Par Jacques Guilhaumou, UMR « Triangle », ENS Lyon.

« M. de C(ondillac) relève les erreurs des p(hiloso)phes. Soit, il peut avoir raison. Mais, dégagé de toutes ces erreurs, je ne me mets en conversa(ti)on avec lui que sur ce qu'il prétend établir. » (Sur L’art de penser)

Sieyès participe d’une génération de législateurs philosophes présents sur le devant de la scène politique pendant la Révolution française. Nombre de députés de l’Assemblée Nationale ont une culture philosophique sans être pour autant des philosophes, hormis quelques exceptions comme Condorcet et les Idéologues. Pour autant la forte présence philosophique de Sieyès se manifeste par ses échanges avec de nombreux philosophes qui le considèrent à part égale, qu’il s’agisse de Condorcet, des Idéologues et surtout des philosophes allemands présents à Paris. Pour mesurer la portée d’un tel engagement philosophique de Sieyès, nous disposons d’un ensemble de manuscrits philosophiques de longueurs très inégales, allant de simples notes à de longs développements, mais répartis sur une longue période, c’est-à-dire de ses manuscrits de jeunesse des années 1770 à ses manuscrits les plus tardifs des années 1810. En leur sein, la présence de Condillac selon diverses modalités est quasi constante, comme en témoigne d’emblée le premier manuscrit, le Grand cahier métaphysique présenté par notre soin dans le cadre de la publication de manuscrits de Sieyès en deux volumes (Christine Fauré, 1999, 2007) (1).
Qui plus est, la confrontation entre Sieyès et Condillac prend appui sur le positionnement central de la pensée condillacienne dans l’ordre philosophique des années 1770 aux années 1800 et sur son extension à la formulation du nouvel ordre social. La méthode analytique de Condillac est également mise en œuvre dans ses textes politiques. Mais tel n’est pas aujourd’hui notre propos plutôt centré sur les aspects philosophiques et linguistiques des manuscrits de Sieyès dans leur rapport à Condillac à divers moments de l’itinéraire de Sieyès.

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