La notion de cultures se réfère à celles des protagonistes de ces différentes périodes et de ces différents lieux. Mais par cultures nous entendons également désigner les cultures interprétatives à partir desquelles les travaux savants caractérisent les cultures des acteurs et construisent le sens de la notion de républicanisme.

En mettant le républicanisme au pluriel – les républicanismes donc – il s'agit de rendre compte, au-delà des valeurs qu'elles partagent, de la multiplicité des expériences historiques républicaines mais aussi de l'importance de ces constructions théoriques – qui ont également une histoire – à partir desquelles ces expériences sont qualifiées de républicaines et classées en différents types de républicanismes. La variété des désignants auxquels les auteurs de ce volume font appel pour qualifier ces républicanismes, ou les expliciter, est un bon exemple de cette diversité : république démocratique, république monarchique, république fédérative, républicanisme des droits, républicanisme commercial, républicanisme égalitaire, républicanisme communautaire, républicanisme classique, républicanisme moderne, républicanisme modéré, républicanisme démocrate-social, humanisme commercial, humanisme marchand, économie politique, économie politique populaire, économie morale, principes du droit à l'existence, communs, etc.

Cette variété et ces hybridations se manifestent également par la perméabilité des traditions républicaines, jusnaturalistes (fondées sur les principes du droit naturel) et socialistes, une porosité sur laquelle ce volume porte l'accent, alors que ces trois cultures du politique sont dissociées par l'approche standard qui a fixé les cultures interprétatives aujourd'hui dominantes. Celle-ci oppose en effet « la liberté des anciens » – réputée caractéristique de la tradition républicaine – et celle des « modernes », selon le cadre défini par Germaine de Staël et Benjamin Constant. La « liberté des anciens », celle des républicains, est fondée sur la vertu politique qui se mesure par l'implication dans les affaires de la cité : être libre c'est être un citoyen actif. Elle contraint la liberté individuelle en la mettant au service du groupe. Selon cette lecture, l'homme devrait donc se dénaturer pour devenir citoyen en renonçant à sa liberté naturelle définie comme une puissance d’agir sans entrave. Au contraire, la « liberté des modernes » reposerait sur les droits attachés aux individus, les droits naturels inaliénables que la cité doit garantir et non entraver. Ils fonderaient le « libéralisme » et seraient nécessaires au déploiement du capitalisme puisqu'ils libéreraient l'individu des contraintes collectives qui nuisent à la liberté d'entreprendre. Cette opposition entre vertu et droit a été constituée en modèle interprétatif par John Pocock (1). Ce modèle organise bien des travaux qui abordent les problématiques du républicanisme, en particulier dans le monde anglo-saxon. Il a par exemple été appliqué à la Révolution française par Keith Baker (2) qui classe les montagnards du côté des anciens, partisans d'une vertu qui aliénerait la liberté individuelle, les Girondins relevant quant à eux de la liberté des modernes, seraient les défenseurs des droits de l'homme. Corrélativement, l'identification des principes du droit naturel moderne – tels qu'ils ont été synthétisés par John Locke dans son Deuxième traité du gouvernement civil (1690) – avec des justifications philosophiques et juridiques du capitalisme – désigné comme le « libéralisme » – a pour conséquence de rendre incompatibles les traditions jusnaturaliste et socialiste, la pensée du droit attachée à l'individu et celle du bien commun. Marxistes et libéraux qui ont élaboré les deux faces antagonistes du même récit standard de la modernité, sont d'accord pour faire du libéralisme économique l'héritier de la philosophie du droit naturel. Quant au lien entre socialisme et républicanisme que la commune référence au bien commun pourrait rassembler – et qui de fait a été au cœur des réflexions des premiers socialistes – il est évacué dans la seconde moitié du XIXe siècle par la tradition socialiste elle-même qui juge alors galvaudée et obsolète une idée de république qui semble avoir épuisé ses potentialités politiques face au déploiement du capitalisme et à la naissance du prolétariat.

Au contraire de ce qui est communément avancé, les sources nous engagent à envisager le républicanisme et le socialisme comme des expressions possibles du jusnaturalisme. Buonarroti est socialiste, républicain et se réfère aux principes du droit naturel qu'il ne considère donc pas comme les fondements théoriques de « l'individualisme bourgeois ». Il souligne en revanche que « le système d'égoïsme » fondé sur la liberté illimitée des propriétaires, promu par les Girondins, est contraire « aux droits naturels des hommes » (3). Au XVIIe siècle en Angleterre, pendant les Révolutions américaine et française l'idée de république se construit sur des bases jusnaturalistes. Algernon Sydney ou Thomas Paine tiennent à la fois le langage de la vertu et celui du droit. Robespierre, que le récit standard de la modernité classe du côté de la « liberté des anciens » estime que la république, entendue comme bien commun, consiste dans la mise en œuvre de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, un texte que ce même récit standard juge fondateur de la « liberté des modernes » ou des « droits bourgeois ». Robespierre ne sépare pas la vertu et le droit, mais argumente la nécessité de la vertu politique à partir du droit. En 1795, Jean-Baptiste Say, l'un des pères fondateurs de l'économie dite libérale, ne fait pas l'apologie des droits naturels comme le récit standard le laisserait supposer, mais dénonce au contraire le danger que représente une Déclaration des droits qu'il associe à Robespierre. De la même manière, Benjamin Constant ne se réfère pas aux droits naturels entachés de robespierrisme, mais aux « droits individuels » lorsqu'il jette les bases de l'idéologie « libérale ». Les recherches menées ces dernières années poussent ainsi à reconsidérer les catégories qui organisent les représentations du politique dont nous avons hérité (4).

L'enjeu n'est pas seulement intellectuel. L'effacement du marxisme qui dominait la critique du libéralisme a ouvert un espace à d'autres traditions critiques, en particulier les républicaines qui végétaient depuis près d'un siècle et demi, phagocytées par le modèle français de la IIIe République auquel elles étaient assimilées. Elles sont aujourd'hui de nouveau mobilisées dans leur radicalité, appréhendées comme un cadre efficace à partir duquel il est possible de déterminer des normes politiques qui permettraient de refonder nos sociétés en crise.

Sur le plan théorique, la discussion est focalisée sur les propositions de Philip Pettit (5). En s'appuyant sur la méthodologie de la philosophie analytique, son objectif est de réactualiser le langage du républicanisme afin d'élaborer une philosophie néo-républicaine. Celle-ci permettrait de concevoir un gouvernement fondé sur la liberté comme non-domination (pour être libre il ne faut ni dominer ni être dominé) donc distinct du libéralisme qui repose sur la liberté comme absence d'entrave ou comme non-interférence. Selon Pettit, qui s'appuie notamment sur les travaux de l'historien Quentin Skinner, le principe de liberté comme non-domination caractérise le républicanisme tel qu'il s'est déployé dans l'Italie de la Renaissance et dans l'Angleterre du XVIIe siècle. Comme Pocock, Pettit ignore la Révolution française et laisse les droits naturels aux libéraux. Dans la préface de l'édition française de Republicanism, il estime que la tradition républicaine des cités italiennes, dans laquelle puise le républicanisme anglais, est distincte du républicanisme qui s'est constitué pendant la Révolution française parce que la caractéristique principale de ce dernier serait d'être un régime politique se définissant contre la monarchie et non par une conception de la liberté. Dès lors, la Première République, contrairement aux républicanismes fondés sur la liberté comme non-domination, ne pourrait être comprise dans le « vaste réservoir d'idées et de conceptions qui peuvent servir de remèdes aux maux des sociétés contemporaines » (6), ce qui tombe bien puisqu'elle correspond en partie avec ce que les thermidoriens ont désigné comme le « système de la terreur », politiquement invendable. Nous n'avons plus en tête la manière dont Jeremy Bentham caractérisait le « langage de la terreur » pour le dénoncer en 1795 : il tenait selon lui dans l'article 2 de la Déclaration de 1789, « le but de toute société politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme »(7).

Cette singularité supposée du républicanisme français est légitimée par l'historiographie dominante de la Révolution française qui la distingue des expériences républicaines anglaise et américaine, diagnostiquant une « exception française » et définissant la république par le rejet de la monarchie (8). En réduisant la république à sa connotation essentiellement anti-monarchique et en marginalisant la conception de la liberté que les Montagnards ont mis en œuvre, cette historiographie héritière des schémas forgés par la IIIe République, a appauvri les potentialités politiques ouvertes par la Révolution française.

En effet, dans la France révolutionnaire, la notion de république ne renvoie pas d'abord au rejet de la monarchie mais à une organisation politique librement choisie qui garantit la liberté de ses membres (9). La dimension anti-monarchique se construit dans l'événement révolutionnaire et n'est pas prépondérante. Elle résulte du conflit qui oppose les « patriotes » à un monarque, soutenu par la majorité des Assemblées constituante et législative, qui finit par incarner la négation du bon gouvernement, c'est-à-dire un gouvernement fondé sur les principes déclarés en 1789 dont la fonction est de garantir la liberté. Pour ces patriotes – le « côté gauche » d'où émerge la Montagne – la liberté ne peut être que lorsqu'elle est réciproque. La liberté implique donc l'égalité en droit. Sans égalité en droit il n'y a pas de liberté possible. Sur ce point, Thomas Paine pense comme Robespierre. Dans les années 1980, Florence Gauthier a mis en évidence cette liberté comme réciprocité en s'appuyant sur les principes du droit naturel à partir desquels elle est élaborée. Elle recouvre ce que Philip Pettit qualifiera quelques années plus tard de liberté comme non-domination. « La philosophie du droit naturel, écrit Florence Gauthier, a pour caractéristique de penser un monde libre à construire dans la lutte pour le droit, et où il n'y aura plus ni opprimés, ni oppresseurs, l'humaine condition se situant en dehors du rapport dominant-dominé (10). » Cette conjonction entre des travaux qui ont été menés indépendamment les uns des autres, permet de conclure que le républicanisme de Pettit, conçu dans un cadre pocockien, rencontre les principes du droit naturel qu'il exclut a priori, ce qui est un autre indice de l'artifice qui sépare ces traditions politiques. On doit pouvoir également en déduire que reposant finalement sur la même prémisse – la liberté comme non-domination – le républicanisme « français » tel qu'il est incarné par la Convention montagnarde, est une ressource tout aussi efficace que la tradition anglaise du XVIIe siècle pour penser notre monde. De fait, pour un historien de la Révolution française, les propositions néo-républicaines de Pettit ressemblent étrangement à celles qui sont avancées par la Montagne. C'est en particulier le cas du discours de Robespierre sur la Constitution du 10 mai 1793 dans lequel il définit ce qu'il nomme une « économie politique populaire », c'est-à-dire les modalités de gestion de ce bien commun qu'est une république. L' « économie politique populaire » repose sur un type de gouvernement qui garantit les droits naturels des hommes dont le premier est le droit à l'existence, sans lequel il n'y a pas de liberté possible.

Soumises au vaste mouvement d'expropriation qui touche les campagnes, l'Angleterre et la France des révolutions engagent une critique de l'appropriation. Cette critique est fondée sur la liberté comme réciprocité – ou comme non-domination – et le droit à l'existence qui en est la conséquence. Pendant la Révolution française, le mouvement populaire et le côté gauche à l'Assemblée estiment ainsi que la liberté illimitée du propriétaire est incompatible avec une république, autrement dit avec les principes déclarés en 1789 et complétés en 1793. Comme toute liberté, celle du propriétaire doit être limitée par celle d'autrui. La liberté de spéculer sur le prix du grain doit donc être limitée par le droit à l'existence d'autrui. De même, il n'est pas concevable d'accumuler des propriétés si cela se fait au détriment de la vie de ses semblables, ce qui renvoie à la « clause lockienne » exposée dans le Deuxième Traité (V-31). Les problématiques du républicanisme ne sont pas coupées de celles de l'économie politique qui est une autre manière de désigner l'ensemble des principes sur lesquels doit reposer un bon gouvernement. Les physiocrates conçoivent la science économique comme une science totale de l'homme qui permettrait de déterminer la meilleure Constitution politique et de moraliser les hommes. L'intérêt particulier est conçu comme une vertu politique. Ceux qui combattent cette nouvelle conception du social qui émerge au XVIIIe siècle, posent la question républicaine, toujours actuelle, du rôle du politique face à l'emprise de l'économique, comme est actuelle la régulation de la propriété par le droit à l'existence.

La première partie de l'ouvrage est consacrée à l'émergence des catégories politiques et des problématiques du républicanisme dans les contextes révolutionnaires des XVIIe et XVIIIe siècles et aux modèles qui se constituent dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Myriam-Isabelle Ducrocq fait l'histoire des notions de république et de commonwealth, de républicain et de commonwealthman dans l'Angleterre de la « Grande Rébellion », souligne la diversité des républicanismes et le rôle joué par les principes du droit naturel dans les rangs des levellers et des diggers. Stéphanie Roza montre que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle français, l'aile radicale de la tradition républicaine portée par la tradition utopiste engendre la tradition socialiste. Républicanisme, utopie et socialisme ne sont pas dissociés. Comme l'Anglaise, la Révolution française est un laboratoire politique dans lequel s'expérimentent des idées de république et des politiques républicaines. Alexandre Guermazi rappelle que la république n'est pas d'abord, ni principalement, définie par opposition à la monarchie mais procède de la dynamique politique qui se constitue sur les enjeux de la Déclaration et le contrôle du pouvoir exécutif. Sous la pression du côté gauche et du mouvement populaire, la république se pense et se pratique comme démocratique et sociale, c'est-à-dire fondée sur les principes du droit naturel. Florence Gauthier en dégage les caractéristiques sous la Convention, entre 1792 et 1794. Ce modèle républicain montagnard incarné dans le projet de Déclaration de Robespierre jouera un rôle déterminant pour la structuration des courants républicains et socialistes du premier XIXe siècle. De l'autre côté du spectre politique, le moment démocratique de la Première république est désigné comme le « système de la terreur » et l' « anarchie », leitmotiv de la république thermidorienne que Marc Belissa retrouve chez Dumouriez, un des représentants du « royalisme constitutionnel » qui rêve d'une république monarchique : car si elle n'est plus « anarchique », c'est-à-dire démocratique, la république ne peut, selon lui, qu'être monarchique. La république directoriale, vidée de toute référence aux droits naturels et de tout contenu social, est alors pensée comme une forme de gouvernement contrainte de naviguer entre l’écueil de l'anarchie et celui du royalisme. Les théoriciens du libéralisme naissant que sont Germaine de Staël et Benjamin Constant s'efforcent, avec d'autres, de lui donner un contenu et de jeter les bases d'un « républicanisme des modernes » qui est étudié par Stefano De Luca. Ils s'inspirent pour cela de l'expérience de la république girondine, fondée sur la liberté comme absence d'entrave.

La partie centrale du volume explore les contours d'une économie politique républicaine et les catégories de liberté et de propriété sur lesquelles elle repose. Jordi Mundo reconsidère les découpages du récit standard en sortant Locke de la tradition dite « libérale » qui l'a indûment annexé. Il restitue le contenu de son républicanisme, ce qui permet en particulier de comprendre pourquoi les principes du droit naturel lockien sont mobilisés par les montagnards pour établir une économie critique du libéralisme économique en train de se constituer. Ce sont également les classifications communément mobilisées pour penser la propriété que Pierre Crétois analyse afin de cerner la fonction de la propriété et plus particulièrement de la propriété de soi dans le républicanisme de Rousseau. David Casassas examine le cas d'Adam Smith, une autre figure abusivement inscrite au panthéon du libéralisme économique. Il montre que le républicanisme commercial de Smith est incompatible avec le capitalisme qu'il est censé avoir promu, et qu'il est au contraire un outil efficace pour en faire la critique et penser aujourd'hui une régulation politique du marché. Au XVIIIe siècle, l'économie politique républicaine n'est pas seulement affaire de théoriciens mais se construit également dans la pratique. La période du Gouvernement révolutionnaire, sous la Convention montagnarde, en est l'un des moments-clés. Marco Marin étudie la mission du conventionnel Reverchon à Lyon, qui vise à « républicaniser le commerce », c'est-à-dire à le réguler en fonction des principes du droit à l'existence. L'idée de propriété commune ou partagée, de biens communs, de communaux, est au cœur de l'organisation des communautés villageoises. À l'échelle communale, elles constituent un modèle pratique de bon gouvernement, c'est-à-dire de république, sur lequel s'appuie en particulier la législation montagnarde. Fabienne Orsi rappelle comment la notion de propriété commune a été disqualifiée par l'idéologie économique aujourd'hui dominante et en montre les enjeux actuels pour penser des modèles alternatifs à la propriété privée exclusive.

Les modèles républicains et les expériences circulent. La troisième partie concerne les traductions, les adaptations, les usages. Loin des clichés et des légendes qui opposent un supposé « jacobinisme centralisateur » et un non moins hypothétique « fédéralisme girondin », Raymonde Monnier revient sur les débats qui ont structuré l’idée de république fédérative. Elle en examine les appropriations et les transpositions dans le contexte révolutionnaire français et américain de la fin du XVIIIe siècle. Mettant également à distance « l'exception française », c'est aussi cet espace que Carine Lounissi étudie à travers le républicanisme transatlantique de Joël Barlow, ami de Thomas Paine, qui apparaît comme un véritable passeur de la révolution et des idées républicaines. Pour les années qui précèdent l'Unité italienne, Anna-Maria Lazzarino del Grosso examine les parcours politiques et les idées républicaines et fédéralistes de trois personnages, Niccolò Tommaseo, Carlo Cattaneo et Giuseppe Ferrari, emblématiques de types de républicanismes parfois incompatibles, influencés par la tradition républicaine italienne, mais également, pour les seconds, par la française telle qu'elle se reconstitue dans le premier XIXe siècle. Toujours outre-monts, Jean-Yves Frétigné évalue pour sa part la place de la Révolution française dans la pensée politique de Mazzini, et sa relation ambivalente à la culture républicaine française du XIXe siècle, une culture dont il reprend les idées principales tout en étant déçu par les républicains eux-mêmes. De fait, le centre de gravité du républicanisme change en France. À partir d'une comparaison des fêtes républicaines en 1848, 1880 et 1892, Rémi Dalisson montre le déplacement de la symbolique républicaine et de la culture politique dont elle est la manifestation, sociale en 1848, modérée et libérale à la fin du XIXe siècle, lorsque république et socialisme ont divorcé. Aude Dontewille-Gerbaud analyse les discours des pères fondateurs de la IIIe République qui veulent instituer une république sage et rassembleuse et doivent pour cela composer avec l'héritage révolutionnaire, nécessaire pour légitimer les valeurs républicaines face aux monarchistes. Ils reconstruisent alors une Révolution française adaptée au modèle républicain qu'ils promeuvent, qui va devenir la référence et masquer la complexité des traditions républicaines qui l'ont précédé.

En conclusion, Christopher Hamel met en perspective les tensions méthodologiques et épistémologiques entre l’histoire de la pensée politique et la théorie politique normative qui parcourent cet ouvrage pluridisciplinaire. L’élaboration des théories néo-républicaines peut-elle être indifférente à l’histoire ou celle-ci possède-t-elle une fonction normative permettant d’étayer, de légitimer voire de valider la théorie ? Faut-il choisir l’une aux dépens de l’autre ? Ces questions ne sont pas uniquement théoriques et ne concernent pas exclusivement le monde académique. Elles intéressent aussi la réception, l’appropriation et donc l’efficacité politique de travaux à partir desquels élaborer des outils qui permettent d’appréhender ce que l’on entend aujourd’hui par une société juste, et d’agir pour qu’elle ne soit pas seulement dans les livres.

NOTES

(1) John POCOCK, Vertu, commerce et histoire, (1985), trad., Paris, PUF, 1998.

(2) Keith M. BAKER, « Transformations of classical Republicanism in Eighteenth-Century France », The Journal of Modern History, 2001, vol. 73, n°1, p. 32-53. Pour une critique des thèses de Baker voir Yannick BOSC, « La Constitution de l'an III : un républicanisme classique ? », Révolution Française.net, septembre 2008, LIRE ; Christopher HAMEL, « L’esprit républicain anglais adapté à la France du XVIIIe siècle : un républicanisme classique ? », La Révolution française, 5/2013, LIRE.

(3) Philippe BUONARROTI, Conspiration pour l'égalité dite de Babeuf, Paris, Editions sociales, 1957, t. 1, p. 25

(4) Marc BELISSA, Yannick BOSC et Florence GAUTHIER (dir.), Républicanismes et droit naturel à l'époque moderne. Des humanistes aux révolutions des droits de l'homme et du citoyen, Paris, Kimé, 2009 ; Corpus. Revue de philosophie (64/2013), Florence GAUTHIER (dir), consacré aux enjeux du droit naturel, aux recherches actuelles et aux débats autour de cette notion.

(5) Philip PETTIT, Républicanisme. Une théorie de la liberté et du gouvernement, (1997), trad., Paris, Gallimard, 2004.

(6) Jean-Fabien SPITZ, La liberté politique, Paris, PUF, 1995, p. 5. Jean-Fabien Spitz est le traducteur de Pettit.

(7) Jeremy BENTHAM, L'absurdité sur des échasses ou la boîte de Pandore ouverte..., dans Bertrand BINOCHE et Jean-Pierre CLERO, Bentham contre les droits de l'homme, Paris, PUF, 2007, p. 34.

(8) Michel VOVELLE (dir.), Révolution et République : l'exception française, Paris, Kimé, 1994. Voir l'introduction de Michel Vovelle.

(9) Raymonde MONNIER, Républicanisme, patriotisme et Révolution française, Paris, L'Harmattan, 2005.

(10) Florence GAUTHIER, Triomphe et mort du droit naturel en Révolution, Paris, PUF, 1992, p. 28.

TABLE DES MATIÈRES

Introduction

Yannick Bosc : Les enjeux intellectuels et politiques des problématiques du républicanisme

Genèses républicaines et construction des modèles

Myriam-Isabelle Ducrocq : 1649 en Angleterre : la République à inventer

Stéphanie Roza : Politique républicaine et politique de l'utopie en France dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle

Alexandre Guermazi :La transition vers une république sans roi. La contribution du mouvement populaire (juin 1791-janvier 1793)

Florence Gauthier : Une république démocratique et sociale des droits de l'homme selon Robespierre et Saint-Just, 1792-1794

Marc Belissa : « Relier en un tome les cinq volumes du Directoire » ou la République monarchique de Charles-François Dumouriez (1795)

Stefano De Luca : Le républicanisme des Modernes. Madame de Staël, Constant et les hybridations du discours républicain (1795-1803)

Liberté, propriété et économies politiques républicaines

Jordi Mundó : Political freedom in Locke’s republicanism

Pierre Crétois : La propriété dans le républicanisme de Rousseau : dépassement de la propriété privée ou alternative ?

David Casassas : Pour une économie politique républicaine : à propos d’une critique d’inspiration smithienne du capitalisme

Marco Marin : « Républicaniser le commerce », un projet de mise en œuvre d'une économie morale à Lyon (1794)

Fabienne Orsi : Pour une pensée alternative de la propriété. Un éclairage par les faisceaux de droits

Circulations et relations aux modèles

Raymonde Monnier : Représentations et transferts de la notion de république fédérative dans le contexte des révolutions américaine et française

Carine Lounissi : Joel Barlow en Europe ou les paradoxes de l'habitus républicain (1792-1793)

Anna-Maria Lazzarino del Grosso : Républicanismes et fédéralisme dans les « dix ans préparatoires » de l’Unité italienne : Niccolò Tommaseo, Carlo Cattaneo et Giuseppe Ferrari

Jean-Yves Frétigné : Giuseppe Mazzini, la Révolution française  et la culture républicaine française

Rémi Dalisson : Marianne en représentations : le républicanisme festif en France (1848,1880 et 1892)

Aude Dontenwille-Gerbaud : Les temps héroïques sont clos… L’événement discursif fondateur de la Troisième République (1870-1881)

Conclusion

Christopher Hamel : Quel rôle pour l’histoire de la pensée politique dans le néo-républicanisme ?