré en quoi la « science civile » du philosophe anglais Hobbes, acteur majeur de la formation de la philosophie politique moderne, se met en place sur la base de la culture rhétorique de la Renaissance associée à l’humanisme civique. La politique de l’éloquence, avec en son centre la figure de l’individu vertueux, s’avère de première importance: la rationalité des arguments de la « science civile » comme « science des vertus » se mesure en effet dans le déploiement des descriptions d’actions singulières sur une scène imagée. Ici la figure du philosophe est indissociable de la figure de l’orateur qui déploie l’action qu’il veut décrire à l’aide d’images composites d’objets. Ainsi le lecteur, citoyen en puissance, peut « voir » les nouveaux arguments-ressources de l’action mis en mouvement par l’effet rhétorique, il peut alors s’y impliquer comme spectateur, voir même devenir un protagoniste de la « société civile » ainsi mise en place. Soulignons d’emblée l’importance d’une telle apparition de la figure du spectateur dans la modernité politique. Cette relecture de l’oeuvre de Hobbes, particulièrement attentive au contexte langagier, permet in fine de comprendre l’action politique dans le mouvement pratique des arguments, et par là même d’en mesurer le potentiel de rupture dans une « société civile » en formation.

Cependant la figure du philosophe ne prend vraiment toute son ampleur qu’avec l’accès à une dimension européenne, qui plus est sous l’égide d’un radicalisme grandissant. Il revient à Jonathan Israel d’avoir eu l’intelligence historique et philosophique de restituer avec une grand minutie « la guerre européenne des philosophes » qui se déroule de manière inagurale entre 1660 et 1740, c’est-à-dire en prélude aux Lumières classiques du temps des Encyclopédistes (8). Cette guerre procède de l’émergence, autour de la figure de Spinoza et de la tradition égalitaire spinoziste, d’un courant radical par sa référence insistante au savoir, par son déisme, voire même son athéisme, et surtout par son matérialisme poussé jusqu’à l’affirmation des principes républicains, voire démocratiques à l’encontre de la monarchie de droit divin. Il s’agit bien là d’un affrontement entre philosophes scolastiques et philosophes radicaux, aussi entre modérés et radicaux au sein d’un réseau transnational où circule nombre de manuscrits clandestins. Au centre de cette tradition égalitaire, nous trouvons l’affirmation d’une nature naturans, d’une nature qui se meut et se crée donc elle-même, où le mouvement est déclaré inhérent à la matière. Ainsi la figure du philosophe s’autonomise au titre d’une crise majeure des élites, et tout particulièrement à l’initiative des philosophes républicains hollandais. Le plus connu, Van den Enden, penseur de la république démocratique dans ses Libres institutions politiques (1665), développe un égalitarisme radical basé sur le rejet de toute hiérarchie sociale, en particulier en matière d’autorité ecclésiastique, la recherche d’une commune rationalité, d’un bien commun, et surtout l’affirmation des principes d’égalité. Maître latin de Spinoza, Van den Enden est le plus connu des partisans de la liberté de pensée, d’expression, et de presse à l’encontre de penseurs plus modérés qui considèrent ces attitudes radicales comme destructrices de l’ordre religieux, politique et moral. A cette époque en effet, l’opinion savante majoritaire convenait de maintenir une censure, tout en la modernisant, de manière à conserver la croyance en un Dieu providentiel, et par là même unificateur de la société. Ainsi Locke préconise la liberté de culte, les discussions théologico-philosophiques mais s’interdit d’entrer dans les voies de l’impiété et de l’athéisme à l’encontre de la tradition spinoziste, reprise par Wyermars, Toland, Collins, d’Argens et bien d’autres, qui soutient une philosophie républicaine et explicitement anti-théologique.

Une telle insistance sur le modérantisme de la tradition anglo-écossaise explique pourquoi Jonathan Israel considère que le combat des Lumières radicales est plus représentatif de la tradition révolutionnaire que le combat politique autour de la pensée de Hobbes dont Quentin Skinner s’est fait récemment l’historien (9). Pourtant tout se joue aussi, avec Hobbes, autour de la mise en contexte du concept hobbien de souveraineté, donc dans la manière dont les principaux penseurs républicains de la révolution anglaise, et tout particulièrement le parlementaire Henry Parker, le critiquent au nom de la liberté naturelle du peuple. Certes Hobbes use d’un concept de souveraineté qui implique le rejet de toute légitimité d’une expression publique de la dissidence religieuse (ou irréligieuse) et politique, du fait que sa légitimation ne peut procéder de l’ensemble du peuple agissant. Mais l’intervention critique des Parlementaires, en particulier dans les Observations (1642) de Parker, récuse le lien sous-jacent à cette opinion entre une forme de gouvernement et la providence divine, et insiste à l’inverse sur l’existence de libres communautés au sein de la nature, ainsi que de leur autorégulation. Il s’agit donc d’affirmer la liberté naturelle du peuple et sa capacité à instituer un gouvernement juste, donc de (re)fonder une tradition libertaire (antique) tout aussi radicale. C’est bien dans la lignée d’une tradition radicale, à la fois unifié dans son égalitarisme et diversifié dans son libertarisme, que la révolution française trouvera matière à réflexion, tout en les revivifiant.

Le temps de l’opinion publique et de l’avènement de la science sociale

Reste que Les Lumières classiques, essentiellement françaises, suscitent une extension inédite des nouvelles idées grâce à une novation majeure, objet du premier grand travail de Jürgen Habermas : la formation d’une opinion publique où peuvent s’échanger des arguments rationnels sans limites, la fameuse « sphère publique bourgeoise » (10). Cependant il est très vite apparu, d’une étude à l’autre, que l’opinion publique ne se limite pas à l’espace d’un public éclairé qui fait corps dans diverses institutions, des Académies aux Salons, face à l’absolutisme. D’abord, les historiens ont mis en évidence une prolifération effective des opinions publiques, sous couvert des échanges au premier abord plus traditionnels des Parlements et des tribunaux, mais aussi au sein même du peuple, avec leur apogée dans les années 1770-1780, donc à la veille de la Révolution française (11). De même il convient de ne pas s’en tenir à une approche référentialiste de l’opinion publique qui la réduit à un ensemble de lieux consensuels, essentiellement du côté des élites. Il s’agit alors d’en manifester la visibilité sociale par la description des effets performatifs induits des réseaux notionnels et des constructions intellectuelles, donc d’un certain artificialisme, qui permettent l’avènement de nouvelles nominations sociales, sous le terme générique d’ordre social, et de la dénomination même de science sociale (12). Ainsi deviennent pensable et possible des concepts politiques adéquats à l’observation récente des « rapports sociaux » dans un contexte de préformation des sciences sociales, en particulier l’anthropologie, la sociologie et la science politique.

C’est à l’impact de la pensée rousseauiste que nous devons principalement ce second temps du mouvement philosophique au 18ème siècle qui renoue avec une pensée artificialiste propice à penser l’existence de nouvelles institutions. Par la rémanence de la tradition genevoise, de Calvin à Rousseau, une anthropologie basée sur les principes s’impose au plus près de l’observation de la nature sociale, tout en s’autonomisant fortement par le fait de considérer la société comme un fait d’institution (13), et donc de promouvoir une science de l’homme apte à appréhender la totalité du réel, dans le trajet des principes aux faits observés de l’ordre social.

Dans les termes dixhuitiémistes, « la loi naturelle », référée par les modernes à ce qui norme de façon rationnelle les relations de l’homme à l’état de nature, n’est en rien naturelle dans le sens où elle relève d’une théologie naturelle restreinte à une partie seulement des hommes (14). On ne peut donc revendiquer en son nom une antériorité sur la société civile, sur ce moment où l’institution de la société civile se fait première, tant logiquement et historiquement, par l’entrée en association de tous les hommes. Ainsi l’autre « nature » de la société - Condillac parle alors de « seconde nature » - est avant tout expérimentale du fait de la capacité de l’homme « naturel » indépendant à instituer une communauté politique, à élaborer de manière constructive un droit politique qui unit les hommes. La « nature de la loi » procède alors d’une construction mentale, d’un travail de l’esprit politique dont la génération des années 1770, à partir des ouvrages d’Helvetius et de D’Holbach et en passant aussi par les réflexions manuscrites de Sieyès et les dernières réflexions de Condillac, s’est faite une spécialité.

Cependant le mérite d’avoir marqué au mieux le potentiel de rupture d’une telle réalisation pratique de la figure potentielle de l’individu-citoyen sous le regard de l’individu social autonome revient à l’historien Reinhart Koselleck, dans son ouvrage majeur sur Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques (15) et son grand oeuvre, le Dictionnaire historique du langage politique et social en Allemagne (16). Koselleck particularise ainsi une période, le Sattelzeit, temps intermédiaire des années 1750-1850 où la rupture se mesure de quatre façons. En premier lieu, sans doute le plus important, il est question de la temporalisation des concepts avec l’émergence d’une « philosophie de l’histoire » (17), et pratiquement grâce à de nouvelles expérimentations historiques à l’horizon des droits de l’homme et du citoyen proclamé par la Révolution française. Dans un second temps, l’accent est mis sur la démocratisation avec l’avènement de la « nouvelle langue politique » (Sieyès) qui nous situe bien sûr au coeur de la Révolution française. En troisième lieu, et de manière plus usuelle, nous retrouvons le processus d’idéologisation avec l’apparition de notions-concepts à valeur généralisante (« l’histoire », « la liberté », la révolution »...) du « nouvel ordre des choses » (18). Enfin, l’accent mis sur la politisation permet d’aborder la formation d’un univers de groupes politiques antagonistes, un temps pris sous la figure généralisante du jacobinisme (19).

Il revient alors à Jörn Leonhard d’avoir donné une dimension normative à la catégorie centrale de temporalisation en l’introduisant par le couple conceptuel libéral/libéralisme au regard de son rythme comparé dans un espace élargi, présentement européen, donc en France, en Allemagne, en Italie et en Angleterre. On peut y adjoindre avec profit une comparaison avec la temporalisation spécifique du libéralisme en Espagne étendue jusqu'au monde hispanique, étudiée par Javier Fernández Sebastián (20). La France occupe ici une place privilégiée dans la mesure où elle conceptualise les premiers usages de libéral/libéralisme dans le double contexte de l’opposition entre « royalistes exagérés » et parlementaires libéraux au cours des années 1810 d’une part, et elle contribue de manière inaugurale à la formation de la sociologie de Sieyès à Comte d’autre part. Qui plus est, il en ressort au 19ème siècle un véritable « Leviathan moderne », en l’occurrence un Etat qui se veut bien ordonné, fonctionnel à l’initiative d’une nouvelle élite bureaucratique dont Hegel se fera le zélateur, au titre de la réalisation de la société civile dans l’Etat par un tiers, et Marx le critique.

Par ailleurs, une approche plus communicative permet, avec Habermas, d’insister avec raison sur le fait que la dynamique institutionnelle produite par les Lumières tardives et la Révolution française n’est en rien épuisée (21), dans la mesure où il conçoit cet double événement comme « un laboratoire à arguments », une « chaîne d’événements bardés d’arguments » (22). De ce fait, il montre que la concurrence entre le libéralisme économique et la démocratie radicale, puis entre le libéralisme et le socialisme, procède encore des potentialités de la Révolution française (23). La procédure de formation de l’opinion publique et de la volonté politique passe ici par une pratique intersubjective de délibération et de décision qui se concrétise dans un « pouvoir engendré communicativement », distinct du « pouvoir appliqué administrativement ». Un tel « pouvoir communicationnel » marque en profondeur la modernité politique, certes avec l’émergence de procédures démocratiques de l’Etat de droit susceptibles d’institutionnaliser ces formes nouvelles de communication politique, mais aussi du fait de la persistance de ces formes subjectives dans un réseau communicationnel constamment réactivé par les associations libres et les sujets émergents (24).

Remarquons enfin que la mise en relation des concepts au sein d’un réseau communicatif sous l’égide d’une science politique ne relève plus désormais de la seule conjugaison entre rationalité et rhétorique, mais que le poids proprement dit de la langue ne cesse de s’accentuer, tant au niveau du travail néologique que dans l’affinement du style en référence à de véritables événements linguistiques. A ce titre, les linguistes parlent de la prééminence au 18ème siècle d’un « sujet politique de la langue » entre normes et usages (25) au titre du français déclaré langue commune. Ainsi se mettent en place tout au long du siècle des Lumières les conditions sémiotiques de la formation de l’individu-nation au regard du français, langue nationale (26).

La seconde modernité de la (science) politique : l’avènement de l’individu moderne.

C’est donc la Révolution française au sens large (1770-1815) qui concentre le plus fort du potentiel de rupture au sein de la modernité politique, du moins si l’on suit les travaux synthétiques de Lynn Hunt, Reinhart Koselleck, François Furet, Florence Gauthier, Michel Vovelle et bien d’autres. Le premier élement de rupture est bien sûr l'invention des droits de l'homme et du citoyen, pour paraphraser le titre d'un récent ouvrage de Lynn Hunt (Inventing Human Right. A History, Norton & Company, 2007): en proclamant la "self-evidence" des droits, les hommes des Lumières et de la Révolution en font des droits naturels, universels, et surtout humains, certes dans la lignée prestigieuse de Locke, mais tout autant sur le registre de l'émotion que celui de la raison. Ainsi s'ouvre, comme l'a si bien montré Florence Gauthier, le moment révolutionnaire des droits naturels déclarés et réalisés.

Pour sa part, François Furet (27), marqué surtout par la modernité de 1789, pense un temps introduire, avec le jacobinisme, une rupture seconde, voire une dérive, par rapport à l’extrême nouveauté de la « langue politique » de 1789. Une rupture introduisant à l'énigme de la terreur. Nous avons eu l'occasion, sur ce site, d'aborder les effets de la lecture unilatérale de cette perspective furetienne démultipliée par les adversaires de la radicalité révolutionnaire. Reste, qu'en analysant avec précision le travail des députés des Etats Généraux, leur invention de l’Assemblée nationale, - l’expression et son concept autour de Sieyès -, François Furet montre comment s’impose au centre du nouvel ordre social l’individu, donc en quoi se manifeste « l’avènement de l’individu moderne, autonome, égal à n’importe quel autre individu » (28). Tel est, à notre avis, son principal apport à la compréhension de la modernité de 1789.

La figure de l’individu-citoyen, mise en place par les Républicains florentins, toucherait alors ici à son achèvement : sa singularité même est preuve d’universalité. Une fois mise en place la figure de l’individu empirique (social) au titre de nouvelles formes d’observation sociale, l’unité de la nation procède d’une mise en commun des droits réciproques des individus, mais chacun conserve sa liberté, n’en concède que les éléments communs avec d’autres pour amplifier ses moyens d’accès au bonheur social.

Sieyès et la progression (de la science) politique

Le principal théoricien de la « nouvelle science politique », équivalent à une « langue politique » inédite, n’est autre que le législateur Sieyès. Les travaux en cours sur ses écrits manuscrits récemment publiés (29) ont souligné la complexité de sa conception de la modernité politique (30). Certes il s’agit de faire rupture avec le passé, au nom du refus de l’histoire, et au titre d’un devoir-être ouvert vers le futur. Instaurant une métaphysique du moi et de son activité qualifiée de « métaphysique politique », Sieyès fonde d’abord la nouvelle « science politique » sur une science ordonnée de l’ordre social, qu’il qualifie sous le néologisme de sociologie, puis il la définit dans sa dimension pratique par le mot de « socialisme » (31) (Il en est donc l’inventeur en français !) avant de s’en tenir à l’expression plus connu d’ « art social ». Le nouvel ordre social s’ancre donc dans la métaphysique moderne du sujet à tel point que Sieyès rejette jusqu’en l’an III tout usage de la notion de souveraineté, jugée au départ trop proche de la théorie de l’absolutisme, donc inapte à rendre compte de la genèse de l’individu moderne, avant même d’en critiquer sa variante populaire. L’ordre de la loi, de « la centralité législative » selon l’expression des montagnards, procède ici d’un dispositif socio-historique ancré dans un ordre métaphysique. Tel est le propre d’une modernité politique qui se pense comme rupture dans une approche de la subjectivité du sujet en tant qu’instance fondatrice des passions, des actions et des connaissances, donc de l’agir et du savoir.

La biographie intellectuelle de Sieyès sur plus de quarante ans, c’est-à-dire de 1773 à 1816, permet alors de décrire toute une série de figures du sujet annonciatrices, puis constitutives de la modernité politique. Il s’agit d’abord, dans les textes de jeunesse, du spectateur philosophe qui perçoit le développement du moi, à la différence du moi limité dans sa conscience, jusqu’à son organisation ultime, donc peut rendre compte du potentiel de rupture du mouvement de réalisation de la liberté individuelle. Puis apparaît la figure de l’écrivain patriote qui fait passer, par l’usage de métaphores, les notions métaphysiques de la « science politique » dans les sens commun,ces notions qui nous sont aujourd’hui si familières de nation, constitution, assemblée nationale, pouvoir législatif, etc. Enfin, le cours même des événements révolutionnaires impose la figure du législateur-philosophe.

Reste une dernière figure qui fait son apparition au moment où, en l’an III, Sieyès pense l’achèvement de son système constitutionnel, la figure du philosophe analyste concentrant dans la méthode analytique de Condillac, et ses fondements génétiques (avec l’invention cognitive de la statue dans le Traité des sensations de 1754) l’ensemble des perspectives de rupture de la nouvelle pensée politique. Cette figure persiste dans les derniers manuscrits philosophiques de Sieyès, écrits dans les années 1810 et de nature essentiellement métaphysique (32).

De fait, dans ses discussions avec les philosophes allemands en 1798, Sieyès oppose, au « système à la manière allemande », le « véritable système de métaphysique des Français » dont il conçoit la supériorité sur deux points essentiels. D’un part il met l’accent sur l’articulation systémique de « l’ordre du moi », ou « ordre des connaissances », sous la forme d’une « Traité des lois de la connaissance », avec « l’ordre pratique », ou « ordre social », au titre d’un « Traité des lois d’une société ». D’autre part, il se focalise sur l’unité du système, son organicité au titre d’une progression par le fait de la ressemblance entre les progrès de la connaissance et ceux de la politique. La dynamique du sujet constituant se transmet ainsi, par extension du droit naturel et sans rupture contractuelle, jusque dans une progression politique basée sur les concepts de liberté et de nation.

C’est ainsi que les Français trouvent dans le système représentatif, et sa « langue politique » le moyen d’accéder à la société politique la meilleure possible, à la différence des Allemands incapables de « parler allemand » au sein d’un Etat-nation. François Furet peut donc qualifier à juste titre Sieyès comme le penseur le plus profond de la Révolution française (33), ajoutons le plus prospectif de tous. Cependant la question demeure de savoir si nous sommes véritablement arrivé, avec ce penseur politique et les événements d’assemblée de 1789 (du serment du jeu de Paume à l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) auxquels il contribue de manière décisive (34), à la plein compréhension de l’universelle singularité de l’événement saisi dans ses circonstances politiques, si l’on considère qu’il s’agit bien là est l’élément central de la modernité politique de la Révolution française.



En terme de représentation politique, le diagnostic de l’historien est confirmé : l’artifice politique de la représentation restera, même pendant la Terreur, l’élément central du nouvel ordre social. Un tel artifice façonne encore notre conception actuelle du gouvernement de la République, avec certes des paradoxes minutieusement explorés par Pierre Rosanvallon dans son livre sur Le peuple introuvable. Histoire de la représentation démocratique en France , qu’il serait trop long ici de préciser. A ce titre, Sieyès et Robespierre sont les deux plus grands penseurs de la rupture révolutionnaire en terme de « centralité législative » : ils participent d’une même conception de « l’unité d’action » au sein d’un gouvernement révolutionnaire, avec la loi en son centre, toute puissance, et un gouvernement sous l’étroit contrôle de l’Assemblée Nationale. Certes Sieyès reprochera aux jacobins, dont il fut l’un des leurs en 1790 avant de prendre ses distances, de confondre « unité d’action » et « action unique », et d’avoir ainsi introduit, sous la pression du mouvement populaire, la « ré-totale » (encore un néologisme !) à la place du gouvernement représentatif de la « république ».

Reste que la construction d’un espace/temps national, si spécifique de « la découverte de la politique » pour reprendre le titre d’un des livres de Michel Vovelle (36), peut aussi être désacralisée par l’accent mis sur ce qu’il peut y avoir de déceptif, et en premier lieu la violence, dans la Révolution française, et par un effet d’amalgame entre terreur et droits de l’homme que Jean-Pierre Faye (37) et Florence Gauthier (38) ont critiqué à diverses reprises. La modernité de la Révolution française doit donc aussi se confronter avec les tentatives actuelles de désacralisation des Lumières et de la Révolution française dans ce qu’on appelle le mythe national.

La déconstruction du mythe national.

De fait l’héritage de la Révolution française est actuellement de plus en plus abordé au-delà du débat d’idées, là où se manifestent des pratiques, des mécanismes, des individus mus par des motivations diverses. Il est donc de moins en moins question de la quête de l’idéal révolutionnaire au sein de trajectoires d’émancipation. L’attention du chercheur est plutôt orientée vers les attitudes de compromis, de manipulation, voire les effets pervers d’idéaux proclamés au sein d’interactions individuelles où se côtoient amitiés et inimitiés, intrigues et jeux de reconnaissance réciproque. Ainsi en est-il du monde des salons au regard de la synthèse récente d’Antoine Lilti (39) qui précise dans quelle mesure nous ne sommes pas vraiment ici dans un espace de discussion critique, creuset de la modernité, au sens habermassien évoqué ci-dessus. Nous nous situons plutôt dans un lieu d’échanges diversifiés et consacrés aux plaisirs et à la reconnaissance sociale. Mieux encore, l’exploration du monde de la violence en révolution par Jean-Clément Martin (40), nous confronte à des jeux politiciens complexes non sans conséquences meurtrières à l’exemple des massacres de septembre 1792. Il s’agit là en effet bien d’un moment paroxystique dans la disqualification de toute autorité, mais aussi d’un temps d’émergence de porte-parole, véritables outsiders en quête de visibilité sur la base des revendications du peuple (41).

La description à la fois hallucinée et hallucinante que la romancière contemporaine Marie Didier donne de ces massacres et de leurs séides, dans le cas de Bicêtre, marque bien cette tonalité très particulière de la recherche actuelle : « Des hommes pénètrent dans la deuxième cour, envahissent le bureau du greffe.(…) Derrière des tables, s’assoient en désordre une dizaine d’hommes, « les envoyés du peuple ». Le tribunal est prêt : on va délivrer les victimes du despotisme et juger les traîtres à la nation. Les registres des prisonniers sont déposés devant eux (…) Tous sont appelés l’un après l’autre. Les coupables sont marqués à la craie d’une croix dans le dos et conduit hors de l’enceinte, dans le jardin adjacent à l’Eglise. Quant aux graciés, ils sont accompagnés à la porte des champs. A chaque homme libéré, les envoyés du peuple scandent : « Vive la nation ! », ça claque comme un drapeau dans un ciel noir (…) Certains prisonniers sont extraits de l’église. Et tu vois : à l’écart du porche, dans le petit jardin où les roses fleurissent, des hommes avec des piques, des massues de fer. Ils cognent. Ils transpercent. Les « assommeurs » plus tard traînent les cadavres avec des crocs et les entassent sous l’ombre dense, serein du bel orme au centre du jardin. » (42).

Le témoignage visuel fait ici office de connaissance vraie : il estompe le cri de « Vive la Nation », en constitue même le prélude d’une cérémonie noire et sanglante. A ce titre, la question se pose de savoir, face à une telle fatuité sociable et encore plus au regard d’une violence aussi manifeste des hommes, si les Lumières et la Révolution française demeurent encore un espace de discussion critique et un lieu d’expérimentation de la liberté humaine, signes de toute modernité politique. Faut-il considérer ces analyses sur la sociabilité et la punitivité révolutionnaires comme le prélude à une déception sans retour en arrière possible ? Il n’en est rien, à condition de dire avec Kant, dans un passage souvent commenté du Conflit des facultés : « La révolution d’une peuple spirituellement riche, que nous avons vu produire de nos jours, peut bien réussir ou échouer ; elle peut bien être remplie de misères et d’atrocités au point qu’un homme réfléchi, s’il pouvait, en l’entreprenant pour la seconde fois, espérer l’accomplir avec succès, ne se déciderait cependant jamais à tenter l’expérience à un tel prix ; cette révolution, dis-je, trouve cependant dans les esprits de tous les spectateurs (qui n’ont pas eux-mêmes été impliqués dans ce jeu) une prise de position, au niveau de ses souhaits, qui confine à l’enthousiasme, et dont l’extériorisation même comportait un danger, prise de position donc qui ne peut avoir d’autre cause qu’une disposition morale dans l’espèce humaine » (43).

Ainsi, à Bicêtre, le spectacle des massacres de septembre 1792, aussi terrible soit-il, ne peut empêcher Jean-Baptiste Pussin, celui qui les a vus et réprouvés en silence pour ne pas se faire tuer lui aussi, de mener à bien sa tâche, en prenant position sur le plan moral face à la violence de l’enfermement, donc en délivrant les insensés enfermés dans cet Hôpital prison de leurs chaînes au nom des principes qui doivent s’appliquer à l’humanité agissante et souffrante. Kant en fait de même lorsqu’il considère plus généralement « la sympathie d’aspiration » qui agit les spectateurs de la révolution face aux opprimés - quelles que soient les atrocités commises à cette occasion - comme l’effet d’une cause morale, le droit du peuple à disposer de lui-même et d’un idéal propre à la grandeur d’âme des révolutionnaires.

Kant et la modernité esthétique de la Révolution française : une manière de penser

Reste que l’achèvement de la modernité politique, sous la Révolution française, devait échapper en partie à un Sieyès, et à toute une partie de la génération des révolutionnaires. De là, l’échec du dialogue de Sieyès avec Kant en dépit de son intérêt marqué pour la métaphysique allemande, - il est de fait plus proche de Fichte -, en comparaison du lien plus complexe et plus global entre Kant et Robespierre, souvent souligné par la tradition marxiste du jeune Marx à Gramsci (44). Ce lien relève de ce que nous appelons une esthétique de l’événement. Aussi bien les jacobins, et plus particulièrement les montagnards en l’an II, que Kant posent les bases d’une approche esthétique de l’événement révolutionnaire qui permet aux individus agissants et souffrants de penser leur devenir au-delà de l’état des choses, aussi déceptif soit-il. Le potentiel de rupture de l’action politique s’en trouve ainsi décuplé.

Le déploiement des formes de l’expérience esthétique, de l’enthousiasme au sublime - au regard de l’événementiel de la Révolution française traduit dans l’esthétique kantienne - caractérise alors pleinement l’universelle singularité de l’événement, c’est-à-dire la modernité politique de la Révolution française, y compris, nous le verrons, dans son retournement « négatif » au 19ème siècle. Nous souhaitons donc maintenant revenir sur la manière dont Kant, confronté à l’expérience révolutionnaire française, associe à la « manière réflexive de penser » une « faculté de juger » définie dans son équivalence à un « pouvoir de présentation » situé au plus près de l'imagination et susceptible d'élargir au maximum l'appréhension du divers, du particulier par une forme abstraite et universelle. C'est bien par la mise en valeur d'une telle dimension esthétique du jugement que la Révolution française est encore lue aujourd'hui de Foucault à Habermas en passant par Deleuze et Lyotard comme un « événement de notre temps » prouvant « la tendance morale de l'humanité », donc sa capacité à légitimer les fondements du nouvel ordre issu de la révolution.

Une manière de penser hautement subjective

Dans Sur le lieu commun: il se peut que ce soit juste en théorie, mais en pratique cela ne vaut rien (1793), texte de défense des principes de 1789, Kant insiste sur le rôle essentiel d'intermédiaire de la faculté de juger, en tant que capacité du sujet à subsumer les cas particuliers sous les règles générales, dans la connexion entre la théorie et la pratique. A ce titre, il existe bien une « règle procédant originairement de la faculté de juger » : il s'agit « du concept d'une finalité de la nature vis-à-vis de notre pouvoir de la connaître », concept qui n'est autre que celui « d'une expérience en tant que système ordonné selon des lois empiriques » d'une diversité infinie, dans leur corrélation à l'hétérogénéité des formes de l'expérience particulière (45). A ce titre la faculté de juger « est un pouvoir qui n'est à même que de subsumer sous des concepts donnés par ailleurs » (46).

Nous entrons ici dans le domaine d'une « manière de penser qui consiste à faire de la pensée un usage conforme à sa fin » (47), d’un « jugement réfléchissant » où « seul le particulier est donné », la faculté de juger devant ainsi trouver l’universel par sa seule réflexion. Nous évoluons donc dans un univers réflexif où « la finalité elle-même est considérée uniquement comme subjective » (48) à distance de ce qui peut être tenu pour objectif par un sujet en fonction de règles données de l'entendement. Seul s’y présente un pouvoir de présentation permettant de promouvoir la réflexion par elle-même et pour elle-même, et donc d'aller au-delà de la simple compréhension rationnelle des phénomènes, en d'autres termes toujours empruntés à Kant, d' « élargir esthétiquement le concept lui-même de manière illimitée ». Ce pouvoir si étendu correspond à une imagination créatrice qui met en mouvement le pouvoir de la raison d'une manière apte à penser au-delà de la clarté habituelle de la méthode.

Dans cette perspective esthétique, l'usage de l'imagination nous renvoie au génie philosophique que Kant définit dans les termes suivants: « Ainsi le génie réside-t-il à proprement parler dans l'heureuse relation, qu'aucune science ne peut enseigner et qu'aucune application ne fait acquérir par apprentissage, qui permet d'une part de découvrir des Idées pour un concept donné, et d'autre part d'obtenir pour ces Idées l'expression grâce à laquelle la disposition subjective de l'esprit ainsi suscitée, en tant qu'accompagnant un concept, peut être communiquée à autrui » (49). Une telle définition du génie n'est-elle pas traduite pratiquement dans la figure du législateur-philosophe de l’an II, dont des travaux récents ont montré la position centrale dans le domaine de la mise en mouvement du libéralisme politique ? (50).

De fait, l’expressivité du discours montagnard nous renvoie à une totalité rationnelle en devenir par le déploiement constant d’une conviction commune associée à l’idée de droit. Ainsi, comme l’a souligné Françoise Brunel, s’opère au sein des Institutions civiles (l’instruction publique, la langue nationale, la bienfaisance sociale, etc.) instaurées par le gouvernement révolutionnaire de l’an II, un appel immédiat et universel à la communauté des citoyens, au titre du lien social qui les unit. Communauté des affects, qui peut aller jusqu’au sublime, et permet alors d’opérer la quête rationnelle du devenir. En effet, elle valorise, par le déploiement du sentiment d’humanité, une faculté suprême de jugement moral en tant que raison active, socialisée, transformée, achevée. C’est surtout l’intervention morale des spectateurs, et plus particulièrement des citoyennes exclues par ailleurs de la scène politique représentative, qui confère à la singularité de l’événement sa dimension universelle (51). Pour en revenir à Kant, la présence de « tous les spectateurs » dans le nouvel espace républicain mis en place par la Révolution française constitue bien une totalité rationnelle en devenir par le déploiement d’une conviction commune. Ainsi peut s’opérer un appel direct de valeur universel à la communauté des citoyens dont les jacobins montagnards de l’an II font sans cesse usage au nom du lien qui unit le législateur et le citoyen.

La manière de penser du spectateur

Cependant, à considérer la manière dont Kant conçoit la dimension foncièrement esthétique du « pouvoir de porter des jugements appréciatifs », nous pouvons mieux comprendre sa lecture de la Révolution française (52). Soit la série suivante d'énoncés kantiens : la conviction commune, la manière de penser proprement subjective, la disposition subjective de l'esprit, et enfin l'expression qui convient : il s'agit d'autant de formulations manifestant un pouvoir de présentation de la faculté de juger qui ouvre « la possibilité de porter son regard sur un champ infini de représentations apparentées » (53) au regard de l’expérience de la modernité révolutionnaire. Une fois listées ces formes de l'expérience esthétique, nous pouvons évoquer au mieux la façon dont Kant, contemplant le spectacle de la Révolution française, y trouve une manière de penser exemplaire de la manifestation d'une émotion esthétique significative du progrès de l'humanité. Le texte concerné est bien sûr le célèbre chapitre du Conflit des facultés à propos « D'un événement de notre temps qui prouve cette tendance morale de l'humanité » (54), dont nous avons déjà cité un passage ci-dessus. Ce texte « colle » en effet parfaitement à notre propos dans la mesure où la Révolution française y apparaît comme la quintessence historique de toute considération esthétique sur la modernité du droit. Il met en avant l’adéquation de l’événement révolutionnaire à l’avènement du droit, et à ses effets sur les spectateurs de l’événement.

Première interrogation suscitée par « l'événement de notre temps »: comment s'y présentifie « la manière de penser proprement subjective » ? A vrai dire, « Cet événement ne consiste pas, par exemple, en d'importants faits ou méfaits accomplis par des hommes (…) Non, il s'agit simplement de la manière de penser des spectateurs qui se traduit publiquement à l'occasion de ce jeu des grands bouleversements ». Tout cela procède de la manière d'être, de penser du spectateur, et non de l'acteur déjà constitué, qui fait sens. Ainsi se constitue la Révolution française comme signe de progrès (55), au titre de cette manifestation révolutionnaire de « l'esprit de tous les spectateurs » qualifiée encore de « sympathie d'aspiration », mieux encore de « prise de position » qui « confine à l'enthousiasme ».



La Révolution française nous confronte donc à un signe-événement, à la fois signe pour la sensibilité esthétique et signe d’un intérêt pour une liberté à valeur émancipatoire. C’est bien la manifestation d'un enthousiasme, en tant qu'affection sublime où se succède immédiatement répulsion et attraction pour le même objet, qui fait signe (56). C'est bien le sentiment du sublime qui, en créant une communauté des affects pouvant aller jusqu’à l’expression sublime, permet de faire « sens commun » pour l'ensemble des spectateurs des événements. Engagés activement par le fait de l'enthousiasme, ces spectateurs deviennent les protagonistes de l'événement, tout en restant distincts des acteurs constitués, bien qu’acteurs et spectateurs finissent par se confondre dans leur participation commune à une même expérience morale (57). Ainsi une communion de sujets issue de la « grandeur d'âme » suscitée par le « pur concept de droit légitime la sympathie que le public, à distance de l'engagement militant de certains citoyens, éprouve pour la manifestation sublime du droit.

La seconde interrogation développée par Kant est étroitement liée à la première: qu'en est-il de « la disposition subjective de l'esprit » que manifestent les spectateurs de l'événement révolutionnaire dans leur ensemble ? Ce n’est rien d’autre que la « prise de position » de « tous les spectateurs » qui ne peut « avoir d'autre cause qu'une disposition morale dans l'espèce humaine » précise Kant encore une fois.. En associant ainsi le jugement des spectateurs enthousiastes à une « disposition morale du genre humain », ce philosophe rend compte une fois de plus de la toute puissance de l'idée de droit pendant la Révolution française, et de son effectivité à travers l'expression de « constitution d'un peuple ». « La constitution républicaine », telle est donc l'expression qui convient aux circonstances révolutionnaires en tant que signe du progrès humain. A ce titre, la Révolution française est irréversible, même si elle s’est déroulée avec une part grandissante d’illégalité et de violence : elle demeure la manifestation du nouvel ordre de choses. De ce fait, les citoyens sont responsables de l’autorité qui en émane, et de son maintien. C’est là où la manifestation d'une conviction commune, dans l'événement révolutionnaire, n'est pas dissociable de la responsabilité qui incombe à ses acteurs - du porte-parole au législateur - dans la réalisation effective de l'idée de droit. Qui plus est, à suivre toujours Kant, la prise de position des spectateurs relève de l’émotion, mais « ne semble pas être un jeu, mais une affaire sérieuse dans l'activité de l'imagination » (58). Cependant, d’ouverture à l'illimité de l'événement révolutionnaire, l'approche esthétique de la Révolution française prend, avec les écrivains du XIXème siècle, une toute autre forme, avec l'accent mis, de façon particulière, sur son lien à la force et l'émotion suscitée par la terreur, donc sur sa dimension antimoderne.

En guise de conclusion. La postérité antimoderne de la Révolution française

Si l'on considère que l'antimoderne est « le revers, le creux du moderne, son repli indispensable, sa réserve et sa ressource », que « sans l'antimoderne, le moderne courrait à sa perte, car les antimodernes sont la liberté des modernes, ou les modernes plus la liberté » (59), il n'est pas sans intérêt de constater que le fait même de la Révolution française instaure au XIXème siècle « une nouvelle sensibilité historique antimoderne », au premier abord fort différente de la sensibilité à l'humanité agissante et souffrante que nous venons de caractériser. Ici se mêlent, au travers de figures de grands écrivains, histoire nationale et aventure personnelle. De fait, l'aventure intellectuelle antimoderne, hantée par la Révolution française, relève d'écrivains parmi les plus grands du siècle, de Chateaubriand à Baudelaire, en passant par Stendhal, Balzac et Flaubert (60) .

La part maudite du sublime de l’expérience révolutionnaire

Parmi les traits spécifiques de ces grands penseurs antimodernes, le sublime y occupe une place centrale. Là où Kant nous a laissé sur une esthétique du sublime qui marque le signe même de la modernité de la Révolution française, les antimodernes s'évertuent de décrire la part sublime, mais maudite, d'une « politique expérimentale » de la Révolution française qui prend nom, avec De Maistre, de « métaphysique de la politique » (61). Entre les énoncés de Burke (« Tout ce qui agit d'une manière analogue à la terreur est une source sublime ») et celui de De Maistre (« Le sang est l'engrais de cette plante qu'on appelle génie »), (62), se précise la modernité antimoderne de la Révolution française, dans la dualité même entre l'extase et l'horreur, le bourreau et la victime en partage.

Ainsi la littérature du 19ème siècle est travaillée en permanence par le sublime de l'expérience révolutionnaire, certes « en négatif » par le fait même de résister au positivisme ambiant et responsable d'une vision « plate » du progrès humain. Elle est la modernité même de la Révolution française dans le siècle du triomphe de la société bourgeoise, héritière d'une image dégradée, d'une voix quasi inaudible de la politique révolutionnaire (63). Plus précisément, une écriture romanesque prise dans une vision antimoderme de l'héritage de la Révolution française, se déploie avec Flaubert et ses maîtres Stendhal et Balzac, alors que le discours social de la bourgeoisie triomphante est alors au zénith. La dimension consensuelle de cette classe désormais dirigeante est telle que les formes démocratiques héritées de la Révolution française - l’opinion, l’éloquence de la tribune, la voix du publiciste - sont devenues sans contenu par la multiplication des auditeurs sans conscience. L’idéal révolutionnaire d’une langue en adéquation avec la pensée, à l’encontre de l’abus des mots n’est plus, au regard du romancier, qu’un instrument de domination de la bourgeoisie à la recherche de la persuasion sans la conviction. Le propos de l'écrivain consiste alors à multiplier les procédés fictionnels de mise à distance d’une telle langue mimétique en y introduisant de la rectification, de l’explication, du dialogue.

De fait, dans La Comédie humaine, Balzac joue de l’alternance entre la voix authentique et la voix décevante, pour ne pas dire bête, en promouvant le langage d’action dans le but de souligner l’ambiguïté de la langue consensuelle. Plus encore, il sature l’espace social par « une esthétique du contemporain » (64) qui équivaut à multiplier les positions d’énonciation par une perpétuelle activité de nommer et renommer, sous la forme d’un onomastique où se mêlent toponymes, patronymes et pseudonymes, voire par une activité de collectionneur. Il en vient ainsi à rééditer le passé dans le présent à l’encontre de la rupture révolutionnaire dont le potentiel combinatoire lui semble épuisé ; il le fait jusqu’à la recréation d’un commencement qui fait de son univers de romancier un espace de dénonciation de la médiocratie dont il ne cesse de constater l’avènement dans toutes sortes de détails intimes et provinciaux (65). Qui plus est, avec Flaubert, l’on peut même entendre le langage politique de 1789 devenu simplement bourgeois comme une parole agressive, haletante, absolue, stérile sous l’emprise à la fois des notables sophistes et d’une multitude irrationnelle. Il en ressort, dans Madame Bovary, des corps stupéfaits, chancelants, haletants sur une scène verbale où se déploient ordinairement les propos « démocratiques » de tribune.

Une sociologie des langages révolutionnaires

Le romancier devient donc ethnolinguiste, ses romans sont avant tout d’ordre philologique. Alors que la société bourgeoise a disqualifié la nation, il fragmente la langue consensuelle par l’affirmation d’une « sociologie du langage » (66) où la représentation réaliste de la parole, et tout particulièrement populaire, occupe une place centrale grâce au dialogue. Le discours revient à l’histoire. Le réalisme linguistique s’impose dans le déploiement imaginaire de la division des langages, la redistribution fictionnelle des sociolectes à l’encontre du discours du juste milieu, de la médiocrité régnante. Les discours finissaient par s’indifférencier dans une parole « démocratique » assimilée à un terrifiant consensus couvrant la voix de la différence.

Tout se joue alors autour de la défaillance du langage, de la dissemblance des sentiments reconnus sous le consensus des expressions « démocratiques ». La simple mention d’un mot pris dans un contexte « démocratique » en subvertit même l’emploi, souligne ainsi une écriture angoissée face à l’impuissance du verbe. Au départ Stendhal, à l’égal des Jacobins, déclare la guerre à la rhétorique, en s’efforçant de renouer avec la vérité du langage à l’encontre de l’abus des mots. Un vrai héros condillacien prend figure avec Fabrice dans La Chartreuse de Parme. Mais l’obscurcissement des mots est tel, l’opinion à ce point manipulée que le romancier doit d’abord résister à cette configuration fantastique des mots en renonçant à l’idéal des Lumières par le déploiement d’un style ironique et d’une écriture en mouvement. Face à l’échec d’un certain héritage condillacien - celui des Idéologues à vrai dire - il s’autorise à jouer du dérèglement du langage. Flaubert mène à terme cette entreprise distinctive en partant du constat d’un langage « démocratique » tellement perverti par son emprisonnement absolu dans le discours social qu’il devient incommunicable. Tout est devenu bête, même l’amour ; les mots sont pris au piège.

Face au triomphe des idées reçues de la société bourgeoise, la posture antimoderne, même si elle relève souvent de traits réactionnaires, devient la condition d'une « révolution littéraire » qui concrétise à sa manière les potentialités de la Révolution française, donc en achève la modernité. Le tournant kantien vers l'esthétique du sublime avait déjà singulièrement modifié l'idéologie des Lumières. La révolution littéraire rompt avec l'héritage des Lumières, pour mieux préserver la modernité critique de la Révolution française. Paradoxalement, il revient peut-être aux antimodernes du 19ème siècle de concrétiser la valeur critique de la Révolution française, sa modernité même.

S’interrogeant sur le devenir de la révolution littéraire, Julien Gracq étend sa réflexion à l’histoire dans les termes suivants : « Il y a en littérature comme en histoire une grande difficulté, une difficulté presque insurmontable : ce n’est pas pour les historiens et les critiques de s’apercevoir qu’il se produit une révolution, c’est plutôt de surprendre le moment, difficile à saisir, où une révolution se stabilise, où une révolution cesse d’être révolutionnaire. Le dégagement d’énergie dans une révolution est en effet tel, il imprègne pour si longtemps de passion et de force entraînante que le vocabulaire qui l’exprime, que les mots ici plus qu’ailleurs survivent indéfiniment à la chose signifiée, si bien que longtemps encore, dans une société qui se refroidit, les maîtres mots et le vocabulaire du temps de l’éruption restent à l’ordre du jour » (67).

Ainsi la modernité littéraire, certes tardive, de la Révolution française se constitue à travers la subversion du vocabulaire révolutionnaire devenu chose commune, et marque peut-être mieux que sa modernité politique souvent contestée la potentialité critique du phénomène révolutionnaire.

N.B. Cette étude synthétique constitue une version améliorée et augmentée de notre article, « La modernité politique de la Révolution française », in Mélanges de la Casa de Velazquez, Tome 36-1, Transitions politiques et culturelles en Europe méridionale (XIX° et XX° siècle), 2006, p. 17-34.

Notes

(1) Dans Les fondements de la pensée politique moderne, Paris, Albin Michel, 2001 (traduction de l’édition anglaise originale de 1978).

(2) Voir son ouvrage sur L’après-libéralisme. Essai sur le système-monde à réinventer, Editions de l’Aube, 1999. La confrontation de la réflexion de ce célèbre sociologue avec d’autres positions a été présentée dans The French Revolution and the Birth of Modernity, Ferenc Feher ed., University of California Press, 1990., ouvrage disponible sur le Web avec mention sur le présent site.

(3) Voir notre recension autour du thème Philosophie alllemande et Révolution française sur le présent site.

(4) Pour une vue d’ensemble de l’histoire des concepts, et du rôle de la sémantique historique en son sein, voir l’ouvrage collectif History of Concepts: comparative perspectives, dir. Iain Hampster-Monk, Karin Tilmans and Frank van Tree, Amsterdam University Press, 1998. La part française relative à la Révolution française est représentée par la publication, sous notre co-direction, du Dictionnaire des usages socio-politiques (1770-1815), Paris, Champion, huit volumes parus (1985-2006). Signalons aussi le grand oeuvre en cours sur le 18ème siècle français, Handbuch politisch-sozialer Grundbegriffe in Frankreich, 1680-1820 (Manuel des concepts politiques et sociaux fondamentaux en France de 1680 à 1820) sous la direction de Hans-Jürgen Lüsebrink, Rolf Reichardt et Eberhard Schmitt, publié à Munich depuis 1985. Nous renvoyons enfin à notre ouvrage Discours et événement. L’histoire langagière des concepts, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2006.

(5) John Greville Agard Pocock, Le moment machiavélien. La pensée politique florentine et la tradition républicaine atlantique, Paris, PUF, 1997.

(6) La gloire des ingénieurs. L’intelligence technique du XVIème au XVIIIème siècle, Paris, Albin Michel, 1993.

(7) Cambridge University Press, 1996.

(8) Dans son ouvrage Les lumières radicales. Le philosophe, Spinoza et la naissance de la modernité (1650-1750), Paris, Editions Amsterdam, 2005 (édition originale en anglais, Oxford University Press, 2001.

(9) « Hobbes on representation », European Journal of Philosophy, 13 :2, 2005, p. 155-184.

(10) L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise (1962), Paris, Payot, 1978

(11) Voir la thèse de Deborah Cohen Le peuple : de l’Autre au différent. La construction des identités individuelles et collectives des classes populaires (France, XVIIIème siècle), Thèse de doctorat en histoire de l’EHESS, sous la dir. d’ Arlette Farge, 2005.

(12) En matière d'opinion publique, voir l’analyse de Laurence Kaufmann, « Entre fiction et réalité. L’opinion publique dans la France du XVIIIIème siècle », in J. F. Sebastian et J. Chassin, L’avènement de l’opinion publique. Europe et Amérique, XVIIIème-XIXème siècles, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 91-108. Du côté de la science sociale, voir le numéro spécial de la Revue d'histoire des sciences humaines, N°15, 2006, intitulé Naissance de la science sociale (1750-1850), et tout particulièrement la présentation de Frédéric Audren.

(13) Voir sur le point l’ouvrage de Monique et Bernard Cottret, Jean-Jacques Rousseau en son temps, Paris, Perrin, 2005, en particulier le chapitre 10.

(14) Voir l’ouvrage désormais classique à ce sujet de Roger D. Master, La philosophie politique de Rousseau, Lyon, ENSéditions, 2002 (édition originale en anglais, Princeton University Press, 1978).

(15) Vergangene Zukunft. Zur Semantik geschichtlicher Zeiten, Suhrkamp Verlag, 1979. Traduction française, Paris, Editions de l’EHESS, 1990.

(16) Geschichtliche Grundbegriffe: Historisches Lexikon zur politisch-sozialer Sprache in Deutschland (Les concepts fondamentaux en histoire: Dictionnaire historique du langage politico-social en Allemagne) sous la direction de Otto Brunner, Werner Conze et Reinhart Koselleck, Stuttgart, 1972-1996. Il comprend 115 concepts présentés dans 11.000 pages à double colonne.

(17) Voltaire est le premier usager, en français, de cette expression. Sur ce sujet, voir B. Binoche, Les trois sources des philosophies de l’histoire (1764-1798), Paris, PUF, 1994.

(18) Voir par exemple, à propos de la Révolution française, Des notions-concepts en révolution, sous la dir. de J. Guilhaumou et R. Monnier, Paris, Société des études robespierristes, 2003.

(19) Une telle culture de la généralité politique a été étudiée, dans le cas français, par P. Ronsavallon dans Le modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, Paris, Seuil, 2004.

(20) Jörn Leonhard, Liberalismus. Zur historisichen Semantik eines europaïschen Deutungsmusters, München, Oldenbourg, 2001; Javier Fernández Sebastián, "Liberales y liberalismo en Espana, 1810-1850. La forja de un concepto y la creacion de una identidad politica", Revista de Estudios Politicos, diciembre 2006.

(21) Dans le numéro de Juin 1989 de la revue Merkur sous le titre « Volssouveränität als Verfahren. Ein normativ Begriff von Oeffentlichkeit ». Sur le rôle et l’actualité des analyses d’Habermas, voir G. Eley, G. Civile, D. Cagliotti, M. Ryan, J. Guilhaumou, « Storia et critica dell’opinione pubblica di Habermas », Contemporanea, anno VII, N°2, aprile 2005. Notre intervention dans ce débat est reproduite en français sur le présent site.

(22) Notre ouvrage sur L’avènement des porte-parole de la République (1789-1792), Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 1998, s’inscrit dans une telle perspective.



(23) Sur la question du libéralisme politique, les contributions de J. Leonhard, J. Fernández Sebastián, et Q. Skinner (voir ci-dessus) sont essentielles. Voir également le numéro spécial d’Actuel Marx sur Les libéralismes au regard de l’histoire, sous la dir. de F. Gauthier et J. Guilhaumou, N°32, 2002.

(24) Voir aussi, l’ouvrage de J. Habermas, Faktizität und Geltung. Beiträge zur Diskurstheorie des Rechts des demokratischen Rechtsstaats, Suhrkamp Verlag, 1992. (traduction française, Gallimard, 1997).

(25) Voir l’Histoire des idées linguistiques, Liège, Mardaga, trois volumes, 1989-1999, sous la direction de Sylvain Auroux

(26) Nous résumons là de manière très succincte l’argument historico-linguistique de notre ouvrage Discours et événement. L’histoire langagière des concepts, en particulier dans le chapitre II, Presses Universitaires de Franche-Comté, 200.

(27) L’écho de son oeuvre auprès des chercheurs anglophones est essentiel pour en comprendre la portée, bien plus que les débats franco-français à a son propos. Voir notre étude « Un débat franco-américain autour de la Révolution française », Dixhuitième siècle, n°30, 1998.

(28) Introduction au tome 1 des Orateurs de la Révolution française, en collaboration avec Ran Halévi, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1989, p. LXX. Signalons également l’importance de l’ouvrage de Timothy Tackett sur Becoming a Revolutionary. The Deputies of the french National Assembly and the Emergence of a Revolutionary Culture (1789-1790), Princeton University Press, 1996, qui met en évidence la manière dont les députés du Tiers-état adhèrent progressivement au processus révolutionnaire.

(29) Des Manuscrits de Sieyès, vol. 1 et 2, sous la dir. de C. Fauré, Paris, Champion, 1999, 2007. Nous avons collaboré à ces deux volumes au titre de la présentation, de l'annotation et la transcription de manuscrits philosophiques.

(30) Au delà de l’ouvrage classique de Paul Bastid sur Sieyès et sa pensée, Paris, Hachette, 1989, pour une vue d’ensemble des travaux récents sur Sieyès et la modernité politique, voir notre ouvrage sur Sieyès et l’ordre de la langue. L’invention de la politique moderne, Paris, Kimé, 2002.

(31) Voir notre étude, en collaboration avec Sonia Branca, sur « De "société" à "socialisme" (Sieyès) : l'invention néologique et son contexte discursif. Essai de colinguisme appliqué », Langage & Société, N°83/84, mars-juin 1988.

(32) Voir notre étude « Sieyès métaphysicien. Une philosophie à l’exil », in Ecritures de l’exil, sous la dir. de A. Giovannoni, Paris L’Harmattan, 2006, p. 149-192.

(33) Dans La Révolution (1770-1880), Paris, Hachette, 1988: « Sieyès. Il faut s’attarder un peu sur ce nom, qui est le meilleur symbole de la Révolution française (...) C’est qu’il est, de la Révolution française, non pas le plus grand homme d’action, mais le penseur politique le plus profond », p. 62.

(34) Voir à ce propos notre ouvrage sur L’avènement des porte-parole de la République (1789-1792), op. cit.

(35) Paris, Gallimard, 1998.

(36) La découverte de la politique. Géopolitique de la Révolution française, Paris, La Découverte, 1993.

(37) Dictionnaire politique portatif en cinq mots (démagogue, terreur, tolérance, répression, violence), Paris, Idées/Gallimard, 1982.

(38) Triomphe et mort du droit naturel en révolution (1789-1795-1802), Paris, PUF, 1992

(39) Le monde des salons. Sociabilité et modanité à Paris au XVIIIème siècle, Paris, Fayard, 2005.

(40) Violence et Révolution. Essai sur la naissance d’un mythe national, Paris, Seuil, 2006.

(41)Voir sur ce point notre ouvrage L’avènement des porte-parole de la République (1789-1792), op. cit. Dans cet ouvrage, nous développons une approche plus « heureuse », plus performative (en terme d’action révolutionnaire) des porte-parole que Jean-Clément Martin.

(42) Dans la nuit de Bicêtre, Paris, Gallimard, 2006, p. 107 et 109.

(43) Le Conflit des facultés, Kant, Œuvres philosophiques, Bibliothèque de la Pléiade, volume III, Paris, Gallimard, p. 891.

(44) Dans les Quaderni del carcere, publiés par Einaudi en 1975, Gramsci revient à plusieurs reprises sur la valeur méthodologique d’une telle association, et plus largement de la « traductibilité réciproque » entre la pratique politique jacobine et le philosophie pratique allemande.

(45) D'après les premiers paragraphes de Sur le lieu commun: il se peut que ce soit juste en théorie, mais, en pratique, cela ne vaut rien, Oeuvres, tome III , p. 251.



(46) Première introduction à la Critique de la faculté de juger, traduction inédite d'Alain Renaut, Paris, Aubier, 1995, p. 93.-95.

(47) Ibid. p. 280.

(48) Première introduction à la Critique de la faculté de juger, op. cit. p. 111.

(49) Critique de la faculté de juger, traduction d'Alain Renaut, op. cit. , p. 303.

(50) En particulier par Françoise Brunel dans 1794. Thermidor. La chute de Robespierre, Bruxelles, Complexe, 1989 et Florence Gauthier, Triomphe et mort du droit naturel en Révolution (1789-1802), op. cit. (51) Sur la question des femmes pendant la Révolution français, voir notre présentation synthétique, en collaboration avec Martine Lapied, sur « L’action politique des femmes pendant la Révolution française », Encyclopédie historique et politique des femmes, sous la dir. de C. Fauré, Paris, PUF, 1997.

(52) Bien sûr nous ne réduisons pas la lecture kantienne de la Révolution française à son approche esthétique. La complexité même de cette lecture a été récemment précisée par Domenico Losurdo dans son ouvrage Autocensure et compromis dans la pensée politique de Kant, traduction française, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1993. Voir aussi le petit ouvrage d’André Tosel, Kant révolutionnaire. Droit et politique, Paris, PUF, 1988. Par ailleurs, nous avons rendu compte plus largement de la complexité du lien entre philosophie allemande et Révolution française, à partir de diverses recensions d’ouvrages sur le présent site.

(53) Critique de la faculté de juger, op. cit. , p. 302.

(54) Voir le commentaire de ce texte proposé par Gérard Raulet dans Kant. Histoire et citoyenneté, Paris, PUF, 1996, chapitre V.

(55) Ainsi que Michel Foucault l'a souligné avec force dans « Qu'est-ce que les Lumières ? », Dits et écrits, tome 4, Paris, Gallimard, 1994, p. 679 et svtes.



(56) L'événement sans doute le plus significatif en ce domaine est la mort de Marat que nous avons étudiée dans notre collaboration au travail collectif sur La mort de Marat, publié sous la direction de Jean-Claude Bonnet aux Editions Flammarion en 1988, ainsi que dans notre ouvrage 1793. La mort de Marat, Bruxelles, Complexe, 1989.

(57) Hannah Arendt, après avoir commenté la Critique de la faculté de juger, précise que c’est le spectateur qui achève l’histoire, tant dans sa forme narrative - il en crée la mémoire - que dans sa forme pensée, à condition d’étendre la notion de spectateur de la personne assistant à l’événement même au philosophe la contemplant à distance, à l’exemple des philosophes allemands. Voir en particulier son ouvrage sur Condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1961.



(58) Critique de la faculté de juger, op. cit. p. 226.

(59) Antoine Compagnon, Les antimodernes. De Joseph de Maistre à Roland Barthes, Paris, Gallimard, 2005.

(60) Antoine Compagnon en dresse un portrait, sur la base de leur génie prospectif, dans son ouvrage précité.

(61) Voir le chapitre 5 de la première partie dans l'ouvrage précité.

(62) Ibid. p.15 et 113.

(63) Nous suivons présentement l'analyse de Philippe Dufour dans son ouvrage La pensée romanesque du langage, Paris, Seuil, 2004.

(64) Nous reprenons ici l’expression de Nicole Mozet dans son ouvrage Balzac et le temps, Saint-Cyr sur Loire, Christian Pirot, 2005, en particulier le chapitre 3.

(65) Cela est d’autant plus vrai lorsque Balzac écrit que « 1830 a consommé l’œuvre de 1793 » dans La Cousine Bette, formule que Nicole Mozet reprend comme titre du chapitre 15 de son ouvrage précité.

(66) Titre de la seconde partie de l’ouvrage de Philippe Dufour, La pensée romanesque du langage, op. cit.

(67) Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1989, p. 869.



Jacques Guilhaumou, "La Révolution Française et la rupture des Temps Modernes", Révolution Française.net, Synthèses, mis en ligne le 10 avril 2007, dernière mise à jour le 31 juillet 2007, URL:http://revolution-francaise.net/2007/04/10/64-revolution-francaise-rupture-temps-modernes