Les papiers de Pons que nous reproduisons comportent dix-neuf pièces (des certificats, sauf-conduits, autorisations, ordres de missions, extraits de procès verbaux, brevets et correspondances) qui couvrent une période qui s'étend du 21 mars 1793 au 14 juillet 1815. Le document le plus tardif est une lettre du maréchal Suchet (duc d'Albufera), dont il était l'ami, adressée à "M. le chevalier Pons, préfet du département du Rhône" deux jour avant que la ville de Lyon ne soit remise aux Autrichiens. A l'exception de cette lettre, ces papiers ne concernent que la Première République, dont huit pièces pour le Directoire et principalement la campagne d'Italie (cinq pièces).
Cet ensemble documentaire constitue une ressource particulièrement intéressante pour l'enseignement de la Révolution française, puisqu'il permet aux élèves, à partir d'une étude de cas, de suivre la vie aventureuse d'un acteur de la période et de croiser des idées, des événements et des personnages qui en sont emblématiques. Nous présenterons, dans la rubrique enseignement de Révolution Française.net, quelques exemples d'usages de ces documents en classe.

La vie de Pons de l'Hérault (1772-1853) jusqu'en 1815, par Léon-Gabriel Pélissier



« Il était le second de quatre frères ; l'ainé vécut obscurément dans sa ville natale, occupé de constructions maritimes ; un autre fut capitaine de navire ; le plus jeune prit, au refus d'André, l'habit religieux en Espagne. André Pons commença ses études primaires chez les picpusiens à Cette ; il était laborieux et avait une mémoire excellente, mais il ne put développer longtemps ces qualités : à dix ans, il fût embarqué comme mousse sur un bâtiment marchand.
Le goût et l'aptitude maritimes étaient innés en lui ou s'éveillèrent de bonne heure ; à dix-sept ans, il était « officier » – second probablement – sur son navire. Il était une des fortes têtes de la marine cettoise : ayant eu à adresser des réclamations au gouvernement et mis au concours la rédaction d'un mémoire à présenter au roi Louis XVI, le corps de la marine marchande choisit, entre dix concurrents, le travail du jeune Pons. Une supercherie commise avec la complicité de l'autorité municipale de Cette lui permit de se présenter en 1790 à l'examen de capitaine au long cours, et il y fut reçu le 30 septembre, à Marseille, par Monge. Après quoi, il fut embarqué pour un voyage d'application sur la corvette la Badine commandée par le capitaine de Montazet ; le vaisseau était désigné pour les Indes Orientales, mais il ne partit pas.
C'est sous M. de Montazet que Pons exprima pour la première fois ses opinions politiques, – je ne sais quel propos contre la « tyrannie ; » cette incartade lui valut ses premiers arrêts, sa première prison politique. Aussi dut-il se trouver plus à l'aise sur la Mignonne, sur laquelle il fit, comme pilote et sous le commandement du capitaine de vaisseau Paquier, le voyage du Levant, faisant reconnaître la nouvelle constitution française dans les colonies des Échelles. Au désarmement, Paquier certifia Pons « capable de remplir honorablement tous les emplois auxquels il plaira à Sa Majesté de l'appeler. »
Cette carrière maritime qui s'annonçait si belle fut bien vite interrompue par les événements. Aussitôt débarqué de la Mignonne, Pons se fit inscrire à la Société, encore libérale et monarchique, des « Amis de la constitution et de l'égalité à Cette » » le 4 août 1791 ; le choix de cette date, anniversaire de la plus noble journée de la Révolution, était sans doute intentionnel. Pons fut admis à l'unanimité et souscrivit pour trois ans, – sa cotisation annuelle fût fixée à six livres.

   

Il devint bien vite un des membres influents de ce club, dont l'opinion marcha dans un sens parallèle et synchronique aux événements. Quand à la monarchie constitutionnelle succède la République, Pons se réveille républicain, et d'André se change en Marat-Lepelletier, mais il reste homme d'action et ne veut pas être un patriote de club et un simple politicien.
Le siège de Toulon ayant commencé, et les Cettois voulant être représentés dans l'armée assiégeante par un de leurs concitoyens, afin d'avoir des informations sincères et véridiques, Pons reçoit, avec le titre de commissaire, cette mission de surveillant et d'historiographe. Bien accueilli par l'armée républicaine qu'il rejoint à Ollioules, promptement familier avec Robespierre le jeune et Gasparin, souvent désigné par eux comme orateur pour faire de la propagande patriotique dans les sociétés populaires du département, il ne se contente pas de ce rôle assez mal défini et peut-être peu délicat. Il demande du service, et, le 17 octobre 1793, Cartaux le nomme « commandant les canonniers et l'artillerie de la ville de Bandols, » le principal point à l'ouest de Toulon, que troublait fréquemment la crainte d'une descente des Anglais ; bientôt après, malgré sa jeunesse, Bonaparte, alors commandant en second l'artillerie, le désigne à Dugommier pour prendre le commandement de l'infanterie , et Pons est nommé « commandant temporaire de Bandols et des troupes stationnées sur les côtes adjacentes. » Il a raconté lui-même comment il remercia son jeune général de cet avancement rapide.

   

Dans ce nouvel emploi, Pons ne paraît pas avoir joué un rôle militaire important ; mais il s'illustra, au péril de sa vie, par un acte d'héroïsme civique plus rare et plus remarquable en ce temps : il fit évader trente-deux citoyens de Bandol, paisibles bourgeois ou pères de famille, accusés de fédéralisme par la commission révolutionnaire, qui poussait les représentants aux mesures extrêmes, et que le tribunal révolutionnaire de Grasse devait condamner à mort sur la simple preuve de leur identité. C'était jouer sa tête ; mais Robespierre jeune fut touché de ce courage et fit rapporter cette mesure odieuse de proscription. (...) A son retour de Toulon, Pons fut à Cette un homme populaire. En 1794, – an II, – la Société populaire l'élut son président ; à ce titre, il prononça un discours « pour la fête de l'abolition de l'esclavage » (…).
Ce fut encore à lui que la Société eut recours, en germinal an II, pour se réconcilier avec la Convention. – Suivant l'usage, la ville de Cette avait envoyé à la Convention une députation pour lui présenter une adresse conçue dans l'esprit le plus violent contre le modérantisme. L'avocat Rodier, membre du club et rédacteur de ce factum, donnait ce conseil à la Montagne : « Mettez la mort à l'ordre du jour. » Cette adresse déplut à la partie modérée de la Convention, qui fit aux Cettois une réponse foudroyante et les éconduisit. Le club de Cette s'effraya de ce mauvais accueil, dont les conséquences pouvaient être funestes, et envoya une nouvelle députation pour expliquer le sens de son adresse et protester de la pureté de ses sentiments républicains. Ce fut Pons que la Société choisit, avec Rodier lui-même, pour cette délicate mission. Ils furent nommés le 13 avril 1794 (24 germinal an II) et ne rentrèrent à Cette que vers le 20 floréal suivant ; le 10 mai (21 floréal), en effet, ils rendaient compte au club de leur mission : « Les citoyens Rodier et Marrat (sic) Lepelletier Pons, nouveaux députés de la Société pour porter à la Convention l'expression de nos véritables sentiments, font leur rapport avec l'énergie qui les caractérise. Ils y développent les causes de la censure qu'avait éprouvée la première adresse de la Société. Ils font part que la seconde dont ils étaient porteurs a été vivement applaudie ; que la Convention nationale y a reconnu la pureté de nos principes, qu'elle a consacrés par la mention honorable et l'insertion au bulletin, et qu'elle compte la Société populaire de Cette au nombre de celles qui sont les plus fortement prononcées en révolution. Ce rapport est vivement applaudi et l'assemblée délibère qu'il sera inscrit au procès-verbal, avec les deux adresses à la Convention nationale. »

       

Ce séjour à Paris devint pour Pons, en attirant l'attention sur lui, une source abondante de désagréments et de périls. Il y était arrivé jacobin et robespierriste, mais la hauteur, – « l'affectation d'omnipotence » – de Maximilien Robespierre lui déplurent, il en vint « à une sorte de haine contre lui, » et il laissa paraître assez vivement ce sentiment nouveau pour que ses compatriotes Cambon et Bonnier d'Alco crussent prudent de lui faire quitter Paris. Mais, quoique, devenu antirobespierriste, il restait Jacobin, et ce fut en vain que la réaction thermidorienne essaya de le séduire ; il répondit de très haut aux insinuations du représentant Boysset : « La proscription ne m'intimide pas, je suis résigné. »

       

Considéré comme un dangereux jacobin, accusé d'être en guerre ouverte avec la Convention, d'avoir manqué de respect aux représentants du peuple, d'avoir signé une adresse liberticide, Pons fut destitué du comité de surveillance de la commune par arrêté de Perrin et Goupillau, puis fut dénoncé au représentant Perrin (des Vosges) et mis en eut d'arrestation par ordre de celui-ci, le 7 novembre 1794 (17 brumaire an III). Le mandat d'arrêt atteignit Pons à l'armée des Pyrénées-Orientales, où il venait de conduire un bâtiment de ravitaillement comme capitaine en second. Le représentant Delbrel voulut le mettre sous la protection de cette armée ; mais avec un respect stoïque de la légalité, Pons s'y refusa et, malgré les dangers qu'il courait, alla se constituer prisonnier à Montpellier. Dès le 16 novembre 1794 (26 brumaire), le club de Cette votait à l'unanimité une pétition pour son élargissement ; le club d'Agde s'y associait ; le concierge de la prison avait refusé de l'écrouer sans un ordre positif du commissaire du pouvoir exécutif. Sa popularité était telle que les représentants le firent transférer au fort de Saint-Hippolyte du Gard, où il fut mis au cachot pendant quelque temps. Cependant ils durent céder à la pression de l'opinion publique, aux énergiques réclamations de Pons, qui ne cessait pas de réclamer des juges et écrivait lettres sur lettres aux représentants Girot-Pouzol et Olivier Gérente.

Enfin, sur une pétition de sa mère adressée à Gérente, Pons fût relaxé et mis en résidence à Cette sous la surveillance de la municipalité ; une rupture de ban lui valut une nouvelle condamnation à six mois de détention. Enfin il fut compris dans le décret général d'amnistie pour les délits révolutionnaires que rendit la Convention avant de se séparer.

   

Plein de mépris pour le Directoire à cause de ses origines réactionnaires, Pons renonça alors à la vie politique et prit le commandement d'un navire marchand ; après quelques mois de navigation il fut saisi, dans une traversée de Gênes à Naples par un bâtiment anglais qui l'emmena à Porto-Ferrajo. Le gouvernement toscan, devant lequel il intenta un procès au capitaine anglais, refusa, « n'étant pas juge entre les puissances belligérantes, » d'ordonner la restitution de la prise. Pons n'obtint qu'une indemnité à titre personnel. Ayant, pour se venger, provoqué le commandant anglais, il faillit être massacré par la populace de Livourne. Le consul français Dequercy et le gouverneur, – un Lorrain de naissance – M. de Vilette lui sauvèrent la vie, mais il dut quitter la Toscane et rentra à Cette.

Une nouvelle tentative de vie politique ne fut pas plus heureuse. Nommé électeur aux deux conseils par ses compatriotes, et trop jeune pour être élu, Pons parait s'être engagé à fond dans des marchandages électoraux avec un agent secret de Barras, nommé Bacon, pour faire élire des députés modérés. L'entente se fit entre la démocratie cettoise et le gouvernement sur le nom de Devais, qui fut élu. Mais cette élection aux Cinq-Cents fut annulée, Devais remplacé par un « réacteur thermidorien. » Barras violait complètement ses promesses. Pons, qui en 1797 avait écrit une brochure pour signaler « la décadence administrative et politique du Midi, » fut outré de cette trahison et lança, le 16 prairial an VI (4 juin 1798), le célèbre pamphlet, sous forme de lettre de Pons à Barras qu'il fit distribuer aux deux assemblées et où il dénonçait avec virulence ces manœuvres et les illégalités électorales de Barras. Cette voix retentissante inquiéta la corruption paisible du Directoire : on tenta de mettre à Pons un bâillon doré, mais il refusa toutes les offres de ce genre.
Sa situation devint impossible à Paris ; une fois de plus il regagna sa ville natale, ayant manifesté la noblesse de ses sentiments, l'indépendance de son caractère et son inaptitude à la vie publique. Ce fut néanmoins alors qu'il sembla trouver sa voie. Il reçut le commandement d'un des vaisseaux armés à Cette pour grossir la flotte de Toulon, et fut attaché comme chef d'état-major à la division navale de l'armée d'Italie; il y reçut le meilleur accueil de Brune et de Championnet ; celui-ci l'employa souvent comme secrétaire, et le chargea de prononcer l'éloge funèbre du général Guillaume. Il organisa la division navale, puis créa et commanda la flottille française du lac de Garde. Il refusa à Brune de le suivre en Hollande, servit sous Joubert, sous Schérer, contribua sous celui-ci à la victoire du 6 germinal, se maintint sur le lac de Garde tandis que l'armée reculait jusqu'à la ligne de l'Adda, y protégea l'évacuation de la vallée de la Sabia, et fut envoyé par Moreau à Peschiera, où il organisa la défense d'un bastion et conseilla de refuser toute offre de capitulation.

       

La capitulation fut cependant acceptée par la majorité du conseil de guerre : la garnison devait être rendue aux avant-postes des lignes françaises ; c'est à Grenoble que Pons aboutit avec sa colonne. Championnet s'y trouvait à la veille d'être mis en jugement : Pons s'était offert pour le défendre, quand la journée de prairial (3o prairial an VII, 18 juin 1799) rendit la liberté au général. Pons retourna à Gènes, de nouveau en qualité de chef d'état-major de la division navale ; il s'y retrouva bientôt, après le brillant et court commandement de Joubert et l'intérim de Moreau, sous les ordres de son ami Championnet : ce ne fut que pour assister à la débâcle de cette armée d'Italie qu'abandonnait le Directoire. (...)
Une autre carrière commença pour lui dans l'administration.
Le naturaliste Lacépède était son ami. Devenu grrand chancelier de la Légion d'honnenr, il confia à Pons un emploi important dans ses bureaux ; il voulut le pousser, soit dans les préfectures (et il sollicita sans succès pour lui celle de l'Ombrone), soit dans les bureaux de la marine, et il lui fit écrire un Mémoire sur les causes de la décadence de la marine militaire qu'il présenta à Napoléon ; mais l'empereur ne remarqua pas l'importance de ce travail. Enfin, Lacépède nomma Pons administrateur général des mines de l'île d'Elbe quand ces mines de fer de Rio-Marina furent attribuées par l'empereur à la Légion d'honneur comme portion de son patrimoine. Ce fut à la fin de 1809 que Pons arriva à l'île d'Elbe.(...)
Pons a raconté lui-même comment il fut ressaisi par l'histoire, et comment commença une période nouvelle de sa vie, la plus émouvante, la plus intéressante pour la postérité, mais pour lui la plus agitée. Dans ses mémoires, – soit dans la partie publiée sous le titre L'île d'Elbe pendant la Révolution, soit dans ses Souvenirs et anecdotes de Vile d'Elbe, – il a longuement narré les faits de guerre qui troublèrent l'îled'Elbe et l'isolèrent presque du continent en 1813 et 1814, et la crise nationale et sociale (car elle fut marquée par une émeute de caractère presque anarchique) qui précéda la cession faite à l'empereur Napoléon par les puissances alliées « de l'île d'Elbe et de ses dépendances en pleine souveraineté. » Pendant cette période, Pons, qui n'était pas impérialiste, fit cause commune avec le gouvernement et les soldats français ; quand Dalesme, apprenant la restauration monarchique, voulut arborer le drapeau blanc, il fut un des plus vifs à demander le maintien du drapeau tricolore ; il commença à confondre la cause de l'empereur et celle de la liberté et de l'indépendance ; premier pas vers une adhésion plus complète au parti napoléonien. (…)
La préfecture de Pons à Lyon fut éphémère. Il l'inaugura par une proclamation que Napoléon approuva de tout point : « M. Pons est le seul préfet qui ait franchement dit ce qu'il fallait dire. » Il ne put que maintenir Tordre dans les circonstances difficiles qu'il traversait ; comme Jadis à Bandol, il sut concilier l'humanité et la discipline, et comme alors s'attira la faveur populaire : la ville le nomma colonel honoraire de la garde nationale. Le dernier en France des fonctionnaires impériaux, il fit acte d'impérialisme ; dix jours après Waterloo, le 28 juin 1815. il fit proclamer et reconnaître à Lyon Napoléon II. (…)

Ce fut le dernier beau jour de l'administration de Pons. Il n'eut plus ensuite. qu'à présider à la convention qui régla l'entrée des Autrichiens dans Lyon ; il rédigea une proclamation d'adieu aux Lyonnais, mais il continua à gérer la préfecture sur la demande de son ancien chef Suchet, généralissime de l'armée des Alpes ; on lui offrit de le laisser en fonction s'il voulait adhérer par une proclamation au gouvernement des Bourbons. Bien qu'il n'eût été pour l'empire qu'un ouvrier de la dernière heure, et qu'il eût rendu à l'Empereur plus de services qu'il n'en avait reçu de bienfaits, — pour ce motif peut-être, pour empêcher qu'on ne crût à une secrète ambition déçue, par délicatesse, par honneur, Pons se crut lié à la cause vaincue et se retira.»